01/09/2024
Affects
Avec la visite du Parc Oriental de Maulévrier, j’ai effleuré un sujet que je juge essentiel. Il s’agit de l’effet que nos oeuvres ont sur nous. En employant ici le mot « oeuvre », je lui donne un sens très large: ce peut être une oeuvre au sens artistique du terme, mais aussi des productions plus triviales comme une émission de télévision, un discours politique, ou encore une mode vestimentaire, un rapport au corps, un comportement, et jusqu’à notre langage et notre gestuelle. En résumé: tout ce que nous produisons.
C’est une expérience complètement différente de passer une heure dans une église, une boîte de nuit, un centre commercial, sur un sentier de randonnée, devant un film, le nez sur un écran de smartphone, en tête-à-tête avec un livre ou encore dans la compagnie de gens que l’on aime. Nous baignons en permanence dans nos productions et, de ces multiples expériences, nous ne sortons pas indemnes. Si j’en reste aux oeuvres au sens artistique, c’est aussi une expérience complètement différente de contempler le lever du soleil sur Norham Castle de Turner, le sapin de Noël en forme de plug anal de McCarthy, le tableau de Miriam Cahn qu’expose le Palais de Tokyo, la Cène de Léonard de Vinci ou celle de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. En simplifiant, les unes nous redressent, les autres nous abaissent. Notre énergie s’en ressent et il ne s’agit pas seulement de « tonus »: vers quoi se tournent notre esprit et notre coeur, qui peut mettre en nous une aspiration, un élan ? Le blog de mon ami Gérard Lebrun* m’a opportunément rappelé de lointaines lectures de L’Ethique de Spinoza, qui vont inspirer la suite de mon propos**.
Je connais quelques orthorexiques: il s’agit de personnes qui accordent à leur alimentation une attention que certains qualifieraient volontiers d’obsessionnelle. Vu de mes soixante-seize ans, il semble qu’entre autres choses les allergies alimentaires se sont multipliées et diversifiées au cours de ces dernières décennies. Dans cette perspective, le premier soin si l’on veut préserver son confort et surtout sa santé est d’identifier les substances qui sont en cause: le gluten, le lactose, les fruits de mer, les féculents, les pesticides, etc., et d’en éviter la consommation. Au delà des allergies à conjurer, il y a aussi un certain nombre de pathologies sur lesquelles le régime que nous suivons peut avoir un effet. A cette pratique de restrictions peut s’ajouter celle d’ingérer principalement des aliments qui nous apportent quelque chose de bénéfique: il ne s’agit pas seulement d’éviter les substances allergènes ou toxiques, il convient aussi de procurer à notre corps des nutriments de qualité. L’on sait que le régime moderne est nettement déséquilibré - par exemple, en raison d’un apport excessif de sucre - et que les légumes dont la croissance est forcée sur des sols surexploités se retrouvent appauvris. Donc, en simplifiant, en ce qui concerne l’alimentation de notre corps, il y a des choses à rejeter et d’autres au contraire à privilégier.
Mais qu’en est-il de notre psychisme ? Quand, attendant à la caisse d’un supermarché, je regarde le contenu de certains caddies autour de moi, je ressens souvent la même chose que lorsque, en visite chez quelqu’un, je trouve le poste de télévision allumé qui continuera à diffuser BFMTV y compris pendant la conversation. Il semble que, de nos jours, quelques populations mises à part, il n’y a guère plus de sélectivité dans la manière de nourrir son corps que dans celle de nourrir son psychisme. Me vient à l’esprit l’exemple d’une réunion amicale où l’on évoquait joyeusement des voyages à organiser, jusqu’à ce que l’un d’entre nous, comme il était vingt heures, demande à voir les informations. « Quelques minutes seulement » plaida-t-il. On les lui accorda. Le résultat fut que les sujets présentés au journal télévisé squattèrent ensuite notre conversation qui, de gaie et entraînante, devint sérieuse, rabâcheuse et chargée d’animosité. Toute la frustration des Français à l’égard du personnel politique put s’étaler. Mais pour quel gain ? Nous passâmes d’affects heureux à des affects tristes, et du projet à la stérilité. Et pourquoi ? Pour avoir des informations dont nous pouvions nous passer, qui auraient pu attendre le lendemain. J’ai tenté de réintroduire d’autres sujets que les spéculations sur les prochaines élections, les agressions à l’arme blanche ou les guerres dont le monde est crucifié. Presque en vain: les passions tristes, semble-t-il, s’emparent plus facilement des esprits que les joyeuses.
