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22/03/2021

Eloge de l'exercice complotiste (7/7): La plus belle ruse du diable

 

7. La plus belle ruse du diable

 

Il y a quelques jours, YouTube a clôturé unilatéralement la chaîne de France Soir qui comptait 270 000 abonnés. Auparavant, depuis l’irruption du covid, nombre de scientifiques ou de lanceurs d’alerte en désaccord avec les thèses et mesures sanitaires retenues par le Gouvernement ont déjà vu, sur cette plateforme ou sur d’autres, leurs publications censurées. Serait-ce que YouTube, Facebook et Twitter ont une équipe de savants d’un niveau tel qu’elle soit à même de se mêler d’un débat scientifique ? Je ne parlerai même pas des gardiens autoproclamés de la vérité qui répandent impunément des mensonges sur les uns ou les autres du moment qu'ils critiquent la gestion de la prétendue crise sanitaire, comme cette minuscule officine que je préfère ne pas citer qui dénigre bassement Alessandra Henrion-Caude. Or Mme Henrion-Caude est une généticienne qui a au moins d’aussi bonnes garanties de compétence que le vedettariat médical des plateaux de télévision. Mais il y a pire en matière de désinformation. Comment a-t-on pu porter aussi loin le mensonge que l'étude, bidonnée à grands frais, que The Lancet a publiée, à laquelle fut donné le plus d’écho possible et sur laquelle l'OMS et notre Gouvernement s'appuieront pour interdire le traitement précoce du Covid à l'hydroxychloroquine ? Cette même étude qui sera dénoncée non par les médias de masse, qui semblent ne plus avoir de journalistes d'investigation, mais par des lanceurs d'alerte - de France Soir par exemple - et que The Lancet, piteusement, retirera quelques jours plus tard ?  


Depuis que le coronavirus squatte les plateaux de télévision, force est de constater que la censure et les fatwas pseudo-scientifiques sont devenues banales. Je rappelle, par exemple, que pour un différend scientifique Didier Raoult a été menacé de mort par un de ses "confrères" de Nantes. Par comparaison, le procès de Galilée sera bientôt du pipi d’opérette. Or, le fait même que la pratique du mensonge, des insultes et de la censure soit devenue banale devrait induire tout citoyen quelque peu éveillé, s’il ne l’a déjà fait, à remettre en question sa représentation du monde. Nous ne sommes plus dans le monde que nous croyions. Il faut le dire et le redire: que le droit d’expression et a fortiori le débat scientifique soient entravés constitue un changement radical de société dont les conséquences potentielles sont considérables. Bien sûr, tout le monde n’est pas censuré et on a de ce fait un paysage en trompe-l’oeil. Il faut atteindre un certain nombre de followers, donc une notoriété menaçante, pour se retrouver sous surveillance. J’imagine que les censeurs adoptent la règle des 20/80: s’en prendre aux 20% des divergents qui font 80% de l'audience. Les 80% à faible audience qu’on laisse à peu près tranquilles - comme moi - servent ainsi à entretenir l’illusion du maintien de la liberté d’expression.


La science n’avance pas grâce aux conformistes. Elle avance grâce à une remise en question permanente, c’est-à-dire grâce aux voix discordantes qui, à leurs risques et périls, s’en prennent aux dogmes et à leur clergé. Les citoyens, quant à eux, que l'on juge suffisamment intelligents pour avoir encore le droit de vote, se forgent leurs idées dans la confrontation et l’échange. Il leur appartient de décider de la société dans laquelle ils veulent vivre et notamment des risques qu’ils sont prêts à prendre et de ceux qu’ils préfèrent écarter. Selon la métaphore de Platon, en démocratie le peuple est l'armateur du navire et décide de sa destination, le capitaine est responsable de la route à prendre pour y parvenir. Les citoyens peuvent se tromper ? Etre libre, c’est avoir ce droit et, oserai-je ajouter, il vaut mieux être victime de ses propres erreurs que de celles des autres. Sans une libre-circulation des opinions dans leur diversité, les mensonges ont un boulevard devant eux, et il n’y a pas de démocratie possible.

