Leçon de Rainer Maria Rilke pour le Nouvel An
29/12/2009
Ce passage d'une année à l'autre a toujours suscité en moi interrogations et perplexité. Que retenir de cette année qu'on a vécue et qu'on ne vivra plus ? Qu'y avons-nous semé qui pourrait encore donner des récoltes ? Et quels investissements de notre énergie et de notre capacité d'aimer choisir maintenant, pour faire de l'année qui approche une histoire que nous apprécierons d'avoir vécu ?
Ces derniers jours d'un calendrier ramènent souvent avec eux nos sujets récurrents d'insatisfaction. Ils peuvent être futiles ou profonds mais ils nous donnent l'envie d'introduire des changements dans notre vie. D'où les « bonnes résolutions ». Je ne crois pas beaucoup à ces engagements, du moins quand on les prend comme cela, au débotté d'un Premier de l'an. En revanche, je crois au questionnement. Le questionnement, pourvu que ne l'émousse pas la peur de ce qu'il pourrait révéler, est le moyen d'atteindre cette source précieuse que Paul Diel appelle la motivation essentielle. Il est le moyen d'atteindre les forces vives de notre âme. Alors, tiré des Lettres à un jeune poète[1], et de même qu'il m'a été offert voici quelques semaines, je vous offre à mon tour ce texte très opportun de Rainer Maria Rilke :
« Efforcez-vous d'aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s'agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour l'instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses. Il se peut que vous portiez en vous le don de former, le don de créer, mode de vie particulièrement heureux et pur. Poursuivez en ce sens, - mais, surtout, confiez-vous à ce qui vient. »
[1] Traduction de Marc B. de Launey, éditions Gallimard
5 commentaires
Merci Thierry de nous avoir transmis cette réflexion autour de l'oeuvre de Rainer Maria Rilke, à l'aube de cette année nouvelle.
Pour faire le bilan de l'année, Rainer Maria Rilke pourrait aussi nous inviter à écrire ce que nous avons retenu de l'année 2009.
Je me permets de reprendre ses mots. (extrait de Lettres à un jeune poète)
[...] "Cherchez en vous-mêmes. Explorez la raison qui vous commande d'écrire; examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre cour; faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s'il vous était interdit d'écrire. Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit; me faut-il écrire ? Creusez en vous-mêmes à la recherche d'une réponse profonde. Et si celle-ci devait être affirmative, s'il vous était donné d'aller à la rencontre de cette grave question avec un fort et simple "il le faut", alors bâtissez votre vie selon cette nécessité; votre vie, jusqu'en son heure la plus indifférente et la plus infime, doit être le signe et le témoignage de cette impulsion. Puis vous vous approcherez de la nature. Puis vous essayerez, comme un premier homme, de dire ce que vous voyez et vivez, aimez et perdez. Laissez-donc les motifs communs pour ceux que vous offre votre propre quotidien; décrivez vos tristesses et vos désirs, les pensées fugaces et la foi en quelque beauté. Décrivez tout cela avec une sincérité profonde, paisible et humble, et utilisez, pour vous exprimer, les choses qui vous entourent, les images de vos rêves et les objets de votre souvenir. Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l'accusez pas; accusez-vous vous-même, dites-vous que vous n'êtes pas assez poète pour appeler à vous ses richesses; car pour celui qui crée il n'y a pas de pauvreté, pas de lieu pauvre et indifférent. Et fussiez-vous même dans une prison dont les murs ne laisseraient parvenir à vos sens aucune des rumeurs du monde, n'auriez-vous pas alors toujours votre enfance, cette délicieuse et royale richesse, ce trésor des souvenirs ? Tournez vers elle votre attention. Cherchez à faire resurgir les sensations englouties de ce vaste passé; votre personnalité s'affirmera, votre solitude s'étendra pour devenir une demeure de douce lumière, loin de laquelle passera le bruit des autres. "
Une clé pour bien entamer 2010...
Merci pour cette belle méditation pour aller d'une année à l'autre...mais, bien sûr, d'un jour à l'autre.
Diel dit aussi le "désir essentiel"...
Très chaleureusement
Armen Tarpinian
Merci Thierry de continuer sans relâche à partager ces beaux moments d'indiscipline intellectuelle.
Dans le PDF ci-dessous, tes lecteurs trouveront de nombreuses perles, citations, dessins, ... à déguster tout au long de 2010 : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/En_Vrac.pdf
Le dessin de la page 95 devrait t'amuser !
(Etienne Chouard est cet indiscipliné intellectuel qui avait connu une célébrité éphémère lors du référendum sur la Constitution Européenne en posant de "bonnes questions" sur son blog)
En tout cas, moi en 2009 j'aurai eu le plaisir de faire ta connaissance et de bénéficier de tes billets pleins de lucidité et d'intelligence, un nettoyage de pare-brise bienvenu dans ces temps de pensée politiquement correcte dominante et de lavage de cerveau mou... Merci Thierry et tous mes voeux pour que cela continue en 2010 !
Complément à mon message d'hier, cette citation de Maurice Blanchot : "La réponse est le malheur de la question..." Faut-il ajouter : surtout quand elle est dogmatique.
Ou encore, ceci de Paul Diel que tu cites :" La preuve qu'un problème est correctement posé est le jaillissement sans fin de nouveaux problèmes..."
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