Plasticité de l’être humain
25/07/2023
Les Allemands, l’un des peuples européens alors les plus cultivés et pas plus méchant que les autres, se sont laissés happer par le nazisme. Dans notre pays, il y eut à la fois des Jean Moulin et des traitres qui, les dénonçant, les ont envoyés à la torture et à la mort. Il y eut aussi des Lacombe Lucien* dont la bifurcation dans la mauvaise direction tint à un cheveu. Selon moi, il convient de rester humble. Bien prétentieux est celui qui affirme aujourd’hui, sans avoir vécu d’évènements semblables, qu’il aurait été du côté de la Résistance active. En chacun d’entre nous, le saint et le bourreau voisinent, de même que le martyr et le lâche, l’idiot et le génie et bien d’autres. Les révéler, leur donner corps est affaire de rencontre de notre émotionnel avec les hasards de la vie, tant des évènements que des êtres humains. La maturité psychologique, qui n’est pas une question d’âge, est l’aptitude à ne pas se laisser entraîner dans de mauvaises directions. Cela nécessite une lucidité en éveil appuyée par la volonté de s’éduquer sans cesse.
Les choix que l’on fait dans ce genre de situation n’ont pas grand chose à voir avec le quotient intellectuel. L’intelligence ne fait pas le héros et ne protège pas des dérives. A preuve, Noam Chomsky: il a dénoncé et démonté avec une grande acuité ce que l’on appelle « la fabrique du consentement » et il est tombé dans le piège de la propagande covidiste. Cela jusqu’à exiger que l’on enferme ceux qui refusaient les injections expérimentales. Chez nous, un philosophe bien connu, en même temps que ses nerfs a perdu sa philosophie et en particulier son fier stoïcisme au point de réclamer la même chose. Hitler promettait aux Allemands trois choses dont ils étaient cruellement privés: du pain, de l’honneur et du travail. A un nonagénaire légitimement conscient de la fragilité de sa vie ou à un philosophe au système nerveux fragile, le pari d’une fabrique du consentement était trop énorme, trop risqué. Les injections, au contraire, leur promettaient une chose pour eux essentielle: réduire la peur de la mort. C’est alors que, des tréfonds de leur psyché, un tyran a surgi.
Au surplus, la conviction d’être au service du bien en même temps légitime et déchaîne les comportements tyranniques que beaucoup d’entre nous portent en germe. La résistance les exaspère. La jouissance de l’autoritarisme a alors pour pendant ce que Goethe appelait « la bêtise au front de taureau ». C’est ainsi que nos révolutionnaires ont déclenché la Terreur. C’est ainsi qu’à la faveur de la crise du Covid l’inintelligence et l’inhumanité ont envahi les professions médicales et certains secteurs de la fonction publique. La croyance en une noble cause que l’on sert peut conduire, comme l’histoire l’a souvent montré, à commettre des horreurs. Refuser une greffe à une personne qui ne veut pas d’une injection expérimentale, ce n’est pas Auschwitz mais c’est une infamie quand même. Celui qui est capable de cela montre qu’il a perdu une partie de son humanité. De ce fait, il est engagé sur une pente à la faveur de laquelle, dans des circonstances adéquates, il pourrait en perdre le reste. Le nazisme n’est pas un phénomène différent. C’est un piège psychologique redoutable car il se referme lentement. Une propagande bien ciblée, une ingénierie sociale habile font prendre nos commandes par ceux de nos personnages intérieurs les plus manipulables.
C’est une héroïne de Bergman qui s’exclame (peut-être dans Crimes et chuchotements): « On ne m’a appris qu’à faire plaisir! » Tous ceux qui ont un projet sur nous et veulent nous façonner comme de l’argile exploitent entre autres ce besoin de faire plaisir, concomitant de la peur d’être rejeté, qui peut perdurer après l’enfance tant il a conditionné l’amour que nous recevions et le réconfort qui en résultait. Il est un des éléments intérieurs qui nous rend fragiles et malléables. C’est pour cela qu’entre autres choses demander à des enfants - seulement leur demander - de quel genre ils se sentent est une perversité. L’enfant n’a aucune idée des implications de la question et encore moins de sa réponse. Faute d’un choix qui ne peut s’exprimer qu’avec l’adolescence et le développement hormonal, il cherche à deviner la réponse qui ferait plaisir à l’adulte et finit par se couler dans le moule qu’on lui tend ou qu’il croit qu’on lui tend. Et l’on se retrouve avec des chirurgiens bien gras et les drames du Tavistock Institute.
A ceux qui savent s’y prendre, nous pouvons être façonnables. Sur un plan plus ou moins futile, la puissance de la mode nous le démontre tous les jours. Nous ne manquons pas de faiblesses intérieures, de peurs, de frustrations, d’appétits, de paresses, par lesquels nous saisir et nous manipuler. Alain, philosophe athée, a cette phrase très forte: « L’âme, c’est ce qui résiste ». L’âme est ce qui nous alerte d’abord d’une dérive haïssable qui nous menace. Mais l’âme doit se se fortifier. J’ai un tempérament naturellement polémique, aussi, pour m’assagir, je médite souvent la prière de saint François d’Assise qui commence ainsi:
« « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix,
Là où est la haine, que je mette l’amour.
Là où est l’offense, que je mette le pardon.
Là où est la discorde, que je mette l’union. »
Chacun d’entre nous est une co-création. Nous ne sommes ni totalement les auteurs de nous-même ni entièrement le produit de la société. S’éduquer est peut-être agrandir notre part de co-création de nous-même. Mais, de nos jours, que produit notre co-auteur ? Quel genre d’humains l’incessante publicité télévisée prône-t-elle ? Quel genre d’humains la gestion de la crise sanitaire a-t-elle modelé ? Quelles animosités a-t-elle exacerbées ? Ne serait-il pas temps de reprendre tout cela ? Quand je contemple le gâchis qu’il y a en nous et autour de nous, combien nous nous sommes éloignés du vivant et de l’axe véritable de notre évolution, je me dis que, plus que de société, il s’agit aujourd’hui de civilisation. Selon moi, l’aboutissement d’une civilisation est de conduire l’homme à faire croître le meilleur de lui-même. Ce devrait même être le guide de toute construction sociale.
* Lacombe Lucien, film de Louis malle (1974). Rejeté par les Résistants qui ne le jugent pas fiable, par dépit et désir d’aventure le jeune Lucien Lacombe rejoint la Collaboration.
2 commentaires
Peut-être bien que ces trois années vont faire naître des personnes aux caractéristiques non pas contraires ("le saint/le bourreau...) mais davantage le bon et le fort, l'excellent et la qualité, le sage et l'humain, l'homme vrai et la femme vraie ?
Cela dépendra des personnages qui nous habitent et de ceux que l'on cultivera... "On" recouvrant beaucoup d'intervenants. Là aussi, on a de l'agriculture industrielle (les médias mainstream, la communication des pouvoirs publics, etc.) et des petits producteurs de toute sorte !
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