26/08/2024
Le Parc Oriental de Maulévrier
Je dédie cette chronique à mon petit-fils Dimitri
qui vient, en ma compagnie, de faire sa première visite au Parc.
Situé en Maine-et-Loire, à la limite de la Vendée, le parc de Maulévrier est un des lieux les plus saisissants que je connaisse. A chacune de mes visites, je suis tenté d’emménager dans le village qu’il borde afin de pouvoir en profiter au fil des jours et des saisons. C’est une oeuvre exemplaire en ce qu’elle apporte un bonheur singulier à ceux qui la visitent tout en étant le résultat d’une combinaison de hasards, de talents et d’engagements qui se sont tissés et poursuivis de générations en générations.
Même si les noms ne nous parlent plus guère, il convient de les citer afin de rendre un hommage mérité. En 1895, Eugène Bergère, un industriel de Cholet, rachète le domaine Colbert dont un restaurant renommé porte encore le nom. Il se trouve qu'Alexandre Marcel (1860-1928), architecte parisien orientalisant qui s’est fait remarquer lors de l’exposition universelle de Paris de 1900, épouse la fille du nouveau châtelain. Avec Alphonse Duveau, le chef jardinier du château, il va transformer en paysage d’inspiration japonaise le petit vallon où, en contre-bas du château, coule la modeste Moine. Il crée un étang en élargissant le lit de la rivière, tire parti des reliefs, imagine les perspectives et la combinaison des essences, dessine des cheminements, assigne des lieux de contemplation et fait planter de nombreux arbres. Bientôt, une construction japonisante est érigée. En 1945, cependant, la propriété ayant été revendue, le parc sombre dans une période d’abandon qui durera jusqu’à la fin des années 70.
Et si ?
Quel souffle alors va-t-il réveiller le bois dormant ? J’imagine les habitants de Maulévrier qui contemplent chaque jour cette immense friche, les anciens se souvenant de ce qu’elle fut et le répétant aux plus jeunes. Entre gens du village, on se met à parler de plus en plus de ce gâchis et, un jour, on passe de la déploration au « Et si ? »* Et si on ressuscitait ce jardin ? Voilà la période merveilleuse où, des conversations, finit par jaillir une grande idée qui bientôt catalysera les énergies. J’imagine les discussions, les échanges parfois vifs entre les prudents et les audacieux, entre les trop raisonnables et les partisans du rêve. Finalement, les Maulévrais et leur maire d’alors, Jean-Louis Belouard, prennent la décision. La commune rachète le parc et en obtient le classement à l’inventaire des sites naturels français. Des bénévoles - soulignons-le - entreprennent le défrichage, ouvrant la voie aux professionnels des parcs et jardins. 1982 voit la naissance d’un association à qui sont confiées la sauvegarde et la gestion du site et qui réunit moyens, compétences et talents. On re-dessine, on rafraîchit, on reconstruit, on plante, on taille. En 1985, le parc ressuscité s’ouvre au public. C’est peu de temps après qu’en visite chez des amis qui habitaient non loin de là, je découvre ce lieu et en reste imprégné. J’en reviens avec un service à thé, réalisé par l’artisan qui fournissait alors la boutique du parc, qui sera mon lien à distance avec la magie de Maulévrier.
Une brassée de leçons
Je le redis: c’est une oeuvre exemplaire. C’est une brassée de leçons pour notre époque. La première d’entre elles, parce que c’est celle dont nous avons le plus urgent besoin, est la valeur du temps long. Chateaubriand, dès les premières lignes de ses Mémoires d’Outre-tombe évoque les arbres qu’il vient de planter dans sa Vallée aux loups, auxquels il donne de l’ombre mais dont il n’en recevra jamais, et c’est naturel: on ne vit pas que pour soi, que pour sa génération, on ne construit pas que pour le présent. Planter un arbre qui sera un jour centenaire voire multi-centenaire, c’est féconder un avenir qui nous dépasse largement. C’est un acte de générosité et de détachement. C’est comme ouvrir le chantier d’une cathédrale dont la construction dépassera le siècle et qui offrira son espace de recueillement aux générations les plus lointaines. Planter un arbre, c’est aussi s’en remettre à un être vivant qui, même s’il pourra avoir besoin des soins de l’homme, se déploiera selon son être propre.
La deuxième leçon est, à l'opposé du complexe d’Orphée décrit par Michéa**, d’avoir la conscience des richesses du passé même quand, comme nous le montre le parc de Maulévrier, elles sont cachées par l’abandon. Il s’agit en l’occurrence d’un double passé, celui de la première création du parc au début du XXème siècle, mais aussi le passé japonais, la période Edo (XVIe- XIXe siècles), source de l’inspiration qui a guidé Alexandre Marcel. Ici, dans ce village du choletais, des générations ont repris et sauvé, en y rajoutant leur propre touche, l’oeuvre initiée par une génération précédente mais aussi par des créateurs lointains tant dans l’espace que le temps.
