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31/08/2023

Le droit des générations futures

Quand on évoque le droit des générations futures, on fait le plus souvent référence à leur droit de vivre sur une planète qui n’aura pas été complètement polluée, enlaidie et appauvrie par les générations qui les auront précédées. Une planète saine, encore riche de ressources, de beauté, de vie animale et végétale. Bref, le discours autour du droit des générations futures, comme en témoigne par exemple la prochaine table ronde de Futuribles International*, est essentiellement environnementaliste ou écologique. On ne peut que s’en féliciter, à condition de ne pas écarter de l’héritage à transmettre des éléments tout autant essentiels. 

 

Le premier de ces éléments est une forme de société dans laquelle on puisse vivre une vie d’humain. Avec l’apparition de l’homme, il y a l’émergence d’une qualité extraordinaire: la capacité créatrice. Elle est la caractéristique de notre espèce et son exercice est un élément de son épanouissement et du bonheur qu’elle peut connaître. Or cette capacité est inséparable de la liberté. Il s’agit donc que le sauvetage de la Terre belle et habitable que nous entendons remettre à nos descendants n’ait pas entre temps fourni le prétexte d’une gestion totalitaire de nos vies, appuyée sur le numérique et l’intelligence artificielle. 

 

Or, la mise en oeuvre d’une gestion industrielle du « parc humain » comme le dirait Sloterdijk, semble bien se préparer. Au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, s’accélère une dérive vers la surveillance permanente des comportements, vers des programmes sanitaires (et un jour alimentaire) autoritaires, vers le crédit social à la chinoise. Je n’ai ni le temps ni l’envie de donner ici les informations dont la convergence corrobore ce possible scénario - j’ai en cours l’écriture d’un essai qui y consacre un chapitre - mais l’abattage forcené des bovins en même temps que la promotion des insectes dans l’alimentation humaine, la contrainte du tout-électrique en même temps que l’insuffisance inéluctable à terme de la production de cette énergie, les « villes 15 minutes » dont les autorisations de sortie d’une heure ont donné l’avant-goût, la censure sans complexe des pensées divergentes au nom des vérités officielles, la multiplication actuelle des faillites des petites entreprises et la mainmise du capital sur les circuits alimentaires et des chaînes internationales sur le commerce de proximité, tout cela et plus encore dessine un itinéraire qui peut nous conduire à un cauchemar soviétique modernisé. Le problème, ici, n’est pas que ces « solutions » aient pu être imaginées. Elles ne pourraient être que des idées tirées d’un roman dystopique. Le problème est qu’elles proviennent d’une sorte d’élite mondiale qui, grâce sa puissance financière et à la clientélisation des dirigeants politiques qu’elle a organisée, a aujourd’hui la capacité de les mettre en oeuvre et de les conduire jusqu’au bout.

 

Or, si l’humanité perdure, elle aura besoin de sa capacité créatrice. Comme le montre l’histoire, si les sociétés subsistent grâce à un minimum de conformisme de ceux qui les composent, elles ne surmontent de nouveaux défis que grâce aux non-conformistes capable de faire des événements des analyses différentes et, en conséquence, face à des problèmes complètement nouveaux, d’imaginer des solutions nouvelles. Ces divergents appartiennent assez rarement aux castes qui détiennent le pouvoir, aux courants de pensée qui font consensus. A titre d’illustration, je vous invite à accorder quelques secondes à  la question du réchauffement climatique. Il se peut que nous vivions l’amorce d’un réchauffement qui mette la résilience de notre civilisation à l’épreuve. Mais, compte tenu de ce que nous apprend l’histoire du climat**, doit-on comme le GIEC tout mettre sur le compte du CO2 et d’une origine anthropique de son accroissement ? A des périodes où l’activité humaine ne peut en aucune manière être incriminée, la Terre a connu de grands réchauffements. Autorisons nous à faire l’hypothèse que, si nous connaissons en effet le début d’un réchauffement de cette ampleur, l’homme n’y soit pour rien et que la cause en échappe à notre pouvoir. Etre obsédé par la traque du CO2 va nous affaiblir tout en nous détournant d’imaginer comment nous adapter à l’inéluctable. C’est tout simplement suicidaire. 

