Scène de rue
31/10/2007
Message reçu lundi de mon ami Gérard Lebrun...
"Ce jour, je traversais d’un bon pas la Place de l’Hôtel de ville, me rendant de la rue de Seine au quartier de Belleville, où se trouve mon association, lorsque soudain, à quelques pas de moi, un homme de quarante-cinquante ans s’étale de tout son long sur le trottoir et reste allongé par terre. Il a l’air sonné.
Il est un peu tôt le matin, il n’y a pas grand monde alentour. Je m’approche. Je veux appeler les secours. Il me fait signe, péniblement, que ce n’est pas nécessaire. Cet homme a l’air épuisé. Après un temps, où il reprend ses esprits, je l’aide avec un autre passant à se relever. Il est groggy. Je lui suggère d’aller prendre un café à un bar tout proche, pour se remettre. Il me dit Je n’ai pas d’argent. Je lui donne, ainsi que l’autre passant, quelques pièces. Il me dit Accompagnez-moi. L’autre passant a un rendez-vous. Il ne peut rester. Je dis à l’homme Je peux y aller, et le soutenant, nous traversons la chaussée et allons nous installer de l’autre côté à une table au bar. Je commande deux cafés et un croissant.
Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? me dit-il. Je lui dis Je suis retraité, j’étais dans un grand groupe informatique. Il me dit J’étais commercial. Je travaillais à mon compte. Mes clients étaient à Bordeaux, Paris, Lille. J’ai perdu tous mes points de permis. On m’a retiré mon permis. J’ai perdu mon travail. Je n’ai plus rien. Je ne suis plus rien.
Il me dit Avez-vous des enfants ? Je lui dis J’ai deux enfants. Ils sont adultes. J’ai une petite-fille. Il me dit Ma femme m’a quitté. J’ai un enfant de cinq ans, il est avec sa mère. Ils sont à Rennes. Je voudrais les revoir. Je n’ai pas d’argent. Je n’ai plus de logement. Je n’ai plus de travail. C’est dur.
Il me dit Je voudrais revoir mon enfant. Je lui ai laissé de quoi prendre son billet. Il m’a dit Merci pour ce moment. Après quelques échanges encore La dureté de la vie, les pauvres qui trinquent de plus en plus, le petit nombre de riches qui s’affichent, l’injustice… j’ai dû le quitter, on m’attendait à l’association. Il m’a dit à nouveau Merci pour ce moment.
Reprenant mon chemin, je me suis dit Il ne fait pas bon trébucher, dans notre société. On parle de tous les laissés pour compte, de ceux qui restent au bord du chemin, des accidentés de la vie. J’ai rencontré celui-là. Combien sont à la merci d’un accident de parcours qui ne pardonnera pas. Tu es à terre, tu t’étales. Mais la terre ne te prend pas. Tu t’écroules. Tu gis. Ci-gît un déchet de notre société. La vie, celle des autres, continue. Les passants passent, les affaires roulent. Tu es, toi, un scorie. Un résidu de production. Un abandonné au bord du chemin.
Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Paris, 25 octobre 2007"
1 commentaire
Ce message émouvant m'a fait penser à cette page web riche d'indiscipline intellectuelle (ou de sagesse éternelle, c'est une question de point de vue) ...
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/En_Vrac.htm
Pierre C.
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