A propos de la caverne de Platon et du gouvernement des peuples
26/04/2022
Dialogue entre Sherlock Holmes et le docteur Watson
Toute ressemblance avec des situations connues
ne serait pas nécessairement une coïncidence
Holmes: Si je voulais contrôler une population, je partirais de Platon, du mythe de la caverne tel qu’il le conte dans le livre VII de La République. C’est l’allégorie de la condition humaine, avec la distance qu’il y a entre ce que nous percevons et la réalité dont nos interprétations ne donnent qu’une esquisse plus ou moins hasardeuse. A mon sens, c’est bien l’espace à maîtriser si l’on veut contrôler un peuple.
Watson: Mais pourquoi diable voudriez-vous contrôler une population ?
H.: Je n’en ai aucunement l’intention. J’ai seulement envie de faire une expérience de pensée. Vous savez l’estime relative que j’ai pour notre espèce, à quelques exceptions près. S’il fallait un jour faire face à des enjeux extrêmes que la masse est incapable de comprendre, le monde aurait besoin de dirigeants intelligents pour amener celle-ci jusqu’où il est indispensable qu’elle se rende.
W.: Mais que pourraient donc être ces « enjeux extrêmes » ?
H.: Mon cher Watson, vous êtes toujours pressé! Laissez-moi d’abord vous faire faire le chemin de cette réflexion à mon propre pas. A commencer par Platon. Je ne vous l’ai peut-être jamais dit, mais Platon est mon inspirateur. La sagacité que vous admirez en moi et que je me reconnais - encore que j’en sois parfois insatisfait - n’est que l’application de l’enseignement que donne Platon dans cette allégorie. Platon décrit les humains comme enchaînés dans une caverne, face à une paroi, tournant le dos, sans pouvoir se retourner, à la lumière qui vient de l’extérieur. Sur la paroi devant eux, sont projetées des ombres qu’ils s’efforcent d’interpréter.
W.: Je me souviens très bien de ce passage. Je n’y avais pas pensé, mais vous illustrez en effet vous-même cette allégorie. Vous avez sous les yeux ce que tout le monde a sous les yeux, mais vous ne l’interprétez jamais comme tout le monde.
H.: Je peux le faire parce que j’ai connu la caverne et j’en ai discerné la tromperie fondamentale. Dans mon travail de détective, il faut se méfier de la ruse du coupable qui a intérêt à nous envoyer sur de fausses pistes. Les ombres de la caverne sont des fausses pistes. Si j’en reviens à mon « projet » de contrôle, la première chose à contrôler, on le voit bien dans cette fable de Platon, ce sont les perceptions des gens et les interprétations qu’ils s’en font. C’est-à-dire qu’il s’agit d’avoir leur attention, toute leur attention, de filtrer ce qui peut l’attirer et de la nourrir exclusivement de ce que l’on choisit.
W.: Une sorte de propagande ?
H.: Bien plus qu’une propagande. Une propagande cherche à couvrir le bruit des autres voix. Là, il s’agit de créer une sorte d’enfermement sensoriel et informationnel.
W.: Alors, vous creuseriez des cavernes pour enfermer vos sujets ?
H.: Pour moderniser un peu le décor et respecter nos délicats paysages, j’imaginerais plutôt de les enchaîner chez eux - chacun dans sa caverne personnelle ! Notre époque a vu apparaître la photographie et le cinématographe. Un jour, Watson, je l’affirme, on inventera le moyen de véhiculer l’image et le son à distance, de manière quasiment instantanée. Ce serait un outil précieux: l’appareil sur lequel les gens recevraient ces informations comme sur un écran de cinématographe, remplacerait la paroi et les ombres de la caverne. Bien sûr, ce ne serait pas comme notre presse qui fait fleurir les opinions de toute sorte. Au contraire, dans l’optique du contrôle, toute controverse serait discréditée et bannie. Il n’y aurait qu’une vérité accessible.
W.: Supposons qu’un jour on invente ce que vous venez de décrire et qu’en plus chaque quidam puisse se doter de l’appareil en question, ce dont je doute fort. Comment allez-vous tous les tenir chez eux, devant un écran de cinématographe ?
" Les fers, vous en conviendrez, Watson, même si on les utilise encore pour certains gaillards nuisibles à la société, sont assez démodés. "
H.: Les fers, vous en conviendrez, Watson, même si on les utilise encore pour certains gaillards nuisibles à la société, sont assez démodés. Puis, cela coûterait cher. Enfin, la barbarie de ce moyen appliqué à grande échelle pourrait susciter des réactions d’horreur. A la vérité, depuis toujours, il n’y a pas de meilleures chaînes que celles que le prisonnier fabrique lui-même dans sa tête, ni de plus solides que celles de la peur.
