Liberté d'expression
02/04/2008
Je suis - évidemment - un farouche partisan de la liberté d’expression. Sans la possibilité du débat et de la circulation des idées, le mensonge peut règner et le lit est alors fait à toutes les dérives. Pour autant, je ne considère pas que les caricatures du prophète Mahomet constituent par exemple une expression respectable de cette liberté. Je ne vois pas ce que notre civilisation peut gagner – je ne vois même pas ce qu’il y a de civilisé - à froisser la sensibilité des êtres humains dont on ne partage pas les références. Il ne me viendrait pas à l’idée de faire de la peine à mes amis en me moquant de quelque chose qui leur est cher, qu’il s’agisse de leur croyance en Dieu, de leur histoire, de leurs parents, de la forme de leurs oreilles, de leur voiture ou de leur vieux chien. Réciproquement, il ne leur viendrait pas à l’idée de me faire de la peine par le même moyen. Il y a suffisamment de vrais sujets de débat, il y a suffisamment d’inimitiés dans ce monde, pour ne pas en rajouter. L’humour peut n’être qu’une arme qui n'ose pas dire son nom.
Aurions-nous oublié le « nous » et la sociabilité qui lui permet de se construire pacifiquement ? J’ai appris une chose au cours de ma vie, c’est que les occasions de blesser sont nombreuses, et que les cicatrices, même refermées, restent longtemps sensibles. Mais voilà : nous n’en avons pas toujours conscience car tenir l’aiguille ne produit pas le même effet qu’être piqué. André Conraets, le père de la Pédagogie éclosive, est un de ceux qui m’a fait apparaître combien nous pouvons polluer inutilement une conversation par des mots ou des comportements qui mettent l’autre mal à l’aise. J’insiste sur le mot « inutilement »: que gagne en effet la relation quand un mot d’esprit fait du mal à l’autre? Que gagnons-nous si notre interlocuteur se referme, ne songe qu’à la douleur ou à la honte que nous lui avons infligée, et ne nous entend plus? Que gagnons-nous s’il considère que nous avons été déloyaux à son égard? Que gagnons-nous si nous engageons la dynamique trop humaine du mimétisme : mot pour mot, puis maux pour maux? Nous rendrons-nous compte que l’autre n’est que notre miroir?
Mais peut-être avons-nous parfois d'autres objectifs que ceux que nous affichons. Car qui serait assez maladroit pour commencer par indisposer gratuitement celui qu'il veut attirer dans son camp? Peut-être voulons-nous seulement rendre politiquement correcte la violence qui est en nous et qui a besoin d'un méchant pour se décharger.
2 commentaires
Je pense que les catégories du "Bien" et du "Mal" se modifient se transforment, voire se dissolvent. Dès lors je suis à la fois bien et mal, mots et maux, violence et sérénité, truc et bidule, machin et chose...
Et je vis, avec mes semblables, enfin, les autres, mes semblables et autres... Ca s'arrête jamais ton truc? Non. Alors ça sert à quoi ? Ce n'est pas fait pour servir. Enfin, si mais non. Pour servir et ne pas servir... J'y comprends rien ! Normal, y a rien à comprendre. Enfin si, tout est là. Y a rien à comprendre et tout est là. T'es ouf ? Ben comme toi !
J'entend bien ton propos, mon cher Thierry, et j'avoue qu'à bien des égards je le partage. Je me pose aussi la question de savoir ce que nous faisons quand nous parlons à l'autre ... S'agit-il réellement de communiquer, de donner de l'infos, de donner un objet à voir ? Ou s'agit-il, comme le proposent quelques psychanlystes, de "se" donner à voir ? A qui parle-t-on vraiment ? Peut être seulement à soi... A un autre soi-même dans lequel on s'entrevoit. Alors, tous ces mots et gestes "parasites" auraient là une portée bien réelle. Jouir de soi, de l'image que l'on lit de soi dans le regard, l'oreille, la pensée de l'autre ? Jouir de ce qu'il se passe, que l'on suppose peut être avoir produit ou provoqué ? Jouir de cette illusion de puissance ?
Je m'interroge parfois...
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