 

Quels sont les critères, les compétences et les ressorts des dirigeants des « réseaux sociaux » et de certains groupuscules fanatiques pour décider de ce que nous avons le droit de savoir ? Les plateformes qui censurent invoquent les « règles de la communauté ». C'est une terminologie mensongère. Elles ne constituent en rien une communauté. Elles ne sont pas des organismes coopératifs dont les usagers seraient en même temps les membres. Sinon, ceux-ci devraient être consultés et débattre entre eux avant que l’on décide que telle opinion ou telle autre doit être censurée. En vérité, ces plateformes ne sont rien d'autre que des terrains privés sur lesquels on nous concède la possibilité de planter notre tente en échange de tout ce que l’on pourra apprendre sur nous. Alors, quels sont les critères d’éviction ? Comme dans tous les romans policiers, il faut chercher à qui le crime profite. 

 

En ce qui concerne ce qui a trait au covid, j’observe d’abord une forme de complicité avec les marchands de vaccin, car les règles de la prétendue « communauté » vont systématiquement à l’encontre des propositions de traitement précoce et menacent toute critique de la vaccination - en l’occurrence, avec celui de Pfizer notamment, d'une thérapie génique qui ne dit pas son nom. Je n’exclue pas une connivence politique car les genres peuvent être mêlés, mais quel peut être l’intérêt de YouTube ou de Facebook à complaire au gouvernement français ? J’y reviendrai, mais, pour le moment restons sur le terrain d’une forme de solidarité entre des géants de l’économie mondialisée. Quelle peut être la nature de cette complicité ? Plusieurs hypothèses sont envisageables. Je vous laisse soupeser dans quelles proportions elles peuvent justifier une telle pratique de la censure. 

 

La première qui vient à l’esprit est celle des liens d’intérêt. Mais en quoi les GAFAM auraient-ils besoin de l’argent ou des influences de BigPharma ? Une autre hypothèse serait celle d’une solidarité de classe: entre membres de la ploutocratie mondiale, on ne se refuse pas quelques services, un jour ou l’autre un retour d’ascenseur peut être le bienvenu. Personnellement, ces deux premières hypothèses - qui peuvent se combiner - n’emportent pas vraiment mon adhésion. Elles ne me semblent pas se suffire à elles-mêmes. Pourquoi les GAFAM soutiendraient-ils une politique médicale davantage qu’une autre ? Parce que le modèle économique qui consiste à évacuer les vieux produits sans rendement financier au profit de nouveaux produits à grosse marge relève d’une même école de gestion devenue une école de pensée, une idéologie ?

 

Et la dimension politique ? Le soutien apporté aux gouvernements est-il seulement justifié par les mesures sanitaires qu’ils promeuvent, ou cela va-t-il plus loin ? A-t-on l’explication de la clôture du compte de France Soir sur YouTube après l’interview d’un humoriste ? 270 000 abonnés floués en appuyant sur un bouton ! Invoquera-t-on, s’agissant de Bigard, la protection des populations contre des propos scientifiques dangereux ? Ou bien s’agit-il de protéger des politiciens ? Mais pourquoi, à moins qu'il s'agisse d'hommes-liges que les grandes compagnies ont infiltrés au sein de la puissance publique ?

 

Il reste une hypothèse - et si vous en avez d’autres à partager, elles seront les bienvenues - c’est celle non plus d'une complicité mais d’une solidarité fondée sur une idéologie commune, sur la représentation partagée d’une « Terre promise » à atteindre et de la « gouvernance » (que j’ai évoquée précédemment) à mettre en place pour y parvenir.