Il y a de cela des années, j’ai lu que la France serait l’un des pays du monde où il se prescrit le plus de psychotropes. Là-dessus, la « crise sanitaire » et les mesures gouvernementales en ont rajouté une couche en accroissant les tendances à la dépression, en particulier chez les jeunes. Le ressassement politico-médiatique des menaces écologiques a suscité un nouveau phénomène et un nouveau terme: l’éco-anxiété. Le plus bel exemple en est Lucie Lucas, la star du feuilleton télévisé Clem, qui déclarait naguère qu’elle se demandait si ses enfants atteindraient leur majorité. Mais, déjà, en 2016, Edgar Morin faisait ce constat qui le laissait perplexe*: « Cette absence d'espérance et de perspective, cette difficulté de nourrir foi dans l'avenir, sont récentes. Même durant la Seconde Guerre mondiale, sous l'occupation et sous le joug de la terreur nazie, nous demeurions portés par une immense espérance. Nous tous - et pas seulement les communistes dans le prisme d'une "merveilleuse" Union soviétique appelée à unir le peuple - étions persuadés qu'un monde nouveau, qu'une société meilleure allaient émerger. L'horreur était le quotidien, mais l'espoir dominait imperturbablement ; et cette situation a priori paradoxale caractérisait auparavant chaque époque tragique. Soixante-dix ans plus tard, l'avenir est devenu incertain, angoissant. »***
Sans doute y-a-t-il une différence entre agir au coeur du danger et patauger dans le marais des fantasmes. Entre autres symptômes, la dépression se traduit par un désintérêt de tout, un manque voire une absence d’allant, un sentiment d’impuissance, une fermeture sur soi-même. C’est ici que je retrouve Spinoza. Celui-ci parle de notre « puissance d’agir » et dit qu’elle est influencée par des affects qu’il classe en deux catégories auxquelles j’ai fait référence plus haut : les « affects heureux » et les « affects tristes ». Ceux-ci abaissent notre puissance d’agir, ceux-là l’augmentent. Dès notre venue au monde, ils nous façonnent, et je citerai ici à nouveau la chronique de Gérard Lebrun:
Ce qui nous constitue, selon Spinoza, ce sont toutes les rencontres qui nous ont affectés depuis notre naissance, rencontres heureuses, qui conviennent à notre nature et augmentent notre puissance d’agir, rencontres malheureuses, qui diminuent notre puissance d’agir.
On aura compris qu’il faut entendre le mot rencontre au sens large: une rencontre est ce qui vient nous affecter. Pas seulement un être humain, mais tout ce à quoi nous nous exposons. Ce malaise de l’âme contemporaine que je viens d’évoquer ne devrait-il pas nous inciter à étudier l’atmosphère psychique qui favorise ces « rencontres malheureuses » et abaisse notre puissance d’agir ? Ne devrions-nous pas analyser la toxicité - donc l’efficacité réelle - de cette prétention à nous « conscientiser » en permanence à propos de tout ? N’allez pas croire que je sois en faveur de la politique de l'autruche: la vérité est première pour moi, qui n’a jamais été autant malmenée. Mais, d’une part, il y a des vérités anxiogènes qui ne sont pas aussi démontrées que veulent l’affirmer ceux qui les assènent, et, d’autre part, si la façon de les aborder produit l’effet inverse de ce que l’on attend, c’est être irresponsable que de ne pas en tirer des conclusions.
Au delà de la dureté des situations subies ou redoutées, le fondement du mal-être contemporain me semble être la perversité du système qui s’est emparé de nous. Il est pervers dans le sens où il attend de nous des choses contradictoires. Il excite des désirs dont il entrave en même temps la satisfaction. Il continue à créer de nouveaux "besoins" alors que le niveau de vie moyen de certaines catégories sociales a cessé de progresser et que des familles de plus en plus nombreuses glissent sous le seuil de pauvreté. En outre, alors que les revenus diminuent et confinent parfois à l’aléatoire, s’imposent de plus en plus de dépenses qui n’étaient pas nécessaires il y a quelques années, comme d’avoir un ordinateur ou un smartphone ou d’effectuer des travaux d’isolation thermique. Un autre élément de la perversité du système est ce que le philosophe américain Matthew Crawford nomme la « sur-administration » de la vie: une infatigable bureaucratie multiplie les obligations en même temps qu’elle ne cesse de rogner notre liberté. Il n’est jusqu’à nos pensées que des censeurs voudraient surveiller et sanctionner. D’une manière générale, souvent sournoise, nous sommes les victimes d’une dépossession généralisée qui, en raison des dissonances cognitives qu’elle engendre ou utilise, devient ontologique.
