29/04/2023
Fécondons l’avenir !
Au XIXème siècle, les personnes qui connaissent des difficultés financières n’ont d’autre choix qu’aller frapper à la porte des usuriers. En raison d’intérêts excessifs, le remboursement de la dette est laborieux, l’appauvrissement, la faillite et la spoliation sont souvent au rendez-vous. En Rhénanie, à l’initiative d’un bourgmestre, Frédéric-Guillaume Raiffeisen (1818-1888), un groupe de villageois se réunit, qui décident de mettre de leur épargne en commun afin d’accorder des prêts à un taux honnête aux citoyens impécunieux. Des agriculteurs peuvent ainsi acquérir un lopin de terre, des éleveurs augmenter leur cheptel, des artisans s’installer et de nombreuses familles améliorer leur situation. C’est l’enclenchement d’un processus d’émancipation. L’initiative fait florès et se multiplie rapidement. Elle s’étendra au point d’engendrer quelques-unes des principales banques qui existent aujourd’hui: en France le Crédit agricole et le Crédit mutuel, en Allemagne la Raiffeisen Bank, en Suisse les Caisses Raiffeisen, au Québec les Caisses Desjardins, en Hollande la Rabobank, en Belgique la C.E.R.A. et à travers le monde d'innombrables banques coopératives. Au départ, il n’y a eu que la réunion d’une poignée de braves gens soucieux du bien commun.
Dans ma précédente chronique, j’ai brossé le fonctionnement du monde dont nous devons nous émanciper. C’est un monde dangereux à plusieurs titre, mais, fondamentalement, parce qu’une élite - sans nous consulter - s’est fait une représentation de l’avenir souhaitable et a la prétention de mettre en oeuvre une gestion parfaite de la planète et de sa population. Cet objectif de perfection, aidé de l’intelligence artificielle et de l’omniprésence numérique, nous met inéluctablement sur la voie du totalitarisme. Cela signifie que nous devrons bientôt abdiquer les capacités créatrices et le besoin de sens qui, depuis l’émergence de la conscience, sont les voies d’épanouissement de notre espèce, que nous devrons nous en remettre pour tout à une organisation imposée. C’est la dépossession de nous-mêmes dont nous avons eu un échantillon avec la gestion de la « crise sanitaire », je n’y reviendrai pas.
Ce qui nous aliène au système, ce ne sont pas nos besoins mais les solutions qu’il leur donne et que nous adoptons faute d’autres options. Par nos choix au long du temps, nous sommes les créateurs de cette situation: grâce à l’enrichissement que nous lui avons procuré, le système s’est émancipé. Aujourd’hui, dans de nombreux domaines, il nous domine et entretient notre dépendance. Représente-t-il pour autant désormais la seule façon que nous avons de satisfaire nos besoins ? Assurément non. La clé de notre avenir réside dans la manière dont dès maintenant nous nous engageons - comme Raiffeisen - dans l’invention et l’expérimentation de solutions nouvelles. C’est ainsi que l’on féconde l’avenir.
Une approche nécessairement globale, systémique et heuristique
Il y a beaucoup de personnes et de groupes, un peu partout, qui font déjà dans ce sens un travail remarquable. La plupart me semble concentrée sur la question de la nourriture qui est indéniablement vitale: « primum vivere ». Il y a par exemple tous ceux qui - à travers ou non le prisme survivaliste - promeuvent l’autonomie alimentaire locale, le jardinage, la permaculture, les potagers collectifs. Je remarque aussi des initiatives autour de la santé avec la recherche de solutions alternatives passant sous les radars de BigPharma et de ses complices. Ce que je propose est, dans le même esprit, d’engager une démarche globale: prendre avec méthode l’ensemble de nos besoins fondamentaux, observer comment nous les satisfaisons actuellement, comment ils interagissent, quels risques ou insuffisances comportent nos solutions actuelles, afin quand cela s’avère nécessaire d’ouvrir d’autres voies.
Par rapport à l’objectif d’une telle reconstruction sociale, économique et même anthropologique, depuis une trentaine d’années que je l’ai découverte (1) je n’ai pas trouvé de meilleure modélisation de nos besoins fondamentaux que celle de l’économiste chilien Manfred Max-Neef (1932-2019). Je la trouve particulièrement pertinente en ce qu’à l’instar d’une planche anatomique des méridiens et des points d’acupuncture, elle cartographie un système et désigne les points d’où l’on peut le faire évoluer.
Selon Manfred Max-Neef, les êtres humains, quelles que soient leur race ou leur culture, ont en commun neuf besoins fondamentaux : de subsistance, de relations affectives, de sécurité, de compréhension, de participation, de loisir, d’identité, de liberté et d’exercice de leurs capacités créatrices. Plus tard, il a jugé nécessaire de rajouter à son système un dixième besoin: le besoin spirituel ou besoin de sens. Ce qui fait la différence entre les sociétés et les civilisations, c’est la manière de hiérarchiser ces besoins et de les satisfaire. En complément à cette notion de hiérarchisation, Max-Neef a aussi recensé quatre modalités de satisfaction et cinq types de solutions.