 

Il ne faut donc pas se contenter de léguer à nos générations futures une planète écologiquement en bon état. Il faut aussi leur laisser des institutions suffisamment protectrices de leur liberté pour que vivre une vie humaine soit préférable à vivre celle d’un animal en batterie, et que l’humanité conserve le principal ressort de sa résilience. 

 

Si nous voulons une humanité debout et résiliente, il y a d’autres poisons que ceux qui nuisent à la planète et il nous faut nous abstenir de les léguer aux générations futures. Bien que nous en ayons été harcelés, nous ne devons pas transmettre la honte d’être nous-mêmes associée à la drogue délétère de la « repentance ». L’une et l’autre tuent l’âme. Le wokisme, la cancel culture, constituent la pire des pandémies que l’on puisse imaginer. C’est une peste intellectuelle et spirituelle. Tout au contraire, à l’héritage d’une planète saine, il nous faut ajouter l’histoire, notre histoire, une belle histoire enluminée de récits héroïques et des monuments de toute sorte qui parsèment notre territoire et notre culture. Comme l’a dit Alain Foka: « Nul n'a le droit d'effacer une page de l'histoire d'un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme. »  C’est pourtant ce que l’on nous propose sous le motif de rendre la justice. Mais songeons justement aux malheureux Aborigènes d’Australie: la déculturation imposée par les colons fut un succès total. Afin d’assurer l’impossibilité de nouvelles révoltes, il fut décidé de tuer l’âme de leurs peuples: les enfants qui avaient survécu au génocide furent placés dans des familles où toute transmission de leur culture était impossible. Au bout de quelques générations, le résultat fut si désastreux - violences, addictions diverses, incestes, etc. - que le gouvernement australien fit appel à un psychothérapeute, Michael White. Celui-ci parvint à la conclusion que la déculturation, l’absence de mythes et de récit collectifs, du sentiment d’appartenance à une lignée, les avait comme privés de colonne vertébrale et jetés dans le vide. Le wokisme est une sorte de colonisation du même genre, dont nous sommes les nouveaux aborigènes. Comme l’a écrit Kant, « la colombe pourrait croire qu’elle volerait encore mieux dans le vide ». Mais si l’on supprime l’air, la colombe, privée de sustentation, tombera.

 

Enfin, il y a ces choses que l’on peut prêcher, mais que l’on ne peut transmettre qu’à la condition de les incarner. Je voudrais, pour conclure, évoquer celles qui me paraissent les plus fondamentales. 

 

La gestion de la « crise sanitaire » a été sur une très grande échelle un test de notre aptitude à la démocratie. Je ne porterai pas de jugement sur les comportements qu’elle a suscités au sein des masses concernées, mais il en ressort que nous avons beaucoup à apprendre. Une majorité d’entre nous a été victime de ce que Noam Chomsky a appelé la fabrique du consentement. Lui-même, en cette occasion, malgré ce qu’il en savait, a vu sa lucidité surprise. Cela signifie que le principal danger de la démocratie est la crédulité des citoyens. Cette crédulité, si elle est bien exploitée, permet d’actionner le levier de la peur et de donner à quelques-uns le pouvoir sur tous. Au vrai, cette crise, qui a été quasiment planétaire et a particulièrement embarqué les pays les plus « civilisés », a marqué l’amorce d’un tournant anthropologique. L’humanité peut-elle s’épanouir dans la liberté ou bien son destin ne saurait-il culminer que dans l’abandon de sa vie à une élite autoproclamée ? La réponse reste encore à donner, mais le temps maintenant est compté. En vertu de ce que j’ai dit plus haut sur le rapport entre notre espèce et la liberté, je veux croire que l’humanité, forte de cette expérience hallucinatoire, saura cultiver la lucidité et le courage afin de déjouer de futures tentatives de subtilisation du destin qu’il lui appartient de se construire. 

