De la désolance à l’espoir
13/11/2011
Le mot « désolance » que je reprends dans mon titre a été forgé par un adolescent de Seine-Saint-Denis que vous considéreriez comme illettré, pour exprimer ce qu’est sa vie et celle de ses camarades de collège. « Désolance », parce que, du fait de leurs grandes difficultés scolaires, ces gamins se voient remisés dans des sections qui, aux yeux de l’extérieur, les étiquettent comme « nuls » ou « gogols » - et à la limite, tel qu’ils le ressentent, comme des rebuts et des déchets du système dominant. « Désolance », parce qu’ils n’ont pour perspectives que le chômage qui a rejeté leurs frères aînés dans des activités plus ou moins licites et qui, maintenant, atteint même les petits voisins des beaux quartiers, ceux qui font propre sur eux, qui causent bien, qui décrochent des diplômes et dont les parents sont respectés et ont des relations. « Désolance », surtout, parce que leur vie est une survie, une survie au jour le jour, entre pauvreté, violences familiales et, parfois, quasi abandon.
Des garçons et des filles que l’espoir d’accéder un jour à une vie qu’ils aimeraient vivre a désertés : voici ce que nous montre Dina Scherrer dans le livre qu’elle vient de publier chez L’Harmattan. Le titre en est trop modeste* pour rendre compte de la véritable aventure humaine que l’auteure a initiée le jour où elle a décidé d’expérimenter les méthodes de l’approche narrative de l'Australien Michael White auprès de ces sauvageons. Mais, bien plus que de méthodes, il s’agit selon moi d’une affaire de regard, un regard de Pygmalion qui fait la différence - le regard de Dina Scherrer sur les jeunes. J’ai eu le privilège d’échanger à plusieurs reprises avec Dina et, quoi qu’elle dise, je ne pense pas que ses méthodes expliquent à elles seules les résultats qu’elle obtient. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : si je me retrouvais, un soir d’hiver, dans un train de banlieue avec pour voisins une poignée de ces gamins, je préfèrerais sans doute changer de voiture. Et vous, vraisemblablement, vous en feriez autant. Rappelez-vous le titre terrible du roman de Thierry Jonquet : « Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ». Alors, évidemment, quand la peur engendre la détestation, le regard que nous portons sur l’autre ne peut guère être fondateur d’espoir. Vous pourrez me dire que ces adolescents le cherchent bien. Discuter ce point ne m’intéresse pas. Ce qui est important, c’est que quelqu’un comme Dina Scherrer, qui est tout sauf une naïve évaporée, est capable de porter sur ces jeunes un regard qui brise l’enchaînement infernal des histoires que nous nous racontons à leur sujet et, par-dessus tout, qu’il s se racontent sur eux-mêmes.
« Ils sont magnifiques ! » arrive-t-il à Dina de déclarer, alors qu’elle sort d’une de ces classes épuisantes de bruit, d’indiscipline, de violence et d’absentéisme. Et cette affirmation n’est pas le produit de la méthode Coué ou le cinéma que se fait un bon petit soldat de l’Analyse Transactionnelle qui a appris qu’il fallait se mettre en posture « ++ » face à « l’autre » et qui le fait depuis son mental sans se rendre compte que son inconscient crie autre chose. Si c’était cela, le « truc » de Dina, cela ne marcherait pas. Le « truc » de Dina, en fait, c’est sa sincère foi dans l’autre, quel que soit ce qu’il lui donne à voir ou à entendre de lui-même. Et cela marche : les déserteurs reviennent, la violence diminue, le dialogue se développe et l’espoir vient : l’espoir d’être apprécié, de décrocher un stage, de ne pas vivre comme en chat de gouttière chapardeur que tout le monde regarde avec suspicion.
Les enfants des populations culturellement les plus avantagées ont aujourd’hui des difficultés à trouver un emploi. Cela ne pourra pas être plus facile pour ceux qui, de ce point de vue, ont des handicaps. Mais regardez quand même ce qu’un regard peut changer ! Alors, au lieu d’exploiter notre peur, au lieu de stigmatiser des populations pour détourner notre regard des fléaux dont on ne veut pas nous protéger – je pense à la rapacité des spéculateurs en train d’exploiter à loisir les dettes souveraines - on ferait mieux de remettre de la fraternité dans notre République. Tant qu’à voir monter la misère, au moins évitons de dresser des populations les unes contre les autres. Cela nous économisera des malheurs à l’avenir et, peut-être, face à l’appauvrissement général de notre société, nous réservera de possibles solidarités. Sinon, la désolance pourrait bien devenir notre lot, à nous aussi, et plus vite que nous ne l’imaginons.
Plus qu’un manuel d’intervention sur les échecs scolaires les plus lourds, ce que je vois dans ce livre c’est un message politique. Stéphane Hessel ne s’y est pas trompé qui a accepté de le préfacer. Lisez-le et changez de regard.
* Echec scolaire : une autre histoire, L’Harmattan, novembre 2011.
1 commentaire
J’ai eu la chance de rencontrer de nombreux jeunes qui auraient pu parler de cette désolance. En y pensant, je vois leur visage et beaucoup de souvenirs m’assaillent.
Je me rappelle de leurs parents ou grands-parents, tous avaient en commun cet immense espoir pour leurs enfants. Pour cette promesse, ils ont accepté les histoires racontées sur eux, l’humiliation, l’exploitation, la relégation. Souvent la promesse n’a pas été au RV. Alors, il reste la force de la résistance, même si elle s’exprime d’une façon qui ne nous plait pas.
Désolance rime avec espérance, quand des bonnes fées comme Dina ouvre la fenêtre à une autre histoire, elle s’écrit, se chante et se danse avec toute la force de la vie, comme dans la devise du Hip hop « tu n’as rien, fais-en quelque-chose ! »
Bravo à Dina, à son grand cœur, à son message politique. Bonne route à son livre, qu’il enchante la désolance.
Amitès
Les commentaires sont fermés.