Les quatre modalités sont le faire, l’avoir, l’être et l’interagir. Nous pouvons par exemple satisfaire nos besoins alimentaires en cultivant notre jardin (faire), en achetant notre nourriture (avoir), en prêtant à d’autres jardiniers des parcelles que nous n’avons pas la possibilité ou l’envie de cultiver nous-mêmes (interagir). Nous pouvons aussi choisir la « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi ou la frugalité du moine bouddhiste (être). Autre exemple: si j’observe mon besoin de sécurité, je peux travailler sur mes peurs (être), déléguer ma protection à une autorité extérieure (avoir), me protéger moi-même, seul ou dans le partage (faire et interagir). Au surplus, tous nos besoins sont en interaction: des « transactions » peuvent se faire entre eux, quand par exemple une personne renonce à sa liberté en échange de protection.
Quant aux solutions, elles peuvent être destructrices, inadaptées, inhibitrices, univoques ou synergiques. Une solution est destructrice quand, pour répondre à un besoin, elle détruit les moyens de répondre à un autre besoin: par exemple, le bétonnage d’un terrain maraîcher afin de construire des logements. Elle est inadaptée si elle apaise un symptôme sans traiter la cause: l’abus de l’alcool pour lutter contre l’angoisse. Elle est inhibitrice, quand la satisfaction d’un besoin empêche la satisfaction d’un autre: les parents qui répondent au besoin de sécurité de l’enfant mais en étant protecteurs à l’excès étouffent son aspiration et son aptitude à la liberté. La réponse est univoque quand elle satisfait un seul besoin. Enfin, elle est synergique quand elle permet d’en satisfaire plusieurs à la fois. Autant dire tout de suite que cette dernière est particulièrement intéressante. Je vais en donner une illustration.
Il s’agit d’une cité qui se trouve à Valence, dans la Drôme (2). Au départ, y cohabitent dans une méfiance réciproque une cinquantaine de nationalités différentes. Ces familles déracinées ne se sont pas ré-enracinées. Aussi, peu leur importe le lieu où elles ont échoué: on abandonne dans la cour le vieux réfrigérateur, on jette les ordures par la fenêtre, les rodéos de mobylettes détruisent des espaces qui n’ont pas eu le temps d’être verts, les dealers commencent à ouvrir leur petit commerce. Ce qui va faire basculer cette situation est la réponse favorable de la mairie à la demande de transformer en jardins potagers les espaces au pied des immeubles. Cette demande provient d’un besoin: celui de familles miséreuses d’améliorer leur ordinaire. Or, à partir de là, les habitants vont s’approprier leur lieu de vie. Ils vont se reconnaître mutuellement à travers l’activité de jardinage qu’ils pratiquent. Des relations d’entraide se noueront naturellement. On ne délèguera plus à la police l’évacuation des deux-roues qui viendraient faire du rodéo sur les cultures. Les sauvant du naufrage de l’oisiveté, d’une solitude farouche et d’une posture victimaire passive, le jardinage ne va pas seulement les aider à mieux se nourrir, il va les rendre plus heureux d’eux-mêmes et leur permettre de manifester leur sociabilité. Dans la classification de Max-Neef on peut dire que la création de ces potagers est une réponse synergique.
Les choix que fait ainsi une population façonnent en retour les êtres humains qui la composent et leurs modes de sociabilité. C’est un engendrement réciproque qui illustre le principe de récursivité d’Edgar Morin. Une population au sein de laquelle la modalité de l’avoir prédomine produit des individualistes à la recherche permanente des moyens d’avoir ce qu’elle convoite. J’ai besoin de quelque chose, je l’achète, je la paye, je suis quitte. Je ne suis pas obligé de développer des compétences relationnelles, d’être partie prenante au sein d’une construction collective, puisque le fait de payer me libère de toute dette sociale et même de tout souci de l’autre. On peut parler d’une addition d’intérêts égocentriques, mais pas d’une société. En revanche, si les solutions choisies donnent une certaine place à l’interagir, on aura un développement de la sociabilité. Cela ne signifie aucunement que tout le monde deviendra beau et gentil: vivre en société suppose des frottements à gérer, des comportements à développer et des régulations à respecter.
Le processus de la réussite
Pour féconder l’avenir, il convient de mettre en route un processus conjuguant méthode, créativité et expérimentation. La première étape est, comme l’a fait Raiffeisen, de réunir une poignée de braves gens qui ont tout simplement envie que les choses aillent mieux et qui s’embarquent délibérément dans une démarche heuristique. Il est nécessaire que ce soit un groupe et un groupe local. Un groupe, parce l’intelligence et la créativité collectives qui se frottent au réel seront toujours supérieures à celles d’un individu qui compile des informations dans son bureau. Un groupe localement enraciné, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’imaginer, il s’agit de mettre en oeuvre dans un environnement bien réel, d’avancer au rythme de l’expérimentation et de ses résultats - la démarche heuristique. Les membres d’un tel groupe ne sont pas des consultants chargés de produire des recommandations: ils sont les solutions qui s’incarnent.
