2063 (2)
28/07/2012
Chers amis, à la suite d’une deuxième tentative de connexion trans-temporelle, nous sommes de nouveau en relation avec l’année 2063. Mais il semble que ce ne soit pas M. Mons-Glax-Anto qui ait cette fois capté notre appel...
Non, en effet, je ne m’appelle pas Mons-Glax-Anto. D’ailleurs je ne connais personne qui porte ce nom. Mais vous êtes bien en 2063. Mon nom est Robert Mongette et vous êtes les bienvenus, vous qui appelez - si j’ai bien compris - de 2012 ?
Oui, c’est bien cela. M. Mons-Glax-Anto avait commencé à nous décrire l’oeuvre que vous avez accomplie. L’avenir a pris un cours tout différent de celui que nous imaginions...
Encore que, à ma connaissance, dès votre époque, pas mal de rêves vont dans ce sens. La difficulté à les mettre en oeuvre provient du sentiment d’isolement des individus, qui se croient seuls à nourrir un tel rêve, et du sentiment d’impuissance qui en résulte, face notamment aux décisions des Etats et aux exactions des grandes compagnies. Mais le cynisme des uns, l’impéritie des autres finiront par réveiller la révolte et engendrer le monde dans lequel nous vivons en 2063.
La révolte ? Que voulez-vous dire ?
Oui, la révolte, le ras-le-bol, l’explosion. Les peuples peuvent se laisser abuser par les croyances qu’on leur inculque pendant des générations, mais la lucidité finit parfois par se frayer un chemin au milieu des paresses de l’esprit. La lucidité mène alors au scandale devant l’injustice, et la colère libère et canalise les énergies. C’est ce que nous avons connu. Les déclencheurs ont été différents suivant les lieux. Mais il y a eu comme un embrasement. La cinquième crise de la tortilla a mis le feu au Mexique. En France, l’accumulation des licenciements industriels et l’impossibilité, pour un Etat que ses dettes appauvrissaient, de mettre en place des amortisseurs sociaux, ont été à l’origine de la Commune de 2020. En Espagne, une grande compagnie a voulu avoir le monopole des corridas en échange d'une réduction de la créance qu’elle avait sur le pays. Son idée était d’avoir l’exclusivité mondiale et de promouvoir ce spectacle dans tous les pays. Les partisans et les adversaires de la corrida, tout en poursuivant des buts opposés, se sont retrouvés au siège de la société en question...
Pardonnez-moi, mais M. Mons-Glax-Anto n’a pas du tout évoqué ces évènements. Il nous a parlé de la continuation de la croissance grâce aux multinationales qui ont pris le pas sur les Etats et complètement réorganisé l’usage du sol...
Votre Mons-Glax-Anto ne parle pas du même monde! Dans le nôtre, il n’y a plus guère de grandes compagnies et celles qui subsistent sont sous un contrôle citoyen rigoureux. Les bourses n’existent plus, car, quoique une bonne idée au départ, elles entretenaient le primat de l’argent fabriqué par l’argent sur les richesses issues d’une véritable production. Que vous racontait-il d’autre ce Mons-Glax-Anto ?
Si vous le voulez bien, je préfèrerais que vous nous décriviez le monde dans lequel vous vivez, euh... de votre point de vue... Peut-être cela nous permettra-t-il de comprendre vos versions si différentes...
Le monde dans lequel nous vivons est beau et propre. Il est plutôt en paix. Il y a de tout ce qui est essentiel pour tous les êtres humains. C’est un monde sans frénésie mais non sans labeur. De nombreuses familles sont revenues à la terre qui a ainsi absorbé les gens dont le monde industriel ne voulait pas. Cela a commencé avec les crises alimentaires. Quand le coût croissant des transports a mis les plus humbles légumes cultivés dans des pays lointains au prix des produits de luxe. Et quand, là dessus, la spéculation s’est attaquée à l’alimentation. Nous avons alors connu une période très violente pour tout dire. Des jardiniers ont tué au fusil des voleurs de légumes et, inversement, des bandes de pillards ont massacré des familles pour s’emparer de leurs réserves de pommes de terre. On aurait pu éviter cela, car dès les années 10, c’était prévisible. Je pourrais vous donner des listes d’ouvrages de votre époque, que vous ne prenez pas au sérieux.
