Oser déplaire
22/01/2012
Je vois que, parfois – et trop souvent à mon goût – certains histrions de la politique se recommandent de Charles de Gaulle. Pour mes lecteurs assidus, il n’y a pas de mystère, je suis un admirateur de l’Homme du 18 juin. Je ne reprocherai pas à ceux qui n’ont pas eu de circonstances historiques exceptionnelles pour se révéler de ne pas réussir à se hausser à sa hauteur. Ce que je ne supporte pas, en revanche, c’est qu’on se réclame de lui à tort et à travers et sans en incarner les valeurs personnelles.
De Gaulle a été tout ce qu’on veut sauf un réaliste à la mode d’aujourd’hui, ce réalisme dont on nous bassine et qui est très proche de celui de Philippe Pétain. Le réalisme d’aujourd’hui, comme celui de la débâcle de 1939, consiste à courber l’échine devant la « force des choses » et à honorer des lois qui ne reflètent que l’idéologie et l’arbitraire des plus forts ou des plus malins. Ce réalisme revient à s’enfermer dans ses problèmes et, d’une certaine manière, à considérer que ce qui nous arrive est le prix de nos péchés. La France n’est pas assez compétitive, elle se fait battre, et c’est la faute des Français qui sont paresseux, c’est la faute des congés payés ou des 35 heures, c’est la faute de notre système social dispendieux, de notre déni des valeurs véritables que sont l’ordre, l’obéissance et le travail. Regardez l’Allemagne : malgré le poids du traité de Versailles, elle s’est relevée, musclée, armée ! Malgré la réintégration de la RDA, elle est aujourd’hui le pays fort de l’Europe. Allez, pauvres Français, battez votre coulpe, ce qui vous arrive, vous l’avez mérité et pour vous en sortir, acceptez qu’on vous étrille !
A la différence de ces prophètes de l’abaissement, au milieu de la débâcle de 39 Gaulle reste persuadé de la grandeur de la France et se comporte comme tel. Il a cette première valeur, le courage, dans laquelle on reconnaît le mot cœur, et qui n’a rien à voir avec l’agitation, les coups de gueule, les rodomontades de nos professionnels de la petite phrase et du froncement de sourcil. Il est plus facile de dire qu’on reste droit dans ses bottes que de le rester. Le vrai courage, l’intelligence supérieure, c’est d’abord de croire grand et d’être fidèle à ce que l’on croît, même et surtout quand un monde s’effondre. Il s’agit de voir grand, il s’agit aussi de voir large. Quand Pétain constate – et consacre - l’impuissance d’un pays vaincu, démoralisé de sa défaite, de Gaulle voit au-delà des limites du moment, il voit les ressources qui subsistent et celles qui naîtront demain de l’évolution de la situation. « La France n’est pas seule » martèle-t-il le 18 juin 1940. Et d’évoquer le vaste empire et la dérive du conflit européen vers une dimension planétaire.
Alors, techniquement, je ne sais pas ce que de Gaulle ferait dans la souricière financière et économique où nous nous retrouvons. Mais ce dont je suis sûr, c’est qu’il serait mû par cette certaine idée de la France qui ouvre ses Mémoires de Guerre et qu'il ne s'embarrasserait pas de l'opinion de ceux qui ne veulent pas notre bien. Il pourrait proposer une voie difficile – celle de la Résistance ne l’était-elle pas ? – et ne promettre d’abord, comme Churchill le fit alors pour les Anglais, que « du sang et des larmes ». Il pourrait proposer une voie qui heurte certaines conventions - et on entendrait comme jadis coasser les grenouilles. Au mépris de ce qu’on pense à Carpentras, à Washington, dans les dîners en ville ou les agences, il choisirait ce qui est bon pour la France et les Français, avec même un certain plaisir à voir « tout ce qui grouille, grenouille, scribouille ». Mais nul doute que ce chemin le moins fréquenté – pour reprendre un titre de Scott Peck - serait plus fécond que l'agenouillement permanent et docile devant les agences de notation. Tout finit sans doute par la technique, mais tout commence par la posture et en dépend, y compris l’intelligence d’une situation.
Billevesées que ce que je viens d’écrire ? Il y a pourtant un pays, en ces temps de misère, qui a choisi, avec un culot que certains ont jugé obscène, ce chemin le moins fréquenté, un chemin qui, comme souvent, n’est pas celui de la conformité et du souci du qu’en-dira-t-on. Il s’agit de l’Islande. On se souvient combien ce pays, qui bénéficiait du fameux triple A, est tombé bas quand l'incendie des subprimes a révélé les errements de son système bancaire. À la fin de 2008, l’Islande était endettée à hauteur de neuf fois son PIB, sa monnaie s’effondrait et, après une baisse de 76%, la Bourse cessait ses cotations. Que s’est-il passé ensuite ? Les citoyens d’Islande - des terroristes, en vérité - ont refusé par référendum que leur pays sauve les banques privées. Ils en ont laissé froidement s’écrouler quelques-unes et ont envoyé au tribunal une poignée de leurs dirigeants, sans parler de quelques hauts-fonctionnaires. Glitnir, Landsbankinn et Kaupthing ont été nationalisées et placées sous contrôle démocratique au lieu de bénéficier, comme on l’a fait ailleurs, d’injections financières sans contrepartie qui permettent maintenant aux secourus de dévorer la main qui les a sauvés.