 

Il y a deux mille ans eut lieu une révolution. Son récit fait partie de ceux que voudraient effacer à la fois les capitalistes, les wokistes, les transhumanistes et beaucoup d’autres. C’est celui du Christ qui dénia toute vraie valeur aux biens matériels, prêcha l’amour des plus faibles, chassa les marchands du temple, refusa la violence qui aurait pu Lui épargner le supplice et la mort. C’est une histoire qui encombre presque tout le monde aujourd’hui, et même, parfois, ceux qui y adhèrent. Pour faire court, dans le christianisme, il y a au moins trois choses qui défient notre monde finissant et dont j’aimerais que s’emparent les générations futures: le refus du darwinisme social, le refus de la violence et le sens de la transcendance. Il n’y a rien de plus opposé au christianisme que le darwinisme social qui, au XIXème siècle, a donné une absolution pseudo-scientifique à la rapacité humaine. Dans un monde où la loi la plus respectée est celle du plus fort, où l’adulation va aux gloires futiles et à l’enrichissement à tout prix, prêcher à nouveau l’empathie pour les pauvres, les faibles et même les perdants - les losers! -, est ce qu’il y a de plus révolutionnaire. La seconde chose qu’affirment les Evangiles est la non-violence. « La vie n’est qu’une histoire de bruit et de fureur » fait dire Shakespeare à Macbeth. Une planète en bon état mais où l’humanité continuerait de propager « bruit et fureur » ne marquerait pas un grand progrès. Je ne fais pas partie des « bisounours », je les critique même souvent, mais la non-violence n’est pas à confondre avec la mollesse, l’acceptation de tout et de n’importe quoi. Elle est le refus de se laisser emporter par la violence de l’autre. Elle est le refus de la transmettre. Elle n’est pas le refus d’oeuvrer pour un nouveau monde. Le troisième élément qui brille au coeur du récit évangélique - mais aussi dans d’autres - est la transcendance. Il y a deux mille cinq cents milliards de galaxies et, sur un grain de poussière, au sein de l’une d’entre elles, il y a la conscience humaine. Cela mérite que l’on médite sur ce qui devrait occuper cette dernière. Le système des besoins humains selon moi le plus pertinent, celui de l’économiste chilien Manfred Max-Neef, n’en recensait au début que neuf. Au terme de ses observations, Max-Neef lui en a rajouté un dixième: le besoin de transcendance, dont il écrivit qu’apparu peut-être tardivement par rapport aux autres il était en voie de se développer. Ne laissez pas votre conscience s’absorber dans de vaines préoccupations. « Vous êtes le sel de la terre ». 

 

* https://r.aboreport.fr/mk/mr/sh/6rqJ8GoudeITQjupd0QQee9si... 

** Olivier Postel-Vianey, Sapiens et le climat, Presses de la Cité, 2022. 

25/07/2023

Plasticité de l’être humain 

 

Les Allemands, l’un des peuples européens alors les plus cultivés et pas plus méchant que les autres, se sont laissés happer par le nazisme. Dans notre pays, il y eut à la fois des Jean Moulin et des traitres qui, les dénonçant, les ont envoyés à la torture et à la mort. Il y eut aussi des Lacombe Lucien* dont la bifurcation dans la mauvaise direction tint à un cheveu. Selon moi, il convient de rester humble. Bien prétentieux est celui qui affirme aujourd’hui, sans avoir vécu d’évènements semblables, qu’il aurait été du côté de la Résistance active. En chacun d’entre nous, le saint et le bourreau voisinent, de même que le martyr et le lâche, l’idiot et le génie et bien d’autres. Les révéler, leur donner corps est affaire de rencontre de notre émotionnel avec les hasards de la vie, tant des évènements que des êtres humains. La maturité psychologique, qui n’est pas une question d’âge, est l’aptitude à ne pas se laisser entraîner dans de mauvaises directions. Cela nécessite une lucidité en éveil appuyée par la volonté de s’éduquer sans cesse. 

