Systèmes immunitaires 7/7
07/02/2023
Puritanisme
Ce que nous venons de voir est la stratégie d’une autorité centrale, dominante, qui, sans utiliser la force brutale, veut intimer l’obéissance à une population. Le principe est que le matraquage doit être seulement mental afin de ne pas susciter de réactions de révolte. C’est donc par une tétanisation initiale puis par les pièges issus de la théorie de l’engagement - l’autorisation auto-délivrée et les premiers petits gestes de soumission qui faciliteront les suivants - qu’elle va obtenir le comportement visé, jusqu’à l’acceptation par une majorité de la population de se faire injecter une substance expérimentale - mais aussi celle de cautionner la suspension des professionnels qui ont refusé cette injection et l’interdiction d’exercer aux médecins qui ont osé soigner et guérir.
Ce que nous allons survoler maintenant est d’un autre ordre. Il s’agit de la stratégie de minorités parfois microscopiques et qui ne disposent pas du pouvoir central, afin de lézarder le système culturel d’une société. N’oublions cependant pas que, pour sembler émaner d’intérêts différents et avoir des objectifs limités, ces minorités, par leurs actions, consciemment ou non, volontairement ou non, peuvent servir les desseins plus larges d’autres pouvoirs situés en amont de leurs agitations. Certains magnats sont passés maîtres dans l’art de subventionner les idiots utiles de tout poil pour faire advenir le monde qu’ils veulent: une société liquide où chacun n’est plus qu’une molécule au sein d’un courant que l’on oriente où l’on veut. On peut d’ailleurs imaginer qu’un peuple sans mémoire se trouve un jour face à la stratégie d’un état central telle que je l’ai précédemment évoquée: faute des références, des avertissements que pourrait lui procurer son passé, il manquerait des outils d’analyse pour discerner ce qui se passe, et les ressorts de l’action - par exemple la mémoire de la Résistance - lui feraient défaut.
Si, derrière la cancel culture ou le wokisme, on peut voir des causes hétérogènes, leur modus operandi est le même: miner. Miner ce qui fait la résistance d’une population à ce qu’on veut lui faire accepter. Miner, donc, les éléments de sa culture, ses structures traditionnelles, ses valeurs, son identité, et bien sûr les symboles et les récits qui assurent leur transmission. Par delà la diversité et la spécificité des luttes le résultat est de vermouler la société comme le feraient d’une charpente des insectes d’espèces différentes. Au delà des causes diverses qui s’expriment, toutes ces revendications servent au final, nolens volens, le désir d’une élite d’en finir à la fois avec la résistance de l’humain qui empêche d’installer les solutions qu’elle imagine aux différents périls planétaires qu’on lui attribue, et avec son manque de malléabilité qui empêche de pousser à l’extrême toutes les expériences de transformation imaginables de l’espèce, dont celles que propose le transhumanisme.
Cachez ce sein ?
Il y aurait en France certaines populations que la vue de certaines choses est susceptible d’offenser ou tout au moins de mettre mal à l’aise. En tout cas, c'est ce que certains prétendent. Par respect pour ces populations sensibles, par fraternité même pourrait-on dire, il convient de leur épargner ces confrontations gênantes. Mais s’agit-il en l’occurrence du plug anal de Paul McCarthy, qui fut dressé place Vendôme, du « vagin de la reine » d’Anish Kapoor exposé au château de Versailles, de la statue de « femme pissant debout » érigée à Nantes, ou des « performances » exhibitionnistes de certains artistes ? Bien sûr que non! La source de possibles malaises serait des aspects obscènes de notre histoire et de nos traditions populaires, et les victimes en seraient des populations de culture étrangère. Par exemple, selon une certaine porte-parole politique, il conviendrait que Noël ne s’appelle plus Noël afin de ne pas choquer les musulmans qui vivent en France*. Cela signifie donc que c’est à notre culture de faire le sacrifice d’elle-même. Mais où est la logique de s’effacer devant l’autre qui, lui, ne s’efface pas ? Où cela nous conduit-il ?
Les statues à caractère religieux et les crèches font l’objet d’assauts réguliers qui se légitiment de la laïcité. Croyez-vous qu’une statue de Saint-Michel dressée à un carrefour endoctrine les foules qui passent devant elle ? N’est-elle pas plutôt perçue distraitement comme une oeuvre d’art, un repère géographique ? Aujourd’hui, cette persécution des signes religieux prend, selon moi, des significations supplémentaires. Alors que l’on veut initier les enfants très tôt au café du pauvre, les encourager à douter de leur sexe et à demander les mutilations « trans » avant même qu’ils aient atteint l’adolescence; alors que Disney sur-représente dans ses dessins animés certaines options de genre plus exhibitionnistes que significatives, qu’une commune invite des drag queens à faire un spectacle scolaire, la vue d’une crèche, avec « un papa, une maman et un bébé » - une famille réactionnaire - représente un frein à l’évolution que veulent certains**.