Après Frédéric-Guillaume Raiffeisen et Manfred Max-Neef, je voudrais inviter un autre de mes inspirateurs: Stephan A. Schwartz. Ecrivain, chercheur, aventurier, philosophe, auteur et producteur de documentaires, Schwartz a consacré une partie de sa vie à comprendre comment un petit nombre de personnes parvenait dans certains cas à changer l’histoire. Il a d’abord constaté que les politiques brutales et coercitives n’ont pas de résultats durables. En revanche, en observant les mouvements qui ont réussi, il a décelé ce qu’il appelle « les huit lois pour obtenir des changements positifs et durables dans le monde » (3). En voici un aperçu.
1. La personne et le groupe doivent porter un vrai dessein.
Il ne s’agit pas d’avoir une idée molle ou un consensus intellectuel. Il faut qu’il y ait un véritable désir, profondément partagé, un engagement que l’on assumera dans la durée.
2. Les personnes et le groupe peuvent avoir des objectifs, mais les résultats ne doivent pas les obséder.
Il faut s’entendre sur les finalités, mais il faut écarter un engagement qui serait fondé sur des solutions préconçues qui créeraient des concurrences au sein du groupe et dont la mise en oeuvre ne tiendrait pas compte de la situation telle qu’elle va se découvrir et évoluer. Il convient de laisser aux solutions la possibilité d’émerger au fur et à mesure que l’on avance. C’est dans ce sens que j’ai évoqué une démarche « heuristique ».
3. Chaque personne au sein du groupe doit accepter que les objectifs puissent ne pas être atteints au cours de son existence et être à l’aise avec cela.
Le système dont nous voulons nous émanciper a mis des décennies à s’installer. C’est une sédimentation. Il a en outre la puissance que donne la concentration de richesse. Si nous pouvons espérer un « effet papillon », un basculement, acceptons que l’histoire puisse également être longue et requérir notre constance. Or, les personnes pressées de voir des résultats peuvent être tentées de s’engager dans des stratégies dominatrices pour parvenir à leurs fins. Elles fragiliseront le résultat final en éveillant des forces de rappel et en stimulant l’énergie des oppositions. Il faut accepter l’idée que l’on engage une action qui dépasse l’horizon de notre vie personnelle, que le processus consiste à laisser sur la planète une trace qui sensibilisera d’autres esprits jusqu’à ce que la situation, au moment où elle est mûre, bascule.
4. Chaque personne au sein du groupe doit accepter que ce qu’elle fait puisse ne lui apporter aucune reconnaissance et être parfaitement à l’aise avec cela.
Chacun peut penser sincèrement qu’il est désintéressé. Mais, quand on a l’occasion d’animer de nombreux groupes, on se rend compte que ce n’est pas si facile. Être apprécié, reconnu pour ce qu’on dit ou fait est un ressort humain tellement profond que c’en est de l’ordre d’un réflexe qui peut nous conduire, si nous n’y veillons, à s’attribuer tout le mérite.
5. Chaque personne, y compris dans le respect de la hiérarchie des rôle au sein de l’organisation, doit, quels que soient son sexe, sa religion, sa race ou sa culture, jouir d’une égalité fondamentale avec les autres.
On crée une association sans but lucratif et, tout de suite - et c’est normal - il faut s’organiser, attribuer des rôles, se doter d’un président, d’un secrétaire, d’un trésorier, etc. Mais, au delà de ces rôles, le respect de l’égalité de chacun doit être assuré. Ce n’est pas facile non plus.
6. Chaque membre du groupe doit exclure la violence, qu’elle soit en pensée, en acte ou en parole.
L’écrivain américain Henry David Thoreau vivait sobrement et pacifiquement au coeur de la nature, au bord de l’eau. Il a écrit des livres magnifiques et notamment il a publié en 1849 « La désobéissance civile ». Ce livre est donné comme étant à l’origine du concept de non-violence et serait la lecture qui a inspiré Gandhi.
7. Mettre en cohérence les comportements privés et les postures publiques.
La dissonance entre les comportements privés et le message que l’on veut transmettre finit par décrédibiliser le message. A l’inverse, la cohérence donne de la puissance au message.
8. Pour les individus comme pour les groupes, agir avec intégrité.
Quand on a des choix à faire - et on a en général beaucoup plus de choix possibles qu’on ne pense - et même s’il n’y a pas de choix parfait - privilégier systématiquement l’option qui affirme et respecte la vie. Jusque dans les petites choses.
Invitation à féconder l’avenir
Convaincu que nous devons et pouvons féconder l’avenir, je me suis donné aujourd’hui la mission de promouvoir les démarches que je viens d’évoquer. Dans un premier temps, je suis à la disposition de toute « poignée de braves gens » qui aimerait approfondir au cours d’un échange amical les sujets abordés dans cet article. Je le suis également de tous ceux qui voudraient aller plus loin, initier une démarche et être plus ou moins accompagnés*. J’envisage aussi, en fonction des retours que j’aurai, de créer une formation pour ceux qui voudraient devenir les initiateurs de ces démarches.
*Pour me joindre, cliquer sur « Me contacter » en haut à droite de la page et me laisser un message.
(1) Grâce à mon ami Laurent Marbacher que je remercie ici de cela.
(2) Cf. Béatrice Barras, Une cité aux mains fertiles, éditions REPAS, 2019.
(3) http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/apps/m/a...
