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13/05/2018

L’arbre de vie: restaurer la fierté, engranger la résilience

 

 

Je trouve les arbres fascinants. Chaque espèce, me semble-t-il, communique une énergie singulière en fonction de la manière dont elle se déploie. Le cèdre, par exemple, parle pour moi d’une sérénité majestueuse qui s’offre au ciel comme un orant. Le chêne, d’une vigoureuse ramification qui finit par ressembler au réseau vasculaire de notre cerveau. Le platane, d’une puissante colonne qui donne envie de se redresser à son image.

 

L’arbre est un symbole des plus universels. Le séphirot de la kabbale représente les lois de l’univers, tandis qu’Yggdrasil, le frêne toujours vert, l’arbre cosmique, est l’axe autour duquel sont disposés les neuf mondes de la mythologie nordique. A la fois union des trois niveaux du cosmos, pont entre la matière et l’esprit, emblème des morts et des renaissances par ses changements saisonniers, l’arbre est aussi celui qui, de ses branches et de ses feuilles, protège du soleil et de la pluie, qui prodigue ses fruits et offre son bois au charpentier et à la cheminée. 

Arbol de Vida Groussin.jpg

J’ai un souvenir particulier qui m’est cher, celui de l’arbol de vida - l’arbre de vie - mexicain. Cette création artistique peut être discrète ou monumentale. Je me souviens de celui du jardin public de Toluca et de celui, encore plus impressionnant, qui accueillait les visiteurs à l’entrée du musée anthropologique national de Mexico. Les ramures de ce dernier foisonnaient de personnages qui parlaient de nos origines, d’Adam et Eve, des aventures de leur descendance, de leurs relations avec le Dieu créateur. L’arbol de vida m’a fasciné au point que j’en ai rapporté un. Beaucoup plus modeste, évidemment, car il lui fallait trouver sa place dans mon sac-à-dos. Je le contemple encore chaque jour avec une sorte de tendresse. J’ai longtemps rêvé de lui donner un grand frère, mais le travail des mains est un des nombreux dons que je n’ai pas vraiment.

 

L’arbol de vida mexicain raconte une histoire, tout comme celui qu’utilise Dina Scherrer dans le livre qu’elle lui consacre, qui vient de sortir chez Dunod (1). L’arbre de vie de Dina est un des supports de réflexion inspirés par les Approches narratives du regretté Michael White (1948-2008). Selon celui-ci, qui travailla sur la misère des Aborigènes, nous sommes propulsés ou au contraire ralentis, voire stérilisés, par les histoires que nous nous racontons sur nous-mêmes. Il arrive donc que ces histoires ne nous aident pas à trouver une place dans la société, à nous accomplir, à être heureux. C’est que les matériaux de ces récits sont parfois le reflet des préjugés négatifs que d’autres ont eus un jour sur nous et que nous avons intériorisés.

 

Nous vivons une époque d’exhibition de soi. Les milliards de « selfies » que véhiculent les réseaux sociaux en sont une des démonstrations. Mais la mise en scène de chacun par lui-même pourrait cacher une misère: celle d’une société dont le regard, me semble-t-il, est de plus en plus froid et sévère. Il semblerait par exemple que la « pauvrophobie » - pardonnez le néologisme - refasse son apparition, et qu’après avoir été empathiques, les Français, peut-être par sentiment d’impuissance, ou à se sentir eux-mêmes peu respectés, finissent par trouver encombrants les misères trop voyantes, les gens pas assez « performants » et les vilains petits canards. Alors, du mépris qu’exsude le regard de l’autre au mépris de soi-même, on le sait, le pas peut être vite franchi. S’il y a une misère particulièrement partagée dans nos sociétés, c’est peut-être celle-là.

 

De ce point de vue, l’arbre de vie tel que l’utilise Dina Scherrer, mérite bien son nom. Il est salvateur. Grâce aux métaphores dont on va revêtir le sol, les diverses parties de l’arbre et le ciel, il s’agit de rassembler nos forces, de nous libérer de nos récits malsains pour nous ré-approprier notre récit personnel, le potentiel dont nous avons été coupés. « Tout le monde aurait donc un potentiel personnel, même les riens ? » pourrait persifler un sceptique, avec cet accent de sarcasme que l’on connaît depuis des siècles. « Oui » répond Dina, l’habituée des collèges de banlieue, avec la sérénité d’une foi paisible que rien n’entamera. « Oui, tout le monde a un potentiel ». Cela fait du bien à entendre.


(1) Dina Scherrer, Accompagner avec l’Arbre de Vie, Dunod, 2018. Préface de Pierre Blanc-Sahnoun à qui j'ai emprunté le titre de cet article. 

http://www.dinascherrer.com