Echos du monde et de Monteton
18/05/2013
En cette fin d’après-midi aussi froide et grise que partout ailleurs, un rayon de soleil nous accueille alors que nous entrons dans Monteton, d'où l'on a de tout côté une vue merveilleuse sur les vallons et les coteaux alentour. Nous sommes attendus à l'Auberge du château, dans l’imposante construction d’origine féodale qui couronne le village. Sa restauration, comme celle du manoir de SAS le prince Malko Linge, ne cesse de réclamer année après année les investissements de son propriétaire. Celui-ci, pour y subvenir, ne se livre pas - à notre connaissance - à des activités secrètes mais, suivant la passion qui lui fit acquérir ces lieux, accueille au long de l’année les groupes en recherche d'une thébaïde provisoire ou des jazzmen qui font résonner les vieilles murailles d’échos inattendus. Comme nous entrons, il y a justement une répétition et le brio des musiciens donne envie de s’installer discrètement dans un coin pour les écouter, plutôt que d’aller à la conférence qui, dans un moment, sera donnée dans la salle voisine. Cette envie de contemplation musicale, je suis le premier à la ressentir car c’est moi qui suis censé intervenir tout à l’heure! Mais bientôt une vingtaine de personnes issues de la France profonde - je veux dire: de la France qui a de la profondeur - nous rejoint dans la vaste salle ancienne qu’on nous prête pour l’occasion. Un informaticien, Emmanuel, en fait partie, qui me tire d’un très mauvais pas connectique, et, une fois mes nombreux mérites rappelés - avec quelque excès gascon - par mon vieux copain d’enfance, je n’ai plus d’autre issue que de plancher.
Le projet d'Alain et de Jean-Marie, qui m’ont invité à cette première, est d’attiser la créativité locale, le désir d’expérimenter en dehors des sentiers battus, autour de ces deux enjeux de l'époque que sont le ravigotage du lien social et la lutte contre l'appauvrissement de notre société. Autrement dit, comme le rappellerait mon ancien condisciple du lycée Georges-Leygues, Maurice Obadia, que je citerai dans un moment, il est question à la fois de l’économie matérielle et de l’économie relationnelle. Ma contribution à ce lancement, c'est de dresser le constat de notre situation actuelle et de montrer les pistes qu’explore déjà, partout sur la planète, un fourmillement inspirant d’acteurs locaux.
Vous n’en serez pas surpris, j’ai choisi pour titre à mon intervention: «De la crise à la métamorphose». Mon propos liminaire sera de dire, comme je le fais sur ce blog, que le logiciel "crise" n'est pas pertinent pour comprendre vraiment ce qui nous arrive et agir en conséquence. C'est un logiciel pour retrouver un statu quo ante, pour revenir à ce qui a déjà existé. Or, en ce qui concerne nos sociétés, le statu quo ante - en bref la croissance pourvoyeuse d’emplois et de bien-être - est à tout jamais inaccessible. On peut en cultiver la nostalgie, mais on ne le ressuscitera pas. De ce qui n’existe plus, il vaut donc mieux se détourner pour regarder vers ce qui n’existe pas encore et dont nous pouvons devenir les ouvriers. C’est pourquoi le bon logiciel, à mon sens, est celui de la métamorphose. Sous les coups de boutoir des héritiers d'Herbert Spencer et de Milton Friedman, mais aussi sous le poids de nos dérives collectives, le monde que nous avons connu et que nous quittons à regret se décompose. D'un monde à un autre, d'un monde qui se décompose à un monde à recomposer, la transition passe par le chaos. Nous en vivons aujourd’hui les premiers ébranlements. La perspective peut faire peur, mais, d’une part, la peur ne chasse pas le danger et, d’autre part, souvenons-nous que le chaos est créateur. En son sein, rien n'est joué, les forces et les volontés s'opposent, s’associent, se combinent, parfois de manière inattendue, et elles peuvent produire le meilleur ou le pire. C'est donc là que nous devons être si nous voulons que la métamorphose dont le chaos est le creuset ne se fasse contre nos espoirs d’un monde meilleur.