Poursuivant sa chronique sur l’Éthique de Spinoza, Gérard note plus loin :
Le problème c’est que, la plupart du temps, nous vivons au hasard de ces rencontres, sans discernement. Ce qui revient à dire qu’on en reste au stade des idées-affection, ou idées inadéquates, on est passifs, notre puissance d’agir peut augmenter ou diminuer, on n’est pas sujets. On subit. On se laisse aller au gré des rencontres.
La difficulté, autrement dit, est que, faute de nous reprendre en mains, nous sommes complices de ce qui nous affaiblit en livrant notamment nos esprits aux démons de l’époque. Mais:
Ces rencontres, on peut déjà, en partie, les choisir, en éviter certaines qui nous affecteraient de Tristesse et donc induiraient une diminution de notre puissance d’agir, privilégier celles qui nous affectent de Joie et donc induisent une augmentation de notre puissance d’agir. Mais surtout, ce à quoi invite Spinoza, c’est à développer les idées-notion, ou idées adéquates, c’est-à-dire une juste connaissance de ce qui, dans les rencontres, convient à notre nature, ou ne convient pas.
Cette juste connaissance de ce qui convient ou non à notre nature, comment l’acquérir ? Bien sûr par l’observation de nos ressentis, mais à condition de ne pas prendre seulement en compte les effets immédiats d’une « rencontre »: il convient d’examiner aussi l’orientation qu’elle donne à notre énergie, les autres possibles avec lesquels elle entre en concurrence et qu’elle retarde ou écarte, et, au delà, la direction dans laquelle elle fait évoluer notre être. Cela nous conduit à nous interroger sur ce qu’est notre « nature ». Une fois décelé ce qui nous convient ou non, retrouver et accroître notre « puissance d’action » nécessite d’être conscient et actif sur deux axes: l’axe de ce à quoi nous nous exposons et l’axe de ce que nous produisons nous-mêmes - nos oeuvres au sens large, telles qu’évoquées au début de cette chronique.
Nous devons écarter ce qui, d’une manière ou d’une autre, nous tire vers le bas, et cultiver ce qui augmente notre « puissance d’agir ». Je pense à deux protocoles des Pratiques Narratives qui illustrent me semble-t-il un même esprit : la « cérémonie définitionnelle » et le « club de Vie ». Pour les praticiens de ces approches, l’homme est un être de récits: les récits que nous intégrons sont comme notre logiciel d’exploitation. On peut faire le rapprochement avec ce que Spinoza dit des rencontres qui, à travers les affects qu’elles suscitent en nous, nous construisent. Les récits sont le produit de ces rencontres, ils sont le résultat de leur organisation et de leur « mise en sens » dans notre esprit. Ils répondent aux trois questions de Gauguin**** et nous disent qui nous sommes, ce que nous valons, ce que sera notre vie. Si le récit d’une personne est un récit d’échec, c’est une atteinte dramatique à sa puissance d’agir: il faut donc l’amender. Pour cela, les praticiens narratifs ont diverses techniques fondées sur l’anamnèse mais ils ne sauraient se limiter au seul travail qu’une personne peut accomplir sur elle-même. Provenant de nos interactions avec la société qui nous entoure, le mauvais récit une fois détricoté doit laisser la place à un nouveau qui soit à son tour collectivement validé. Il y a ainsi, dans le protocole narratif, une cérémonie dite « définitionnelle » où l’entourage de la personne confirme la justesse du nouveau récit. Mais il faut aussi disposer de telles ressources dans le temps: à tout moment, une mauvaise « rencontre » peut réactiver les mauvais démons. On constitue donc un club de vie qui réunit en quelque sorte des bonnes fées: des personnes qui croient en nous lucidement et qui ainsi favoriseront un effet Pygmalion, ou, pour reprendre la terminologie de Spinoza, dont les interactions avec nous augmenteront notre puissance d’agir. Indépendamment d’une démarche thérapeutique, on peut considérer le club de vie comme une hygiène psychique fondamentale.
Nous ne saurions oublier l’autre axe: celui du « producteur » de rencontres. Du simple fait d’exister, nous le sommes tous. Dans quelle mesure suscitons-nous chez les autres des affects heureux ou tristes ? Dans quelle mesure participons-nous à l’accroissement ou à la diminution de sa puissance d’agir, et de quelle manière ? Dans quelle mesure et comment, participons-nous, par nos comportements et nos oeuvres, à la création d’un milieu heureux ou triste, fécond ou stérile ?
