Commencements: pour ne pas se tromper d'avenir
15/06/2013
INTERVIEW
Pourquoi avoir créé la revue «Commencements» ?
J’ai découvert très tôt que, lorsqu’il s’agit de l’avenir, notre aveuglement est grand. Nous avons une tendance innée - et moi comme tout le monde - à vivre comme si le futur ne serait qu’une variation autour du présent, avec juste quelques curseurs qui se déplacent un petit peu. Les transformations peuvent être lentes et silencieuses, mais elles peuvent aussi être subites et brutales ou comporter des épisodes subits et brutaux. Les dirigeants de Kodak n’ont pas compris assez tôt que la photographie numérique allait tuer leur entreprise. Les services américains avaient les informations qui leur permettaient d’anticiper le 11 septembre, mais ils n’ont pas su les mettre en perspective. Le Titanic aurait pu achever sa traversée - et il a coulé! Dans son livre "Effondrement", Jarred Diamond montre comment des sociétés qui se croyaient pérennes sont allées dans le mur, et cela de leur propre fait. C’est comme si, à un moment, ce qui nous concerne le plus se trouve dans un angle mort de notre regard. C’est pourquoi, il y a une trentaine d’années, je me suis intéressé à la prospective et qu’elle est devenue une passion. Commencements est le fruit de cette passion. Il m’a semblé que, dans les revues - par ailleurs excellentes - qui s’intéressent à l’avenir de nos sociétés, il y avait aussi un «angle mort» et c’est cet angle mort que nous essayons d’explorer.
Pourquoi ce titre: «Commencements» ?
Il fait référence à Edgar Morin qui, observant l’état de la planète et de la société, a conclu un jour qu’il nous fallait de «nouveaux commencements». Je partage tout-à-fait cette vision. De nouveaux commencements, cela suppose une énergie de pionniers et c’est de pionniers que nous avons en effet besoin. Depuis 1975, nous ne cessons de parler de «crise». Ce mot nous abuse. Si je puis dire: ce n’est pas le bon logiciel pour comprendre ce qui se passe et agir avec justesse. Certes, il y a quarante ans, il était sans doute difficile d’y voir autre chose. Encore que, dès 1972, le Club de Rome nous avertissait que, dans un monde fini, il ne saurait y avoir de croissance matérielle infinie. Mais il parlait alors dans un angle mort de notre conscience. Mais aujourd’hui, quand on inventorie les différentes crises qui secouent le monde - écologiques, sociales, financières, etc. - on ne peut pas ne pas sentir qu’il se passe quelque chose de bien plus profond et définitif: ce que nous appelons, à «Commencements», une métamorphose. Crise est un mot qui sous- entend un statu quo que l’on pourrait retrouver: la fièvre retombera, la santé reviendra. Mais même l’empire romain n’est pas revenu sur ses pas pour se reconstruire! Je partage ce que dit Hélène Trocmé-Fabre: s’il y a aujourd’hui une crise, c’est une crise de perception.
Pouvez-vous nous donner des exemples de sujets abordés dans «Commencements» ?
«Commencements» est volontairement très éclectique. La caractéristique des signes d’une métamorphose est qu’ils se trouvent à des niveaux et dans des lieux très différents: dans les comportements des gens et dans leur psychologie comme dans l’évolution de la pensée économique ou politique, et aussi bien au fin fond de la Caroline du Nord que dans un village ardéchois ou au siège d’une entreprise toulousaine. En outre sont à l’oeuvre, simultanément, des forces de destruction et de création. On repère généralement les forces de destruction, mais on est moins entraîné à percevoir les processus créateurs.
Un de nos numéros faisait d’ailleurs référence au proverbe africain: la forêt qui pousse fait moins de bruit que l’arbre qui tombe. Nous consacrons un peu de place à analyser la chute de l’arbre et davantage à observer la forêt qui pousse. C’est un peu un travail d’herboriste. Je vous donne quelques exemples: nous avons interviewé Alain Gras à propos des aveuglements issus de la pensée technologique, Guibert del Marmol sur la métamorphose personnelle, Florence Devouard sur l’Open source, Jean-Michel Servet sur le «grand renversement» financier, Lydia et Claude Bourguignon sur les enjeux du sol... Mais c’est un échantillon qui ne rend pas compte de la diversité de nos approches.
Votre but est-il de faire purement et simplement de la prospective ?
Non. Nous ne sommes pas dans l’illusion de l’observateur détaché. Nous vivons sur cette planète, nous faisons partie de l’humanité, nous avons des enfants qui en connaîtront l’avenir, et ce qui nous intéresse dans la métamorphose, c’est l’influence que peuvent y avoir les êtres humains. Nous sommes entre un monde qui se décompose et un monde à recomposer. Les scénarios de recomposition sont multiples, ils vont du meilleur au pire. Il nous revient de donner plus de chance aux meilleurs. C’est loin d’être gagné. Nous devons nous méfier de nos «angles morts». Nous avons besoin de lucidité, d’idées nouvelles, d’inspiration, et c’est là la contribution de «Commencements» à l’avenir.
Et pour les prochains numéros ?
Les deux numéros de 2013 s’intéresseront aux ruptures: dans le domaine médical, managérial, énergétique, technologique, dans la pensée économique, dans l’activisme, dans le langage... Deux numéros, c’est une vingtaine de sujets...
Accès libre à un choix d’articles de «Commencements»: http://co-evolutionproject.org/wp- content/uploads/2013/03/Recueil-choisi-Comm-01-04.pdf
Conditions d’abonnement: joindre Thierry Groussin thygr@wanadoo.fr
Interview donnée à Francis Karolewicz http://www.monecocity.fr
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