15:58 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : raiffeisen, avenir, civilisation, max-neef, stephan schwartz, nouvel ordre mondial, liberté
17/04/2023
De la dépossession
Je suis un lecteur éclectique et cela me permet de faire parfois des rapprochements inattendus. Récemment, j’ai constaté qu’entre les propos du docteur Louis Fouché et ceux du philosophe américain, Matthew B. Crawford - l’auteur de « L’éloge du carburateur » - les résonances ne manquent pas, singulièrement autour du concept de dépossession. Les points de départ sont différents, les références et le vocabulaire aussi, mais très nettement voilà deux hommes qui, chacun de son côté de l’Atlantique, dénoncent la même dérive de nos sociétés. Nous nous engluons dans un système tentaculaire de sollicitations et d’injonctions qui, les unes et les autres, tendent à nous désapproprier de notre contact personnel au monde et à asphyxier notre liberté créatrice. Ce système est hétérogène, composite, il est à la fois politique, réglementaire, économique, technologique, financier, social. Il conjugue les appétits et les ambitions d'acteurs dont la complicité est peut-être plus souvent d’opportunité que subjective, mais où certains personnages - comme Klaus Schwab, le fondateur et animateur du World Economic Forum - parviennent à insuffler une orientation minimale. L’ensemble constitue une machine à produire à grande échelle un consentement biaisé des masses humaines - c’est-à-dire une soumission - qui n’a jamais été aussi performante. Cette machine utilise une double force: celle de la contrainte et celle de la suggestion. La contrainte s’exprime dans la règlementation, les interdits, les menaces, la surveillance, les sanctions. La suggestion relève de la manipulation mentale utilisée à des fins commerciales ou idéologiques, ou pour produire des réflexes conditionnés au moindre coût.
Le totalitarisme en mode lousdé
Je gage que peu de mes lecteurs sont prêts à accepter l’idée que nous sommes entrés dans une ère de totalitarisme. Le mot rappelle en effet les souvenirs du pire de l’URSS, l’époque des goulags où l’on envoyait les gens dénoncés pour une correspondance privée critiquant le « petit père des peuples » (1). Or, ne voit-on pas tous les jours, dans notre pays, des spectacles qui démontrent à quel point notre liberté s’étend jusqu’à la licence ? Mais monter régulièrement en épingle l’obscénité - les provocations de l’Art contemporain, les excentricités des genristes ou de certaines ultra-minorités sexuelles - n’est qu’un tour de prestidigitation pour retenir notre attention d’aller voir ailleurs. Il y a des libertés spectaculaires sans importance à qui est donné le devant de la scène afin, en coulisse, de mieux étrangler des libertés essentielles. Quand on accepte certaines filouteries dangereuses pour garder le droit de prendre un café, d’aller au cinéma ou de voyager, c’est déjà que l’on n’a pas trouvé le recul nécessaire pour distinguer l’essentiel de l’accessoire. Là est le danger de se perdre. Globalement, qu’il s’agisse des grandes lignes de nos vies ou de notre quotidien, de l’éducation de nos enfants ou de la disposition de nos corps, tout se décide toujours davantage sans nous et nous revient sous une forme comminatoire. En outre, gage d’efficacité, la mise en oeuvre peut désormais s’appuyer sur une technologie aussi banalisée qu’invasive. Le totalitarisme d’aujourd’hui est une pratique en lousdé. C’est une société où certaines formes d’indépendance se réduisent inexorablement et où, petite touche par petite touche, une volonté opiniâtre de contrôle recouvre le paysage de nos vies d’un voile grisâtre. En s’additionnant, des dispositifs liberticides en apparence subsidiaires finissent par tisser un filet aux mailles de plus en plus serrées. C’est, pour la consommation d’énergie, le compteur électrique dit « intelligent ». C’est l’interdiction de détenir chez soi en liquide plus qu’une certaine somme. C’est bientôt, pour voyager, le carnet de vaccination en forme de puce insérée sous la peau. C’est l’allègement de l’étiquetage de certains produits qui réduit la possibilité de faire des choix éclairés ou en tout cas en cohérence avec nos valeurs (2). C’est la propagande genriste à l’école: comme nous l’avait déclaré il y a quelques années une femme politique française: « Vos enfants ne vous appartiennent pas ».
Réalité augmentée ou diminuée ?
On a beaucoup vanté la « réalité augmentée », mais que dire de la réalité diminuée ? Le totalitarisme en lousdé, c’est aussi la censure des opinions divergentes par les mass médias où, si elles sont citées, c’est pour être incendiées. C’est, sur les réseaux sociaux, les documents supprimés - y compris des études officielles - « au nom des standards de la communauté », ou les opinions hypocritement dissimulées par les algorithmes: le shadow banning. Ce sont les centaines de milliers de petits comptes qui disent n’importe quoi sans être inquiétés, parce qu’ils n’ont aucune influence mais servent à démontrer la liberté d’expression tandis que l’on clôture autoritairement ceux qui commençaient à acquérir une véritable audience. Ce sont les trolls diligentés par des officines subventionnées afin de pourrir les fils de discussion. Dans une société où le monde perçu par beaucoup se limite à l’écran de la télévision, ce que l’on n’y voit pas n’est pas perçu comme caché: n’existe pas l’idée même que cela puisse exister. Alors, pour celui qui n’a pas l’intuition ou envie de se poser des questions, de faire ses propres recherches, il n’y a pas d’opinions divergentes, il n’y a que des consensus auxquels on ne peut que se soumettre. On en a fait l’expérience avec l'invisibilisation de scientifiques qui avaient une pensée différente sur le coronavirus, tandis que des experts à conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique hantaient chaque jour les plateaux. On peut aussi évoquer, alors que les politiques les moins représentatifs ou qu’accompagnent un impressionnant lot de casseroles sont invités chaque jour, le bannissement médiatique total de François Asselineau dont la moindre vidéo fait cinq cents fois plus de public que le dernier film, pourtant généreusement subventionné, de Bernard-Henri Lévy.
