« Je n’ai pas envie de jouer les héros ! »
08/09/2011
« Je n’ai pas envie de jouer les héros ! » Voilà une phrase qui avoue, qui signe une capitulation. On me la rapportait encore récemment à propos d’une conduite scandaleuse que tout le monde réprouvait mais que personne n’osait dénoncer. L’ensemble de ceux qui pouvaient y mettre un terme était pourtant plus fort que ceux qui en auraient indisposés. Mais voilà, chacun de ceux qui condamnaient dans leur for intérieur ces agissements se sentait seul. Soit il redoutait que son franc-parler se retournât contre lui-même, que l’aveu de sa critique ne fût porté à la connaissance des personnes concernées par quelque ambitieux en quête de se faire valoir. Soit personne ne considérait que les autres, bien qu’ils partageassent le même point de vue, seraient assez courageux pour, le moment venu, avancer à découvert en même temps. La confiance manquait donc dans au moins deux domaines : l’honnêteté des autres ou leur courage. Certains appellent cela « être réaliste ».
C’est ainsi que, grâce au « réalisme » des honnêtes gens, les abus de toute sorte perdurent. Comme l’a dit je ne sais plus qui, le plus grand danger ne vient pas des vrais méchants, car ils sont rares. En vérité, le plus grand danger vient des honnêtes gens qui laissent faire les méchants. Chacun se remémorera des exemples historiques ou personnels qui illustrent ce constat. Les seuls d’entre nous qui ont quelque peu retenu notre monde sur la pente de la barbarie sont ceux qui, nonobstant les plus grands risques, ont été - parfois un seul instant mais quand il le fallait - des héros. Tous ceux qui ont dit à voix haute ou dans leur barbe : « Je n’ai pas envie de jouer les héros », tous ceux-là, qui croyaient rester honnêtes parce qu’ils ne tenaient pas directement l’arme du crime ou ne profitaient pas de celui-ci, se sont faits les complices du diable.
Les hommes ont très tôt compris que, pour entraver les agissements néfastes au bien public, il fallait pallier la lâcheté de l’individu à qui le pragmatisme conseille toujours d’abdiquer sa responsabilité. C’est pourquoi, à toutes les époques et partout, on trouve des fraternités ou des confréries dont les membres se jurent le soutien réciproque qui engendre le courage et l’abnégation : les Chevaliers de la Table Ronde, les Trois Mousquetaires, les Sept Samouraïs, les Incorruptibles… Dans certaines communautés, il y avait même des épreuves initiatiques destinées à évaluer la capacité de résistance des impétrants à la tentation de se démettre. Ces communautés sont exposées, comme toute chose, aux dérives de l’entropie. La solidarité qui fait leur force peut un jour se détourner de l’idéal fondateur pour s’enliser dans la conquête et la conservation des seuls biens matériels. Les Templiers, à l’époque de Philippe IV le Bel, seraient un exemple de cette dérive. Certaines fraternités, d’ailleurs, d’entrée de jeu, se sont construites sur l’objectif d’améliorer la situation de leurs membres et leur pouvoir sur toute forme d’autorité. Mais, si l’on n’accepte pas le risque de dérive, rien n’est envisageable. Ce ne serait pas si mal si, déjà, l’on retrouvait pendant quelques lustres la noblesse d’âme des chevaliers de jadis. Nous avons besoin de héros.
Les éditions Hermann viennent de publier une sélection de chroniques de ce blog sous le titre Les ombres de la caverne : http://www.editions-hermann.fr/ficheproduit.php?lang=fr&a... Les chroniques retenues pour le livre ont été retirées de ce blog.
4 commentaires
Belle contribution à la culture perdue des grands moralistes, et un style limpide dans la lignée de l'auteur des Maximes. On analyse rarement les travers humains avec cette clarté. J'en suis admiratif
Belle contribution à la culture perdue des grands moralistes, et un style limpide dans la lignée de l'auteur des Maximes. On analyse rarement les travers humains avec cette clarté. J'en suis admiratif
Les fraternités et les communautés qui évitent le mieux les risques de dérive sont celles qui en plus d'un engagement de solidarité de chaque membre envers les autres, et les épreuves initiatiques qui garantissent que l'adhésion à cette communauté constituent en même temps un travail sur soi, propose une vision du monde fondée sur un projet et sur des valeurs dans lesquelles chaque individu peut retrouver ce qui donne du sens à sa propre vie et à sa propre histoire. L'héroïsme n'est pas toujours le comportement d'un individu flamboyant tel qu'on nous le montre dans les productions culturelles et médiatiques. Il y a aussi un petit héroïsme du quotidien, où les communautés par leur résistance discrète et efficace, évitent la disparition de ces valeurs et le basculement dans une violence aveugle (d'autant plus aveugle que la plupart du temps, elle n'est absolument pas spectaculaire mais très administrative et très rassurante).
Je vous conseille le livre "Petits actes de rébellion" de Steve Crawshaw et John Jackson. Des récits qui rendent hommage à ceux qui ne capitulent pas. Avec des exemples dans le monde et l'Histoire, de créativité et de la force des communautés contre la violence et l'oppression des puissants.
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