* https://voilacestdit.blog4ever.com/
** Sur Spinoza particulièrement:
https://voilacestdit.blog4ever.com/dans-les-pas-de-spinoz... https://voilacestdit.blog4ever.com/dans-les-pas-de-spinoz...
https://voilacestdit.blog4ever.com/dans-les-pas-de-spinoz...
*** https://region-aura.latribune.fr/debats/grands-entretiens...
**** D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?
26/08/2024
Le Parc Oriental de Maulévrier
Je dédie cette chronique à mon petit-fils Dimitri
qui vient, en ma compagnie, de faire sa première visite au Parc.
Situé en Maine-et-Loire, à la limite de la Vendée, le parc de Maulévrier est un des lieux les plus saisissants que je connaisse. A chacune de mes visites, je suis tenté d’emménager dans le village qu’il borde afin de pouvoir en profiter au fil des jours et des saisons. C’est une oeuvre exemplaire en ce qu’elle apporte un bonheur singulier à ceux qui la visitent tout en étant le résultat d’une combinaison de hasards, de talents et d’engagements qui se sont tissés et poursuivis de générations en générations.
Même si les noms ne nous parlent plus guère, il convient de les citer afin de rendre un hommage mérité. En 1895, Eugène Bergère, un industriel de Cholet, rachète le domaine Colbert dont un restaurant renommé porte encore le nom. Il se trouve qu'Alexandre Marcel (1860-1928), architecte parisien orientalisant qui s’est fait remarquer lors de l’exposition universelle de Paris de 1900, épouse la fille du nouveau châtelain. Avec Alphonse Duveau, le chef jardinier du château, il va transformer en paysage d’inspiration japonaise le petit vallon où, en contre-bas du château, coule la modeste Moine. Il crée un étang en élargissant le lit de la rivière, tire parti des reliefs, imagine les perspectives et la combinaison des essences, dessine des cheminements, assigne des lieux de contemplation et fait planter de nombreux arbres. Bientôt, une construction japonisante est érigée. En 1945, cependant, la propriété ayant été revendue, le parc sombre dans une période d’abandon qui durera jusqu’à la fin des années 70.
Et si ?
Quel souffle alors va-t-il réveiller le bois dormant ? J’imagine les habitants de Maulévrier qui contemplent chaque jour cette immense friche, les anciens se souvenant de ce qu’elle fut et le répétant aux plus jeunes. Entre gens du village, on se met à parler de plus en plus de ce gâchis et, un jour, on passe de la déploration au « Et si ? »* Et si on ressuscitait ce jardin ? Voilà la période merveilleuse où, des conversations, finit par jaillir une grande idée qui bientôt catalysera les énergies. J’imagine les discussions, les échanges parfois vifs entre les prudents et les audacieux, entre les trop raisonnables et les partisans du rêve. Finalement, les Maulévrais et leur maire d’alors, Jean-Louis Belouard, prennent la décision. La commune rachète le parc et en obtient le classement à l’inventaire des sites naturels français. Des bénévoles - soulignons-le - entreprennent le défrichage, ouvrant la voie aux professionnels des parcs et jardins. 1982 voit la naissance d’un association à qui sont confiées la sauvegarde et la gestion du site et qui réunit moyens, compétences et talents. On re-dessine, on rafraîchit, on reconstruit, on plante, on taille. En 1985, le parc ressuscité s’ouvre au public. C’est peu de temps après qu’en visite chez des amis qui habitaient non loin de là, je découvre ce lieu et en reste imprégné. J’en reviens avec un service à thé, réalisé par l’artisan qui fournissait alors la boutique du parc, qui sera mon lien à distance avec la magie de Maulévrier.
Une brassée de leçons
Je le redis: c’est une oeuvre exemplaire. C’est une brassée de leçons pour notre époque. La première d’entre elles, parce que c’est celle dont nous avons le plus urgent besoin, est la valeur du temps long. Chateaubriand, dès les premières lignes de ses Mémoires d’Outre-tombe évoque les arbres qu’il vient de planter dans sa Vallée aux loups, auxquels il donne de l’ombre mais dont il n’en recevra jamais, et c’est naturel: on ne vit pas que pour soi, que pour sa génération, on ne construit pas que pour le présent. Planter un arbre qui sera un jour centenaire voire multi-centenaire, c’est féconder un avenir qui nous dépasse largement. C’est un acte de générosité et de détachement. C’est comme ouvrir le chantier d’une cathédrale dont la construction dépassera le siècle et qui offrira son espace de recueillement aux générations les plus lointaines. Planter un arbre, c’est aussi s’en remettre à un être vivant qui, même s’il pourra avoir besoin des soins de l’homme, se déploiera selon son être propre.
