Blink
14/01/2008
J’ai bien écrit « blink », avec un k à la fin ! Il s’agit du titre d’un livre de Malcolm Gladwell* où ce dernier, entre autres histoires, conte celle du Millenium Challenge. Le Millenium Challenge est le cru 2000 des jeux de simulation - des wargames - que le Pentagone organise pour éclairer la stratégie des Etats-Unis. L’idée du Millenium Challenge est qu’avec Tempête du désert (1991), le temps des conflits conventionnels, armées contre armées, est fini et qu’il faut considérer maintenant la guerre comme l’affrontement de deux systèmes. La stratégie ne peut plus se limiter à l’échiquier du champ de bataille, elle doit viser aussi les piliers culturels, institutionnels, politiques et sociaux de l’adversaire. On ne peut, intellectuellement, que souscrire.
Dans le Millenium Challenge, on a comme d’habitude les bons et les méchants, baptisés respectivement Blue Team et Red Team. Bizarrement, les méchants semblent être les mêmes qu’en 1991, avec à leur tête un dictateur du Moyen-Orient… C’est la première fois, en tout cas, qu’on rassemble de tels moyens techniques et intellectuels autour d’un pareil exercice. Les experts du Pentagone qui organisent la simulation sont convaincus que désormais «Sa Majesté le Hasard» - selon la formule de Clausewitz - n’existe plus, évacuée qu’elle est par la capacité que donnent les technologies modernes d’observation et de calcul de tout savoir de l’ennemi. Pour le réalisme de la simulation, il faut donner aux Méchants un chef qui soit susceptible de penser différemment des stratèges du Pentagone. On va chercher Paul van Riper, un vétéran du Viêt-Nam, ancien patron de la Marine Corps University de Quantico. Van Riper est un grand lecteur de Napoléon et de Clausewitz. Il est connu pour sa conception traditionnelle de la stratégie : en définitive, le wargame du Millenium Challenge est d’abord l’affrontement de deux philosophies.
Au premier round, les Bons détruisent les moyens de communication modernes des Méchants. Ils espèrent ainsi les contraindre à recourir aux communications hertziennes, qu’ils sont en mesure d’espionner. Pour van Riper, qui est à la tête des Méchants, la ficelle est trop grosse. Il revient aux moyens de communication de la seconde guerre mondiale : les messages, cryptés dans des prières, sont acheminés à motocyclette et on utilise des signaux lumineux pour le décollage et l’atterrissage des avions. Puis, van Riper déclenche une attaque surprise, coule seize navires de la flotte adverse, pilonne efficacement quelques lieux de débarquement et met la pâtée à la Blue Team…
Le lendemain matin, cependant, quand il rejoint son poste de commandement, il découvre que les seize navires qu’il avait envoyés par le fond ont été miraculeusement renfloués, que mystérieusement ses missiles ont été interceptés et les zones de débarquement restaurées, et que son second donne des ordres complètement contraires à la stratégie qu’il a arrêtée. Il s’insurge en vain: les organisateurs du wargame ont décidé que les Méchants ne doivent pas gagner!
Ce récit met en lumière deux façons de gérer l’incertitude qui s’affrontent aussi dans les entreprises. Un autre parallèle, également, est possible : celui de la prise de décision. Dans le cas du Millenium Challenge comme de certaines réunions de conseil d’administration, s’agit-il d’explorer la réalité, de tester une stratégie – ou de justifier un choix qui a déjà été fait ? Sur un autre plan, quand on commence par me désigner un Méchant, quand on ajoute qu’une guerre sera peut-être nécessaire, et surtout quand on me démontre ensuite qu’on ne peut que la gagner, je m’inquiète. Certaines certitudes ne me rassurent pas. Toute référence à l’actualité serait loin d’être fortuite.
* Penguin Books.
2 commentaires
Moralité, on est encore et toujours dans la pensée unique, la sainte doctrine d'un monde déja bien orienté...
La "pensée latérale" de De Bono a encore de beaux jours devant elle... sous réserve que le commandemant général des jeux ne décide une fois de plus que les méchants doivent perdre... bulshit !
La deuxième guerre en Irak est un échec disent certains: de quel point de vue ? Du point de vue des pétroliers, sûrement pas! Alors, on comprend mieux pourquoi les stratèges du Pentagone ne pouvaient pas avoir tort!
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