 

Les choix que l’on fait dans ce genre de situation n’ont pas grand chose à voir avec le quotient intellectuel. L’intelligence ne fait pas le héros et ne protège pas des dérives. A preuve, Noam Chomsky: il a dénoncé et démonté avec une grande acuité ce que l’on appelle « la fabrique du consentement » et il est tombé dans le piège de la propagande covidiste. Cela jusqu’à exiger que l’on enferme ceux qui refusaient les injections expérimentales. Chez nous, un philosophe bien connu, en même temps que ses nerfs a perdu sa philosophie et en particulier son fier stoïcisme au point de réclamer la même chose. Hitler promettait aux Allemands trois choses dont ils étaient cruellement privés: du pain, de l’honneur et du travail. A un nonagénaire légitimement conscient de la fragilité de sa vie ou à un philosophe au système nerveux fragile, le pari d’une fabrique du consentement était trop énorme, trop risqué. Les injections, au contraire, leur promettaient une chose pour eux essentielle: réduire la peur de la mort. C’est alors que, des tréfonds de leur psyché, un tyran a surgi. 

 

Au surplus, la conviction d’être au service du bien en même temps légitime et déchaîne les comportements tyranniques que beaucoup d’entre nous portent en germe. La résistance les exaspère. La jouissance de l’autoritarisme a alors pour pendant ce que Goethe appelait « la bêtise au front de taureau ». C’est ainsi que nos révolutionnaires ont déclenché la Terreur. C’est ainsi qu’à la faveur de la crise du Covid l’inintelligence et l’inhumanité ont envahi les professions médicales et certains secteurs de la fonction publique. La croyance en une noble cause que l’on sert peut conduire, comme l’histoire l’a souvent montré, à commettre des horreurs. Refuser une greffe à une personne qui ne veut pas d’une injection expérimentale, ce n’est pas Auschwitz mais c’est une infamie quand même. Celui qui est capable de cela montre qu’il a perdu une partie de son humanité. De ce fait, il est engagé sur une pente à la faveur de laquelle, dans des circonstances adéquates, il pourrait en perdre le reste. Le nazisme n’est pas un phénomène différent. C’est un piège psychologique redoutable car il se referme lentement. Une propagande bien ciblée, une ingénierie sociale habile font prendre nos commandes par ceux de nos personnages intérieurs les plus manipulables.

 

C’est une héroïne de Bergman qui s’exclame (peut-être dans Crimes et chuchotements): « On ne m’a appris qu’à faire plaisir! » Tous ceux qui ont un projet sur nous et veulent nous façonner comme de l’argile exploitent entre autres ce besoin de faire plaisir, concomitant de la peur d’être rejeté, qui peut perdurer après l’enfance tant il a conditionné l’amour que nous recevions et le réconfort qui en résultait. Il est un des éléments intérieurs qui nous rend fragiles et malléables. C’est pour cela qu’entre autres choses demander à des enfants - seulement leur demander - de quel genre ils se sentent est une perversité. L’enfant n’a aucune idée des implications de la question et encore moins de sa réponse. Faute d’un choix qui ne peut s’exprimer qu’avec l’adolescence et le développement hormonal, il cherche à deviner la réponse qui ferait plaisir à l’adulte et finit par se couler dans le moule qu’on lui tend ou qu’il croit qu’on lui tend. Et l’on se retrouve avec des chirurgiens bien gras et les drames du Tavistock Institute. 

 

A ceux qui savent s’y prendre, nous pouvons être façonnables. Sur un plan plus ou moins futile, la puissance de la mode nous le démontre tous les jours. Nous ne manquons pas de faiblesses intérieures, de peurs, de frustrations, d’appétits, de paresses, par lesquels nous saisir et nous manipuler. Alain, philosophe athée, a cette phrase très forte: « L’âme, c’est ce qui résiste ». L’âme est ce qui nous alerte d’abord d’une dérive haïssable qui nous menace. Mais l’âme doit se se fortifier. J’ai un tempérament naturellement polémique, aussi, pour m’assagir, je médite souvent la prière de saint François d’Assise qui commence ainsi: 

«  « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix,
Là où est la haine, que je mette l’amour.
Là où est l’offense, que je mette le pardon.
Là où est la discorde, que je mette l’union. »

