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26/05/2022

L’émancipation (I)

L’émancipation est un thème proche de celui de la sécession. On pourrait dire que c’en est le préalable, même si l’émancipation ne débouche pas nécessairement sur la sécession. Un mineur qui obtient du juge son émancipation échappe à l’autorité parentale et assume de prendre en charge lui-même ses besoins de tous ordres. Aucune émancipation n’est possible tant que l’on est dans la dépendance, à commencer - comme je l’ai précédemment évoqué - dans la dépendance intellectuelle. Cette forme de sujétion se traduit par le refus de penser par soi-même. Je dis bien: le refus, non l’impossibilité. Mais à quoi cela rime-t-il de penser par soi-même alors qu’il y a des experts dans tous les domaines, dont il suffit de suivre les avis ? Il m’est arrivé de temps en temps d’essuyer cette remarque: « Pour qui te prends-tu pour oser avoir une opinion là-dessus ? » Qui es-tu pour douter des informations que délivrent les médias ? Disposes-tu comme eux d’une organisation pour tout savoir en temps réel ? As-tu fait des études de médecine ? As-tu l’expérience d’un ministre des affaires étrangères ? Etc.

 

J’avoue que j’ai la prétention de pouvoir produire une opinion sensée sur des sujets dont je ne suis pas expert. Mais, si c’est présomption de ma part, et je veux bien l’admettre, à l’inverse que penser de ceux dont la démarche se réduit à affirmer : « Je choisis de faire confiance, je ferme les yeux et je bouche mes oreilles à toute discordance qui pourrait me troubler » ? Car, ce qui amène souvent à faire un pas de côté et à penser, outre la curiosité, c’est la perplexité qu’engendre la perception d’une discordance. Dans l’histoire des sciences, relever une anomalie a souvent été une occasion de progrès. En astronomie, par exemple, la perturbation infime de la course d’une planète peut trahir la présence d’un corps céleste resté invisible. Toujours est-il que comprendre est un besoin que je ressens avec mes tripes. Cela fait-il de moi un original, un cas à part ? Ne s’agit-il pas de l’un des dix besoins de l’être humain que Manfred Max-Neef qualifie de fondamentaux ? 

 

Dans l’effort que je fais pour comprendre, il arrive parfois que mon attention soit attirée par certains phénomènes qui ne concernent pas le coeur du sujet mais lui ajoutent un éclairage intriguant. C’est ainsi - pour parler de ce qui fâche - que décréter d’emblée, alors que le coronavirus vient à peine d’apparaître, que les affections qu’il cause ne peuvent être soignées, ne m’a pas semblé et ne me semble toujours pas logique. D’autant plus que, très rapidement, des médecins généralistes - je ne parlerai même pas du professeur Raoult - ont déclaré avoir traité des malades avec succès. Je me souviens d’une doctoresse du Lot, l’une des premières à avoir apporté un tel témoignage, que le Conseil de l’Ordre a convoquée pour la remettre au pas exigé par le ministre, et qui a préféré se radier elle-même plutôt que se soumettre à l’interdiction de soigner ses patients. On nous a ainsi privés de rien de moins que de l’intelligence collective du corps médical. Je ne veux pas enclencher ce débat sur le fond, d’abord parce que je considère que les opinions sont désormais figées de part et d’autre, ensuite parce qu’il m’a lassé depuis longtemps. Je réserve dorénavant mon intérêt aux phénomènes sociaux qu’a révélés l’apparition de cette crise. 

 