Peut-être avez-vous du monde une représentation plus simple que la mienne. J’avoue que, pour moi, les évènements que nous avons sous les yeux depuis un an n’ont pas un sens évident et que les discours officiels ne parviennent pas à emporter ma conviction. Trop de contradictions, trop de flou, trop de mensonges aussi effrontés qu'avérés au fil des mois. Expliquer ce qui se passe au moyen de nos catégories habituelles laisse mon besoin de comprendre sur sa faim. Mais, bien sûr, si j’essaye de partager mes doutes et de trouver une interprétation plus cohérente et qui embrasse en même temps toutes les pièces du puzzle, on me jettera l’anathème du complotisme. Ce dont, autant vous le dire, je me tamponne le coquillart sur toutes les longueurs d’onde. On peut craindre les balles, je le comprends, mais se laisser arrêter par des invectives est battre trop facilement en retraite. 


Ceux que l’on accuse bêtement de complotisme peuvent produire des scénarios biaisés, excessifs. Dans un monde comme le nôtre, ils ont au moins le mérite de nous rappeler que la réalité est une construction de notre esprit et de proposer plusieurs façons d’interpréter les ombres qui défilent sur les parois de notre caverne. Ils nous invitent à renoncer à la passivité de l’esprit et à user des différents processus de notre intelligence pour construire et non recevoir notre représentation de la réalité. Je ne nie pas qu’il y ait des individus voire des groupes qui soient la proie d’un délire d’interprétation. Mais, comme l’a dit Clément Rosset: « il n’y a pas de délire d’interprétation puisque toute interprétation est un délire ». Entendez par là que, dès lors que l’on extrapole de ce que l’on voit, dès lors qu’à partir de cela on commence à élaborer un récit, on se retrouve, si rationnelles qu’elles puissent paraître, dans les constructions de notre imagination, dont chacun d'entre nous place les bornes en fonction de ce qu'il estime très subjectivement vraisemblable. Je rappelle que, pour une majorité de gens, il fallut attendre le retour des survivants pour que soit reconnue l’existence des camps de la mort dans toute leur horreur. Jusque là, celui qui affirmait cette existence passait au moins pour déraisonnable. Le plus difficile à penser pour la plupart des êtres humains est la capacité de malfaisance de certains de leurs congénères. Pour autant, face à l'opacité de certaines situations, vouloir savoir et vouloir comprendre, quels que soient les risques d'errement, est un besoin légitime de l’humain.

 

Nous ne sommes pas des enfants qu’il faut protéger de la pornographie. Penser par soi-même est essentiel. Avoir accès à l’information n’est pas négociable. Dans la mesure où elle n’appelle pas à la violence et respecte l’autre, je soutiens farouchement la liberté d’expression. La censure ne sert qu’à protéger le mensonge et les menteurs. Pourquoi ? Parce qu’avoir le pouvoir de l’exercer n’est pas corrélé avec la garantie de la sincérité. J’entends être maître de ce que je lis et des interprétations que je peux en tirer. J’entends rester libre de commettre des erreurs, et je préfère trébucher sur mon propre chemin que passer à toute allure dans un train que je n’ai pas choisi. 

 

La plus belle ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas. 

 

15/03/2021

Eloge de l'exercice complotiste (6/7): L’aléatoire, l'invisible et le cheval

 

6. L’aléatoire, l'invisible et le cheval

 

Ce n’est pas parce qu’un phénomène ne présente pas les apparences classiques du pouvoir qu’il ne recèle pas une énergie pouvant s’ordonner à une intention extérieure qui le récupérerait. Il est important de ne pas voir des complots où il n’y en a pas, il l'est aussi de surveiller ce qui, sans en avoir les apparences, représente cependant l’assemblage d’une puissance à prendre en considération.

Parallèlement, ce n’est pas parce qu’un phénomène n’a aucune intentionnalité pour ressort qu’il ne faut pas le surveiller. La marée n’a que faire des attentes des hommes, elle répond au mouvement de la Terre et de la Lune, mais quand elle est haute les plus gros vaisseaux, jusque là immobilisés, peuvent accéder au port ou en sortir. Un phénomène sans intention peut ainsi offrir son support à des joueurs qui en ont une et qui le chevaucheront comme le surfeur une vague qu’il n’a pas créée mais qui l’emporte. Je ne pense pas que le covid, même s’il semble avoir les caractéristiques d’un artefact, ait été volontairement lâché dans la nature. Cependant, l’aubaine qu’il a constituée pour certains joueurs est évidente: il a fourni l’opportunité de gains considérables, d’un contrôle inouï des populations, de la valorisation de certaines théories scientifiques ou médicales, sans parler des tribunes qu’il a offertes aux egos de tout poil. 