 

Chacun d’entre nous est une co-création. Nous ne sommes ni totalement les auteurs de nous-même ni entièrement le produit de la société. S’éduquer est peut-être agrandir notre part de co-création de nous-même. Mais, de nos jours, que produit notre co-auteur ? Quel genre d’humains l’incessante publicité télévisée prône-t-elle ? Quel genre d’humains la gestion de la crise sanitaire a-t-elle modelé ? Quelles animosités a-t-elle exacerbées ? Ne serait-il pas temps de reprendre tout cela ? Quand je contemple le gâchis qu’il y a en nous et autour de nous, combien nous nous sommes éloignés du vivant et de l’axe véritable de notre évolution, je me dis que, plus que de société, il s’agit aujourd’hui de civilisation. Selon moi, l’aboutissement d’une civilisation est de conduire l’homme à faire croître le meilleur de lui-même. Ce devrait même être le guide de toute construction sociale. 

 

* Lacombe Lucien, film de Louis malle (1974). Rejeté par les Résistants qui ne le jugent pas fiable, par dépit et désir d’aventure le jeune Lucien Lacombe rejoint la Collaboration.  

17/04/2023

De la dépossession

 

Je suis un lecteur éclectique et cela me permet de faire parfois des rapprochements inattendus. Récemment, j’ai constaté qu’entre les propos du docteur Louis Fouché et ceux du philosophe américain, Matthew B. Crawford - l’auteur de « L’éloge du carburateur » - les résonances ne manquent pas, singulièrement autour du concept de dépossession. Les points de départ sont différents, les références et le vocabulaire aussi, mais très nettement voilà deux hommes qui, chacun de son côté de l’Atlantique, dénoncent la même dérive de nos sociétés. Nous nous engluons dans un système tentaculaire de sollicitations et d’injonctions qui, les unes et les autres, tendent à nous désapproprier de notre contact personnel au monde et à asphyxier notre liberté créatrice. Ce système est hétérogène, composite, il est à la fois politique, réglementaire, économique, technologique, financier, social. Il conjugue les appétits et les ambitions d'acteurs dont la complicité est peut-être plus souvent d’opportunité que subjective, mais où certains personnages - comme Klaus Schwab, le fondateur et animateur du World Economic Forum - parviennent à insuffler une orientation minimale. L’ensemble constitue une machine à produire à grande échelle un consentement biaisé des masses humaines - c’est-à-dire une soumission - qui n’a jamais été aussi performante. Cette machine utilise une double force: celle de la contrainte et celle de la suggestion. La contrainte s’exprime dans la règlementation, les interdits, les menaces, la surveillance, les sanctions. La suggestion relève de la manipulation mentale utilisée à des fins commerciales ou idéologiques, ou pour produire des réflexes conditionnés au moindre coût. 

 