Douter de la pertinence de décisions politiques qui portent sur la santé ainsi que de l’honnêteté de l’industrie pharmaceutique est-il un signe de perversion ou de dérangement mental ? Les scandales, dans ce domaine, ne sont-ils pas assez récents et nombreux, certains concernant des milliers de victimes, pour que la prudence, voire la suspicion, soient admissibles ? Nieriez-vous par exemple ce que l’on a appelé « l’affaire du sang contaminé » ? « En raison de prises de mesures de sécurité inexistantes ou inefficaces, de retard dans la prise de décisions préventives de protection et/ou curatives, de défaillances médicales, industrielles et administratives, de nombreux hémophiles et patients hospitalisés ont été contaminés par le VIH ou l'hépatite C à la suite d'une transfusion sanguine. »* « Défaillances médicales, industrielles et administratives. » Faut-il rappeler aussi le nom de certains médicaments qu’on a laissés le plus longtemps possible dans les rayons des pharmacies alors qu’ils faisaient déjà des ravages chez ceux à qui on les prescrivait ? Et, pour prendre l’air ailleurs que chez nous, que penser du scandale des opioïdes, qui a coûté la vie à plus de deux-cent mille Américains et valu au cabinet MacKinsey, en tant qu’auteur de la stratégie marketing des laboratoires, une amende de près de 600 millions de dollars ? Faut-il ajouter que Pfizer a été condamné à maintes reprises pour charlatanisme, mensonges et corruption et, à ce titre, a acquitté des amendes de plusieurs milliards de dollars au cours de ces dernières années ? Quand on vous présente un voyou qui en est à son quinzième vol de voiture, comment se fait-il que, soudain, vous lui confiiez sans états d’âme les clés de la vôtre et, en plus, le remerciez d’en prendre soin ? Mon raisonnement ne nécessite pas quinze ans d’études médicales ou journalistiques. Les questions que je soulève ne relèvent que du bon sens et les informations que je cite sont sur la place publique. En l’occurrence, il y a une discordance que je veux comprendre : que se passe-t-il dans la tête de ceux qui confient aussi légèrement les clés de leur voiture ? Pourquoi n’ont-ils pas entendu, à tel moment ou tel autre, les mêmes petites sonnettes d’alarme que moi ? 

 

En posant cette question, il me vient un fait historique qui peut aider à dissiper tant soit peu ce mystère : il a fallu que les survivants des camps de la mort témoignent de ce qu’ils avaient vécu et que l’on ouvre les charniers pour que le bon peuple accepte la réalité de la « solution finale » mise en place par les nazis. Et pourquoi a-t-il fallu cela ? Sans doute parce qu’il était impossible à des braves gens d’imaginer que des être humains, fussent-ils connus pour leur barbarie, pussent aller aussi loin dans l’horreur. Que l’on tue dans un déchaînement de jalousie, que l’on mitraille ou que l’on écrase de bombes parce que l’on est en guerre, tout cela pour les contemporains restait du domaine de l’envisageable. Les crimes passionnels connus depuis toujours et le souvenir de la Grande Guerre - elle-même inimaginable avant qu’elle se déchaîne - les avaient préparés. Mais l’idée d’une mort froidement industrialisée leur était littéralement inconcevable. L’impossibilité d’imaginer la noirceur au delà d’une certaine limite est de l’ordre d’une défense psychologique. Andreu Sole postule que ce qui circonscrit un monde est ce que l’on y juge d’emblée possible ou impossible. Dans ce sens, on peut dire que les camps de la mort, à partir du moment où leur existence n’a plus été discutable, nous ont fait changer de monde. Si l’on en revient à la gestion de notre crise sanitaire, envisager l’incompétence ou la malhonnêteté de politiques, de fonctionnaires et d’industriels, ainsi que la crédulité et la soumission de milieux médicaux qui auraient pu et dû réagir davantage, n’est possible que si l’on n’est plus dans le monde où la plupart des gens pensent encore séjourner. Ma conviction, en effet, est qu’à la faveur de cette épidémie nous avons basculé dans un autre monde et qu’il est urgent d’en faire le repérage, d’évaluer jusqu’où il s’étend et ce qu’il nous réserve. La difficulté, pour beaucoup d’entre nous, est que la peur produit l’envie de se rassurer. Douter de ceux qui prétendent apporter la solution, c’est se retrouver, solitaire, face à une angoisse sans remède. Cela suppose aussi de vivre dès lors dans la méfiance des figures traditionnelles de la protection, et c’est une dramatique perte de confort existentiel. 

