La recette du terrorisme
09/04/2010
Globalement, il s'agit que les pauvres s'appauvrissent tout en menant une vie honnête, tandis que les riches s'enrichissent sans grand effort apparent et en pratiquant toutes les formes d'exaction. Condition essentielle : les deux populations doivent vivre au contact l'une de l'autre, comme deux silex prêts à se frotter. Je précise que la recette que je vous donne est à la portée d'un pays comme le nôtre mais n'est peut-être pas universelle.
D'abord, plafonnez les salaires et laissez monter les loyers. En même temps, supprimez les échappatoires en arrêtant d'investir dans le logement social. Laissez se développer l'exploitation des pauvres. Par exemple, laissez le champ libre aux marchands de sommeil. L'important est que, même en gagnant honnêtement sa vie, loger sa famille, la nourrir, la soigner, devienne une acrobatie finalement impossible qui vous livre aux cyniques de tout poil. Faites-en sorte aussi que, au moins aux yeux d'un enfant, l'honnêteté ne semble pas payer, bien au contraire.
Pour le moment, nous n'avons que le terrain du terrorisme : l'injustice ou, en tout cas, le sentiment d'injustice. Ce n'est que le baril de poudre. Il nous manque la mèche et l'étincelle. Mettez les familles pauvres dans des conditions de vie telles que les enfants, quand ils regardent au dehors, ressentent un profond désarroi. Faites-en sorte que la détresse des petits broient le cœur des aînés. A cela, pour faire bonne mesure, ajoutez la morgue de l'espèce dominante et les rejetons de celle-ci qui, dans les cours de récréation, conspuent ceux qui ne sont pas nés du bon côté de la rue. Ajoutez aussi, pour faire bonne mesure, les commerçants du quartier qui vous regardent d'un mauvais œil alors même que vous dépensez tout votre revenu chez eux.
Si cela ne suffit pas encore, soyez stratèges. Je vais vous donner un truc infaillible: arrangez-vous pour humilier publiquement, et en présence de ses enfants, le père ou la mère de famille. Faites-les arrêter, par exemple, à la sortie de l'école alors qu'ils attendent leurs gamins. Ou démontrez qu'ils sont incapables de protéger les leurs en expulsant la famille de son misérable logement. Les larmes d'un père ou d'une mère qu'on aime appellent le sang.
Ensuite, attendez tout simplement. Cela peut prendre du temps. Une bombe ne se construit pas comme cela. Il faut que les conditions de vie transforment la misère en humiliation d'une main et en délinquance de l'autre. Les deux pôles du détonnateur sont la violence économique et la répression policière. Alors, un jour ou l'autre, un gamin s'écriera, en voyant partir son père ou son frère dans le panier à salade : « Je te vengerai ! » Là, vous pourrez enfin sabler le champagne: le terrorisme vient de faire une recrue.
« Et la religion ! » allez-vous me dire. La religion ? Ce n'est que l'enveloppe identitaire des humiliés, un moyen de se relier, de se reconnaître, de se raccrocher à quelque chose de plus grand que soi, à quelque chose en tout cas que les prédateurs ne partagent pas. L'instigateur du terrorisme, ce n'est ni Allah, ni Jésus, ni Yahvé. C'est l'injustice que couronne l'humiliation. Autrement dit, c'est la société que nous acceptons.
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