Le totalitarisme en mode lousdé

Je gage que peu de mes lecteurs sont prêts à accepter l’idée que nous sommes entrés dans une ère de totalitarisme. Le mot rappelle en effet les souvenirs du pire de l’URSS, l’époque des goulags où l’on envoyait les gens dénoncés pour une correspondance privée critiquant le « petit père des peuples » (1). Or, ne voit-on pas tous les jours, dans notre pays, des spectacles qui démontrent à quel point notre liberté s’étend jusqu’à la licence ? Mais monter régulièrement en épingle l’obscénité - les provocations de l’Art contemporain, les excentricités des genristes ou de certaines ultra-minorités sexuelles - n’est qu’un tour de prestidigitation pour retenir notre attention d’aller voir ailleurs. Il y a des libertés spectaculaires sans importance à qui est donné le devant de la scène afin, en coulisse, de mieux étrangler des libertés essentielles. Quand on accepte certaines filouteries dangereuses pour garder le droit de prendre un café, d’aller au cinéma ou de voyager, c’est déjà que l’on n’a pas trouvé le recul nécessaire pour distinguer l’essentiel de l’accessoire. Là est le danger de se perdre. Globalement, qu’il s’agisse des grandes lignes de nos vies ou de notre quotidien, de l’éducation de nos enfants ou de la disposition de nos corps, tout se décide toujours davantage sans nous et nous revient sous une forme comminatoire. En outre, gage d’efficacité, la mise en oeuvre peut désormais s’appuyer sur une technologie aussi banalisée qu’invasive. Le totalitarisme d’aujourd’hui est une pratique en lousdé. C’est une société où certaines formes d’indépendance se réduisent inexorablement et où, petite touche par petite touche, une volonté opiniâtre de contrôle recouvre le paysage de nos vies d’un voile grisâtre. En s’additionnant, des dispositifs liberticides en apparence subsidiaires finissent par tisser un filet aux mailles de plus en plus serrées. C’est, pour la consommation d’énergie, le compteur électrique dit « intelligent ». C’est l’interdiction de détenir chez soi en liquide plus qu’une certaine somme. C’est bientôt, pour voyager, le carnet de vaccination en forme de puce insérée sous la peau. C’est l’allègement de l’étiquetage de certains produits qui réduit la possibilité de faire des choix éclairés ou en tout cas en cohérence avec nos valeurs (2). C’est la propagande genriste à l’école: comme nous l’avait déclaré il y a quelques années une femme politique française: « Vos enfants ne vous appartiennent pas ». 

 

Réalité augmentée ou diminuée ?

On a beaucoup vanté la « réalité augmentée », mais que dire de la réalité diminuée ? Le totalitarisme en lousdé, c’est aussi la censure des opinions divergentes par les mass médias où, si elles sont citées, c’est pour être incendiées. C’est, sur les réseaux sociaux, les documents supprimés - y compris des études officielles - « au nom des standards de la communauté », ou les opinions hypocritement dissimulées par les algorithmes: le shadow banning. Ce sont les centaines de milliers de petits comptes qui disent n’importe quoi sans être inquiétés, parce qu’ils n’ont aucune influence mais servent à démontrer la liberté d’expression tandis que l’on clôture autoritairement ceux qui commençaient à acquérir une véritable audience. Ce sont les trolls diligentés par des officines subventionnées afin de pourrir les fils de discussion. Dans une société où le monde perçu par beaucoup se limite à l’écran de la télévision, ce que l’on n’y voit pas n’est pas perçu comme caché: n’existe pas l’idée même que cela puisse exister. Alors, pour celui qui n’a pas l’intuition ou envie de se poser des questions, de faire ses propres recherches, il n’y a pas d’opinions divergentes, il n’y a que des consensus auxquels on ne peut que se soumettre. On en a fait l’expérience avec l'invisibilisation de scientifiques qui avaient une pensée différente sur le coronavirus, tandis que des experts à conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique hantaient chaque jour les plateaux. On peut aussi  évoquer, alors que les politiques les moins représentatifs ou qu’accompagnent un impressionnant lot de casseroles sont invités chaque jour, le bannissement médiatique total de François Asselineau dont la moindre vidéo fait cinq cents fois plus de public que le dernier film, pourtant généreusement subventionné, de Bernard-Henri Lévy. 

 

Les dénonciateurs du « complotisme » oublient de dire que les Etats-unis ont depuis longtemps utilisé Hollywood pour faire passer les narratifs qui les arrangent (3). D’ailleurs les forces spéciales américaines viennent officiellement de déclarer qu’en cas de besoin elles utiliseraient des « deep fakes » au titre de leurs stratégies (4). Distinguer le vrai du faux est déjà de plus en plus difficile: avec le recours à l’intelligence artificielle, cela deviendra une gageure. Cette dernière en effet donne à n’importe quel quidam le pouvoir de créer des images et des articles de presse qui ont toute l’apparence de la vérité tout en n’étant que des inventions. Elle apporte ainsi une puissance inimaginable aux ombres de la caverne dont Platon voulait nous détourner. Or, comme l’a écrit Hannah Arendt: « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n'est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d'agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez ». Aux forces que ce système déploie s’ajoutent des phénomènes tels que le wokisme qui tend à nous priver de nos repères, ainsi que les différents mouvements de repentance qui veulent nous enfermer dans une passion triste qui nous vide de notre énergie. 