En faillite, l’Islande a reçu des prêts du FMI, des pays nordiques et de la Russie. Le FMI, qui ne vide pas sa bourse comme cela, a exigé des coupes sombres dans le budget de l’Etat. Les citoyens, alors, se sont révoltés, provoquant des élections anticipées et renvoyant au purgatoire de l’Histoire le parti conservateur qui ne méritait plus guère son nom de « parti de l’indépendance ». Le nouveau gouvernement a réuni une assemblée constituante composé de « citoyens ordinaires » pour amender la loi organique et a soumis deux fois à référendum le paiement par l’Etat islandais des dettes contractées par les banques du pays. Les Islandais, deux fois, ont voté contre. Des voyous vous dis-je! Depuis lors, les créanciers piaffent et les agences de notation, évidemment, exercent des pressions, mais sans grand succès : cette engeance insulaire est stupide à un point inimaginable ! Quant aux médias européens, vous avez pu vous en rendre compte, ils se contentent d’évoquer cette histoire avec discrétion, comme une anecdote malsaine. Quel mauvais exemple donnent ces descendants de Vikings! Qui sait où ils nous conduiraient si d’autres peuples décidaient de les imiter ! Ma pauvre dame, nous vivons vraiment une drôle d’époque!
A ce tableau rapidement brossé, il manque une dernière touche : la croissance économique de l’Islande est de 2,1% pour 2011 et elle devrait être trois fois celle de l’Europe en 2012. Grâce, principalement, à la création d’emplois.
Dans Scènes de la vie conjugale, le film d’Ingmar Bergman, la femme qu’incarne Liv Ullman se rend compte soudain qu’elle a perdu sa vie à vouloir faire plaisir aux uns et autres. Avoir la responsabilité d’un pays et d’un peuple est une chose trop sérieuse pour être ramenée à cela. Quels que soient les dieux ou les mortels dont on aimerait être reconnu. Je ne dis pas que nous devons suivre l'exemple des Islandais. Je dis juste qu'il vaut mieux guérir hors des normes que mourir dans les normes.
http://www.pressegauche.org/spip.php?article9031
UN CHOIX DE CHRONIQUES EXTRAITES DE CE BLOG A ETE PUBLIE
PAR LES EDITIONS HERMANN
SOUS LE TITRE: "LES OMBRES DE LA CAVERNE"
7 commentaires
Excellente réflexion à partir du cas islandais. Je me suis moi-même posé la question de ce qu'aurait pensé de Gaulle dans la conjoncture actuelle.
L'histoire islandaise que je ne connaissais pas est totalement jubilatoire - et merci Thierry pour l'avoir mis en partage. Elle nous montre bien la différence, que l'on évoque souvent dans la pratique des thérapies narratives, entre chercher le "propriétaire" du problème pour pouvoir le désigner à la vindicte publique et le châtier, et rechercher des solutions fondées sur les sagesses et compétences de vie locales des personnes qui vivent au plus près de l'expérience. Amitiés depuis le soleil de Casa.
Du soleil de Casa ? Il y en a qui ne s'en font pas! D'ailleurs, pourquoi s'en feraient-ils ? Enjoy, my dear friend!
@ Jean-Marie: si j'ai bien compris, plus on s'éloigne des circonstances historiques, plus il faut imaginer la réincarnation des valeurs, autrement dit ce que Thierry appelle la "posture", plutôt que chercher la transposition des stratégies. Pour faire aussi un clin d'oeil à la Narrative de Pierre, on pourrait remonter à l'histoire que se racontent les hommes et les femmes d'Etat quant à la relation qu'ils ont avec leur pays et avec les dirigeants des autres pays. Pour notre Picrochole national, comme l'appelle parfois notre chroniqueur si je ne me trompe, la France n'est qu'un tabouret sur lequel on grimpe pour se rendre visible aux "Grands de ce monde". Plaire à ces derniers, ne pas leur déplaire, est l'inspiration de cette politique.
Les uns, les autres, nous créons nos îles et nos points de résistance. Il va falloir vite rassembler ce puzzle insulaire qui pourra malgré les dispositifs concoctés par l'état pour nous empêcher d'agir et devenir ainsi, une seule île du contre-pouvoir comme nos Islandais nous l'ont montré.
Il est vrai Thierry, que c'est plus facile : ils sont moins nombreux !
Bonsoir,
il existe pourtant en France une personne qui ose déplaire ! C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on ne lui laisse pas la parole dans nos médias de masse. Cette personne, qui se prénomme François Asselineau, semble avoir une estime non galvaudée du Général, lui.
Pendant que d'un côté, on travail à la destruction du CNR, de l'autre, on tente de le remettre au goût du jour...
Cdt.
On lira avec intérêt Etienne Chouard et le plan C.
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/
Et si vous ne le connaissez pas (encore) :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Étienne_Chouard
... comme quoi il y a des "islandais" partout !
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