Jeux de société
13/04/2008
Vue sous un certain angle, l’histoire des hommes est celle des rapports du fort au faible. Le fort domine, choisit qui mangera, qui sera protégé, honoré - et en échange de quoi. Il arrête les critères et définit les règles du jeu. Le faible – c’est-à-dire, eu égard au jeu choisi, le lent, le malhabile, le doux – est rejeté dans les ténèbres extérieures où il s’efforce de survivre.
Nous ne voulons pas pour nos enfants de ce destin crépusculaire. Certains peuvent révéler une aptitude naturelle à jouer le jeu darwinien : ils apprennent facilement et savent se faire valoir. Ils ont l’intelligence immédiate d’une situation et éventuellement l’énergie du conquérant ou l’instinct du vassal. Mais, parfois, nous voilà à tenter de transformer à grand peine quelque rejeton que nous trouvons trop agneau et pas assez loup. Quelque enfant délicat qui porte en lui un rêve différent et dont la fragilité, la naïveté, la vulnérabilité nous inquiètent. Comment faire pour que, dans ce monde, il ne se fasse pas dévorer, et qu’il ait – si modeste soit-elle – une part de bonheur ?
Je veux insister sur quelque chose : ce sont les règles du jeu qui font les forts et les faibles, les adaptés et les inadaptés. Ce sont les règles du jeu qui valorisent tel profil et disqualifient tel autre. Si les lois biologiques sont «darwiniennes» – et je ne sais pas ce que Darwin penserait du sens que nous donnons à cet adjectif – la société que nous construisons peut s’en donner d’autres. N’est-ce pas d’ailleurs sa finalité que de corriger la cruauté de l’état de nature ? Ce faisant, elle se donne la possibilité de voir éclore en son sein des fleurs qui, pour être fragiles, sont précieuses : l’art, l’amour, la compassion. Livrés à la jungle, Mozart ou Aristote ne représentent qu’un certain poids de substances comestibles.
Notre monde est moins menacé par les pénuries que par le gaspillage. Depuis longtemps, grâce à ses outils industriels et technologiques, il a - plus qu’aucun autre ne les a jamais eus dans l’histoire - les moyens de s’offrir la fraternité. Qu’en fait-il ? Il se raconte que l’histoire est «darwinienne» et que le réalisme est à l’opposé du Sermon sur la montagne. Cherchez à qui cette histoire profite.
3 commentaires
Tout à fait Thierry ! Cela me fait penser à :
Érase una vez
un lobito bueno
al que maltrataban
todos los corderos.
Y había también
un príncipe malo,
una bruja hermosa
y un pirata honrado.
Todas estas cosas
había una vez.
Cuando yo soñaba
un mundo al revés.
José Agustín Goytisolo
L'homme est un loup pour l'homme, et pourquoi pas un louveteau gentil ?
Je te suis Thierry dans cette acception que c'est la règle qui fait le dominant et le dominé, pas la nature des acteurs. Il me souvient de ce moment où; étant gérant d'un restaurant d'entreprise, je recevais un commercial timide, si timide que par compassion je lui achetais une caisse de jus de fruit et une de bière habituelle dans ce restaurant. Ma compassion ne s'arrêta pas là et elle me poussait à investiguer davantage, à tenter d'aider ce pauvre bougre. Le sentant si démuni, je lui demandais : "Avez vous un directeur commercial ?" pensant l'inviter à lui demander quelques conseil sur la vente. Il marqua un léger temps de silence et repris lentement : "Je suis le directeur commercial..." Je compris alors que cette posture de faible était sa stratégie de conquête de marchés...
Il me souvient aussi ce camarade que nous surnommions du doux sobriquet "Lapin"... Il jouait très habituellement les imbéciles et personne ne songeait à se méfier de lui, à l'attaquer ou même à l'incommoder de la moindre des manières. Comprenant par la bande qu'il était bien loin d'être dénué d'intelligence, bien au contraire, je compris aussi que cette "stratégie de l'idiot" lui conférait un statut particulier lui offrant une grande tranquillité...
Il me revient aussi l'image de Ray Suggar Leonard, boxeur talentueux par son sens extrême de l'esquive : pas de punch, pas de gros muscles, juste un excellent déplacement et un coup d'oeil plus que fin. Il avais, en janvier 87, ridiculisé la terreur des rings de l'époque, le Marvelous Marvin Agler...
Voilà, juste quelques histoires pour illustrer cette petite partie de ton propos qui m'interpelle.
Ah! comme j'aime les réponses en forme de poème! Celui-là change bien les règles du genre... Une belle sorcière... et bonne en plus on peut l'imaginer! Un gentil petit loup et de méchants moutons... Et il rejoint, me semble-t-il, le propos de Jean-Marc: en matière de force et de faiblesse ne confondons pas le signifiant et le signifié.
David et Goliath... Leurs forces et leurs faiblesses ne sont pas au même endroit. On pourrait dire que le plus fort était David puisqu'il a vaincu. Or ce n'était pas gagné. Mais la vraie question est: lequel des deux entendait abuser d'une supériorité pour s'emparer du destin de l'autre...
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