Les dénonciateurs du « complotisme » oublient de dire que les Etats-unis ont depuis longtemps utilisé Hollywood pour faire passer les narratifs qui les arrangent (3). D’ailleurs les forces spéciales américaines viennent officiellement de déclarer qu’en cas de besoin elles utiliseraient des « deep fakes » au titre de leurs stratégies (4). Distinguer le vrai du faux est déjà de plus en plus difficile: avec le recours à l’intelligence artificielle, cela deviendra une gageure. Cette dernière en effet donne à n’importe quel quidam le pouvoir de créer des images et des articles de presse qui ont toute l’apparence de la vérité tout en n’étant que des inventions. Elle apporte ainsi une puissance inimaginable aux ombres de la caverne dont Platon voulait nous détourner. Or, comme l’a écrit Hannah Arendt: « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n'est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d'agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez ». Aux forces que ce système déploie s’ajoutent des phénomènes tels que le wokisme qui tend à nous priver de nos repères, ainsi que les différents mouvements de repentance qui veulent nous enfermer dans une passion triste qui nous vide de notre énergie.
La flamme de l’attention
Mais la dépossession majeure que l’on nous inflige, sans laquelle rien de ce qui précède ne serait facile à imposer, est celle de notre attention. Krishnamurti faisait de l’attention la porte d’entrée de notre esprit, la clé de notre vie: sur quoi la focalisons-nous, de quoi la nourrissons-nous ? Or, la capter est devenu un enjeu pour tous ceux qui attendent quelque chose de nous et, entre les marchands, les gouvernements et les colporteurs d’idéologies diverses, les prédateurs de notre attention sont devenus innombrables. Il y a quelques décennies, il fallait ouvrir un journal, allumer le poste de radio ou de télévision, ou choisir d’assister à un meeting, pour être exposé à ce battage. Maintenant, nous le sommes en permanence. C’est une omniprésence de messages ou plutôt d’interpellations et de leurs vecteurs - essentiellement tout ce qui est doté d’un écran. Combien de temps passons-nous chaque jour à lire des informations que nous n’avons pas sollicitées ? Combien à nous laisser embobiner par le jeu des commentaires sur les réseaux sociaux ? Combien de fois, tentés de ne pas ouvrir cette boîte de Pandore, avons-nous hésité en nous disant: « Il y a peut-être quelque chose à apprendre ou à partager ? »
Au surplus, des images savamment calculées passent la barrière de notre filtre conscient pour influencer notre inconscient. Derrière tout cela il y a un autre projet: celui de nous éduquer, c’est-à-dire de nous faire adopter des mœurs, des croyances et des comportements décidés par des élites autoproclamées. Comme l’a montré Virginie Martin (5), les séries télévisées contribuent largement, au delà des histoires dont elles prétendent nous distraire, à faire évoluer la culturendes peuples. Ce que nous pouvons voir et devons penser, ce qu’est le bonheur, ce que c’est qu’être un humain, le bien, le mal, le gentil, le méchant, où doit aller notre société, tout cela nous est administré en perfusions indolores. En sommes-nous seulement conscients ?
Nous sommes les auteurs de ce monde
Ce monde ne sort pas d’un chapeau. Il n’est pas l’oeuvre d’un démiurge diabolique. Toutes les civilisations résultent des choix que, dans un environnement donné, une population a faits afin de satisfaire ses besoins. D’une part, chacun de ces choix crée un afflux d’énergie vers certains secteurs qui s’enrichiront et auront ainsi tendance à s’autonomiser et, de réponse à un besoin, à devenir des lieux de pouvoir surplombant la société (6). D’autre part, dans ces choix faits au fil du temps et parfois des siècles, quelques motivations spontanées et répétées ont joué un rôle déterminant: a été plébiscité ce qui « facilite la vie », ce qui donne le sentiment d’être davantage protégé, ce qui valorise les premiers expérimentateurs aux yeux des autres et ce qui enrichit matériellement. Chacune de ces motivations débouche sur une pente douce au début mais qui ne manque jamais de s’accélérer, cela d’autant que le marketing de ceux qui y ont intérêt y encouragera. Si la motorisation de certaines tâches constitue un véritable soulagement pour les ouvriers et les paysans, que dire par exemple de la télécommande de nos téléviseurs ? A combien de mètres regarde-t-on l’écran ? Se lever pour changer de chaîne représente-t-il une fatigue singulière ? A lui seul, cependant, combien de matière et d’énergie cet objet fabriqué par milliards d’unités consomme-t-il ? Combien de déchets représente-t-il ? Et, parmi cent autres objets de notre quotidien qui nous poussent sur la même pente, quel effet a-t-il sur l’évolution de nos comportements ? A sa modeste place, la télécommande est symbolique de la manière dont nos choix, innocemment, engendrent un monde et nous façonnent en retour.
