Le risque
02/08/2011
En juin, j’ai organisé un de mes séminaires sur Ouessant, « l’île sentinelle », la terre la plus à l’ouest de la France. Le thème était celui du risque, et, sous la houlette d’Ondine Morin, la jeune érudite locale, nous nous sommes mis d’abord dans l’ambiance en faisant la tournée nocturne des phares de l’île et en écoutant des histoires de navires naufragés sur les récifs, là, à portée de vue. Le lendemain matin, avec ma complice Anne Vermès, nous avons passé la matinée sur l’histoire du Titanic. Cette histoire est une véritable tragédie grecque. Elle est emblématique d’une forme de risque : celui qui naît des certitudes arrogantes. Souvenez-vous : au début du film de Cameron, le déjà très insupportable fiancé de Rose affirme péremptoirement : « Même Dieu ne pourrait pas couler le Titanic ! » On connaît la suite. Mais ce n’est pas Dieu qui a coulé le Titanic. Ce n’est même pas l’iceberg. C’est l’aveuglement des protagonistes de l’histoire.
L’après-midi, en contrepoint, fut consacrée au risque de vivre sur cette île que des tempêtes dévastatrices peuvent frapper. Là, pas question de nier que la chose puisse se produire : c’est le moment qui relève de l’imprévu, pas l’événement lui-même dont le retour est inscrit dans l'histoire. Là, pas question de manœuvre désespérée de dernière minute : une île ne peut changer de cap pour éviter le danger ! Et pas question, non plus, d’être résignés si l’on veut survivre et revivre. La lucidité prime, assortie d’une forme de sérénité impavide, avec l’intelligence des moyens à mettre en œuvre et la modestie qui permet de compter sur les autres quand les éléments se déchaînent. Contraste entre le risque nié et l’hybris qui présidèrent aux destinées du grand paquebot, et le risque reconnu et assumé par ceux qui ont fait le choix de la vie insulaire.
Deux attitudes opposées, donc, face au risque : d’un côté, la négation orgueilleuse, de l’autre le courage intelligent et modeste. Quand je regarde l’histoire dans laquelle nos sociétés se trouvent aujourd’hui embarquées, l’argent spéculatif qui tue l’économie réelle, la misère croissante des peuples qui furent les plus riches de la planète, le garrot de la dette souveraine qui se resserre impitoyablement, la course obsessionnelle à une croissance qui détruit notre écosystème, et notre « toujours plus de la même chose » sans que la récurrence des mêmes résultats indésirables nous fasse réfléchir, - quand je pense à tout cela, j’ai bien peur que nous ayons fait le choix collectif du Titanic. « Mais non, il n’y a pas d’icebergs sur notre route, pas en cette période de l’année ! Et d’ailleurs, même Dieu ne pourrait couler notre navire ! »
Vous voulez progresser ? Faites la liste des paquebots que vous pensez insubmersibles et imaginez – autorisez-vous juste à imaginer ! – que l’un ou l’autre ne le soit pas. Alors ? Vous trouvez cette gymnastique stupide ? Pour Descartes, ce ne serait rien d’autre que l’exercice du doute fondateur.
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