 

La flamme de l’attention

Mais la dépossession majeure que l’on nous inflige, sans laquelle rien de ce qui précède ne serait facile à imposer, est celle de notre attention. Krishnamurti faisait de l’attention la porte d’entrée de notre esprit, la clé de notre vie: sur quoi la focalisons-nous, de quoi la nourrissons-nous ? Or, la capter est devenu un enjeu pour tous ceux qui attendent quelque chose de nous et, entre les marchands, les gouvernements et les colporteurs d’idéologies diverses, les prédateurs de notre attention sont devenus innombrables. Il y a quelques décennies, il fallait ouvrir un journal, allumer le poste de radio ou de télévision, ou choisir d’assister à un meeting, pour être exposé à ce battage. Maintenant, nous le sommes en permanence. C’est une omniprésence de messages ou plutôt d’interpellations et de leurs vecteurs - essentiellement tout ce qui est doté d’un écran. Combien de temps passons-nous chaque jour à lire des informations que nous n’avons pas sollicitées ? Combien à nous laisser embobiner par le jeu des commentaires sur les réseaux sociaux ? Combien de fois, tentés de ne pas ouvrir cette boîte de Pandore, avons-nous hésité en nous disant: « Il y a peut-être quelque chose à apprendre ou à partager ? » 

Au surplus, des images savamment calculées passent la barrière de notre filtre conscient pour influencer notre inconscient. Derrière tout cela il y a un autre projet: celui de nous éduquer, c’est-à-dire de nous faire adopter des mœurs, des croyances et des comportements décidés par des élites autoproclamées. Comme l’a montré Virginie Martin (5), les séries télévisées contribuent largement, au delà des histoires dont elles prétendent nous distraire, à faire évoluer la culturendes peuples. Ce que nous pouvons voir et devons penser, ce qu’est le bonheur, ce que c’est qu’être un humain, le bien, le mal, le gentil, le méchant, où doit aller notre société, tout cela nous est administré en perfusions indolores. En sommes-nous seulement conscients ?

 

Nous sommes les auteurs de ce monde

Ce monde ne sort pas d’un chapeau. Il n’est pas l’oeuvre d’un démiurge diabolique. Toutes les civilisations résultent des choix que, dans un environnement donné, une population a faits afin de satisfaire ses besoins. D’une part, chacun de ces choix crée un afflux d’énergie vers certains secteurs qui s’enrichiront et auront ainsi tendance à s’autonomiser et, de réponse à un besoin, à devenir des lieux de pouvoir surplombant la société (6). D’autre part, dans ces choix faits au fil du temps et parfois des siècles, quelques motivations spontanées et répétées ont joué un rôle déterminant: a été plébiscité ce qui « facilite la vie », ce qui donne le sentiment d’être davantage protégé, ce qui valorise les premiers expérimentateurs aux yeux des autres et ce qui enrichit matériellement. Chacune de ces motivations débouche sur une pente douce au début mais qui ne manque jamais de s’accélérer, cela d’autant que le marketing de ceux qui y ont intérêt y encouragera. Si la motorisation de certaines tâches constitue un véritable soulagement pour les ouvriers et les paysans, que dire par exemple de la télécommande de nos téléviseurs ? A combien de mètres regarde-t-on l’écran ? Se lever pour changer de chaîne représente-t-il une fatigue singulière ? A lui seul, cependant, combien de matière et d’énergie cet objet fabriqué par milliards d’unités consomme-t-il ? Combien de déchets représente-t-il ? Et, parmi cent autres objets de notre quotidien qui nous poussent sur la même pente, quel effet a-t-il sur l’évolution de nos comportements ? A sa modeste place, la télécommande est symbolique de la manière dont nos choix, innocemment, engendrent un monde et nous façonnent en retour.  

