Un outil révolutionnaire
26/03/2020
Je n’aurais sans doute jamais entendu parler de Manfred Max-Neef sans mon ami Laurent Marbacher (1) qui l’avait étudié lors de ses pérégrinations de jeunesse en Amérique latine. Je profite de ce billet pour l’en remercier à nouveau. J’ai eu la chance de rencontrer aussi une des rares spécialistes du sujet que je m'apprête à aborder : Vérène Nicolas, que j’ai eu l’avantage d’interviewer il y a quelques années pour ma revue Commencements (2).
Manfred Max-Neef (1932-2019) est un économiste chilien à l’origine d’un système des besoins humains fondamentaux. Ce système, loin d’être seulement analytique et explicatif, constitue un outil puissant pour inspirer et imaginer de nouveaux modes de vie, de nouvelles formes économiques et sociales. C’est pourquoi, en cette période de confinement qui devrait favoriser notre remise en question des croyances qui ont façonné notre monde, je crois utile et souhaitable de partager cet outil encore insuffisamment connu selon moi. Je précise qu’il ne s’agit pas pour moi de promouvoir une curiosité intellectuelle ou un objet de thèse: il s’agit, de manière très terre-à-terre d’apporter une ressource à ceux qui ont envie de se retrousser les manches. Lorsque nous serons libérés de notre carcan, je serai d’ailleurs à la disposition de ceux qui voudront organiser des ateliers pour progresser dans la prise en main de cet outil. Je crois que c’est une des meilleures choses que je puisse faire des années que Dieu voudra bien encore m'accorder.
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Selon Max-Neef, les êtres humains, quelles que soient leur race ou leur culture, ont en commun neuf besoins fondamentaux : biologiques, d'aimer et d'être aimés, d’être protégés, de comprendre, de participer, de loisir, d’activité créatrice, d’identité et de liberté. A la fin de sa vie, il a ajouté à sa liste le besoin de sens ou de spiritualité.
Ce qui change, d’une classe sociale à une autre, d’une société à une autre, c’est la manière dominante de satisfaire ces besoins. Les individus, les familles, les groupes, mais aussi les innovateurs, les « alternants culturels »(3) peuvent apporter des variations plus ou moins audacieuses au thème dominant de leur milieu.
L’apport déterminant de Manfred Max-Neef, selon moi, outre le caractère humaniste de son recensement des besoins, est de montrer que ceux-ci fonctionnent en interaction et de proposer trois concepts:
- les modalités de satisfaction, au nombre de quatre ;
- les formes de réponse possibles, au nombre de cinq ;
- les transactions qui s’opèrent dans la hiérarchisation des besoins à satisfaire.
Les 4 modalités de satisfaction
Il s’agit du faire, de l’avoir (ou de l’acquérir), de l’être et de l’interagir. Elles ne sont pas exclusives les unes des autres.
Prenons par exemple, parmi les besoins biologiques, le besoin de se nourrir. Nous pouvons le satisfaire:
- en cultivant notre jardin (faire),
- en achetant nos aliments (avoir),
- en mettant en commun la nourriture (interagir),
- en cultivant une sobriété heureuse (être).
Les 5 natures de réponse
Les réponses, selon Max-Neef, peuvent être destructives, inadaptées, inhibitrices, univoques ou synergiques:
- destructive, quand la réponse choisie détruit les moyens de répondre à un autre besoin;
- inadaptée, quand nous apaisons le symptôme sans traiter la cause ;
- inhibitrice, quand la satisfaction d’un besoin empêche la satisfaction d’un autre;
- univoque, quand elle satisfait un seul besoin ;
- synergique, quand elle permet d’en satisfaire plusieurs à la fois.
Par exemple, jardiner peut constituer une réponse synergique aux besoins biologiques (nourriture, santé), d’activité créatrice, de loisir, de protection, de liberté.
Les transactions
Tous les besoins sont en interaction les uns avec les autres. Des « transactions » peuvent se faire entre eux, quand par exemple une personne renonce plus ou moins à sa liberté en échange de protection.
Une civilisation se caractérise par la manière dominante dont les civilisés satisfont leurs besoins. La nôtre a misé principalement sur l’avoir. La mondialisation en est l’ultime manifestation avec une dissociation quasiment totale des lieux de production et des lieux d’usage ou de consommation. En cas de changement sensible dans son environnement, ce qui semble être notre cas, sauf déni entêté, une population sera conduite de gré ou de force à revoir ses fondamentaux. La voie de l’adaptation passera par de nouveaux arbitrages entre les besoins dont on privilégiera la satisfaction et entre les modes de satisfaction – faire, avoir, être ou interagir - qu’on mettra en œuvre. Optimiser le processus d’adaptation suggèrera aussi de rechercher des réponses synergiques.
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La matrice de Manfred Max-Neef peut ainsi servir de fil conducteur à ceux qui, individuellement ou collectivement, veulent réfléchir à leur style de vie et le faire évoluer. Vous pouvez par exemple laisser courir votre imagination sur un scénario où l’être, le faire ou l’interagir réduisent l’importance que nous donnons aujourd’hui à l’avoir.
Sortirions-nous de ce confinement avec une vision claire et une volonté solide au service d’une meilleure façon de vivre avec notre planète que nous n’aurions pas perdu notre temps. C’est la grâce que je nous souhaite.
(1) Qui vient de publier avec Isaac Getz L'entreprise altruiste, Albin Michel, octobre 2019.
(2) J’enverrai gratuitement la version numérique de son interview à qui m’en fera la demande.
(3) Cf. https://jmsauret-managerconseil.blogspot.com/2020/03/le-l...
2 commentaires
https://mailchi.mp/socialter/0503-433672?e=457f657f8c
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