La politique du beefsteak
05/11/2008
"Gagner son beefsteak" : l’expression date un peu mais - se substituant à « gagner son pain » - elle dit l’attachement qu’on peut avoir à la consommation de viande. Henri IV scandalisait sans doute son aile droite lorsqu’il déclarait: « Je veux que chaque laboureur de mon royaume puisse mettre la poule au pot le dimanche ». Manger de la chair animale a été longtemps le privilège des nantis. C’a donc été une conquête non seulement alimentaire mais sociale. Tripalement, depuis les temps préhistoriques, se nourrir du corps de l’autre est aussi un symbole de puissance. C’est la signature du prédateur. Le monopoly des fusions et des absorptions n’est au fond qu’un prolongement de cet entre-dévorement archaïque.
De la sous-alimentation, nous sommes passés, pour beaucoup d’entre nous, à la viande à tous les repas. Je connais des tables familiales qui vivraient comme une déchéance, ou à tout le moins une marque de mauvais goût, qu’il n’en soit pas ainsi. Cependant, cette coutume mérite d’être réévaluée.Avec des métiers de plus en plus sédentaires, qui sollicitent davantage l’énergie nerveuse que celle des muscles et qui génèrent plus de stress que de dépense physique, la consommation systématique de chair animale est-elle vraiment nécessaire ? D’une part, si l’on considère le seul aspect diététique, ne surchargeons-nous pas notre métabolisme ? D’autre part, les animaux que nous consommons constituant le sommet de la chaîne alimentaire, n’ont-ils pas accumulé dans leurs tissus des substances indésirables que notre corps à son tour récupère et concentre tout au long de ses soixante ou quatre-vingts ans de "bouffes" quotidiennes ? Un vieil adage médical disait que l’on creuse sa tombe avec ses dents…
En second lieu, du point de vue de la gestion des ressources de la planète, produire autant de viande est-il une si bonne affaire ? Je me souviens d’Alfred Sauvy qui, déjà, dans les années 60, avait montré qu’à apport alimentaire comparable, produire de la viande mobilise de deux à quatre fois plus de surface que produire du végétal. Or, aujourd’hui, du fait de l’élévation des niveaux de vie dans les pays en développement - et sans parler de la fausse bonne idée des biocarburants - les cultures vivrières se retrouvent en concurrence avec la production d’aliments pour la volaille et le bétail. En outre, si l’on en croit l’article de Dominique Viel*, la production d’un kilogramme de viande bovine nécessite de 2000 à 20000 litres d’eau selon le mode d’élevage et contribue donc à la raréfaction d’une ressource cruciale.
En troisième lieu - au risque de passer pour efféminé aux yeux de quelques camarades de maternelle - je rajoute aussi, une fois encore, que dans certains endroits les conditions d’élevage et d’abattage des animaux sont une honte pour notre espèce et que nous ne devrions pas encourager de telles pratiques par une consommation de « boffs ».
Nous nous demandons parfois, avec juste raison, quel est le poids de notre bulletin de vote sur notre destin. Par le choix de notre alimentation, nous pouvons avoir un impact concret et répété sur les systèmes naturels, sociaux et économiques. Nous pouvons choisir de vivre mieux tout en tuant moins, en créant moins de souffrance humaine et animale, et en allégeant notre empreinte écologique. Cela, tout simplement en choisissant ce que nous mangeons. N’est-ce pas un pouvoir ? N’est-ce pas concret ?
* Comment nous dévorons l’eau de la planète, Echo Nature Magazine n° 22, novembre-décembre 2008.
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