Méditation sur le sens de Noël
24/12/2011
Que l’on croie en la divinité de Jésus – quel que soit le sens que l’on donne à ce mot – ou que l’on croie que ce sont les hommes qui ont fait de Lui un Dieu, reste que, dans un cas comme dans l’autre, les valeurs qu’à travers Lui ont promu et promeuvent des millions d'êtres humains sont la modestie, l’amour et la paix. Alors, comment se fait-il que le monde, aujourd’hui, deux mille ans plus tard, soit ce qu’il est ?
Gandhi, pour qui le Christ resterait en croix jusqu’à la fin du monde en la personne des pauvres et des persécutés, disait que nous devons être le changement que nous voulons voir dans le monde. Et c’est là que se trouve la leçon la plus difficile du christianisme des origines : ne pas répondre à la colère par la colère, ne pas répondre à la violence par la violence. « Si on te frappe sur une joue, tends l’autre ! » Cette injonction ne nous scandalise-t-elle pas ? De tous les préceptes évangéliques, n’est-il pas celui que nous tenons le plus sous le boisseau ? Surtout qu'entre-temps, nous avons édifié et rationalisé rien de moins qu'une société de compétition et légitimé une économie de l'hyperconcurrence.
N’ayons garde de croire que le problème de la violence se posait en termes différents d’aujourd’hui dans ce monde de l’Empire romain du temps de Jésus. Ce n’était pas plus facile à prêcher alors que de nos jours. La violence était peut-être même plus quotidienne, plus banale, plus arbitraire, plus acceptable que dans nos sociétés bien rangées. Ce prêche pour la non-violence n’était pas moins contre-nature qu’aujourd’hui. Mais, de l'Evangile, c’est ce que nous avons évacué le plus rapidement, au point que le goupillon et l’épée n’ont pas fait trop mauvais ménage - et on pourrait leur adjoindre pour comparse l’esprit de lucre. L’esprit de lucre, le greed comme on dit aux Etats-Unis, qui est source d’une violence qui ne se reconnaît pas comme telle. Une violence propre comme une salle d’opération - d'ailleurs, n'a-t-on pas le front de parler aussi de "guerre propre" ? - qui s’abrite derrière les lois de l’économie, de la compétition, de la concurrence. Pour autant, quand on regarde de plus près ce qui pour nous fait scandale – les cris, la fureur, les coups, le sang qui coule, la mort qui frappe par la main des hommes – on peut souvent remonter jusqu’à cette violence masquée. Comme le montre par exemple Ziegler dans La haine de l’Occident, les extrémismes et leur violence sale ne sont qu'une réaction à la violence en col blanc.
Mais l’enfer est aussi pavé de bonnes intentions. Les émois les plus vertueux n’ont souvent d’autre conséquence, même si ce n’était pas dans leur intention, que d’attiser la haine. Haïr le violent, c’est la violence de celui qui se croit pacifique. Mais il y a pire que la maladresse ou le fourvoiement. Il y a la récupération. Par exemple, quand certains montent en épingle quelque acte aussi blâmable qu’isolé – disons : de radicalisme islamiste – et qu’ils brandissent le grand croque-mitaine en appelant à la croisade au nom d’une « France chrétienne », je ne vois là rien de chrétien. Je ne vois que le désir d’avoir un ennemi pour pouvoir en découdre. Parfois, même, je n’y vois que le bonheur de haïr. Or, c’est de ce désir de violence et de ce bonheur-là que Jésus a tenté de nous détourner. Je ne suis pas en train de dire qu’un Etat doit laisser faire n’importe quoi. Je ne suis pas en train de dire que nous devons accepter n’importe quoi. Ce que je dis, c’est qu’il faut dépouiller nos décisions, nos actes, et, pour le dire, nos âmes, de la colère et de la haine. C’est le sens du fameux « Qui a tué par l’épée périra par l’épée » : d’évidence on ne peut le prendre au pied de la lettre, les leçons de l’expérience lui enlèveraient toute crédibilité. Ce qui périt, en l’occurrence, c’est l’âme de celui qui laisse entrer la violence en lui.
