"Seven" et la transition écologique: la Paresse
07/06/2019
Finalement, de manière imprévue, j’ai réservé pour ma conclusion le péché de Paresse.
J’aurais aisément écrit beaucoup de choses sur la paresse dans sa relation avec la transition écologique. J’aurais pu parler de la compulsion à utiliser à tout propos des engins motorisés ou des robots, qu’il s’agisse du moindre déplacement, du jardin ou de la cuisine. J’aurais brodé sur les multiples formes de paresse auxquelles nous incline notre société de consommation: par exemple, la préférence donnée au plastique jetable sur le verre de consigne, ou l’abandon systématique dans nos rues et sur les lieux de grandes manifestations de tous les immondices que l’on n’a pas eu la vaillance de mettre dans les poubelles. J’aurais ainsi conclu platement ma réflexion sur les sept péchés capitaux et la santé de la Planète.
Seulement, Thomas d’Aquin, qui a fixé le principe au XIIIe siècle, apporte une précision essentielle très différente de ce que nous avons tous en tête : la paresse qui mérite selon lui le qualificatif de péché capital est la paresse « spirituelle ». Il ne s’agirait donc pas de la cossardise et cela conduit à des réflexions potentiellement plus fécondes qu’une septième dénonciation de l’un de nos travers ordinaires. Les névrosés en mal d’enrichissement infini et qui se prennent pour l’élite du monde rebattent les oreilles des gueux en essayant de les faire passer à leurs propres yeux pour des fainéants. Tous les maux de la société viendraient de cette tendance populaire à ne rien faire. Entendez par là que celui qui ne possède aucun capital financier pour travailler à sa place doit mériter en permanence son droit à vivre en se soumettant au système créé par ceux qui détiennent ce capital. Il doit enrichir celui-ci, lui coûter le moins possible et accepter les aléas qui résultent pour lui, qui n’en peut mai, du grand monopoly auquel jouent les puissants. Or, pour rester dans le cadre de mon propos, compte tenu de la démultiplication de productivité que nous apportent machines et technologies et du lien entre activité industrielle et dégradation des systèmes naturels, il vaudrait mieux, pour la Planète, que nous travaillions moins pour produire moins et que nous inventions d’autres règles économiques et d’autres modes de vie (31). Vous pouvez chercher en quoi combattre notre prétendue paresse peut être utile à nos prêcheurs, mais ce péché-là, s’il figure dans les obsessions du néo-libéralisme, n’est pas celui auquel l’Aquinate donnait le qualificatif de capital.
Alors, à quoi pourrait-on raccrocher cette notion médiévale de paresse spirituelle ? Pour dire les choses simplement, moi qui ne suis qu’un homme d’aujourd’hui, c’est-à-dire d’une époque assez peu mystique, je la rattacherais à l’exigence de sens que nous plaçons au coeur de notre vie. Cette exigence est-elle suffisamment élevée? L’est-elle au point que nous ne nous satisfaisions pas de l'accumulation financière, des consommations ostentatoires, des divertissements du sexe ou de la table ? Sommes-nous suffisamment exigeants pour cultiver notre lucidité et voir jusqu’où nos choix de vie, de réussite et nos comportements ont de l’impact sur d’autres que nous ? Sommes-nous assez exigeants pour ne pas seulement voir cet impact dans l’espace, autour de nous et jusqu’aux confins de la Planète, mais aussi dans le temps, le temps long, celui de nos enfants, de nos petit-enfants et de leurs descendants que nous ne connaîtrons pas ? Sommes-nous suffisamment exigeants pour embrasser dans notre intérêt, dans notre empathie, non seulement nos semblables mais l’ensemble du vivant ?
On peut se souvenir ici de l’origine de la notion de péché que j’évoquais en commençant cette série d’articles : « ce qui manque son but ». Autrement dit, ce qui nous détourne de donner à notre vie son vrai sens. Et l’on rejoint d’ailleurs là le sens pascalien du « divertissement ».
Illustration: tableau de Brueghel.
(31) https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/51482/rea...
https://www.cnews.fr/monde/2019-05-22/il-faudrait-travail...
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