 

Comprendre, d’ailleurs, n’est pas nécessairement ce qu’une société élitaire attend de ses sujets. Par analogie, il me souvient que, au cours de ma modeste carrière professionnelle, les séminaires que je créais me mirent quelquefois sur la sellette. Pourquoi ? Parce que, pour certains dirigeants, je faisais inutilement réfléchir. Evidemment, cela ne m’était jamais reproché explicitement, mais ce fut au point que j’eus à choisir un jour entre accepter une mutation fonctionnelle ou anticiper mon départ en retraite. Je décidai de rester fidèle à moi-même. Or, je l’affirme, je n’ai jamais eu le désir de renverser qui ou quoi que ce soit. J’étais simplement persuadé que des hommes et des femmes qui pensent sont bénéfiques à l’intelligence collective de l’entreprise. Je n’avais pas encore suffisamment accepté l’idée qu’une entreprise est un système politique avant d’être un système économique. Là se trouvait, à mon insu, ma subversion. Les gens qui réfléchissent sont encombrants: a minima, ils peuvent soulever des questions indésirables pour ceux qui ont une idée exclusive de ce qu’il faut faire. « Cherche pas à comprendre! » avaient l’habitude de répliquer les colons aux natifs qui travaillaient sur leurs exploitations. Vouloir comprendre est le début de l’insoumission, parvenir à comprendre celui de la rébellion. Comprendre, surtout, est le début de l’émancipation. Finalement, depuis les premiers jours de cette crise sanitaire, ce que nous dit la succession des déclarations contradictoires et des décisions arbitraires aux apparences de fondements scientifiques, est: « Ne cherchez pas à comprendre! » 

 

La crise sanitaire m’a permis de découvrir quelques émancipés réconfortants, au premier rang desquels je citerai le docteur Louis Fouché et l’avocat Fabrice DiVizio. Sans ces étranges circonstances, je n’aurais sans doute jamais entendu parler d’eux. C’eût été grand dommage car, bien au delà de la résistance qu’ils incarnent face aux mensonges et aux iniquités, ils éclairent le virage qu’à notre insu nos sociétés sont en train de prendre vers une destination cauchemardesque. Plus important, avec leurs semblables, ils éclairent aussi le monde alternatif où nous pouvons et devons créer notre salut. Car nous n’avons pas le choix de restaurer le monde d’avant. Soit nous subissons, soit nous devenons créateurs. Si, avant que les évènements les portent sur le devant de la scène, Fabrice DiVizio et Louis Fouché étaient déjà, humainement, ce que nous voyons d’eux aujourd’hui: des esprits libres, lucides et généreux, les circonstances les ont encouragés à s’accomplir dans leur être profond. Puissent-ils, eux et leurs semblables, nous inspirer courage et fécondité !

 

Dans le monde tel qu’il est, la démocratie ne survivra que grâce à des citoyens émancipés. Le processus de l’émancipation peut être difficile et douloureux. Notamment parce qu’il nous place en marge de la masse réconfortante, ce qui va à l’encontre de notre instinct animal: être en union avec la meute. C’est pourquoi seul celui qui n’a jamais péché devrait s’autoriser à jeter la première pierre. Mais être un vrai citoyen, au centre d’une démocratie à faire vivre, à sauver même, n’est-ce pas en tout premier lieu s’émanciper ? C’est-à-dire: vouloir comprendre par soi-même dans le monde tel qu’il est ? Le vouloir ardemment ? Le citoyen doit secouer tout ce qui peut le neutraliser, à commencer par le refus de penser par lui-même. Je rêve d’une Université Populaire de la Citoyenneté où l’on n’apprendrait pas à en savoir davantage que tous les experts, mais où l’on cultiverait l’intelligence des situations et des enjeux, la lucidité, l’exigence, le doute systématique.

 

En parlant de doute, que disait donc Descartes ? - Je pense, donc je suis. 

 

* Wikipedia.

04/03/2021

Eloge de l'exercice complotiste (4/7) Les vertus démocratiques de la manipulation

 

4. Les vertus démocratiques de la manipulation

 

A entendre les « gardiens de la vérité », la dérive principale du complotisme se situerait plus loin que la dénonciation plus ou moins avisée de mensonges. Ce serait de voir partout de la dissimulation, des manipulations et des manipulateurs. Une vision du monde pathologique à rendre  dépressive l’humanité toute entière. Il est vrai que l’on a aujourd’hui bien d’autres raisons de déprimer et que voir partout de la manipulation serait déraisonnable. Mais considérer que les manipulations n’existent pas ne l’est-il pas tout autant ? Dans Propaganda, Edward Bernays, l’inventeur des relations publiques, n’expliquait-il pas grosso modo que la démocratie est utopique parce que, réunis en masse, les êtres humains sont stupides et dangereux ? Il considérait que le pouvoir doit être entre les mains d’une minorité intelligente et qu’il convient donc, pour le bien-être de la société et afin d’éviter de recourir à la solution brutale de la dictature, de manipuler le peuple. Il écrivait cela en 1928. Depuis lors, les méthodes qu’il prônait ont fait d’immenses progrès. Mais, de son temps déjà, Bernays en avait montré le pouvoir: pour satisfaire ses clients industriels, grâce au génie de ses campagnes les femmes se mirent à fumer et le petit-déjeuner «  bacon and eggs » devint la norme des foyers américains. Vous devinez quels étaient en l’occurrence ses commanditaires. Parmi ses autres titres de gloire, Bernays contribua à rien de moins qu’au renversement d’un régime démocratique en Amérique latine. 