Nombre d’évènements résultent selon moi davantage de « complicités objectives », comme aurait dit  Marx, que d’intentions communes. La rencontre aléatoire d’éléments hétérogènes peut engendrer quelque chose d’inattendu, modifier l’équilibre des forces, voire entraîner de vrais basculements - tout en donnant l’impression qu’il y a à tout cela un orchestrateur qui en fait n’existe pas. Un exemple: toujours à cause du covid, les gens payent encore moins en liquide qu’auparavant, car les pièces et les billets qui passent de main en main sont un vecteur idéal pour un virus qui se déplace par portage. Ces nouveaux comportements vont dans le sens souhaité par certains acteurs de l’économie qui n’ont rien à voir avec la santé et la médecine. La numérisation totale de la monnaie permet un contrôle total des flux financiers. Peuvent y être favorables ceux qui voient davantage de tricheries fiscales chez les pauvres que chez les riches. Peut l’être également le ministère des finances qui ferait ainsi l’économie de la monnaie à frapper ou à imprimer et qui sait qu’il lui est plus facile de prendre un peu à beaucoup que beaucoup à quelques-uns. Peuvent y être favorables tous les affamés de ces data qui leur permettent de mieux nous connaître. L’accueilleraient sans déplaisir les banques qui récupèreraient ainsi des flux qui leur échappent encore et se débarrasseraient de la corvée coûteuse et fastidieuse de mettre à disposition les coupures de toute taille. Pourrait le vouloir aussi un Etat désireux de renforcer son contrôle. Mais supprimer la monnaie fiduciaire quand elle représente quinze pour cent des flux provoquerait un tollé. Grâce aux vagues épidémiques, l’usage des pièces et des billets est tombé si bas que bientôt l’inconvénient d’une telle mesure sera acceptable. Pour ceux en tout cas qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. 

Les transformations invisibles

Sont aussi à observer, si l’on veut essayer de discerner la force des choses et sa direction, ce que le philosophe et sinologue François Jullien appelle « les transformations silencieuses » (1). Ce sont des changements si lents, si subtils, qu’ils échappent à notre regard. Comme il l’écrit: « Grandir - nous ne voyons pas grandir: les arbres, les enfants. Seulement, un jour, quand on les revoit, on est surpris de ce que le tronc est devenu déjà si massif ou de ce que l’enfant désormais nous vient à l’épaule.» Je vous propose un exercice: regardez autour de vous et, avec la référence de votre mémoire, ouvrez vos sens. Qu’est-ce qui, insensiblement s’est transformé, autour de vous, au cours de ces dernières années ? N’hésitez pas à être d’abord au plus près de vos perceptions et à comparer à vos souvenirs les couleurs, les odeurs, les sons, les volumes… Quelle direction, quelles mutations possibles cela suggère-t-il ?

Quand il s’agit de faire évoluer des opinions qui, prises à froid, bloqueraient la réalisation de leurs desseins, les tacticiens savent induire un genre de transformations discrètes. La première chose pour y parvenir est de se donner le temps, donc de s’y prendre bien en amont. Ensuite, il convient de ne pas rechercher au début une décision formelle et de se contenter d’une succession de modestes « pourquoi pas ? », parfois même tacites. Le temps aidant, le simple fait qu’un sujet devienne familier allège les inquiétudes et crée en sa faveur une pente imperceptible.