L’organisation de la résignation
Le pouvoir se concentre à mesure de la richesse. Avec la mondialisation, cette concentration est à l’échelle de la planète. Elle a engendré des monstres de puissance économique et financière qui interfèrent dans tous les secteurs de nos vies. Leur collusion avec un pouvoir politique qu’elles ont de plus en plus souvent contribué à mettre en place nous prive des plus élémentaires garde-fou. De ce point de vue, nous devons remercier la prétendue « crise sanitaire »: elle a rendu visible une réalité qui relevait jusque là d’un roman dystopique. Elle nous permet de comprendre par exemple que si, un jour proche, l’OMS décide, pour notre bien et celui de la planète, de contrôler notre alimentation, il lui suffira de passer des accords avec ceux qui lui auront d’ailleurs susurré cette idée à l’oreille: les industriels de l’alimentaire, les chaînes internationales de restauration, etc. Que les législateurs nationaux rajoutent à cela quelques normes ou obligations pesantes, qu’une crise énergétique opportune survienne, et les petits commerces indépendants finiront par mettre les uns après les autres la clé sous la porte. C’est la logique du totalitarisme: le nombre, l’hétérogénéité et l’indépendance des acteurs sont un obstacle au projet qu’il s’agit de mettre en place. Sous les prétextes d’économies et d’efficacité, il est indispensable donc de simplifier la réalité, de ne voir qu’une seule tête et de n’avoir que des interlocuteurs de niveau planétaire. Une fois encore, la gestion de la crise du covid est riche d’enseignements: on a neutralisé des centaines de milliers de médecins libéraux qui avaient les compétences de soigner et guérir, parce qu’il fallait réserver le terrain à une politique planétaire unique et aux productions de la grande industrie pharmaceutique. Mis entre parenthèses et l’ayant accepté sans résistance, ces professionnels n’ont pas vu que c’était le début de la pente qui les conduirait à être évincés au profit des plateformes de consultations à distance assistées de la nouvelle baguette magique: l’intelligence artificielle. Et voilà qu’émerge un système de santé dont nous - les citoyens - nous satisferons par défaut !
Tout s’organise pour que nous soyons convaincus qu’il n’y a devant nous qu’une seule route, qu’il serait vain de vouloir en trouver une autre et que, de toute façon, nous sommes désormais impuissants. Cela aussi est une marque de l’esprit totalitariste. « There is no alternative! » comme le scandait Margaret Thatcher et comme le reprennent en coeur tous ses épigones. Si, à l’intérieur de leur système, il n’y a pas d’alternative, il y en a en revanche en dehors. La nouvelle route n’est pas à trouver: elle est à créer. Le nouveau film n’est pas à choisir dans le catalogue: il est à imaginer. Nous ne sommes jamais prisonniers que des réponses que nous avons choisi de donner et continuons à donner à nos besoins. En cela il n’y a pas de faute et il ne doit pas y avoir de culpabilité: l’humanité apprend en marchant. La seule faute serait, aujourd’hui, de ne pas prendre en compte ce que nous voyons et ce que nous avons la capacité de comprendre. Si, aujourd’hui, nous nous sentons à l’étroit dans notre société de 2023, l’histoire des besoins dont nous avons privilégié la satisfaction et les réponses additionnées que nous leur avons données nous permettrait de comprendre comment nous en sommes rendus là. Mais, quelque intéressant qu’il serait, ce n’est pas un travail historique que je veux vous proposer au terme de ce constat. Il s’agit d’avenir, il s’agit d’innovation et d’invention et c’est ce dont il sera question dans ma prochaine chronique.
(1) C’est ce qui est arrivé à Soljenitsyne.
(2) La Commission européenne envisage de supprimer les mentions caractérisant le mode d’élevage des volailles pour simplifier les normes de commercialisation: https://www.tf1info.fr/conso/video-etiquetage-des-volaill...
(3) Erwan Benezet, Barthélemy Courmont, Hollywood-Washington, Comment l’Amérique fait son cinéma, Armand Colin, 2007.
(4) https://www.les-crises.fr/psyops-les-forces-speciales-us-...
(5) Virginie Martin, Le charme discret des séries, humenSciences, 2021.
(6) J’ai évoqué ce phénomène ici: http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/...
08:59 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : louis fouché, matthew b. crawford, covid, wef, réglementation, schwab, big pharma, société
02/03/2023
Antagonismes irréductibles (2/2)
Le clivage ultime
2500 milliards de galaxies.
2500 milliards de galaxies, une quantité incommensurable d’espace, de matière, d’énergie et, sur cette Terre qui nous paraît immense et qui n’est dans cette immensité qu’une poussière, des petits grains de conscience: nous. « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien. » (Blaise Pascal). De son côté, Descartes, posant la première pierre de sa réflexion, dit: « Je pense donc je suis ».