La deuxième leçon est, à l'opposé du complexe d’Orphée décrit par Michéa**, d’avoir la conscience des richesses du passé même quand, comme nous le montre le parc de Maulévrier, elles sont cachées par l’abandon. Il s’agit en l’occurrence d’un double passé, celui de la première création du parc au début du XXème siècle, mais aussi le passé japonais, la période Edo (XVIe- XIXe siècles), source de l’inspiration qui a guidé Alexandre Marcel. Ici, dans ce village du choletais, des générations ont repris et sauvé, en y rajoutant leur propre touche, l’oeuvre initiée par une génération précédente mais aussi par des créateurs lointains tant dans l’espace que le temps.
La troisième leçon est celle du mariage pacifique du talent humain avec les potentialités de la nature, ses reliefs, ses sols, son climat et ses innombrables espèces végétales et animales. Tout à côté du Parc, le potager du restaurant que j'ai évoqué plus haut, le Château-Colbert, est cultivé dans le même esprit. Il a été à deux reprises élu plus beau potager de France et pratique une culture sans pesticide et sans ajouts chimiques. C'est la recherche d'une harmonie avec la nature qui produise à la fois du beau et du bon. Pour ce qui est de la relation au passé, ce potager est un réaménagement qui reprend les plans du XVIIIème siècle.
Autre leçon encore: celle de l’audace. L’audace de penser d’abord, l’audace d’agir ensuite. L’audace de changer les possibles et les impossibles sur lesquels l'on a coutume de dormir. Gardons nous aussi d’oublier cette magnifique dynamique du "faire ensemble" qui est tellement supérieure au seul "vivre ensemble", qui emporte toute une population et pas seulement des experts appointés pour l’occasion, et donne au projet le surcroît d'énergie nécessaire. Il y a, reliant tous les acteurs, ce quelque chose qui est au delà de la seule comptabilité et de la pure technique, de l’utilitarisme et du calcul qui écrasent notre époque: la poésie.
Spinoza
Je reviens aux effets de cette oeuvre sur ceux qui viennent la rencontrer et je pense aux « affects » de Spinoza: le Parc de Maulévrier nous offre de vivre des « affects positifs ». C’est une oasis au milieu d’un monde qui, à travers ses médias omniprésents, cultive les affects négatifs, entretenant une atmosphère d’anxiété, de frustration, d’animosité, de laideur, de tristesse et de dérision stérilisante. Tout au contraire, dans l’intimité de cette nature mariée au talent des hommes, on peut respirer la sérénité, la beauté, le pouvoir créateur de l’esprit, et percevoir, pour peu qu'on le veuille bien, qu'on accepte de se recueillir, une dimension du sacré.*** La sagesse tutélaire du Japon, qui l’inspira, sait l’importance de tels lieux pour l’âme. Grâce aux Maulévrais, depuis bientôt vingt-cinq ans nous sommes des milliers chaque année à accéder à cette expérience privilégiée.
Une source d’éveil et d’inspiration
Au delà des bienfaits personnels que nous pouvons retirer de la fréquentation du Parc de Maulévrier, son histoire ne demande qu’à être une source d’éveil et d’inspiration. J’ai précédemment évoqué un exemple d'un genre différent mais tout aussi stimulant: la création en 1849, par une poignée de paroissiens de Flammersfeld en Allemagne, de la première caisse de crédit mutuel ****. Nous avons le pouvoir de créer tout ce dont notre époque, notre société et nous-mêmes avons besoin. Nous avons mille opportunités de nous engager dans des entreprises dont la conception et la réalisation nous procureront une vie plus riche. Car ce n'est pas rien d'avoir initié la première caisse de crédit mutuel ou d'avoir ressuscité le Parc. L'oeuvre ne transforme pas que la matière, elle transforme aussi l'ouvrier. Libérons donc nos esprits et nos imaginaires; rompons les liens des pensées courtes; regroupons nous, retroussons nos manches, rêvons et oeuvrons!
Lien vers le site: https://www.parc-oriental.com
* Rob Hopkins, From What Is to What If: Unleashing the Power of Imagination to Create the Future We Want, Chelsea Green Publishing, 2019.
