Ils sont magnifiques !
26/03/2010
Tombé amoureux de la statue de femme qu'il avait sculptée, Pygmalion s'est vu accorder par Aphrodite la grâce de voir son œuvre devenir vivante. Puissance divine de l'esprit créateur et de l'amour. L'effet Pygmalion est le nom donné d'après cette légende, par le psychologue américain Robert Rosenthal, aux effets sur nos semblables de nos attentes et de nos croyances à leur sujet. Si le désir de Pygmalion a rendu le marbre vivant, qu'en est-il du regard que nous portons sur autrui ?
L'expérience conduite par Rosenthal et restée célèbre. Elle est celle de deux maîtres choisis pour leur excellence pédagogique et à qui l'on confie deux groupes contrastés : l'un devra emmener des élèves supérieurement intelligents vers le succès, l'autre sauver une classe d'individus qui pataugent dans de sérieuses difficultés. Au terme de l'expérience, les « surdoués » ont de très bons résultats, les autres ont atteint un niveau médiocre. Seulement, voilà le chiendent : les deux classes étaient de même niveau intellectuel et on avait menti aux deux enseignants.
Je ne peux me rappeler cette expérience sans me souvenir d'une soirée passée en compagnie du Père Ceyrac. Ce jésuite, frère de François Ceyrac (l'ancien président du CNPF) et ami de Teilhard de Chardin, a dédié sa vie aux orphelins et aux veuves de l'Inde. En rapprochant ces deux grandes misères, il a réussi le miracle de créer de la richesse, chacune de ces populations prenant soin de l'autre et l'aidant à vivre. Il nous montrait des photographies prises dans les communautés qu'il a créées et, les yeux brillants, la voix émue, nous disait : « Regardez comme ils sont beaux ! » J'entends aussi Dina Scherrer dire régulièrement, au sortir d'un séminaire qu'elle a animé pour ses "gogols" de banlieue ou ses demandeurs d'emploi à la ramasse: « Ils sont magnifiques ! » Les pisse-vinaigre de service diront que tout cela n'est que guimauve. Je les renvoie à Rosenthal. Comme disait ma grand-mère: « Si vous n'aimez pas cela, n'en dégoutez pas les autres ! »
Se trouver embrassé par un tel regard est d'évidence la plus grande des bénédictions. Mais être capable de le porter sur l'autre, c'est de l'ordre de la Grâce. On ne peut pas se payer de bonnes paroles si, au fond de soi, on ne croit pas en l'autre. Rosenthal a consacré quarante années de sa vie à étudier par quels canaux, verbaux et non-verbaux, passent les messages qui vont induire chez quelqu'un la mobilisation ou au contraire le refoulement de ses capacités. Le verbal, quoique nous ayons un peu d'aisance à le contrôler, trahit nos projections inconscientes ou cachées. Les précautions que nous prenons, dans une bonne intention, pour protéger celui en qui, au fond, nous ne croyons pas vraiment, trahissent les limites que nous lui attribuons. Notre regard, notre gestuelle, le rythme et le timbre de notre voix trahissent nos pieux mensonges. J'ajouterai même qu'il y a un niveau de communication archaïque où nos inconscients se rencontrent et, dans leur dialogue, nous trahissent.
Dans une superbe page de La Méthode, Edgar Morin dit que l'être humain se construit sur l'amour inconditionnel. Le philosophe rejoint en cela quelques grandes traditions spirituelles de l'humanité. Le pouvoir créateur de notre regard est une réalité. Malgré les travaux de Robert Rosenthal, ce pouvoir relève encore pour moi d'une source mystérieuse dont l'accès n'est pas des plus aisés. Etre capable de ce regard est, vraiment, je le répète, une grâce.
4 commentaires
Merci Thierry...c'est beau et absolument vrai ! Aurais-tu l'adresse de cette nymphe que tu nommes la grâce ?
Hélas! non, Martine. Elle me rend visite de temps en temps, mais je n'ai pas le coeur assez pur pour qu'elle me laisse son adresse!
Et pour en rajouter une louche, (des guillemets autour de "gogols" auraient été les bienvenus), Michael White définissait l'identité comme un "projet social". les enfants que l'on trouve beaux et à qui on le dit deviennent beaux, indépendamment de leur physique. les colaborateurs qui s'entendent traiter de crétins à longueur de temps le deviennent... au grand dam de leur patron qui engage des coachs pour "accompagner cette bande de crétins", recréant involontairement l'expérience de Rosenthal. Des amitiés d'Australie,
Peter
Guillemets accordés Pierre!
Bonjour aux antipodes!
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