Quel sens donnons-nous à l’existence de cette conscience qui se pense et pense l’univers ? Quel sens se donne-t-elle à elle-même ? Pour certains, elle ne serait qu’un épiphénomène, pour d’autres elle est transcendance. De nouveau les questions de Gauguin: que sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
De tout temps, les hommes ont voulu pressentir que, derrière le chatoiement du monde que nos sens captent, il y a des présences d’une autre nature et, peut-être, une Présence. Face à cet univers luxuriant qu’est la diversité des croyances et des mystiques, certains évoqueront un dérisoire délire d’interprétation. Je verrais plutôt, en ce qui me concerne, une effervescence d’explorations. Je pense à cette phrase du Père Ceyrac (1914-2012) que j’ai eu la chance de croiser: « Toutes les religions sont un chemin vers le mystère de Dieu ». Cette conscience qui émerge de l’évolution creuse, au sein de l’humain, un manque spécifique. Des romanciers comme François Mauriac, des poètes comme Paul Valéry, des psychanalystes et des philosophes ont sondé ce manque qui caractérise l’espèce, l’entraînant au pire, au meilleur ou au médiocre. Au pire, si nous nous trompons de cible et attendons de la créature qui nous est semblable plus que ce qu’elle peut nous donner*, ce qui fera la source intarissable des drames passionnels; au pire, encore, si nous recherchons une impossible complétion dans la démesure des projets et des actes. Au médiocre si nous noyons cette inquiétude existentielle dans les plaisirs du divertissement, de l’égo et de la chair. Au meilleur si nous la reconnaissons pour ce qu’elle est: l’aspiration à aimer quelque chose de plus grand que nous-mêmes, qui établit une reliance entre l’infiniment petit que nous sommes et l’infiniment grand dans le visible et l’invisible, en passant par l’ensemble du vivant. Au meilleur si nous y reconnaissons, pour reprendre l’expression de Mauriac, « ce Dieu à l’affût en nous ».
Matérialisme moral et philosophique
Ce n’est pas pour rien que le terme « matérialisme » désigne à la fois l’attachement aux biens de ce monde et un postulat philosophique selon lequel tout est matière et l’esprit n’existe pas en tant que tel. Nous avons là le second antagonisme irréductible entre le christianisme et le monde dont rêve une certaine élite, et il n’est pas qu’intellectuel.
La représentation que l’on se donne du vivant induit la représentation que l’on se fait du bien et la forme que l’on entend donner à l’avenir de l’espèce humaine. Le projet transhumaniste, ultime incarnation du matérialisme, prétend prendre la main sur l’évolution qui a fait de nous ce que nous sommes. Or, il constitue rien de moins que l’aboutissement logique de l’animal-machine de Mallebranche. L’âme étant refusée aux animaux, ceux-ci étaient censés ne rien ressentir. Mallebranche battait ainsi sa chienne en public et soutenait que les cris qu’elle poussait n’étaient que les grincements d’une machine. Cela nous donne une idée de la puissance d’une idéologie quand elle s’empare d’un être, même intelligent: elle le rend sourd, aveugle et stupide. Pour l’instant, aucune idéologie ne permet heureusement de nier que l’humain peut ressentir de la souffrance, mais beaucoup de décisions sont prises par ceux qui en ont le pouvoir dans le mépris des souffrances qu'elles causent. Pour le matérialisme moderne, si l’être humain a encore un statut spécifique par rapport aux animaux, il n’a pas d’âme et cela autorise beaucoup de choses, par exemple de juger de son utilité ou d’évaluer le prix de sa vie comme on le ferait d’un objet**.
Un triste fait divers vient de mettre douloureusement le doigt sur une de nos contradictions. Un accident de la route survenu sous l’emprise de la drogue a provoqué la mort d’un foetus qui, de ce fait, a acquis une existence que le droit lui refuse: celle d’un être sensible ayant été injustement privé de la vie. On plaint la malheureuse mère mais on plaint aussi l’infortuné entant qui approchait du moment de sa naissance. Mais mourriez-vous à quelques heures du jour qui aurait pu être celui de votre venue au monde que, du fait que vous n’êtes pas né, vous n’avez aucune identité, aucune existence. Quelle différence y a-t-il, cependant, en tant qu’être vivant et sensible, entre cet enfant désiré qu’un accident prive de la vie et ceux, indésirés, que l’on choisit de supprimer ? Quelle différence, encore, entre cet enfant arraché accidentellement au ventre de sa mère et les effets délétères voire mortels des injections anti-covid encouragées, sans la moindre justification scientifique, sur les femmes enceintes ? Nous sommes là sur une frontière folle qui me fait penser aux montres molles de Dali.