W.: La peur du gendarme ?
H.: Oui, cela marche encore, surtout si l’on fait quelques exemples. Dans certains cas, un seul crâne enfoncé peut épargner beaucoup d’autres violences. Mais ce n’est quand même pas sans risque de susciter la colère de la plèbe. Puis, si vous me permettez, c’est une solution qui, intellectuellement, manque d’élégance. Dans l’idéal, il faudrait susciter une peur qui ne donne à personne, fût-il suicidaire, le désir de se rebeller.
Silence.
H.: Watson, vous savez comment fonctionne la prostitution ?
W.: Quel est le rapport avec votre sujet ?
H.: Les filles qui veulent exercer librement le métier de la chair - que dans le milieu on qualifie d' « insoumises » - sont mal vues. Elle sont régulièrement agressées et battues, et cela jusqu’à ce qu’elles acceptent d’avoir...
W.: Un protecteur ?
H.: Exactement, Watson, un protecteur. Un proxénète pour qui elles travailleront, qui éventuellement les battra aussi mais pas trop. Pour contrôler un peuple, la coercition est le moyen le plus barbare. En revanche, protéger un peuple d’un danger que l’on a soi-même organisé est beaucoup plus astucieux.
W.: Oui, mais quel danger dans ce cas ? Un ennemi qui convoite notre territoire ?
H.: Cela peut marcher, mais pas dans la durée. Ou alors, il faut changer périodiquement d’ennemi.
Silence.
H.: Le plus intelligent serait de créer un danger invisible. S’il est rigoureusement impossible de le percevoir, on ne peut l’identifier ni le combattre soi-même. Il faut alors se fier à ceux qui prétendent le connaître. Cela nous rendra dépendants d’eux et nous leur abandonnerons notre liberté.
W.: Un danger invisible ? Mais lequel ?
H.: Je ne parle pas d’une armée d’hommes invisibles ou de créatures extra-terrestres qui échapperaient à nos sens. Non, il faut quelque chose de plus vraisemblable. La crédulité du peuple a des limites, à moins de la préparer patiemment. Watson, qu’est-ce que la nature met à notre disposition en tant que menace invisible ?
W.: Le rayonnement ultra-violet ?
H.: Pas mal vu ! Mais tout le monde sait ce qu’est un coup de soleil, on peut s’en protéger par des vêtements, une ombrelle, des lunettes, cela n’empêcherait pas les gens de sortir, de se parler, de comploter... Savez-vous à quoi je pense, tout d’un coup ?
W.: Vous allez sans doute me le dire !
H.: Aux microbes !
W.: Encore faut-il qu’il y ait des malades. Or, si votre microbe n’existe pas...
H.: On lui donnera l’existence en lui attribuant un nom, en parlant de lui tout le temps. La maladie qu’il donne pourrait avoir des symptômes mal cernés, qui ressembleraient à de nombreuses autres maladies, ce qui multiplierait les cas possibles. En plus, cela enchaînerait le regard des gens au mur de leur caverne, anxieux qu’ils seraient d’avoir les dernières nouvelles sur l’expansion du mal.
W.: Mes confrères se rendront vite compte !
H.: Oui, en effet... Vous avez raison, il manque quelque chose à mon dispositif.
Silence.
H.: L’homme ordinaire a besoin de sacré. Alors que les religions s’éteignent, où le sacré se réfugie-t-il ?
W.: Que voulez-vous dire ?
H.: A qui, aujourd’hui et de plus en plus, va par dessus tout le respect de la foule ? Qu’invoquons-nous sans cesse ?
W.: Le progrès ?
H.: Oui, Watson, mais derrière le progrès, qu’y a-t-il ?
W.: La technique ?
H.: Au dessus de la technique, Watson... Le nouveau dieu ?
W.: Je ne vois pas...
H.: La science, Watson ! La science et ses prêtres ! Alors, voilà notre histoire: c’est un nouveau mal, complètement inconnu. Il peut être dangereux ou pas du tout. Il est très mystérieux, quasiment diabolique. Les médecins ne le connaissent pas, ils peuvent le confondre avec d’autres maladies et appliquer des traitements à mauvais escient. On leur recommande donc de ne pas intervenir. Pour le dire, on convoque la science et les savants ! Qui osera les contredire ?