 

La main invisible

 

Une autre critique que l’on fait aux complotistes est que, pour eux, tout étant suspect, derrière les phénomènes auxquels ils s'intéressent ils ne veulent que voir l’œuvre d’une main invisible. Comme le personnage du film « Complots », ils recensent et relient des observations hétéroclites et élaborent le scénario qui démontre l’existence d’obscures machinations. Mais cet acte intellectuel, en soi, n’est-il pas l’expression même de l’intelligence - inter-ligere, relier - et de la compréhension - de cum « avec » et prehendere « prendre, saisir », prendre ensemble ? Rassembler des observations et déceler les relations invisibles, n’est-ce pas là même le processus du diagnostic ? C’est une des facultés intellectuelle dont Conan Doyle fera la singularité de Sherlock Holmes. Où Watson voit tout et ne comprend rien, Sherlock Holmes, parce qu’il perçoit les relations qui font système, fait la lumière dans les affaires les plus opaques. 

 

En ce qui me concerne, je suis persuadé que, pour un certain nombre d’événements, tout se passe en effet comme s’il y avait une main invisible alors qu’il n’y en a aucune. Des initiatives indépendantes les unes des autres peuvent faire système. De dynamiques hétérogènes qui se rencontrent peut se dégager une résultante donnant l’illusion d’une coalition volontaires de forces visant un objectif commun. Cela, c’est l’amont. En aval, de même, un évènement peut constituer un effet d’aubaine, une opportunité pour certains joueurs d’avancer leurs pions, sans être pour quelque chose dans son apparition. Quand, le 28 juillet 1914, le nationaliste serbe Gavrilo Princip assassine à Sarajevo l’archiduc François-Ferdinand et son épouse, il n’a peut-être pas l’objectif de plonger l’Europe dans un bain de sang de quatre ans. Mais son attentat a fourni l’opportunité dont avaient besoin d’autres acteurs du drame historique pour faire valoir leurs projets. Il arrive ainsi que l’on enfourche un cheval qui passait par là. On peut ajouter à cela la tendance humaine à l’imitation, qui peut transformer une vague en tsunami et une épidémie de croyances en pandémie. La montée des bellicismes ou la spéculation financière fournissent de cela des illustrations spectaculaires. 

 

Pour autant, il ne paraît pas non plus inconcevable que, dans certains cas, des « coïncidences » résultent d’une ingénierie de plus ou moins longue main et qu’on soit devant un spectacle de marionnettes. D’autant que le grand art, alors, est de faire disparaître les auteurs derrière l’apparente spontanéité d’un phénomène ou de détourner l’attention vers un leurre. Dans l’impossibilité technique d’atteindre sa cible, mais lui-même convaincu de l’avoir fait, Lee Harvey Oswald a constitué le leurre parfait. Il est alors vital de se demander qui a écrit le scénario, qui tire les ficelles, et à quelle fin. L’histoire que l’on découvrira peut-être risquera d’être plus compliquée que celle de « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». C’est comme les djihadistes solitaires: ils peuvent agir seuls mais ils ont mûri dans un milieu. On peut choisir de fermer les yeux. J’ai évoqué dans une précédente chronique comment l’industrie pharmaceutique a déployé au fil des années un réseau d’influenceurs, tant au sein des laboratoires de recherche que parmi les journalistes, les hommes politiques, les fonctionnaires et les institutions de santé. Ceci est un fait - à l’origine aussi invisible aux yeux du citoyen que le facteur mortifère de Semmelweis. La fièvre du Covid l’a rendu un peu visible. Encore n’a-t-on aperçu que la pointe de l’iceberg. Heureusement la partie immergée a été explorée par les auteurs du livre « Les maîtres de la raison » auquel je vous renvoie. 