Je ne comprends pas... On nous a parlé d’un monde organisé par les grandes entreprises, de cités souterraines, de tours trois fois plus hautes que la tour Eiffel... On nous a parlé d’exploitation agricoles couvrant des millions d’hectares en monoculture...
Des cités souterraines ? Des tours? Des millions d’hectares en monoculture ? En aucun cas il ne s’agit de notre planète! Celle d’où je vous parle, la Terre, s’est complexifiée en misant sur la diversité dans tous les domaines. Elle s’est aussi démassifiée en investissant sur des systèmes locaux. Partout: au Kérala comme en Aquitaine, au fin fond du Brésil comme dans les friches industrielles d’Allemagne ou d’Amérique du Nord, dans le Yunan comme en Afrique... La mondialisation subsiste en ce qui concerne la concertation, la circulation des idées et des informations, le domaine culturel, mais pour tout ce qui est matériel et énergétique, le choix qu’ont fait les peuples - partout et comme s’ils s’étaient concertés - ç’a été les circuits courts et les petites unités de production. Avec le moins d’organisation hiérarchique possible. Un des effets a été de mettre un terme à la société d’irresponsabilité dans laquelle la distance entre les effets et les causes de vos actions vous plonge.
Pourriez-vous nous donner un exemple ?
Quand l’énergie est produite par le village, on ne la gaspille pas. Quand une activité a des effets environnementaux directs sur le lieu où l’on vit, on y regarde à deux fois avant de la laisser se développer. Quand le bien-être de tous dépend des relations de voisinage, on les cultive.
Vous-même, M. Mongette, comment vivez-vous ?
Eh! bien, j’imagine que cela va encore vous surprendre. Je suis un chercheur, un physicien, et en même temps, comme tout un chacun, je contribue aux productions matérielles dont a besoin ma communauté: je cultive des fruits et des légumes, je peux aller garder un troupeau de moutons, donner la main à mes voisins quand ils ont des aménagements à faire dans leur maison...
C’est très étrange...
Je comprends que cela vous paraisse tel. Une clé pour comprendre notre monde, c’est la distinction entre la science et la technique. Nous continuons l’effort ancestral de l’humanité pour comprendre l’univers, mais nous sélectionnons rigoureusement les techniques.
Pardonnez-moi, mais n’avez-vous quand même pas le sentiment que ce genre de vie est... euh... une sorte de retour en arrière ?
(Rire)
Je ne sais pas ce que veut dire «retour en arrière». C’est une vision typique de votre époque que cette vision binaire: avancer ou reculer. Quand vous êtes au milieu d’un monde inconnu, l’explorer consiste à aller dans toutes les directions, et pas sur un seul axe. La vie, la civilisation, l’art, c’est cela aussi: explorer. Si, en avançant, vous vous retrouvez au bord d’un abîme, continuerez-vous à avancer au motif que, sinon, vous régresseriez ? Vous arrivez, à votre époque, au bord de l’abîme, vous êtes en train d’y tomber, et c’est nous, vos héritiez, qui avons dû «faire avec». Nous avons exploré une autre façon de construire le monde, fondée sur d’autres formes d’organisation, des techniques différentes, une autre philosophie de la vie. Même si nous avons tendance à penser que notre monde est supérieur au vôtre, plus heureux, ce n’est ni un progrès ni une régression, c’est autre chose. D’ailleurs, comme je suis un spécialiste de la physique quantique, il me vient une idée à propos de votre Mons-Glax-Anto. Dans mon domaine, on dit qu’à tout moment, il y a une infinité d’univers possibles. C’est l’observateur qui tire l’un ou l’autre de cette infinité. Votre Mons-Glax-Anto comme moi-même, nous ne sommes que des expressions de ces univers latents. Nous n’existons pas à proprement parler. Nous sommes des possibles. Votre "chronotron" n’est pas une machine à entrer en contact avec le futur. C’est une machine à faire apparaître des futurs. Il vous reste à choisir celui que vous préférez amener à l'existence. Bonne chance!
2 commentaires
mmm, un nouveau livre se profile...
Souhaitons avoir vraiment le choix! et faire le bon choix...
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