W.: Pas moi. En tant que médecin, je connais les limites de mon savoir mais je sais aussi que c’est pour lui que mes patients respectent mes prescriptions. Même s’il m’arrive d’en tuer accidentellement un de temps en temps. Mais la santé est comme une guerre: on progresse, et il y a des morts sur le chemin.
H.: Watson, vous êtes génial ! C’est tout-à-fait cela !
W.: Oui, mais si votre microbe n’existe pas, tout votre échafaudage s’effondre !
H.: Il existera, vraiment.
W.: Vous le fabriquerez ?
H.: Un jour on le pourra peut-être, mais pour le moment il faudra se contenter d’un microbe qui existe, qui a fait des dégâts dans une lointaine contrée du monde et qui est susceptible de voyager. Une peste, une grippe, une zoonose, que sais-je !
W.: Mais, pour créer la frayeur, il faut des malades. Les fabriquerez-vous ?
H.: Les esprits auront été préparés de sorte qu’à la moindre goutte au nez, à la plus insaisissable courbature, on puisse s’imaginer avoir été contaminé. Croyez-moi, Watson, le pouvoir d’auto-suggestion des humains est tel que, si on l’aide bien, le rhume de cerveau fera des morts!
W.: Il est vrai que, dans ma pratique, je vois de temps en temps des patients plus malades de leurs peurs que de leurs maladies !
H.: En outre, des maladies relativement maîtrisables peuvent tourner mal si elles ne sont pas prises à temps. Ceux qui en réchapperont ne remettront pas en question ce qu’ils ont vécu, car ils auront une espèce de fierté de survivants.
W.: C’est totalement irréaliste! Et mes collègues dans tout cela ? Vous croyez qu’ils ne se rendront pas compte de l’arnaque ?
H.: Le ministre de la santé, qu’ils respectent car il est censé détenir l’autorité sous toutes ses formes, leur dira: « Nous avons des informations confidentielles, mais nous ne voulons pas effrayer la population. La situation est potentiellement très grave. Dans l’état de nos connaissances scientifiques sur cette maladie, les traitements peuvent aggraver les problèmes. La seule chose à faire est d’éviter la transmission en croisant les doigts. »
W.: Je ne vois pas un ministre de la santé digne de ce nom dire une telle chose. Cela revient à interdire aux médecins de soigner.
H.: Je vous rappelle qu’il ne s’agit pas de santé mais de contrôle !
Silence.
H.: Il ne faut pas écarter l’effet d’aubaine...
W.: Comment cela ?
H.: Désolé, Watson, je me parlais tout haut à moi-même. Une vieille affaire qui m’est revenue à la mémoire... Revenons à notre sujet, si vous le permettez. Ce qui menace tout pouvoir, c’est la possibilité que les hommes, impuissants en tant qu’individus, se construisent d’une situation une représentation commune, ce qui les conduit à s’unir, à se coordonner et à mener une action collective. C’est comme cela que les syndicats font plier les maîtres de forge. C’est comme cela que se construisent les oppositions.
W.: En effet !
" Vous vous souvenez, quand nous étions écoliers ?
Quelle était la principale interdiction ? "
H.: Vous vous souvenez, quand nous étions écoliers ? Quelle était la principale interdiction ?
W.: Hum... De copier ?
H.: Non, celle-là concerne le seul moment où l’on fait ses devoirs. Une autre, générale.
W.: De parler à son voisin ?
H.: C’est cela, bravo Watson ! D’ailleurs, vous ne trouvez pas que la pose des élèves, bras croisés sur le pupitre, ne regardant que le tableau noir, ressemble un peu aux humains dans la caverne de Platon ? N’est-ce pas, en définitive, une préparation dès le plus jeune âge à l’obéissance sans discussion ?
W.: Holmes, permettez-moi de vous dire que votre rapprochement est tiré par les cheveux !
H.: Watson, vouloir régner sur un peuple, n’est-ce pas le considérer comme un enfant ?
W.: Vous dites que la peur est la meilleure des chaînes. Mais cette chaîne aussi peut se rouiller, surtout si les signes se multiplient qu’il s’agit de rien d’autre que d’une supercherie. Je serais curieux de savoir ce que vous allez imaginer pour éviter dans la durée que les gens se parlent, réfléchissent, complotent.
H.: Vous avez raison Watson. De même que la peur est une solution intellectuellement plus élégante que les chaînes, on doit trouver dans la nature humaine un autre ressort que l’isolement physique pour éviter les connivences.
Silence.
