L’art d’exécuter
15/06/2011
Sur les terres du Prince, il y a trois principaux modes d’exécution. Le Prince en use en fonction des circonstances et de son dessein.
Le plus connu, évidemment, est le plus spectaculaire : à peine prononcée la parole sacrilège ou accompli l’acte insupportable au Prince, la foudre s’abat sur le malheureux, laissant autour de son cadavre fumant une assemblée sidérée et tremblante. Ce genre d’exécution sommaire a une cible différente de celle que l'on croit. Son véritable objet est de marquer les esprits et de tuer en eux ne serait-ce que l’esquisse de l’idée que le pouvoir du Prince pourrait être questionné. C’est à ce prix que le pouvoir se maintient, car il n’existe pas en tant que tel, il n’est que le résultat des servitudes consenties. Ce genre d’exécution, le Prince le sait, doit être utilisé à bon escient : il n’est rien qui ne se dévalue et ne finisse par générer des énergies contraires quand on en abuse.
Dans d’autres cas, lorsqu’il faut tenir compte de la capacité de révolte que risquerait d'exciter en faveur du coupable une punition aussi implacable, le Prince prendra une mesure qui, tout en le débarrassant de l’importun, émasculera les tentations de sédition que pourraient avoir ses proches. Par exemple, il enverra le disgracié au fin fond de quelque lointaine colonie où les piqûres de moustique - ou bien les femelles locales - peuvent transmettre quelque maladie de langueur. Il laissera entendre à ceux qui ont envie de le croire que, si tout va bien, l’éloignement ne sera pas définitif. Les conjurés potentiels jugeront qu’il y aurait finalement plus à perdre qu’à gagner à irriter davantage le Prince. Quant à lui, dans l’affaire, il a ajouté une carte à son jeu : il sait qu’on tient d’autant mieux les gens qu’on a en sa possession quelque chose dont ils ont envie. Et il sait aussi que rien ne résiste au temps qui passe.
Le troisième mode relève à peine de l’exécution. C’est un processus invisible qui conduit à la mort lente de la persona non grata. Ce mode d’exécution convient évidemment mieux aux situations qui ne présentent pas un danger immédiat pour le pouvoir du Prince. Tout doucement, à l’insu même de l’intéressé, on va réduire les ressources à sa disposition, matérielles ou relationnelles. Certes, à certains moments, le malheureux se sentira un peu à l’étroit, mais la faculté d’adaptation des hommes à leur prison est grande, autant qu’est faible leur aptitude à mettre en perspective ce qui dépasse leur souci du moment. Or, l’essentiel, justement, c’est que, tant qu’ils ont assez d’énergie pour réagir, ni l’intéressé ni ses proches ne puissent reconnaître le dessin sous-jacent.
Ce que j’écris là peut se dire des individus comme des groupes ou des organisations, et peut s’entendre au sens littéral comme au sens symbolique. A vous de traduire dans le registre dont vous avez l’expérience !
1 commentaire
Notre faculté d'adaptation infinie à des conditions de vie inacceptables mais pour peu quelles arrivent très progressivement se rattache au fameux "paradoxe de la grenouille" qui meurt ébouillantée si l'on réchauffe l'eau degré par degré (alors qu'elle saute hors de la casserole si on la plonge dans l'eau bouillante). Ce principe est à la base des activités de la souffrance au travail et du burnout dans de très nombreuses entreprises.
Les commentaires sont fermés.