La motivation essentielle
07/02/2008
Hier soir, Porte Maillot, sous le parrainage de l'association Ashoka*, dix "entrepreneurs sociaux" présentaient leurs activités et leurs projets. C'est merveille de voir la créativité humaine. Je veux parler de cette capacité imaginative et créatrice stimulée par le coeur et aussi, j'en suis sûr, par ce que j'appellerais une esthétique de la vie. Pour ces hommes et ces femmes, qu'il s'agisse du désarroi des enfants hospitalités, de villages sans eau, de populations privées des matériaux de constructions les plus rudimentaires, de marins perdus ou de handicaps de toute sorte, il est impossible de ne pas agir pour corriger ce qui doit l'être. Ils sont comme ces cellules qui s'activent sur les blessures afin que le tissu vivant se régénère et que le corps retrouve l'intégrité qu'il n'aurait pas dû perdre. Il en résulte des réalisations qui manifestent une telle conscience de l'autre, une telle ingéniosité, tout en conférant à leurs auteurs un tel accomplissement personnel, que la vie paraît soudain simple et lumineuse. Encore une fois, ce qui me frappe, c'est combien l'oeuvre fait l'ouvrier.
Contraste monumental avec l'univers qu'un gros dérapage de trader étale sous nos yeux depuis une dizaine de jours. D'évidence, ce qui différencie le plus les êtres humains les uns des autres, c'est la représentation que chacun d'entre eux se fait de la réussite. Et ce qui constitue la différence fondamentale entre les organisations et les sociétés, ce ne sont pas les objets ou les services qu'elles produisent, c'est le type d'êtres humains qu'elles engendrent. Le psychologue Paul Diel (que j'ai découvert grâce à Ivan Maltcheff et à Armen Tarpinian) affirmait que lorsqu'un humain se trouve dans le droit fil de sa motivation essentielle, ses actions sont en phase avec le bien commun. Or, chacun d'entre nous vient dans ce monde avec une blessure intime qu'il peut être tenté de guérir par la jouissance matérielle, charnelle ou narcissique. Ne sont-ce point justement ces faux remèdes que notre "civilisation" s'acharne à nous faire cultiver ? Ainsi, notre économie démentielle ne détruirait pas seulement la biosphère, elle minerait aussi notre âme. Logique, me diront certains...
Heureusement, les pionniers d'Ashoka - et bien d'autres - nous rappellent qu'un autre rapport à soi, aux autres et au monde est possible.
* http://www.ashoka.fr/
8 commentaires
Mon cher Thierry, je viens d'extraire de ton fabuleux message cette phrase "Ce qui constitue la différence entre les organisations, ce ne sont pas les objets qu'elles produisent, mais le type d'êtres humains qu'elles engendrent." que je viens d'afficher dans mon bureau...
Elle est vraiment très forte...
Merci de cette complicité de pensée Jean-Marc - et de ta complicité tout court!
On peut considérer tous les êtres humains avec lesquels les organisations sont en interaction: ceux qui travaillent pour elles, ceux qui sont soumis à leurs messages, ceux qui revendent, achètent et consomment leurs produits, qui sont en relation avec leurs collaborateurs...
J'ai réalisé cela (1) en lisant Teilhard de Chardin qui montre quelque part que l'anthropogenèse se poursuit et que les systèmes que nous construisons en sont la matrice, (2) en lisant un commentaire - de Michel Albert, je crois - sur l'oeuvre de Teilhard qui disait, parlant de l'économie, que la vraie valeur de tout cela c'est la communion qui en résulte, (3) en découvrant le principe de récursivité d'Edgar Morin: l'entreprise fait le produit mais le produit en retour fait l'entreprise. D'où l'homme fait l'entreprise, mais l'entreprise en retour fait l'homme. Et qu'est-ce qui est le plus important, des artefacts fabriqués et des êtres humains façonnés ?
Cher Thierry,
Je ne suis pas sur que la vocation de l'homme soit de naître avec cette blessure intime dont tu parles. Artéfact de l'histoire ou de la société, je ne sais. Finalement la réponse importe peu car la question n'est pas là non plus.
Il importe de la panser cette blessure, puis de l'oublier, en passant. A autre chose, de l'un à l'autre.
Sur ton point trois, Thierry, quand tu cites que "le produit fait l'entreprise", je me souviens des 5 étapes du travail par Herbert Marcuse. La cinquième est celle de la socialisation du produit. Il dit que c'est cette socialisation qui va dire qui je suis, qui est l'entreprise : si je vend mon produit, je suis un producteur, un artisan, un industriel. Si j'offre mon objet, je suis un ami, un bon copain, etc. Si je garde ce produit pour moi, je suis un bon bricoleur si tant est que mes amis, mes proches le connaissent. Si j'expose l'objet dans un musée, je deviens un artiste. Si je détruis l'objet, je ne suis rien de particulier...
Encore, cela dépend-il de la façon dont tu le détruis,me semble-t-il...
Concernant la "blessure intime": je faisais référence à ce "manque", qu'un poète comme Paul Valéry a évoqué - "A ce vivant, je vis d'appartenir" - ou que les psychanalystes, particulièrement Lacan, ont théorisé. Les uns et les autres y voient la marque de la condition humaine. Dans l'esprit de Diel, cependant, il me semble qu'il s'agit plutôt de causes extérieures. Toujours est-il qu'il ne faut pas se tromper de médecine...
bonjour, je tombe sur votre blog en lien avec Ashoka et je parcours les lignes... je faisais partie de ce concours et c'est très intéressant de voir la lecture que vous en faite, ainsi que les pensées que vous développez à partir de l'émotion qui vous a saisi.
Quand vous parlez de blessure avec laquelle nous serions tous nés et que nous essayons de réparer au fil de la vie.. moi j'ai plutôt le sentiment d'une rupture qui se fait après la naissance.. j'ai l'impression que l'on nait avec beaucoup d'incertitudes, de blancs.. que la vie nous rassure et que la société nous construit un rythme régulier et rassurant où l'avenir semble serein... les années se succèdent, les études s'enchainent, une année en appelant une autre, .... et puis la vie suit un cycle somme toute très commun mais qui peut se vivre de mille façons.. l'originalité n'étant pas forcément dans ce que l'on vit mais dans notre manière de les vivre.
Je crois que certains destins brisent le cycle, une rupture qui peut avoir bien des formes, intervenir à bien des âges, mais dans tous les cas une brutalité soudaine qui vous fait sortir des gonds et vous donne un position instable, une fragilité... et puis finalement l'obligation de revoir le principe même de l'existence, les finalités, les buts que l'on va poursuivre, les façons par lesquelles nous allons défendre nos valeurs, notre parcours personnel, notre environnement.. tout est remis en question... et j'ai l'impression que dans ces personnes qui s'investissent avec tant d'énergie dans ces projets, il y a toujours cette rupture. Un peu de ce principe de résilience peut être aussi...
oups je me rends compte que mon message est devenu très long :)
merci en tous les cas pour ces mots et réflexions.
Bonjour Simon,
Merci à mon tour pour vos réflexions: vous n'auriez pas dû vous arrêter en si bon chemin, alors je poursuis... vous avez écrit le mot "résilience" qui me fait penser à Borus Cyrulnik qui l'a popularisé dans le domaine de la psychologie. Selon lui, la résilience est lié à ce que nous nous racontons à partir de ce qui nous arrive. Cela a-t-il de l'écho pour vous ?
Merci de votre lecture attentive et de votre contribution.
Cordialement,
Thierry.
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