Ce prochain monde peut se façonner depuis le haut comme par le bas. J’ai hélas! la conviction que, depuis le haut, nous n’avons pas grand chose de bon à attendre, compte tenu du manque de recul et de réflexion de la classe politique mais aussi du pouvoir immense et croissant des capitaux privés sur la planète. La loi qui, aux Etats-unis, vient de conférer l’impunité à Monsanto est un révélateur de certaines des forces présentes au sein du chaos. C’est un terrain sur lequel, nous, simples citoyens, avons peu d’avantages. A ces deux stratégies - par le haut ou par le bas - correspondent deux formes de conquête: la prise héroïque et sanglante de la place-forte - vaincre ou périr - ou bien les «transformations silencieuses» dont parle l’excellent philosophe François Jullien. Autrement dit: le jeu d’échec ou le jeu de go. Le livre de Bénédicte Manier: «Un million de révolutions tranquilles» fait référence à la recomposition d’un monde par le bas. Ce que j’appelle, quant à moi, «la stratégie des pixels»: au début, un, deux, trois points qui changent sur une photographie ne font pas une grande différence. A l’oeil nu, on ne le voit même pas. Mais, si la propagation devient virale, l’image sera un jour méconnaissable, comme ces enfants que l’on n’a pas vu grandir.
Alors, une fois dressé le constat inquiétant des menaces qui pèsent sur nos sociétés, sur notre façon de vivre et, par dessus tout, sur nos libertés, j’évoque une poignée d’expériences tirées de ce «million de révolutions tranquilles» que je trouve inspirantes pour mon auditoire. Par exemple: la plateforme «mon Ecocity» que vient de lancer en France mon ami Francis Karolewicz, le «Slow Money» de la valeureuse Carol Peppe Hewitt en Caroline du Nord, le mouvement des Villes de Transition du résilient Rob Hopkins, la démarche exemplaire de Gérard et Béatrice Barras dans la banlieue de Valence... Je n’ai garde d’oublier les promoteurs de monnaies complémentaires qui, en ce weekend de Pentecôte, tout près d’où nous sommes, à Villeneuve-sur-Lot, tiennent pour la première fois leurs Assises nationales... J’en viens tout naturellement à parler aussi des «Incroyables comestibles» dont le premier mérite, à mon sens, est de rendre sa légitimité à cette joie du don qu’a disqualifiée, sans heureusement l’éradiquer, notre monde obsédé de «business». C’est alors qu’un jeune homme, à ma gauche, s’agite et lève la main: «Justement! A Marmande, on se lance la semaine prochaine!" Quel bonheur d'avoir ce genre d'écho! Cher Jean-François, longue vie aux Incroyables Comestibles du Marmandais!
Les dégâts de la décomposition du monde qui nous quitte - dégâts sociaux, écologiques, économiques, politiques, anthropologiques même - d’ores et déjà sont immenses. Les menaces sont lourdes. La tâche sera longue et ardue - mais elle peut s’accomplir dans la joie de la création et du faire ensemble. Puissions-nous tirer du chaos un monde meilleur sans avoir à emprunter un autre chemin que celui des révolutions tranquilles et des transformations silencieuses! Avec la publication de Commencements, avec des conférences comme celle d’avant-hier soir, c’est sur ce chemin que j’ai choisi d’avancer, en invitant à m’y rejoindre tous ceux que l’aventure tentera!
Liens:
http://www.transitionnetwork.org
http://www.incredible-edible.info/?p=2051
2 commentaires
Avance, cher Thierry, avance donc jusqu'à La Coursive ce mardi ! Nous t'y attendons dès lundi soir avec asperges et magrets, l'ami Jean-François et d'autres bons vivants et donzelles pleines d'esprit !
Une petite pub (j'espère cher Thierry que tu ne m'en voudrais pas) pour le livre de notre amie Natacha Rozentalis "Passeport pour la métamorphose", paru il y a peu aux Editions de la Fabrique Narrative (en vente uniquement sur www.lulu.com). La propose de Natacha est parfaitement en résonance avec le contenu de ce post.
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