Dans notre pays, depuis quelques années, on parle beaucoup d’identité. Mais je crois qu’on se leure quant aux causes d’un éventuel problème identitaire. Ce que j’affirme, c’est que, si l’identité de l’autre menace la mienne, le problème est de mon côté, pas du sien. Sinon, c’est comme si vous me disiez que vous êtes malade parce que l’autre se porte bien ou muet parce qu’il est doté de la parole et qu'il faut lui donner ces maux pour que vous alliez mieux. Non, je ne me sens pas menacé dans mon identité de français, chrétien, libre-penseur - descendant de ventre-à-choux et de cathares comme il me plaît de le dire - par la présence de quelqu’un qui a ses origines ailleurs, qui n’a pas ma couleur de peau, ma langue et mes croyances. Cela, du moment bien sûr qu’il ne cherche pas à me convertir – et, jusqu’à présent, à part la distribution de prospectus par l‘Eglise de Scientologie à la sortie du métro Malesherbes, personne ne l’a tenté. Et encore, si on voulait me convertir, je ne me sentirais pas menacé dans mon identité, mais dans ma liberté, ce qui est profondément différent. Pareillement, à la différence de quelques personnes que je connais, pour me sentir bien dans mon identité je ne me sens pas contraint de faire adopter mes croyances et ma façon de vivre par ceux qui ne les partagent pas .
Mon identité, je peux l’assumer, l’honorer, la porter, la nourrir de manière pacifique. D’ailleurs, ce caractère pacifique, je veux qu’il en fasse partie. Je peux aussi la relativiser en me disant qu’après tout, être blanc et occidental, ce n’est pas intrinsèquement le destin qui soit seul désirable. Si la réincarnation existe, il y a à découvrir de la sagesse et de la beauté dans toutes les vies que l’on peut observer sur cette Terre. Naître avec pour langue maternelle – au lieu de devoir les apprendre - le chinois, l’arabe, l’hindi, le tibétain, l'ashaninka, etc. c’est la possibilité d’accéder à des visions du monde, à des poésies et à des expériences qui ont autant d’intérêt que ma présente incarnation française. Et si je regarde cela d’un point de vue religieux, me revient en mémoire cette phrase du Père Ceyrac (sj) lors d’une conférence qu’il donnait au Centre de Sèvres : « Toutes les religions sont un chemin vers le mystère de Dieu ».
Méfions-nous de ceux qui veulent nous désigner un objet de détestation, mais allons jusqu’à nous méfier aussi de les haïr. Le diable est habile. Si Dieu sait utiliser nos péchés – « etiam peccata » – le Malin sait exploiter les vertus insuffisamment purifiées. C’est le sens que je donnerais à ce Noël, dans cette France de 2011 qui me semble quelque peu perdue et en recherche dangereuse de boucs émissaires plutôt que de projets. Retroussons-nous les manches, mes amis. Non pour nous battre, mais pour construire. Nous avons un sacré chantier devant nous et la violence est de l’énergie qu’on lui enlève. Pour reprendre le mot de Gandhi, soyons l'avenir que nous souhaitons, le monde que nous voulons.
Je vous souhaite un Noël de paix intérieure et extérieure.
2 commentaires
Haïr le violent, c’est la violence de celui qui se croit pacifique : comme c'est vrai ! J'ajouterais qu'une grande partie de nos conflits d'identité vient de l'idée occidentale que l'identité est située à l'intérieur de nous et qu'elle est fixe, alors qu'elle est située à l'expéditeur, polyphonique et mouvante, façonnée en permanence par nos rencontres et nos échanges avec autrui. Alors plutôt qu'aimer notre "prochain", attachons nous plutôt à aimer notre "lointain", notre identité en sortira bien plus enrichie !
Ah! J'aime "l'identité polyphonique". Merci Pierre. Sur le lointain et le prochain, je partage moins: m'est plus facile d'aimer le lointain que mon voisin de palier!
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