 

L’organisation de la résignation

Le pouvoir se concentre à mesure de la richesse. Avec la mondialisation, cette concentration est à l’échelle de la planète. Elle a engendré des monstres de puissance économique et financière qui interfèrent dans tous les secteurs de nos vies. Leur collusion avec un pouvoir politique qu’elles ont de plus en plus souvent contribué à mettre en place nous prive des plus élémentaires garde-fou. De ce point de vue, nous devons remercier la prétendue « crise sanitaire »: elle a rendu visible une réalité qui relevait jusque là d’un roman dystopique. Elle nous permet de comprendre par exemple que si, un jour proche, l’OMS décide, pour notre bien et celui de la planète, de contrôler notre alimentation, il lui suffira de passer des accords avec ceux qui lui auront d’ailleurs susurré cette idée à l’oreille: les industriels de l’alimentaire, les chaînes internationales de restauration, etc. Que les législateurs nationaux rajoutent à cela quelques normes ou obligations pesantes, qu’une crise énergétique opportune survienne, et les petits commerces indépendants finiront par mettre les uns après les autres la clé sous la porte. C’est la logique du totalitarisme: le nombre, l’hétérogénéité et l’indépendance des acteurs sont un obstacle au projet qu’il s’agit de mettre en place. Sous les prétextes d’économies et d’efficacité, il est indispensable donc de simplifier la réalité, de ne voir qu’une seule tête et de n’avoir que des interlocuteurs de niveau planétaire. Une fois encore, la gestion de la crise du covid est riche d’enseignements: on a neutralisé des centaines de milliers de médecins libéraux qui avaient les compétences de soigner et guérir, parce qu’il fallait réserver le terrain à une politique planétaire unique et aux productions de la grande industrie pharmaceutique. Mis entre parenthèses et l’ayant accepté sans résistance, ces professionnels n’ont pas vu que c’était le début de la pente qui les conduirait à être évincés au profit des plateformes de consultations à distance assistées de la nouvelle baguette magique: l’intelligence artificielle. Et voilà qu’émerge un système de santé dont nous - les citoyens - nous satisferons par défaut !

 

Tout s’organise pour que nous soyons convaincus qu’il n’y a devant nous qu’une seule route, qu’il serait vain de vouloir en trouver une autre et que, de toute façon, nous sommes désormais impuissants. Cela aussi est une marque de l’esprit totalitariste. « There is no alternative! » comme le scandait Margaret Thatcher et comme le reprennent en coeur tous ses épigones. Si, à l’intérieur de leur système, il n’y a pas d’alternative, il y en a en revanche en dehors. La nouvelle route n’est pas à trouver: elle est à créer. Le nouveau film n’est pas à choisir dans le catalogue: il est à imaginer. Nous ne sommes jamais prisonniers que des réponses que nous avons choisi de donner et continuons à donner à nos besoins. En cela il n’y a pas de faute et il ne doit pas y avoir de culpabilité: l’humanité apprend en marchant. La seule faute serait, aujourd’hui, de ne pas prendre en compte ce que nous voyons et ce que nous avons la capacité de comprendre. Si, aujourd’hui, nous nous sentons à l’étroit dans notre société de 2023, l’histoire des besoins dont nous avons privilégié la satisfaction et les réponses additionnées que nous leur avons données nous permettrait de comprendre comment nous en sommes rendus là. Mais, quelque intéressant qu’il serait, ce n’est pas un travail historique que je veux vous proposer au terme de ce constat. Il s’agit d’avenir, il s’agit d’innovation et d’invention et c’est ce dont il sera question dans ma prochaine chronique. 

 

(1) C’est ce qui est arrivé à Soljenitsyne.

(2) La Commission européenne envisage de supprimer les mentions caractérisant le mode d’élevage des volailles pour simplifier les normes de commercialisation: https://www.tf1info.fr/conso/video-etiquetage-des-volaill... 

(3) Erwan Benezet, Barthélemy Courmont, Hollywood-Washington, Comment l’Amérique fait son cinéma, Armand Colin, 2007. 

(4) https://www.les-crises.fr/psyops-les-forces-speciales-us-... 

(5) Virginie Martin, Le charme discret des séries, humenSciences, 2021. 

(6) J’ai évoqué ce phénomène ici: http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/...