H.: Il me vient une idée. Watson: si n’importe quelle personne que vous croisez dans la rue est susceptible de sortir soudain un couteau et de vous poignarder, comment vivrez-vous ?
W.: Je vous rappelle que j’ai une carrière militaire derrière moi. Des fous, j’en ai vus. Le danger ne me fait pas peur et, malgré mon âge et les séquelles des combats, je peux encore me défendre !
H.: Je le sais Watson ! En fait, je ne voulais pas parler de vous personnellement mais d’un sujet ordinaire, ce que vous n’êtes pas. Décrivons la situation autrement: il y a une folie, je ne sais quoi, une fuite d’un gaz délétère, une intoxication, une drogue, un facteur invisible qui peut faire soudain d’une personne normale un assassin brutal. Quelque chose qui est dans l’air. Vous voyez ce que je veux dire ?
W.: J’ai du mal à voir dans cette idée autre chose qu’une fantaisie de votre imagination.
H.: Watson, réfléchissez ! Et si l’arme du crime, c’était tout simplement vous - votre corps contagieux ?
W.: Ah ! Voilà que vous en revenez à vos microbes!
H.: Watson, vous qui êtes médecin, vous avez bien sûr entendu parler d’Ignace Semmelweis ?
W.: Ce médecin viennois qui a fini fou ?
H.: Et vous savez pourquoi il a fini fou ?
" Et vous savez pourquoi il a fini fou ? "
W.: Il n’arrivait pas à convaincre ses collègues qu’il ne fallait pas, sans se laver préalablement les mains, passer de la salle de dissection des cadavres à la salle d’accouchement. Pendant quelque temps, il a obtenu d’eux qu’ils se plient à ce qu’ils considéraient comme une lubie. Les décès de fièvres puerpérales chutèrent spectaculairement. Mais les médecins, qui l’avaient fait à contre-coeur, ont voulu reprendre leurs habitudes. Les femmes ont recommencé à mourir. Il n’a jamais pu leur faire admettre la corrélation. Il a fallu, bien plus tard dans le siècle, que le Français Louis Pasteur rende visible le facteur invisible.
H.: Tout juste. Et comment, selon vous, ces médecins distingués, intelligents, compétents, n’ont-ils pu voir à quel point Semmelweis avait raison ?
W.: J’avoue que c’est un mystère pour moi. Il paraît qu’on le jugeait fantasque et indiscret. En résumé, sa personnalité ne le rendait pas crédible.
H. Pourtant, les faits étaient là! Ils auraient dû l’emporter sur les préjugés à l’encontre de sa personne. Eh! bien, Watson, c’est là que nous retrouvons Platon !
W.: Vous allez trop vite pour moi !
H.: Que ressent-on lorsque l'on parvient à s'évader de la caverne ?
W.: Comment cela ?
H.: Quand votre regard, habitué à la pénombre de la caverne, se détourne vers le dehors, il ne supporte pas la lumière crue du soleil. Votre premier réflexe est alors de serrer les paupières, de détourner votre regard. Vous avez peur de vous brûler les yeux et d’être aveugle irrémédiablement.
Holmes tire sur sa pipe.
H.: Puis il y a ce que vous entrevoyez, tellement différent, tellement insaisissable en comparaison des ombres que l’on vous projetait. Notre intellect fonctionne comme nos yeux. Semmelweis invoquait un « facteur invisible ». C’était la vérité, mais c’était aveuglant pour ses collègues. Dans l’esprit de la science positiviste, le mot « invisible » renvoyait aux superstitions que l’on s’efforçait d’éradiquer. Admettre qu’il pût exister un « facteur invisible » remettait trop de choses en question, des choses fondamentales de la pensée scientifique de l’époque. Cela remettait même en question le socle sur lequel ces beaux messieurs se plaisaient à prendre la pose.
W.: Je le comprends. Mais le bon sens quand même aurait dû l’emporter !
"Le bon sens ? Il lui arrive d’être le pire ennemi de la lucidité."
H.: Le bon sens ? Il lui arrive d’être le pire ennemi de la lucidité. Le bon sens n’est que l’idée que nous nous faisons de ce qui est raisonnable. Combien de fois, quand j’avançais une hypothèse pourtant bien étayée, ai-je entendu cette exclamation: « Holmes, vous exagérez! » Or, c’est la vérité qui, plus souvent qu’on ne pense, exagère en étant au delà de notre catégorie du raisonnable.
Silence.
