Haïssable religion ?
11/02/2023
Du fanatisme et de l’intolérance
Je veux bien entendre le discours des partisans de la laïcité sur les signes religieux dans l’espace public, même si je les trouve d’une mesquinerie obsessionnelle. Comme je l’ai déjà écrit, quel danger peut représenter pour les citoyens la vue d’une statue de Saint-Michel à un rond-point, ou d’un calvaire en rase campagne ? Mais, enfin, reconnaissons qu’ils sont logiques avec eux-mêmes. Ils jurent encore dans la parole d’un de leurs maîtres: « Il faut écraser l’infâme! »* C’est-à-dire, pour reprendre la formule de Claude Bernard, tout ce que l’on ne peut trouver « sous le scalpel » et qui relèverait donc de superstitions nuisibles à la santé mentale. On peut comprendre le souci des partisans de la laïcité si, des religions, on ne retient que l’intolérance qui, entre autres choses, mène aux persécutions et à l’obstruction à la science, et si on fait de ces phénomènes une spécificité du fait religieux. Mais c’est justement sur ce second point, la spécificité de l’intolérance, qu’il y a matière à réfléchir.
Faisons-nous l’avocat du diable. Le concept d’hérésie - a priori typiquement religieux - pourrait n’être en lui-même qu’une manière de circonscrire le dogme officiel, mais il s’aggrave du sort qui à certaines époques fut réservé aux hérétiques. Sans remonter, en Europe, à la croisade contre les Albigeois, la seule affaire Calas a de quoi retourner les sangs. Jean Calas, marchand d’étoffes à Toulouse, protestant, est accusé d’avoir étranglé l’un de ses fils qui voulait se convertir au catholicisme. Il n’y a pas l’ombre du quart d’une preuve, mais Calas - qui jusqu’au bout criera son innocence - souffre en tant que protestant et en raison du projet de son fils d’un préjugé défavorable. Il subira la torture, aura les membres brisés sur la roue en place publique et, pour abréger son supplice, par faveur du tribunal, sera étranglé. Voltaire, ayant d’abord cru en la culpabilité de Calas, rencontrera à Genève un autre de ses fils. Au terme de leurs discussions, il changera d’avis et aidera brillamment à sa réhabilitation. Quant à l’obstruction à la science, elle est illustrée en Europe par l’histoire emblématique de Galilée, sommé par l’Eglise de renier sa théorie de la Terre qui tourne. Dans l’affaire Calas comme dans l’affaire Galilée, on peut considérer ce point commun: l’entrave à la révélation de la vérité. On peut donc charger la religion de crimes indéniables et l’histoire des sorcières de Salem, de Michel Servet, mais aussi des nombreux chrétiens qui, de nos jours, souffrent et meurent de persécutions larvées ou directes à cause de leur foi, est là pour en témoigner.
Mais s’agit-il d’une dérive spécifique à la religion ? En ce qui concerne le christianisme dont notre civilisation est issue, on peut se demander à quel moment Jésus a prescrit de faire souffrir et tuer les gens pour leurs opinions ? N’est-ce pas lui, au contraire, qui s’est livré à la torture et à la crucifixion ? Ne s’agit-il donc pas, plutôt que d’un fait spécifiquement religieux, d’une instrumentalisation de la religion ? L’intolérance n’est-elle pas plutôt un comportement trop humain qui n’a besoin que d’un os à ronger, qu’il soit ou non religieux, pour s’exacerber ? J’ai maintes fois évoqué ici l’histoire d’Ignace Semmelweis (1818-1865) qui avait soupçonné la cause des fièvres puerpérales dont mourraient principalement les femmes des milieux pauvres - celles qui n’accouchaient pas chez elles mais à l’hôpital. Sur une intuition, il demanda aux médecins et aux étudiants qui passaient directement des salles de dissection des cadavres aux salles d’accouchement de se laver les mains. Le nombre des décès chuta spectaculairement. Mais voilà, quand il présenta son hypothèse à ces messieurs ce fut le scandale: ils véhiculaient, leur dit-il, un facteur invisible. « Un facteur invisible ! Mais c’est de la superstition, de l’obscurantisme! Au temps des Lumières ! On se moque de nous! » On cessa de se laver les mains, les décès reprirent de plus belle sans que personne, considérant cette coïncidence, revînt en arrière. Semmelweis finit dans un asile de fous, maltraités par les infirmiers. Bien sûr, on ne lui a pas fait subir la question ordinaire comme à Calas; on ne lui a pas cloué la langue sur un tasseau et on ne l’a pas brûlé vif comme Giordano Bruno. Mais, outre la folie dont il est mort, que penser des milliers de femmes qui continuèrent de mourir jusqu’à ce que le microscope de Pasteur révélât l’existence des bactéries ? Ce qui m’intéresse dans cet exemple est le processus mental qui, en dépit de l’invocation des Lumières, fait l’amalgame entre l’hypothèse d’une cause invisible et un retour de l’obscurantisme. Un tel raisonnement n’est pas scientifique, il relève de la pensée magique.
La disposition à établir une doxa, à diagnostiquer des hérésies et à persécuter les hérétiques relève davantage d’une tournure des passions humaines que spécifiquement de la religion. On pourrait évoquer, dans un autre domaine, les pays emportés par la vague du communisme. On pourrait évoquer, n’en déplaise à certains, la Révolution française ! Combien de têtes sont-elles tombées du fait de l’intolérance et du fanatisme ?