Créer l’homme nouveau
Créer l’homme nouveau, ce désir n’est pas d’hier. N’est-ce pas déjà l’ambition du christianisme ? « Revêtez-vous de l'homme nouveau! » adjure saint Paul. A ceci près que l’invitation du Christ est un appel au changement de l’intérieur, à la décision souveraine de celui qui l’entend, et n’est pas imposé par une autorité dominatrice. La Révolution française se proposait de « changer le peuple » - expression reprise récemment par une femme politique - et cela en usant des lois. Le 11 novembre 1789, alors que la province ne manifeste guère d’enthousiasme pour les projets parisiens, Rabaud Saint-Etienne déclare: « Il faut remonter ce peuple, le rajeunir, changer ses formes pour changer ses idées, changer ses lois pour changer ses moeurs, tout détruire, oui, tout détruire, puisque tout est à créer »**. Du wokisme avant la lettre. On se rappellera qu’il y eut ensuite la promulgation d’un nouveau calendrier, fort poétique d’ailleurs mais qui n’a pas duré, et l’instauration de nouvelles mesures des distances, des poids et des volumes. Le communisme, avec les moyens que l’on sait, a lui aussi voulu créer un homme nouveau. Puis, plus douce mais plus insidieuse, est venue l’ingénierie sociale qui s’intéresse à la manipulation de nos ressorts intérieurs pour obtenir de nous les opinions et les comportements qui conviennent à ses commanditaires. Avec le transhumanisme, nous allons plus loin, beaucoup plus loin, que ce soit sur la ligne des capacités physiques ou mentales à accroître artificiellement mais surtout sur celle de la dépossession de nous-mêmes.
Le matérialisme nous dessine évidemment un avenir fondé non sur l’être mais sur l’avoir. Un humain « augmenté » par des artefacts afin qu’il soit plus rapide, plus intelligent, plus endurant, plus habile. En fait, on lui applique les mêmes critères de performance qu’à un robot et c’est tout-à-fait logique puisque l’on part d’une représentation qui est celle d’une machine, complexe certes, physico-chimique, énergétique, mais une machine quand même. L’interdiction de toucher au génome a déjà été transgressée sous le prétexte de protéger la santé des peuples. Partant de là, on peut aussi imaginer que, en choisissant les « gains de fonction » comme on le fait pour les virus, on façonne un jour des êtres humains, et cela non seulement en fonction des tâches qu’on entendra leur confier et des habiletés qu’elles nécessiteront, mais aussi des comportements dont on voudra les doter, tels que l’obéissance totale, l’insensibilité à la douleur, la vulnérabilité aux manipulations mentales. Mais le transhumanisme va plus loin. Le marketing, déjà, nous traquait afin de connaître notre profil de consommateurs en fonction de notre âge, de notre sexe, des traces que nous laissons un peu partout par nos consultations sur l’Internet et nos achats. Dans les années qui viennent, il conviendra de passer du commerce à la politique. Il conviendra que l’on sache tout, à tout moment, des individus qui composent une population à gérer. Qu’une ou plusieurs puces intégrées à leurs corps renseignent en permanence une intelligence artificielle sur leur santé, leurs émotions, leurs déplacements et leurs consommations, et permette ainsi de déterminer les mesures à prendre les concernant. Quel interdit serait-il légitime si l’on n’intervient que sur des machines ? Que peut-il y avoir de sacré dans une machine ?
La flèche de l'évolution
Dans un court texte, le père Teilhard de Chardin (1881-1955), théologien catholique, utilisait la métaphore de l’En-dedans et de l’En-dehors pour décrire l’axe de l’Evolution. L’En-dedans, c’est la subjectivité qui se concentre progressivement au coeur des êtres vivants jusqu’à culminer dans l’humain, ce néant qui devient ainsi « capable de Dieu »****. L’En-dehors, c’est l’absence de psychisme, c’est la matière brute. La flèche de l’évolution est orientée de l’En-dehors vers l‘En-dedans. Un En-dedans particulièrement densifié est la caractéristique du « phénomène humain »*****. Cet En-dedans est le lieu du mystère de l’être, le lieu de sa liberté et de sa responsabilité, de ses passions et de son destin - et de sa possible rencontre avec Dieu. C’est l’intimité qui devrait être inviolable. Or qu’annonce un transhumaniste comme Youval Harari, intervenant bien-aimé du World Economic Forum ? Qu’il n’y aura plus d’âme, plus de libre-arbitre, plus d’intimité inaccessible de l’extérieur. Tout au contraire, par le biais de technologies invasives, nous deviendrons intégralement des En-dehors sous l’oeil vigilant des Big Brothers qui se sont attribués la mission d’administrer l’humanité et qui commencent à le faire sur le mode des élevages industriels.
Alors, je repense à notre statue de Saint-Michel dont une certaine association demande le déboulonnage au motif qu’elle fait de la propagande religieuse dans l’espace public. S’agit-il d’un simple réflexe atavique anti-calotin ? Ou bien se jouerait-il là quelque chose de plus profond ? Certains s’identifieraient-ils au dragon que terrasse l’Archange ?
* « L’amour, c’est vouloir donner à quelqu’un qui n’en veut pas quelque chose qu’on n’a pas » (du pessimiste Jacques Lacan).
** Cf. chronique Antagonismes irréductibles 1/2 et https://www.investisseur-sans-costume.com/la-guerre-est-la-continuation-de-la-dette-par-dautres-moyens/
*** Cf. Claude Quétel, Crois ou meurs !: Histoire incorrecte de la révolution Française, TallandierPerrin, 2021.
**** Cardinal de Bérulle (1575-1629), Œuvre de piété.
***** Pierre Teilhard de Chardin, Le phénomène humain, Le Seuil, 1955.
22:13 | Lien permanent | Commentaires (0)