Résilience
18/07/2009
Dans une récente chronique j’ai utilisé le terme de « résilience ». Le mot est aujourd’hui en ébullition dans une partie du monde – chez les anglo-saxons particulièrement. Dans la littérature francophone, on le trouve surtout sous la plume de Boris Cyrulnik où il désigne la capacité d’une personne à recouvrer la santé psychique et à se remettre en marche après une épreuve qui aurait pu être destructrice. Il paraît que le concept existe aussi dans l’astrologie chinoise où certains calculs permettent d’évaluer l’énergie vitale d’une personne face aux maladies.
Dans notre pays d’intellectuels, j’ai vu récemment le mot rejeté avec dédain : inutile, détourné, pompeux ! Or, contrairement à ce que s’entêtent à soutenir quelques ingénieurs, il n’est pas un emprunt éhonté et maladroit à la physique des matériaux. Celle-ci l’a repris à son usage mais il vient de bien plus loin qu’elle. Il n’est pas davantage le franglais que dénoncent les anglophobes. Il a la même racine que résilier – et ceci peut amener des réflexions intéressantes. Au vrai, il vient – évidemment – du latin où il désigne l’acte de rebondir. Il apparaît dans notre langue autour du XVIIème siècle. Ce n’est pas tout-à-fait un néologisme.
Le mot fait donc en ce moment florès chez nos voisins où l’on prend très au sérieux la puissance destructrice des crises écologique, énergétique et financière. Il s’agit en l’occurrence de la résilience des populations et de l’économie aux épreuves à venir, dont nous n’avons jusqu’à présent que l’avant-goût quoi qu'on nous dise. Dans des quartiers, des bourgs, des villages, on se réunit, on s’informe, on imagine. Surtout, on "bricole". On expérimente d’autres façons d'être heureux, des manières de satisfaire les besoins fondamentaux de tous qui soient plus "écologiques" et qui seront plus viables quand les circuits de distribution et d’approvisionnement dysfonctionneront. C'est plus qu'une stratégie défensive, c'est la construction d'une nouvelle civilisation.
Un bel exemple est celui de Rob Hopkins qui développe une démarche de résilience dans sa ville de Totnes, 8000 habitants, aux marches du Devon au Royaume-Uni. Ceux qui ont eu la bonne idée de s’abonner à Transitions auront trouvé dans notre deuxième livraison une interview de ce jeune économiste, pionnier de ce qu’il appelle « la transition ». Personnellement, je trouve qu’il a pris la question par le bon bout. Sans attendre une illumination tardive de nos politiques, que pouvons-nous faire, nous, hic et nunc, au lieu de geindre et râler ? Et il apparaît que nous pouvons faire beaucoup, particulièrement si nous savons refaire société là où nous vivons. Cf. http://totnes.transitionnetwork.org/ .
Les apôtres de la mondialisation et les vassaux de la bourse, grands fouleurs de moquette épaisse, ne manqueront pas de ricaner. Agitation d'esclaves ou de fourmis! Une avancée théorique vient cependant au secours de ces tâtonnements. Robert Ulanowicz, chercheur à l’université de Maryland, a passé une partie de sa vie à modéliser au plus juste l’évolution des systèmes complexes. Il a fait une démonstration de taille : la performance et la résilience sont deux choses différentes. Autrement dit, contrairement à nos croyances économiques les plus ancrées, être performant ne confère pas automatiquement la pérennité. Bien au contraire. Là aussi – j’en remets une couche – les lecteurs de Transitions sont gâtés : nous sommes les premiers à faire état des travaux de Robert Ulanowicz dans une revue francophone.
A leur insu – du moins je l’imagine - Rob Hopkins et Boris Cyrulnik se rejoignent. Ce dernier dit que la résilience psychique a sa source dans l’histoire qu’on se raconte. Selon lui, ce n’est pas tant ce qui nous arrive qui compte que le récit intérieur que nous allons en faire. Rob Hopkins, quant à lui, constate qu’il nous manque une histoire collective à nous raconter. Nous sommes pris, dit-il, entre deux contes aussi insatisfaisants l’un que l’autre. D’un côté, c’est : « Circulez, il n’y a rien à voir, tout va rentrer dans l’ordre ». De l’autre, c’est le scénario de Croque-mitaines, de Mad Max, bref l’apocalypse. Dans les deux cas, on nous réserve le rôle de l’impuissance. Est-ce celui que nous voulons ?
2 commentaires
Mad Max, quelle actualité ! Ce film a tout vu et tout dit de "ce qui arrive", pour reprendre la formule de Virilio. En fait, nous sommes muets le nez contre la vitre du "temps réel". Une fois que nous avons atteint la vitesse de la lumière avec l'Internet, comment aller plus vite, et surtout comment dégager de la perspective ? Heureusement, à Vassivière, l'incroyable Yona Friedmann a dessiné la "Licorne Eiffel" (342 m, pleine d'érotisme), visible seulement depuis le ciel (et un peu depuis le phare) La plus belle exposition du monde en ce moment sans doute
Bonjour Thierry,
pour moi la résilience est l'étape qui suit le développement durable. Il s'agit essentiellement de pratiques (praxis) comme la médecine.
Par ailleurs, il y a une troisième acception à la résilience qui est écologique celle-ci. C'est la caractéristique des écosystèmes à poursuivre un développement après une phase de bouleversement (feu, tempête...). Des chercheurs travaillent depuis longtemps sur la résilience des éco-socio-systèmes et ont produit un corpus d'idée, de méthodes et de pratiques relatives à la résilience.
Quelques références qui complètent celle de transition towns :
le site résalliance http://www.resalliance.org/1.php
le site de John Robb sur les communautés résilientes et les guerrillas globales http://globalguerrillas.typepad.com/globalguerrillas/
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