** Jean-Claude Michéa, Le complexe d’Orphée, Champs, 2014.
*** Le philosophe Alain, dans ses Propos sur le bonheur, commente cette phrase de Spinoza: « Il faut cultiver un grand nombre de pensées heureuses contre la malheur ».
**** http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/apps/m/a...
15:33 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : maulévrier, temps long, arbres, inter-générationnel, michéa, flammerfeld, alain, rob hopkins
10/07/2024
La matrice et nous
Au contraire des animaux, l’être humain a besoin d’une matrice sociale et culturelle qui prenne longuement le relais de la matrice biologique afin qu’il devienne adulte. Pour le meilleur ou pour le pire, il garde toute sa vie une certaine malléabilité, plus ou moins profonde, qui est une composante de ses capacités d’apprentissage et de résilience. C’est pourquoi il peut dans une même existence vivre des vies très différentes: il n’est jamais figé. Les exemples sont nombreux, mais en ce moment je pense plus particulièrement à l’illustration qu’en donne un film que j’ai vu l’autre soir: « Un homme nommé cheval », qui conte l’histoire d’un lord anglais capturé par les Sioux et qui devient membre de la tribu. Un changement de matrice radical.
A l’origine, la matrice culturelle est la réponse d’une communauté à l’expérience accumulée par les générations. Avoir connu, par exemple, une époque d’insécurité alimentaire, de travaux pénibles et peu productifs, de ressources nourricières fragiles, peut laisser des réflexes d’économie: quand on connaît sa vraie valeur on évite de jeter « le fruit de la terre et du travail des hommes ». De nos jours, ces réflexes d’une autre époque profiteraient à l’écologie. A l’inverse, les générations du « il n’y a pas de limite » peuvent avoir un certain mal à comprendre la sobriété volontaire. Mais les choses ne sont pas aussi simple: on trouvera aussi bien des victimes de pénuries pour qui manger de la viande à chaque repas ou avoir une penderie qui déborde de vêtements est de l’ordre d’une revanche ou d’un réconfort. La consommation alimentaire n’est pas forcément qu’une réponse à la faim et de même pour toutes les autres solutions que nous donnons à nos besoins. L’économiste chilien Manfred Max-Neef jugeait qu’il y a des « pseudo-réponses qui ne satisfont pas le besoin qu’elles semblent viser, des « réponses destructrices » qui satisfont un besoin au détriment d’un autre, et des « réponses inhibitrices » qui étouffent un besoin au profit d’un autre. Mais répondre simplement et pertinemment à nos besoins ne ferait pas s’enrichir la planète capitaliste autant que les mauvaises réponses dont la variété est infinie. Pour l’économie classique, nos besoins sont infinis, alors qu’en réalité ce sont nos désirs qui le sont. En découle le système économique malsain dont nous voyons les dégâts.
Les réseaux sociaux
Apparus il y a quelques années avec le numérique, les réseaux sociaux (dénommés RS en abrégé) ont ajouté une nouvelle dimension à la matrice et y jouent maintenant pour beaucoup de personnes un rôle de premier plan. J’observe qu’ils ont des aspects positifs et d’autres qui le sont moins. En période politiquement et socialement tendue, quand on se retrouve dans les rangs d’une minorité et quand la censure s’exerce sans complexe, il sera plus facile d’y repérer des kindred spirits, d’y trouver et échanger des informations que dans son environnement proche. On y a aussi moins de risque de se faire soi-même repérer comme divergent par des voisins de bistro, ce qui est un avantage quand, sous l’effet de la peur et de la propagande, les positions de certains se radicalisent jusqu’à la délation. En revanche, les RS sont un encouragement à déserter le vrai terrain, le seul où l’on puisse construire. En outre, sur les RS, il est banal que l’invective remplace le raisonnement, sans parler des trolls qui chassent en bande jusqu’à pourrir de leurs grossièretés certains fils de discussion. Lieu de sauvegarde - pour combien de temps ? - de conversations libres, les RS encouragent aussi au manque de respect de l’autre, à l’agressivité de l'expression et à l’anonymat couard. Ce n’est vraiment pas ce dont notre société a besoin pour évoluer.
