Godillots (2)
09/07/2011
Qu’est-ce qui fait donc que les godillots choisissent de quitter leurs champs, leur famille, leur amis, leur communauté, pour se mettre aux ordres de chefs lointains qui vont les jeter dans des conflits meurtriers ou bien faire de leur vie une prison dorée où les ordres de la direction, la vision d’un seul, primeront sur toute autre considération ? J’ai déjà raconté l’histoire de ce père de famille, honnête homme – et je le dis sans ironie aucune – qui, sans état d’âme, fit un jour raser un village chinois pour qu’une usine de la multinationale qui l’employait pût s’agrandir. Mais je pourrais aussi inviter à témoigner tous ceux qui, exécuteurs de hautes ou de basses œuvres, renoncèrent jusqu’à la vieillesse à toute prise d’initiative personnelle et ne firent de leur intelligence et de leurs talents qu’un outil d’exécution. Comment et pourquoi choisit-on de devenir godillot ?
Il est hors de question d’attribuer la responsabilité exclusive du phénomène à ceux qui - comme je les ai définis dans une précédente chronique – « veulent devenir les grands de ce monde » et qui recrutent valets, laquais, officiers et chair à canon. Ce serait passer à côté du cœur de ce phénomène qu’on appelle le pouvoir : aucun homme ne peut régner sur d’autres sans que ceux-ci se dessaisissent de leur liberté à son profit. Ce sont ces renoncements multipliés qui fondent sa puissance et c’est leur nombre qui en fixe l’étendue.
La liberté est un des neuf besoins fondamentaux que Max-Neef attribue à l’être humain. Mais l’économiste chilien a aussi bien mis en lumière que les hommes peuvent arbitrer entre leurs besoins fondamentaux et choisir de satisfaire certains au détriment des autres. Il appelle cela des transactions. Par exemple, le renoncement à la liberté est souvent une transaction au profit de la sécurité. Vous pouvez ainsi vous interdire de sortir après minuit ou de vous baigner dans une eau trop froide. Mais vous pouvez aussi vous retrouver pris dans des systèmes pervers où vous renoncerez à votre liberté pour vous protéger de celui qui, à dessein, vous terrorise. Les proxénètes en usent à l’égard des insoumises, ces femmes qui prétendent pratiquer librement le commerce de leur corps. Mais certains chefs aussi, sur le mode évidemment psychologique, cultivent, par la peur de leur colère et de la disgrâce, la servilité de leur entourage. Au point que, dans certains milieux – et cela va de l’atelier mécanique aux headquarters moquettés des grandes sociétés – on peut voir à l’œuvre le syndrome de Stockholm : quand le tyran laisse percer un semblant d’amabilité, sa victime s’en retrouve énamourée.
Les relations d’autorité et leurs dérives, cependant, ne sont pas une anomalie dans l'absolu. Elles n’existent que dans un monde où elles ont culturellement leur place. Au plus simple, vous pouvez entendre par là que, dans un tel monde, les êtres humains sont d’accord pour que de telles relations existent. Mais je crois que c’est plus radical encore. Il n’y a de telles relations que parce qu’elles constituent pour tous un objet de désir ou, pour parler autrement, une représentation de la réussite. Avoir envie d’être khalife à la place du khalife, tout au moins rêver de l’être, c’est faire du khalifat une valeur, c’est donc vouloir son existence. Après, la forme et le niveau de ce khalifat dépendent des gens, des lieux et des circonstances. Considérons qu'il y a isomorphisme de toute façon, que l'on parle du mac d'un quartier pourri, d'un grand prédateur comme Al Capone, d'un CEO anglo-saxon ou d'un homme politique français: cet isomorphisme, c'est la pyramide. Sans elle, d'abord, pas d'échelle - pas de "référentiel" - de réussite. Mais, gravir cette pyramide, c'est régner sur les étages inférieurs - et voyez, en passant, comme le langage est expressif: l'infériorité spatiale devient infériorité sociale. Par voie de conséquence, le pouvoir sur les autres est la chose désirable. Nous devons reconnaître que c’est par nos ambitions et nos rêves que nous avons la forme de société que nous avons.
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les fondements biologiques de la servitude volontaire. Ce sera pour une autre fois !
Les éditions Hermann viennent de publier une sélection de chroniques de ce blog sous le titre Les ombres de la caverne : http://www.editions-hermann.fr/ficheproduit.php?lang=fr&a...
1 commentaire
sans parler de la generation1954 qui est partie pour une sale guerre colonialiste en Algérie défendre les intérêts de grands capitalistes en mettant des boucs émissaires la population autochtone
un gouvernement défends les intérêt des grands de ce monde
a défaveur du plus petit cela dit
on rejoins panem circenses
pour conclure les referendum c'est la comedia dell arte!!
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