La troisième leçon est celle du mariage pacifique du talent humain avec les potentialités de la nature, ses reliefs, ses sols, son climat et ses innombrables espèces végétales et animales. Tout à côté du Parc, le potager du restaurant que j'ai évoqué plus haut, le Château-Colbert, est cultivé dans le même esprit. Il a été à deux reprises élu plus beau potager de France et pratique une culture sans pesticide et sans ajouts chimiques. C'est la recherche d'une harmonie avec la nature qui produise à la fois du beau et du bon. Pour ce qui est de la relation au passé, ce potager est un réaménagement qui reprend les plans du XVIIIème siècle.
Autre leçon encore: celle de l’audace. L’audace de penser d’abord, l’audace d’agir ensuite. L’audace de changer les possibles et les impossibles sur lesquels l'on a coutume de dormir. Gardons nous aussi d’oublier cette magnifique dynamique du "faire ensemble" qui est tellement supérieure au seul "vivre ensemble", qui emporte toute une population et pas seulement des experts appointés pour l’occasion, et donne au projet le surcroît d'énergie nécessaire. Il y a, reliant tous les acteurs, ce quelque chose qui est au delà de la seule comptabilité et de la pure technique, de l’utilitarisme et du calcul qui écrasent notre époque: la poésie.
Spinoza
Je reviens aux effets de cette oeuvre sur ceux qui viennent la rencontrer et je pense aux « affects » de Spinoza: le Parc de Maulévrier nous offre de vivre des « affects positifs ». C’est une oasis au milieu d’un monde qui, à travers ses médias omniprésents, cultive les affects négatifs, entretenant une atmosphère d’anxiété, de frustration, d’animosité, de laideur, de tristesse et de dérision stérilisante. Tout au contraire, dans l’intimité de cette nature mariée au talent des hommes, on peut respirer la sérénité, la beauté, le pouvoir créateur de l’esprit, et percevoir, pour peu qu'on le veuille bien, qu'on accepte de se recueillir, une dimension du sacré.*** La sagesse tutélaire du Japon, qui l’inspira, sait l’importance de tels lieux pour l’âme. Grâce aux Maulévrais, depuis bientôt vingt-cinq ans nous sommes des milliers chaque année à accéder à cette expérience privilégiée.
Une source d’éveil et d’inspiration
Au delà des bienfaits personnels que nous pouvons retirer de la fréquentation du Parc de Maulévrier, son histoire ne demande qu’à être une source d’éveil et d’inspiration. J’ai précédemment évoqué un exemple d'un genre différent mais tout aussi stimulant: la création en 1849, par une poignée de paroissiens de Flammersfeld en Allemagne, de la première caisse de crédit mutuel ****. Nous avons le pouvoir de créer tout ce dont notre époque, notre société et nous-mêmes avons besoin. Nous avons mille opportunités de nous engager dans des entreprises dont la conception et la réalisation nous procureront une vie plus riche. Car ce n'est pas rien d'avoir initié la première caisse de crédit mutuel ou d'avoir ressuscité le Parc. L'oeuvre ne transforme pas que la matière, elle transforme aussi l'ouvrier. Libérons donc nos esprits et nos imaginaires; rompons les liens des pensées courtes; regroupons nous, retroussons nos manches, rêvons et oeuvrons!
Lien vers le site: https://www.parc-oriental.com
* Rob Hopkins, From What Is to What If: Unleashing the Power of Imagination to Create the Future We Want, Chelsea Green Publishing, 2019.
** Jean-Claude Michéa, Le complexe d’Orphée, Champs, 2014.
*** Le philosophe Alain, dans ses Propos sur le bonheur, commente cette phrase de Spinoza: « Il faut cultiver un grand nombre de pensées heureuses contre la malheur ».
**** http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/apps/m/a...
15:33 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : maulévrier, temps long, arbres, inter-générationnel, michéa, flammerfeld, alain, rob hopkins
Commentaires
Est-ce que tu connais le parc "la garenne Lemot" à Clisson?
https://www.parcsetjardins.fr/jardins/539-la-garenne-lemot
Écrit par : Gilbert | 26/08/2024
Merci pour ce moment de rêve
Écrit par : Jean-Marie Chastagnol | 26/08/2024
Spinoza: augmenter sa puissance d’agir https://voilacestdit.blog4ever.com/dans-les-pas-de-spinoza-augmenter-sa-puissance-d-agir
Écrit par : Antoine | 27/08/2024
Écrire un commentaire