Identité
Au sein de la matrice sociale, l’individualité de chacun se démarquera plus ou moins nettement. Certains se singulariseront, jusqu’à devenir des moutons noirs, d’autres resteront - mais jamais totalement - des moutons ordinaires. Pour être fils de drapier, François d’Assise n’a pas pris la suite de son père, il a même rompu radicalement avec elle, choisissant de courir les chemins en chantant Dieu plutôt que faire commerce. C’est que la matrice culturelle est multiple et hétérogène. Dans le cas de François, on imagine facilement le milieu familial, dominé par le métier du père et, l’englobant, le milieu chrétien que représente l’Eglise et au sein de laquelle le futur saint choisira qui être. Plus une matrice culturelle est hétérogène, plus elle offre de ressources à la constitution d’identités potentiellement disparates. Dans la construction et l’évolution d’un individu, ses idiosyncrasies puisent sélectivement dans cette hétérogénéité. La réaction à la débâcle de 1940 suscitera ainsi à la fois des Résistants et des « collabos ». La peur n’est pas seule en cause. On peut comparer ce processus à celui des végétaux qui, du même sol, puisent des éléments communs et d’autres, spécifiques aux besoins de leur propre variété. C’est une alchimie des plus subtiles au sein de laquelle - point à souligner - s’incarne notre liberté. Y apparaissent parfois des prises de conscience assorties de la question: « Qui veux-je être ? ». Si je reprends l’exemple du film évoqué plus haut, confronté à la quasi-impossibilité de s’évader et à la perspective de rester esclave, « l’homme nommé cheval » va choisir comme voie de salut de se faire intégrer à la tribu en tant que guerrier.
Libre-arbitre
J’ai fait référence au rôle de la liberté au sein du processus. Je refuse de penser que la matrice sociale nous détermine entièrement. Comme l’a écrit Sartre: « L’important n’est pas ce que l’on a fait de nous, mais ce que nous faisons de ce que l’on a fait de nous ». Cependant, selon ce qu’il y a en nous, selon les accommodements que nous trouverons à tel ou tel moment de notre vie avec nos faiblesses et nos vices, selon ce que nous voulons être, les gens que nous rencontrerons et ce que nous attendrons d’eux, selon les jeux du désir mimétique, selon aussi le comportement des figures publiques, nous inclinerons au meilleur, au médiocre ou au pire. J’ai vu des intellectuels de haut vol trahis par leur égo parce qu’un Prince expert en fourberie avait fait semblant de leur ouvrir son cercle intime et de leur donner accès aux secrets des dieux. Il n’y avait nulle contrainte, c’était seulement le choix qu’ils avaient fait d’écouter leur besoin d’une illusoire gloriole. A l’inverse, le cheminot à la retraite dont on a donné le nom à ma rue n’avait sans doute jamais imaginé qu’il deviendrait un héros de la Résistance et finirait, déporté, d’une balle dans la nuque. Sur l’axe du bien et du mal, le curseur de chacun d’entre nous peut se déplacer en fonction des stimuli: opportunités, peurs, personnages charismatiques qui apparaissent à une croisée des chemins, etc., mais aussi en fonction des décisions successives qui consolident celui que nous choisissons d’être. Comme le dit Francesca, le personnage incarné par Meryl Streep dans La route de Madison: « Nous sommes la somme des choix que nous avons faits ».
Capables du pire
Sous l’impulsion d’une manipulation collective - ce que l’on appelle aujourd’hui l’ingénierie sociale - la matrice peut s’enflammer de fièvres terribles. Les 28 février et le 1er mars 1794, le village vendéen des Lucs-de-Boulogne est attaqué par l’armée de la République. Ne se contentant pas d’exterminer les habitants, hommes, femmes, enfants et vieillards, les Bleus font preuve d’imagination. Par exemple, ils clouent un bambin vivant, par la gorge, à un arbre. Comment des hommes peuvent-ils faire cela ? A certains moments de l’histoire comme celui-là, cette horreur est loin d’être un acte isolé au point qu’il est impossible d’invoquer des troubles psychiatriques. Il s’agit d’un processus qui transforme des hommes « normaux » en ignobles tortionnaires. Peu ou prou à la même époque que le massacre des Lucs-de-Boulogne, afin de participer à l’activité alors à la mode chez les adultes, les petits parisiens s’amusaient à décapiter les chats. Nous sommes capables de tout: du meilleur et du pire. La vie en société est censée nous civiliser, mais, pour peu que le pouvoir tombe en de mauvaises mains, c'est le pire que l’on extraira de nous.