La cancel culture vient des Etats-Unis où le puritanisme des origines, contrairement aux apparences, a laissé une marque profonde. Le contenu de la notion de pureté a changé, mais des sorcières de Salem à la cancel culture et au wokisme en passant par le maccarthysme, l’habitus est le même. Il s’agit de chasser et de purifier. Aujourd’hui, en résumé, il s’agit d’effacer tout ce qui, pour quelque groupuscule que ce soit, peut nourrir un grief. Ainsi on débaptisera des rues et des places, on déboulonnera des statues, on pratiquera la censure des oeuvres. C’est à la fois un courant et, me semble-il, une posture, voire un trouble obsessionnel compulsif. Peu importe ce que tel ou tel personnage a pu apporter de bénéfique en dehors de ce qui lui est reproché à tort ou à raison. Le puritanisme ne supporte que les purs. Je prends un exemple, en Vendée: celui du lycée Soljenitsyne. En 2022, un groupuscule pompeusement appelé « collectif » reproche au dissident russe, mort en 2008, sa proximité de Poutine et demande que l’établissement change de nom. Que Soljenitsyne ait été, dans la guerre contre l’armée nazie, un officier d’artillerie exemplaire ne compte pas. Qu’il ait été condamné, en 1945, à huit années de camp disciplinaire pour avoir critiqué Staline ne compte pas. Que le territoire de la Russie lui ait été interdit jusqu’en 1959 ne compte pas. Qu’il ait été le premier à révéler l’existence des camps en URSS ne compte pas. Que, sous Brejnev, la police ait saisi ses manuscrits ne compte pas. Qu’en 1974, il ait été déchu de sa citoyenneté et expulsé de son pays ne compte pas. Qu’il ait révélé au monde entier le fonctionnement de l’univers concentrationnaire de l’URSS ne compte pas. Non, la seule chose à retenir de cette vie, ce n’est même pas le prix Nobel, c’est sa proximité de Vladimir Poutine, le chef de l’Etat de son propre pays. Mais qui donc sont ceux qui prétendent juger cet homme à titre posthume ? Quels états de service supérieurs aux siens ont-ils à nous montrer ?
On me dira que j’aurais pu prendre un personnage moins facile à défendre que celui de Soljenitsyne, par exemple celui de Napoléon Ier dont la statue équestre, à La Roche-sur-Yon, a également été menacée. Il est incontestable que l’on aurait pu se passer de son épopée guerrière, encore que, selon certains, on peut y voir l’exportation d’une violence que la Révolution avait exacerbée. Même si l’on ne partage pas cette analyse, faut-il pour autant tenir pour dérisoire que Napoléon ait mis un terme à un chaos interminable, re-stabilisé le pouvoir, laissé des institutions solides et un socle législatif dont nous bénéficions encore ? Faut-il oublier - on me dira que c’est secondaire - qu’il a fait indemniser les Vendéens afin qu’ils pussent reconstruire les milliers de maisons détruites sur ordre par l’armée française en 1793 et 1794 ?*** Le puritanisme dont sont issus le wokisme et la cancel culture ne supporte que les purs. Mais les purs n’existent pas****. Si vous ne voulez que des ancêtres parfaits en tout point, préparez-vous à n’avoir plus d’ancêtres, comme les Aborigènes d'Australie après la colonisation. Cherchez à qui ce crime profitera.
Parce qu’il faut bien conclure...
Au terme de cette longue chronique, ma conclusion sera lapidaire. La faiblesse n’a pas sa place dans le destin d’un peuple. Louis XVI était peut-être bonasse, moralement il ne méritait pas ce qui lui est arrivé, mais il a fini la tête sur le billot. Notre culture a la tête sur le billot. Une de nos faiblesses est de vouloir être aimé jusqu’à, peu à peu, nous renoncer. D’une manière générale, nous fuyons les situations conflictuelles. Alors, nous avons une disposition naturelle à faire plaisir, et il nous est insupportable d’être qualifiés d’arriérés, d’égoïstes, de phobiques de ceci ou de cela. Il nous est pénible de devoir prendre des positions minoritaires. Ceux qui veulent nous influencer le savent. Nous devons nous méfier d’autant plus de la technique du salami: elle consiste pour celui qui veut obtenir quelque chose à ne nous demander que de petits "riens". Au surplus, ces riens peuvent être argumentés sur un plan moral ou affectif. Pour en finir en gardant l’image d’une « brave » personne, nous serons tentés de faire des concessions. A nos yeux, elles seront minimes, négligeables. En réalité, elles seront comme le dernier petit verre de l’alcoolique: chacune d’elles en entraînera tôt ou tard une autre. Cela d’autant que nos faiblesses sont vite repérées et exploitées. On verra par exemple que vous êtes facile à culpabiliser. En mai 68, on accusait de n’être pas libérée la fille qui refusait de coucher avec le premier compagnon révolutionnaire venu, et si le demandeur en plus était un homme de couleur, elle se faisait traiter de raciste. C’est le même procédé.
Nous avons un besoin essentiel de respect de nous-mêmes par nous-mêmes. Nous avons un besoin urgent de lucidité et de courage. En résumé: nous avons besoin de vrais citoyens. Nous avons perdu pied dans notre histoire. Par de multiples attaques, au long des années, de multiples intérêts ont quasiment effacé notre âme. Si je devais créer une université de la citoyenneté, je demanderais que l’on nous y enseigne l’histoire et nous forme à la vigilance. Nous devons savoir repérer de loin les virus qui tentent de s’infiltrer dans notre culture pour la miner. Nous devons apprendre à reconnaître les diverses formes de manipulation qui vont de la culpabilisation larvée à la stratégie du choc pour nous conduire à consentir à n’importe quoi. Nous devons aussi apprendre - et c’est le plus difficile peut-être - à accepter de n'être pas aimés de la terre entière. Dans certaines circonstances, l’avantage va à celui qui, sans détester quiconque, se moque d’être lui-même détesté.
* Lesquels d’ailleurs semblent n’avoir rien demandé de tel.
** Le symbole de la Sainte-Famille n’est d’ailleurs qu’un des éléments qui, dans certains milieux, fait du christianisme la plus haïssable des religions. Je consacrerai prochainement à ce sujet une chronique spécifique.
*** https://www.youtube.com/watch?v=z66PqYqkimY
**** Ou alors, ils sont terrifiants. Cf. la Révolution française.
1 commentaire
Pour ceux qui auraient encore des doutes sur ton propos: https://odysee.com/@TVL:e/2023-01-31---Chaillot-Odysee-720p:0
Les commentaires sont fermés.