H.: Et savez-vous, Watson ? C’est justement le bon sens, le raisonnable, qui vont donner à ma stratégie de contrôle du peuple la meilleure des protections contre l'insubordination de mes sujets : l’invisibilité !
W.: Vous voulez dire que ce qui empêcherait les gens de découvrir votre stratagème, ce serait justement qu’il est déraisonnable de l’imaginer ?
H.: Exactement ! Le déraisonnable serait de supputer que, derrière tout cela, il y a une volonté, une création, tout un réseau d’agents au service d’un projet. Celui qui formulerait cette hypothèse serait aussitôt ridiculisé. S’il lui prenait l’envie de persister, il deviendrait haïssable.
W.: Mais, justement, Holmes, je me pose une question depuis un moment: comment pourriez-vous avoir autant de complices sous la main ?
H.: Il y a des millions de gens qui sont prêts à tirer dans le même sens mais pour des raisons différentes. Marx appelle cela « la complicité objective ». Ils ne sauront même pas qu'il y a un projet ou qu'ils sont au service d'autre chose que d'eux-mêmes. Parmi ces raisons, je pourrais vous parler de la fascination de l’argent et du pouvoir, et des corruptions qu’elle entraîne. Mais, pour ce qui est des gros bataillons, je préfère invoquer la compulsion du sauveur. Une menace invisible et omniprésente procure l’occasion de se poser en sauveur. Faire le bien, alors, c’est contribuer à la protection de la population. Y compris contre elle-même. Les gens adorent jouer les sauveurs. Surtout si cela légitime, en même temps, l’exercice de leur méchanceté.
W.: De leur méchanceté ?
H.: Oui: par exemple sous la forme de l’autoritarisme, de la persécution, etc. Le sauveur a besoin d’un être inférieur qui a besoin de lui pour être sauvé. Mais quand la personne à sauver résiste à son sauveur, c’est-à-dire nie implicitement sa supériorité, celui-ci se change en persécuteur.
W.: Je reconnais bien là votre cynisme Holmes...
H.: Ce n’est pas tout ! Dans toute population, il y a des gens qui emboitent le pas au tambour et marchent en cadence. Si on leur raconte la bonne histoire, ils iront en toute rationalité massacrer le peuple voisin au risque d’y perdre leurs propre vie. Au sein d’une population, ce sont les plus nombreux, et de loin. Si vous les mettez en branle, ils vous donneront le pouvoir.
W.: Holmes, vous voilà un nouveau Machiavel! Vous êtes prêt à conseiller les princes de ce monde!
H.: Détrompez vous Watson ! Les princes de ce monde sont déjà trop dangereux pour que je les fasse bénéficier de mon intelligence quels que soient les honoraires qu’ils pourrait me promettre. Ce sont plutôt les peuples qui sont menacés: trop crédules, trop influençables, le nez sur leurs petites affaires, leurs petits plaisirs. Les romans de Wells et de Verne sont devenus populaires parce qu'ils décrivent un avenir fascinant qui est à notre portée. Mais leur faiblesse est de ne s’intéresser qu’au développement de la puissance matérielle. Or, je le prédis, les grandes ingénieries de demain seront psychologiques. Le siècle qui commence sous nos yeux et peut-être le suivant, si on n’apprend pas la leçon, seront parcourus de grands délires collectifs organisés par des démiurges. Je rêve de peuples éduqués à la lucidité, qui sachent reconnaître les signes avant-coureurs d’une manoeuvre, retrouver le chemin de la vérité et montrer ainsi qu’ils méritent vraiment d’assumer un destin.
4 commentaires
Très juste mon cher Thierry!
Le vieux monde s'écroule, restons dans notre axe et élevons le débat. Ceci n'est qu'un grand jeu d'acteurs, et il y aura sans doute encore beaucoup de victimes.
Continue à nous faire réfléchir... Merci
Et si dans votre histoire vous remplaciez vérité par réalité ?
ça sent le vécu!
La psychologie des deux personnages est respectée, et nous conduit à un dialogue soutenu évolutif où le lecteur s'accapare le contenu jusqu'à le confronter avec sa propre réalité...
Je retiens une expression: "La crédulité du peuple a des limites...". Je n'ose y croire tant l'expérience pourrait, à de multiples moments faire penser le contraire. Mais cette note d'espoir est tout à fait enthousiasmante!
Tes personnages cloîtrés devant leur écran dans leurs cavernes individuelles m’ont fait penser aux héros du Successeur de pierre, le roman de Jean-Michel Truong, que j’ai trouvé prémonitoire de la condition de l’homme numérique.
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