Le juge et l’assassin
02/08/2009
Pour la première fois depuis sa sortie en 1976, j’ai revu l’autre soir ce film remarquable de Bertrand Tavernier où Michel Galabru, qu’entourent Philippe Noiret et Jean-Claude Brialy, a trouvé selon moi un des plus grands rôles de sa carrière. J’avais oublié la toile de fond de l’histoire: le délire qui s’était emparé alors de notre pays autour du malheureux capitaine Dreyfus. J’ai été sidéré par l’aptitude des Français de l’époque – je veux surtout parler de mes coreligionnaires catholiques – à se vautrer dans le jugement téméraire, la méchanceté et - plus encore peut-être - dans la bêtise.
Ces aveuglements collectifs sont effrayants. Ils font détester la propension qui, s’appuyant sur l’obéissance, en passant par le conformisme et la servilité, conduit au fanatisme. C’est la capitulation de l’esprit et du cœur. Toute vraie pensée, toute générosité, toute intelligence dans ces moments-là semblent bannies. Les opinions, de manière mécanique, sont celles du milieu auquel on appartient. La stupidité est totale et elle n’a d’égale que les certitudes et la bonne conscience.
C’est dans cette atmosphère qu’un juge ambitieux (Philippe Noiret) veut mettre la main sur Joseph Bouvier (Michel Galabru), une sorte de Barbe-Bleue itinérant qui jalonne ses errances de corps éventrés et souillés de bergers et de bergères. Bouvier manifeste une forme de religiosité et, dans ses périodes d’exaltation, se qualifie d’« anarchiste de Dieu ». D’une certaine manière, il n’est pas sans ressembler à la société de son époque qui, tout en se réclamant majoritairement d’une religion de l’amour, se repait d’antisémitisme, réprime les mouvements ouvriers en envoyant la troupe et exploite des enfants qui n’ont même pas l’âge de raison.
De même que le maccarthysme ou Les sorcières de Salem, l’affaire Dreyfus me fait penser à une psychose collective. Tous ces délires ont un point commun: la peur et une haine effrayante qui se cristallise arbitrairement, comme la foudre tombe du ciel. Quant au juge qu’incarne Philippe Noiret, il pourrait me faire penser à tous ces gens d’apparence convenable qui nous expliquent les lois de l’économie, la légitimité de la prédation et la confiance que nous devons avoir en l’élite. Les mêmes qui, en certaines circonstances, sauront nous convaincre que des mesures exceptionnelles sont indispensables et même qu’une guerre est inévitable - pour ne pas dire souhaitable.
3 commentaires
Cher Thierry, dans une interview sur son nouvel opus majeur, "Tu dois changer ta vie", pas encore traduit en Français, Peter Sloterdijk indique qu'ils s'adresse à des élites qui ne sont pas encore nées, celles qui, après avoir percé l'écran des illusions créées depuis des millénaires par l'homme pour se protéger de l'effroi provoqué par le réel (religions, idéologies politiques) comprendront que face à l'autorité de la catastrophe, il est temps de faire face au réel et de développer des compétences fondées sur l'invention de solutions créatrices et pragmatiques, nourries de dialogue entre entités responsables. Une horizontalisation de la société fondée sur une nouvelle Constitution, qui prenne en compte le fait majeur de la prise de conscience récente par l'homme qu'il est partie d'un environnement aux limites fragiles et non plus "maître et possesseur de la Nature". A partir du moment où, comme dans une capsule spatiale, nous devenons totalement dépendants d'un univers de (et en) survie, chaque réglage fin devient vital, chaque décision prend une importance cruciale et les programmes politiques à grands coups d'idéologie (à grands coups de serpes) et les prédicateurs qui les accompagnent deviennent soudainement non seulement inopérants mais pitoyablement dangereux pour tout le monde.
Lecture plus "grand public" en résonance :
http://blogs.lexpress.fr/attali/2009/08/le-coach-obese.php
qui se termine par "Si rien n’est fait, les citoyens pourraient un jour licencier leur coach. Et se prendre en main".
Ironiquement c'est publié un 4 Août ... le même jour ou je lis une énième annonce sur le déclin imminent des ressources pétrolières ... et pourtant le martien que je m'oblige à être au moins une fois par semaine ne voit pas dans le regard et les actions de ses concitoyens "l'urgence de la métamorphose" ... sauf dans quelques lieux rares : ici même par exemple ;-)
ce que je cherchais, merci
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