Systèmes immunitaires 6/7
03/02/2023
Seule l’obéissance vous sauvera
L’imprégnation culturelle en douceur n’est qu’un des aspects de ce à quoi sont exposés les systèmes immunitaires du corps social: par la retouche progressive de nos récits, la modification insensible de notre identité nous conduit à nous renier pour donner l’avantage à d’autres intérêts que les nôtres. Dans ce domaine des manipulations exercées sur les peuples, nous sommes aujourd’hui confrontés à deux autres stratégies, fort différentes l’une de l’autre, opposées dans leurs modalités mais complices dans leurs effets: l’ingénierie sociale et la déconstruction.
Edward Bernays (1891-1995), neveu de Freud dont les découvertes l’inspirèrent, fut le brillant initiateur de l’ingénierie de l’influence. Alors que le président Woodrow Wilson avait promis en 1916 que les Etats-unis n’entreraient pas en guerre, il fallut faire accepter à l‘opinion publique américaine le retournement qui conduisit à envoyer quelques centaines de milliers d’hommes en Europe en 1917. Le jeune Bernays participa à la création d’un dispositif qui utilisa notamment le charisme qu’avaient les acteurs de cinéma auprès du public. Parmi ses autres exploits, Bernays convainquit plus tard les Américaines que fumer était un enjeu pour elles, ce qui accrut le chiffre d’affaires des industriels du tabac qui le rémunéraient, et il inventa, entouré de cautions scientifiques diverses, le « vrai petit-déjeuner américain » dont l’objectif réel était de faire vendre le bacon de ses clients éleveurs de porcs. Nous lui devons ainsi la pratique du recours aux « peoples » ainsi qu’aux scientifiques de média, que nous avons vus les uns et les autres à l’oeuvre à l‘occasion de la « crise sanitaire ». En 1954, l’agence de presse de Bernays, largement relayée, présentera le président démocratiquement élu du Guatemala comme un communiste, cela afin d’aider la multinationale United Fruit Company à le renverser pour le remplacer par une de ses créatures. C’était une pratique courante pour cette compagnie en Amérique latine: l’expression « république bananière » y trouve son origine.
Bernays n’était pas qu’un homme de marketing. Il avait aussi une pensée politique et était convaincu que la démocratie n’est viable qu’à condition de manipuler l’opinion publique. Dans son livre Propaganda (1928), il a posé les bases techniques de la « fabrique du consentement ». Une telle conviction soulève des questions. Elle implique en effet qu’il y a une élite légitime à accomplir cette manipulation. Mais comment cette élite émerge-t-elle ? D’où tire-t-elle sa légitimité ? Se trouve-t-elle parmi les politiciens élus par le peuple ? Vous aurez une partie de la réponse en observant un phénomène comme le World Economic Forum qui se réunit chaque année à Davos: cette élite se compose de gens qui dominent financièrement la planète, elle se regarde elle-même, elle est auto-proclamée, et les politiques n’en sont que les instruments. L’habileté de Klaus Schwab a été de réunir cette population de sorte qu’année après année, avec l’aide d’experts choisis, elle se donne un même regard sur l’avenir du monde, adopte les mêmes enjeux et, par delà ses divergences naturelles, apprenne à se ranger derrière des objectifs communs. Mais subsiste une question de fond: les décisions doivent-elles être réservées à des gens qui, du fait qu’ils ont su s’enrichir, auraient les capacités d’en prendre de meilleures que les peuples, ou bien doivent-elles être laissées aux peuples au risque qu’ils se trompent ? Et, question plus importante que celle de l’efficacité des choix: que se passe-t-il si ce pouvoir de fait se retourne contre les peuples ?
Les techniques de fabrique du consentement, nous les avons vues à l’oeuvre avec les mesures « sanitaires » de nombreux gouvernements qui n’ont pu finalement dissimuler l’omniprésence de la société McKinsey, experte en campagnes électorales et en ingénierie d’influence. Au commencement, il y a un danger. Face au danger, trois types de réaction sont possibles: fuir, se battre, s’immobiliser. En anglais, on parle des « trois f » pour fight, fly or freeze. Le troisième terme est plus expressif qu’en français: « geler » est la réaction en général recherchée au tout premier temps d’une opération d’extorsion du consentement. D’autant que le danger - un virus - échappe à nos perceptions et que le fuir ou le combattre n’a aucune pertinence pour le vulgum pecus. C’est la « stratégie du choc »* qui provoque l’inhibition de nos systèmes immunitaires intellectuels et sociaux. Comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, une déflagration soudaine de peur - « Nous sommes en guerre! » - tétanise toute tentative de prendre du recul, de réfléchir. L’urgence, sauf à choisir la mort, c’est « Tous aux abris! » Ensuite, il s’agit d’éviter que les gens reprennent leurs esprits. Dans une folle bousculade, alternent alors le martelage des informations alarmantes - par exemple le décompte quotidien des morts, images à l’appui - et les injonctions à enchaîner des actes servant à enraciner progressivement des comportements de docilité. Le message implicite est: "Seule l’obéissance vous sauvera".
Outre la peur d’un danger que l’on ne peut vérifier par soi-même, l’ingénierie recourt à certains procédés pour détourner le libre-arbitre individuel vers la servitude volontaire. Se donner à soi-même une autorisation de sortie est subtil, car vous pourriez être tenté de rejeter un ordre purement extérieur, alors qu’en vous délivrant vous-même cette autorisation vous faites usage de votre liberté - vous décidez de sortir ou non, vous choisissez le moment où vous le ferez - tout en intériorisant la restriction de liberté qui est à la base de ce dispositif. Les consignes comme l’obligation de rester assis ou debout pour prendre un café, ou l’interdiction de s’asseoir fût-ce trente secondes sur une plage au grand air (les « plages dynamiques »), ont pour objectif l’adhésion au discours officiel: vous ne pouvez vous justifier d’obéir à de telles stupidités qu’à condition de cautionner le discours pseudo-scientifique qui les a promues. Il ne manque plus à ce dispositif que le panopticon dont le philosophe anglais Jeremy Bentham (1748-1832) a inventé le concept. Le panopticon est une prison dont le gardien est invisible et où les prisonniers peuvent se surveiller les uns les autres. L’ennemi - le virus - étant invisible et pouvant être oublié, le masque rappellera son existence, mais, en même temps, il rendra visible le respect qu’en le mettant chacun porte à la santé des autres. Simultanément, la condamnation et la censure de toute opinion divergente sur les médias et les grands réseaux sociaux, créera le sentiment dans le public qu’aucune autre représentation de la réalité n’est possible. Vous voilà dans l’aquarium sphérique du poisson rouge, où vous ne pouvez que tourner en rond**.
(à suivre)
* Naomi Klein, La stratégie du choc, Actes Sud, 2008.
** Plusieurs analyses ont été faites des moyens d’extorquer le consentement. On pourra par exemple se reporter aux travaux d’Ariane Bilheran https://www.arianebilheran.com/
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