Mais, beaucoup plus proche de nous, on pourrait aussi se repasser le film de la « crise sanitaire », des empoignades qu’il y eut autour de la nature du coronavirus, des mesures prises et des traitements à refuser ou appliquer. Au motif de sauver des vies sinon des âmes, l’intolérance a fait merveille. Les injures, les malédictions et les anathèmes ont fusé de partout. C’est allé jusqu’à ce qu’un médicastre de Nantes menace de mort le professeur Raoult et qu’un homme politique s’exprime grossièrement à l’encontre des personnes refusant les injections expérimentales***. C’est allé jusqu’à ce que l’on traite de vieillard gâteux un de nos prix Nobel de médecine et qu’il soit inhumé dans le silence officiel. C’est allé jusqu’à un usage inouï de la censure: on a cloué la langue des dissidents, faisant ainsi obstruction à la recherche de la vérité. Au nom de la science, on a fait taire ce qu’il y a de plus scientifique dans la démarche scientifique: le doute et le questionnement. Et c’est allé - cela rappellera la triste histoire de Semmelweis - jusqu’à ce que des malades meurent par milliers de l’interdiction des traitements précoces. Nous avons assisté à une forme d’ayatollisation qui n’a toujours pas fait amende honorable. Imaginez pourtant les discours que l’on aurait entendus si une religion avait été la source de ces violences, de ces dégâts et de ces drames.
La corruption, certes, peut expliquer en partie ces comportements et l’enquête dont rend compte le livre « Les gardiens de la raison »* démontre qu’elle existe et à une échelle impressionnante dans les milieux de la santé. Mais, selon moi, cette explication ne couvre pas l’ensemble du phénomène. La bonne foi, la conviction de défendre la juste cause, peuvent aussi expliquer l’extrémisme des conduites. Plus encore, peut-être, l’attachement à une représentation du progrès, aux thérapies qui mettent en valeur l’ingénierie des laboratoires. Vous imaginez, indépendamment des aspects financiers, si les acrobaties technologiques venaient à être bêtement battues par un simple remède contre la gale ou la malaria ? A maladie complexe, il faut un remède complexe ! Chez les blouses blanches, le sentiment de détenir la vérité, en particulier face à des ignorants qui freinent des quatre pattes, exacerbe les tendances autoritaristes de l’humain. Donnez un os à un chien et quand vous vous approcherez de lui, il grondera et menacera de vous mordre. La religion n’est qu’un os parmi d’autres dont notre espèce peut nourrir ses dérives. Les idéologies scientifiques et politiques font tout aussi bien l’affaire.
Une autre chose est à prendre en compte: l’institutionnalisation. Lors d’un débat entre Edgar Morin, Frédéric Lenoir et Régis Debray, l’un d’entre eux déclara (je crois que c’était Régis Debray): « L’Eglise a la lourde tâche de transmettre un message qui la condamne ». Nous touchons là à une autre source du fanatisme: le corporatisme. Quand le message procure une légitimité à une institution, menacer le message menace l’institution, et les réactions de celle-ci peuvent l’éloigner du message. En outre les institutions sont imbriquées dans le monde et ses adversités. Comme l’a écrit je ne sais plus qui: « le moine peut faire voeu de pauvreté, pas le couvent ». Dès qu’il y a institutionnalisation, il y a l’apparition de nouvelles contraintes et l’on rentre dans un jeu avec les autres acteurs de la société. La condamnation de Jeanne d’Arc par l’évêque Cauchon en est l'illustration.
Une institution qui se sent défiée défendra son autorité plutôt que ses valeurs. Elle se crispera jusqu’à lancer, en s’appuyant sur la peur, la chasses aux sorcières - s'agissant du covid, les médecins qui soignent. Elle fera des procès et excommuniera - les conseils disciplinaires de l'Ordre des Médecins et les radiations. Lors de la crise sanitaire, où a-t-on vu les réactions les plus saines dans le secteur médical ? Chez des individus courageux, souvent solitaires, qui avaient continué à penser et à avoir le souci de l’humain. Où a-t-on vu les inquisiteurs les plus bornés et les plus fanatiques ? Où ce fanatisme sévit-il encore malgré les démentis qui arrivent de plus en plus nombreux ? Qui dénonce les médecins dont les ordonnances trahissent la liberté de prescrire ? Qui continue d’excommunier des professionnels de la santé qui ont fait état de leurs doutes quant à la politique sanitaire** ?
D’évidence, l’intolérance et le fanatisme font facilement rage au sein de la société, et la religion n’y a rien à voir - et la laïcité rien à dire !
* Voltaire.
** Injections dont on commence à voir les dégâts aujourd’hui, malgré l’omerta de la presse subventionnée: https://odysee.com/@TVL:e/2023-01-31---Chaillot-Odysee-72...
*** Stéphane Foucart, Stéphane Horel, Sylvain Laurens, Les gardiens de la raison, Enquête sur la désinformation scientifique, La Découverte, 2020.
**** Exemple récent: https://lemediaen442.fr/dr-amine-umlil-la-revocation-brut...
1 commentaire
Ce fanatisme et cette intolérance ont engendré une violence verbale qui est coupable : Michel Onfray, Thomas Porcher, Le Chypre de la part de personnes qui auraient dû tout, au contraire, apaiser.
Signé: "le hérisson".
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