 

Le réseau d’influenceurs de BigPharma a, par exemple, permis de livrer, sur les cinq continents et auprès de tous ceux qui auraient pu les prescrire, une guerre impitoyable aux traitement précoces du Covid. Les moyens mis en oeuvre ont permis de produire et publier une énorme étude canularesque contre l’hydroxychloroquine. Le temps que la revue The Lancet, dont la bonne foi aurait été surprise, découvre la vérité et la retire, c’est-à-dire quelques jours, cette publication avait déjà donné le motif - ou le prétexte - à l’OMS et à divers gouvernements d’en interdire l’administration. Simultanément, la prise de parole apparemment spontanée de dizaines de « scientifiques », le dénigrement violent des voix discordantes et les fondements aberrants de la politique sanitaire - « il n’existe pas de traitement contre le covid » - sont passés aux yeux du grand nombre comme le consensus qui ne se discute pas*. 

 

Selon moi, il n’est ni irrationnel ni illégitime, il est même hygiénique, devant certains phénomènes, évènements ou agissements difficiles à interpréter, de se poser la question d’une possible main invisible. On a beaucoup parlé de BigPharma, mais d’autres secteurs industriels n’ont pas manqué de développer leurs réseaux d’influences pour se prémunir tant des prises de conscience et des résistances des consommateurs que des accès de lucidité et de vergogne du législateur. Je vous les laisse trouver. 

 

* Arte vient d'apporter de l'eau à mon moulin avec son reportage "La Fabrique de l'ignorance": https://www.arte.tv/fr/videos/091148-000-A/la-fabrique-de... 

 

(Prochain épisode: Les défenseurs de la vérité)

 

11/10/2020

Résister, c’est penser

 

 

 

Certificat d’études en poche à l’âge de douze ans, Lucien, mon futur père, et un de ses cousins s’en allèrent louer leurs jeunes bras dans les fermes alentour. Ma grand-mère, veuve de guerre d’un journalier agricole, n’avait qu’un petit potager; la Vendée d’alors était loin de tout et son économie totalement paysanne. Ils trouvèrent du travail chez un « propriétaire ». Le contrat: logés sous une soupente, nourris à la table du maître et une paye à la mesure de leur âge. Cependant, Lucien se posa très vite des questions sur la pitance qui était servie le soir, bien maigre à vrai dire. Il aurait pu penser qu’en ces années d’après-guerre la vie était dure pour tout le monde et faire confiance à l’ordre des choses. Mais il avait un doute. Aujourd’hui, il serait qualifié de complotiste. Une nuit, il redescendit discrètement l’échelle qui menait à son grenier et lorgna par une fente des volets. Son doute fut levé: une fois les gamins censés dormir, les maîtres se remettaient à table. Son cousin serait peut-être resté, lui s’en alla sur le champ sans tirer sa révérence.


Je suis un peu le reflet, à ma manière, de ce morceau de vie. De par la posture prospective de mon métier mais aussi du fait des expériences que j’ai vécues, je suis habitué à remettre en question les histoires dominantes et à aller voir instinctivement au delà du halo que projète le réverbère. On ne fait pas de prospective en campant sur l’idée qu’à quelques degrés près demain sera comme aujourd’hui. On ne contribue pas au développement de l’humain si l’on se contente du récit qui fige les individus dans un rôle définitif. S'il devait en être ainsi, nos efforts seraient inutiles. Mais l’histoire, les histoires, qu’elles soient collectives ou personnelles, sont pleines de bifurcations que peu de gens ont vu venir. Les « ça c’est toujours passé comme cela » ou « je la connais, elle ne changera pas », ou encore « c’est un expert qui le dit », expressions péremptoires qui invitent certains à dormir, sont pour moi le signal de l’assaut. Les siècles abondent d’experts pontifiants qui se sont trompés, d’erreurs que l’on a mis des décennies et parfois des siècles à débusquer, d’individus qui ont brisé le moule dans lequel on les enfermait. Le mystère du futur est une semence dissimulée dans le présent. Peut-être, même, n’est-elle pas dissimulée et nous crèverait-elle les yeux si nous savions seulement les ouvrir.