Le cheval de Troie

Evoquer plus haut une chevauchée m’a fait penser au récit du cheval de Troie dans l’Odyssée. C’est une autre manière, pour un changement, d’être invité par ceux-là même qui n’en voudraient pas. Les crédules Troyens ont ouvert les portes de la cité  à ce cheval apparu miraculeusement sur une plage alors que leurs ennemis avaient disparu. Ce faisant, ils ont introduit ceux-ci, qui étaient cachés à l’intérieur, dans la cité. Nombre d’engouements de notre époque me paraissent susceptibles d’être des chevaux de Troie. Je vous laisse y penser et si vous avez envie de partager vos hypothèses en commentaire, vous serez les bienvenus. 

Les incohérences apparentes

Il y aurait bien d’autres choses à dire. Le sujet me passionne car il rejoint l’exercice mental de la prospective, cette « indiscipline intellectuelle » (3) qui donne son nom à mon blog, mais j’en terminerai par les incohérences apparentes. L’incohérence n’existe pas. La série « Dr House » par exemple, montre que l’incohérence des symptômes n’est que la manifestation d’un diagnostic mal posé. Même la folie a sa cohérence. L'incohérence que nous percevons ne peut être que la manifestation d’une cohérence située à un niveau qui nous échappe. Ne pas se poser de questions devant l'incohérence, ou lui trouver des réponses trop faciles, est dangereux. Qui peut savoir ce que la cohérence qui nous échappe est en train d’engendrer ? 


(1) François Jullien, Les transformations silencieuses, Grasset, 2009. 

(2) L’expression est de Michel Godet. 

(Suite et fin au prochain épisode)

11/03/2021

Eloge de l'exercice complotiste (5/7): La notion de complot est-elle dépassée ?

 

 

5. La notion de complot est-elle dépassée ?

 

Croire qu’il n’y a jamais de complot est aussi trompeur que croire qu’il y a des complots partout (1). Cependant, il convient d’aller plus loin, car parler de complots et de complotisme pour désigner l’objet de nos interrogations est une manière de détourner notre regard vers une caricature ou un fantasme. Si ces mots ont été choisis par leurs promoteurs c’est parce qu’ils ridiculisent l’activité et la production des « complotistes ». Or, ce qui se passe est d’un autre niveau que celui d’une poignée d’individus réunis, au fond d'une cave, autour d’une bougie qui fume. 

 

Dans l’histoire moderne, l’un des premiers complotistes est celui qui a inventé cette fable du capital insatiable et de la lutte des classes: un certain Karl Marx. Vous imaginez les émois de nos debunkers, transportés en 1867 et ouvrant le livre « Das Kapital » à sa sortie de l’imprimerie ? « Enfin, s’écrieraient-ils, ceux qui s’enrichissent font bénéficier des oeuvres de leur intelligence et de leur travail l’ensemble de la société, y compris et surtout les gueux à qui ils ont la bonté de donner un salaire et qui sans cela mourraient de faim! Ils ne gagnent que la rémunération légitime de leur sueur et des risques qu’ils prennent et ne sont pas dans une logique de guerre! » Je n’invente pas ce discours. Dans les années 70, il était courant. Nous retrouvons là les trois pièces du mécanisme de déni précédemment évoqué (2), mais il est intéressant de voir à qui ce déni profite. S’il n’y a pas de lutte des classes ou bien si elle n’est pas nécessaire parce que chacun peut trouver son compte sans en passer par Germinal, alors posons les armes, asseyons-nous fraternellement autour du feu et, le calumet de la paix aidant, on va s’entendre. La dénonciation des billevesées de Marx a bien fonctionné. Toute la classe moyenne et ceux qui y accédaient, à l’époque où ils bénéficiaient des Trente glorieuses, l’ont gobée - et, au passage, je bats ma coulpe. Puis, après que le développement d’une répartition plus équitable de la valeur ajoutée eut menacé la croissance et le pouvoir du capital, il y eut une reprise en mains, facilitée par la financiarisation et la mondialisation, et le multimilliardaire Warren Buffet, jugeant atteint le point de non retour, s’autorisa à vendre la mèche. « Oui, il y a une lutte des classes et c’est même la mienne qui est en train de la remporter ». La plus grande ruse du Diable est de faire croire qu'il n'existe pas.