Curiosité, audace et imagination


A une telle école, une des conséquences est que, systématiquement, on doute. Mais le doute n’est-il pas le pilier de la philosophie cartésienne ? Doutant, on descend l’échelle et on va regarder par la fente des volets, ou alors on prend sa lampe de poche et on va voir plus loin. « La vérité est ailleurs » proclamait une affiche dans le bureau de Thetruthisoutthere.jpegFox Mulder*. L’invraisemblable n’est jamais qu’un rapport à nos croyances sur les choses ou les êtres. Avant toute véritable avancée, il y a la reconnaissance de notre incommensurable ignorance, qui nous invite à l'école de la curiosité. C’est, dans le monde, la recherche des fameux signaux faibles et, chez l’autre, celle des « fines traces » d'une histoire préférée chères aux Approches narratives. C’est aussi et surtout peut-être une école de l’audace. Puisque j’essaye de percevoir les contours de ce que personne ne décrit, d’une réalité que personne ne garantit et qu’à la limite on nie ou travestit, si je veux avancer en compréhension je suis bien obligé de m’autoriser de moi-même. Enfin, c’est une école de l’imagination. En effet, quand en grande partie le paysage est noyé dans les brumes de l’incertitude, il s’agit de rapprocher des éléments qui émergent, éloignés les uns des autres, en apparence même étrangers entre eux, pour essayer de se le représenter. Toutes les combinaisons de signaux, certes, ne sont pas signifiantes, mais certaines - et pas les moins surprenantes - le sont. Comme le disait Napoléon Ier: « Il n’arrive que l’imprévu ».


La crise sanitaire


L’épidémie, sa proclamation, son administration, les effets collatéraux de celle-ci et surtout ses nombreuses zones d’ombre, proposent aux citoyens que nous sommes censés être une singulière matière à penser.


Oui, mais…


Quand nous nous étonnons de certains phénomènes sociaux, comme la crédulité des gens, leur docilité aux mesures les plus abracadabrantes ou la naïveté que traduisent les réponses à certains sondages, nous n’imaginons pas ce que représente pour beaucoup d’entre nous, qui ne sont pas « rodés » à le faire, la conduite d’une investigation au sein d’une société de divertissement surabondant. Concevoir l’idée qu’il peut exister des informations qui, pour n’être pas servies au 20-heures par des notables, méritent cependant au moins autant d’intérêt; les trouver, les comparer, prendre le temps nécessaire, se fier à sa jugeote et s’exposer au jugement d’autrui, tout cela peut paraître rebutant au possible. Pourtant, il ne manque pas de faits qui devraient susciter en nous l’urgence de le faire. Ne trouvez-vous pas extravagante cette opération qui, d’un médicament qui existe depuis soixante-dix ans et qui est administré continûment à des millions de personnes pour les protéger de la malaria, a fait une substance soudainement toxique ? Cela ne vous incite-t-il pas à vous interroger sur la nature cachée du monde dans laquelle nous sommes, du spectacle qu’il prétend nous donner ?


A défaut de conduire une réflexion déterminée, sans peur et sans vergogne, ce sont les réflexes conditionnés, le psittacisme, qui prennent le dessus sur la faculté de penser. Car il n’y a pas que l’estomac des chiens de Pavlov qui réagit au stimulus de la clochette, notre cerveau aussi peut devenir une machine digne des Temps Modernes de Chaplin. Que se passe-t-il quand la pensée démissionne ? Nous pouvons imaginer des « couches de sédimentations culturelles » superposées, comme des « applis » que nous activons paresseusement en fonction des situations à traiter. La plus profonde de ces couches sédimentaires - acquise dès les premiers jours d’école - énonce qu’il existe deux statuts: celui des sachants qui parlent et celui des non-sachants qui doivent, immobiles, muets, les écouter. Le verbe « écouter » en l’occurence est à entendre comme « se taire » et « obéir ». Des années plus tard, cela donne : « Face aux experts des médias et aux ministres de la République, tu fais partie de ceux qui n’ont pas l’intelligence nécessaire pour s’intéresser à la vérité, qui n’ont pas à réfléchir mais seulement à faire ce qu’on leur dit de faire ». Intériorisé, ce discours donnera par exemple: « Moi, je n’ai pas fait d’études de médecine, je n’ai pas fait l’ENA, je fais confiance à ceux qui savent ».