 

Le premier « reset »

 

Nous avons une représentation descendante, patriarcale, explicite, organisée, du pouvoir. L’image qu’on nous propose du complot, de la conspiration, en est le contrepoint. Celle-ci ne va pas sans celle-là. Or, notre époque voit s’épanouir d’autres stratégies et, notamment, le soft power. Celui-ci a pour premières caractéristiques la discrétion et l’absence d’autoritarisme. Cette discrétion s’accompagne de l’art de réunir des gens qui ont des intérêts non pas communs mais similaires et à profiter de ces rapprochements pour diffuser une idéologie qui, en les valorisant, leur donnera une raison de naviguer de conserve. Ainsi, par delà leurs éventuelles concurrences, ils pourront devenir une instance aussi informelle que puissante. Bernays (3) nous a donné la clé de cette idéologie en écrivant que le pouvoir doit être entre les mains d’une élite. Mais comment déterminer cette élite ? Le darwinisme de Howard Spencer répond à la question: celui qui réussit, quels que soient les moyens de sa réussite, fait la preuve de sa supériorité dans le monde tel qu’il est. Qui d’autre que ceux qui sont à la tête d’une fortune, du pouvoir qu’elle donne, du mérite qu’elle est censée prouver, pourrait donc la constituer ? Selon cette logique, ceux qui sont dignes du pouvoir sont ceux qui l’ont et qui savent l’accroître. En inversant le raisonnement, n’en sont pas dignes ceux qui, par légèreté, naïveté ou pleutrerie, l’abandonnent. Cela me rappelle l’expression de Maurice Druon: la démocratie aux mains molles, et ce fut en réalité le premier « reset ». 

Mais quel avantage cette élite aurait-elle à s’engager dans un pareil projet ? Celui de prendre soin de ses affaires en prenant soin de celles du monde. Celui de faire du bien en se faisant du bien. Celui de transcender les ambitions personnelles au profit d’une mission supérieure, c’est-à-dire d’un anoblissement que la réussite matérielle seule ne confère pas, et qui, faisant d’elle le sauveur de la planète, légitimera l’inégalité de fortune et de pouvoir dont elle jouit. La manipulation prônée par Bernays est la manière douce de gérer les peuples pour le bien de tous. Le bien de tous est aujourd’hui sommairement défini par l’avenir de l’écosystème planétaire et le destin que l’on assigne à l’humanité. Cette aristocratie doit s’en emparer puisque les peuples manquent de l’initiative, de l’intelligence et de la détermination nécessaires et qu’au surplus ils lui ont laissé leur pouvoir. Pensez-vous vraiment qu’elle a tort ?

 

Les inspirateurs

 

Davos est un tel lieu de rapprochement. Le Forum économique mondial est une des fontaines idéologique où cette classe - que seule au départ définit l’accumulation de richesse et de pouvoir - puise une  vision convergente du monde et la représentation de son rôle. De Gaulle avait surnommé Jean Monnet « l’inspirateur », parce qu’il travaillait toujours en coulisse. On peut dire que Klaus Schwab, le fondateur des rencontres de Davos, est un des fils spirituels de Jean Monnet. Ce qu’il tisse n’est pas un complot au sens galvaudé du terme. Il n’essaye pas, ce qui serait voué à l’échec, de sortir de son chapeau un gouvernement mondial. Ce qu’il fait est plus pertinent et efficace. D’abord, en principe, on ne parle plus de gouvernement mais de gouvernance. Cela ne veut pas dire que l’idée de gouvernement mondial est évacuée, mais, comme elle peut réveiller quelques réflexes souverainistes, on se garde de l’afficher: le soft power évite de stimuler les clivages. On se garde tout aussi bien de l’évacuer complètement, car, le moment venu - s’il vient - les peuples auront l’impression de quelque chose de familier qui devait advenir, qui s’installe naturellement. 

Schwab ne fait que rassembler autour de quelques experts, en toute liberté, des gens qui, de par leurs richesses personnelles et les entreprises qu’ils contrôlent ne peuvent se ressentir que comme l’élite de la planète. L’adhésion à quelques idées va leur donner de fait, collectivement, sans autre forme d’organisation, une emprise globale. Il n’y a donc pas un gouvernement occulte, comme les naïfs le disent ou comme se moquent ceux qui veulent ridiculiser les complotistes. Il y a un café du commerce très sélect où, grâce aux inspirateurs comme Schwab, émerge des conversations une représentation à peu près commune de la « terre promise », qui permet de déboucher sur une orientation collective spontanée et non contraignante. Compte tenu de l’incapacité des peuples et de leurs représentants depuis des années à prendre certaines décisions vitales pour l’avenir, on peut se dire qu’au moins ils apportent un espoir.

 

Délires et dérives

 

Cependant, ce n’est pas parce qu’elle est pétrie de bonnes intentions qu’une élite n’est pas exposée à l’hybris (3). Au contraire, la conviction d’une supériorité, d’avoir dans ses mains les destinées du monde, le ballet des politiciens venant quêter son adoubement, l’impression à travers ses fondations philanthropiques d’être plus généreuse envers l’humanité que Dieu Lui-même, tout cela ne peut qu’y encourager (4). Alors, ce milieu de l’entre-soi devient un bouillon de culture propice aux ivresses démiurgiques - celles des apprentis sorciers. Dans le sillage des bonnes intentions, on trouvera d’abord une vision purement mécaniste, sans transcendance, du vivant. On trouvera le transhumanisme avec son interpénétration de l’humain et de la technologie, et l’ingénierie climatique dont l’ambition, hors de mesure avec la complexité du système climatique, a toute chance de tourner au cauchemar. On trouvera aussi, grâce aux data et à l’hyperconnectivité, la délégation à une Intelligence Artificielle de la gestion tant des individus pucés que de l’écosystème global (5). Bref, la Terre Promise, c’est la planète et l’humanité managés comme un élevage industriel par une bureaucratie numérique, ce qui n’est que la projection du logiciel intellectuel sur lequel fonctionne cette vision. 

 

Il ne s’agit donc pas d’un complot de bande dessinée, d’une ligue ou d’une confrérie secrètes. Il ne s’agit même pas de mauvais desseins. C’est la mise en branle d’un mouvement provisoirement informel mais doté d’un pouvoir, d’une bonne intention et de délires. Un mouvement qui ne se cache même pas, ce pourquoi nous ne le voyons pas. Convaincus d’être dans le droit chemin, ses membres font fi des peuples et de leurs aspirations. Seuls de vrais régimes démocratiques auraient pu et pourront peut-être encore, si ce qu’il en reste se ressaisit, contenir cette démesure.

 

1. J’ai oublié l’auteur de cette formule et, s’il tombe sur cette chronique, je le prie de m’en excuser.

2. Cf. http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/...

3. « L’hybris (en grec ancien : ὕϐρις / húbris), est une notion grecque qui se traduit le plus souvent par « démesure ». Elle désigne un comportement ou un sentiment violent inspiré par des passions, particulièrement l'orgueil et l’arrogance, mais aussi l’excès de pouvoir et ce vertige qu’engendre un succès trop continu. Les Grecs lui opposaient la tempérance et la modération, qui est d’abord connaissance de soi et de ses limites ». Source: Wikipédia.

4. Bill Gates est un parangon de cette classe : https://articles.mercola.com/sites/articles/archive/2021/...


5. Pour l’anecdote (mais pas seulement), une société japonaise vient de mettre au point des toilettes connectées capables, lorsque vous les utilisez, de vous faire une analyse physiologique et, pourquoi pas, de la transmettre à votre médecin ou à votre assurance : https://www.ipsn.eu/big-data-vous-suit-partout-meme-aux-toilettes/