Et si les sachants ne sont pas d’accord entre eux ?


Et si les sachants ne sont pas d’accord entre eux ? Eh! bien, à condition évidemment que nous soyons conscients de leur différend, c’est là que par défaut peuvent s’intercaler des programmes de secours. Le choix de notre opinion dépendra de ceux que nous avons enregistrés au cours de notre vie. Par exemple, pour les uns, le plus grand nombre a forcément tort; pour les autres il a forcément raison. Pour les uns, ceux qui ont l’air marginaux sont forcément du bon côté; au contraire, pour les autres, ils ne peuvent être que du mauvais. Ou encore: quelqu’un qui ressemble au père ou à la mère, pour les uns ne pourra être que spécieux, pour les autres que fiable. Sans que nous nous fatiguions, ces mécanismes décideront ainsi pour nous. Cela rappelle que, pour certains de nos concitoyens, le choix de voter pour Emmanuel Macron se fit sur la rencontre d’une aspiration légitime à « autre chose » avec le style du gendre idéal. Nombre de femmes ont même voté pour lui par sympathie pour le jeune mari d’une épouse de leur âge. Ainsi, en l’absence d’un effort rationnel, l'on accorde ou non sa confiance sur la base de critères sans rapport avec le sujet. Un réchauffiste la donnera plus facilement à quelqu’un qui partage ses convictions climatiques qu’au professionnel plus compétent mais climato-sceptique avéré. Sur un sujet qui n’a pourtant rien de politique, on rejettera les avis scientifiques de celui qui - même s’il n’en fait pas partie - semble attirer les gens dont on honnit les idées. Faire l’impasse de la pensée, c’est exploiter des amalgames dénués de sens.


Malheur à qui sème le doute !


J’évoquais le doute. Le doute est le ferment de l’intelligence. Mais, vous l’aurez vraisemblablement remarqué, malheur à celui qui le sème ! Le doute est l’ennemi, tant pour un troupeau soucieux de préserver sa torpeur intellectuelle que pour ceux qui s’arrogent d’en être les bergers. Entre les deux, il y a malheureusement une forme de connivence.

Une des subtilités de mon métier a été d’offrir à des cadres une sorte d’école buissonnière au sein d’organisations où certains hommes de pouvoir, afin de les mener plus facilement, ne voulaient surtout pas de ce qu’ils brocardaient du terme de « tourisme intellectuel ». Notez bien qu’il ne s’agissait pas de remettre en question le fonctionnement du management. Il ne s’agissait que de prospective et d’explorer, sur le mode de l’intelligence collective, l’évolution des tendances qui, en nous et autour de nous, produisent la matrice de l’avenir. Heureusement, j’ose le dire, l’honnêteté de mon travail me faisait bénéficier de soutiens décisifs, mais j’ai dû jouer parfois très fin et n’ai pas toujours réussi à éviter une certaine forme de censure. C’est pourquoi, aujourd’hui, alors que - nous le ressentons tous, je le crois - les sociétés humaines sont à la croisée des chemins, je suis particulièrement sensible à des faits que l’instrumentalisation de l’épidémie a - dangereusement selon moi - multipliés. Je citerai des vidéos arbitrairement supprimées par les plateformes de réseaux dits sociaux, ou ce manifeste de 200 scientifiques interdit de publication - après avoir été accepté - par rien de moins que le JDD**. Je ne m’imaginais pas que ce genre de chose pût se produire dans mon pays et, pour moi, au delà de l’affront fait au peuple français, c’est un légitime motif d’inquiétude.


Une condition de la démocratie


Si un régime est démocratique, la phrase attribuée à Voltaire n'y souffre pas d’exception : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dîtes, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire ». Venant après les conférences qui furent annulées par peur d’ultra-minorités violentes, la censure des publications dessine dans notre pays l’alliance menaçante de deux phénomènes croissants: la volonté dominatrice des uns, la couardise des autres. Mais, quel que soit le contexte, que la parole y soit libre ou contrôlée, la démocratie n’est viable qu’avec des citoyens qui font l’effort de penser.


* Dans la série « X Files », à côté d’une autre affiche: « Le gouvernement nous ment ».

** https://covidinfos.net/covid19/censure-les-pr-toussaint-t...