Ces dernières années, nous avons fait une expérience extraordinaire: de nombreux pays du monde ont été emportés dans le délire covidiste et nous avons vu à l’oeuvre la combinaison de fonctionnaires aux ordres avec, grâce aux médias, une manipulation sophistiquée de l’opinion publique. A cette échelle, ce n’était jamais arrivé dans l’histoire des peuples. Nous avons vu des décisions, des discours et des comportements d’un cynisme inouï. Nous avons vu resurgir la traduction laïque de l’anathème et de l’excommunication, en même temps que la délation et la coercition. Nous avons vu en particulier comment la gestion d’une prétendue crise sanitaire a offert aux membres des professions concernées l’opportunité d’exacerber leurs pulsions autoritaires. L’être humain est un magma de penchants qu’il refoule, sublime ou épouse.« Caressez un cercle, il deviendra vicieux » disait en plaisantant un de mes amis. Certains agents de la matrice sociale - et, évidemment, la propagande qu’ils sécrètent - ont le pouvoir d’actualiser nos démons intérieurs et de nous inciter à prendre ces derniers pour guides.
Evolution de la matrice
Longtemps et majoritairement l’environnement immédiat - la famille, la communauté locale - ont assuré la transmission. Puis, l’Etat s’est soucié de ne pas leur en laisser le monopole et l’école est devenue un acteur important du processus. Pour mesurer le pouvoir qui lui a été donné, il suffit de se rappeler qu’elle est parvenue à éradiquer les langues régionales. Ce qu’elle a fait avec les « patois », elle l’a fait avec d’autres sujets comme l’histoire nationale, et, depuis quelques années, tout en montrant parfois une certaine mollesse face aux problèmes comportementaux des élèves, elle entend s’immiscer dans l’intime en se mêlant d’éduquer sexuellement les enfants.
Là-dessus, les médias ont renouvelé les murs de la célèbre caverne de Platon. Les écrans de toute nature, de toute dimension, se sont multipliés. Le temps de « cerveau disponible » qu’ils captent a considérablement augmenté.* Le résultat est que nous ne percevons plus le monde qu’à travers des images et des interprétations qui ont été choisies et assemblées à dessein. Entre les chaînes de télévision, les stations de radio et la presse écrite qui, bien qu’elles mettent en avant des divergences, sont sous la tutelle de l’Etat ou d’une poignée d’oligarques, le monde ne nous est pas montré tel qu’il est, mais tel que les intérêts des uns et des autres veulent que nous nous le représentions. C’est souvent une représentation simplifiée, réduite à une histoire simpliste de Bons et de Méchants favorable au déclenchement de réflexes pavloviens. C’est un véritable travail d’illusionniste qui consiste à capter notre attention, à la détourner de ce que l’on ne veut pas que nous voyions - le réel sans apprêts - et à la focaliser sur ce dont on veut nous obséder. On n’hésite pas à pratiquer la censure douce - l’invisibilisation de certains sujets ou de certaines personnes - ou dure: l’interdiction de diffuser certaines informations comme le « secret-défense » du gouvernement français et comme tentent de le faire au plan mondial l’OMS et ses affidés. Le philosophe Alexis Haupt appelle « médiavers » cet univers reconstruit par les médias, qui se fait passer pour la réalité.
Transmission
Un sujet sensible est celui de l’histoire. Compte tenu du déficit d’enseignement de cette matière à l’école - quand elle n’est pas transformée en propagande politique - le cinéma prend une place prépondérante dans la représentation de notre passé. Or, il est rien moins qu’honnête. Il pèche par action et par omission. Par omission, le cinéma français pèche dans son ensemble, qui depuis longtemps ne s’intéresse quasiment plus à l’histoire de notre pays. Par omission, on peut également citer Dunkerque, le film de Nolan, qui invisibilise les efforts de l’armée française pour retarder l’avancée allemande et permettre aux Britanniques de rembarquer. Quant au péché par action, nous avons Le dernier samouraï, de Edward Zwick (2003), dont le personnage principal était dans la réalité un officier français et non un Américain revenu des guerres indiennes. Ce n’est peut-être qu’un détail, mais qui en dit long sur les libertés que prennent les producteurs. Que dire du Napoléon de Ridley Scott, sorti en 2023 ? Seulement voilà: dans une salle obscure, la puissance de l’image et du son, sur fond d’inculture du public, entraîne que la représentation des évènements ainsi reconstitués est absorbée sans esprit critique.
La transmission aura aussi été affaiblie par l’invention dans les années 50-60 de la classe sociale des « jeunes ». Certes, quatre siècle avant notre ère, Platon dénonçait déjà la jeunesse qui ne s’intéresse qu’à la danse et à la musique et il y a toujours eu des conflits entre parents et enfants autour des limites à poser au désir. Mais le phénomène nouveau fut l’apparition des stratégies culturelles du capitalisme. Le capitalisme ne vit que de croissance, de promesses de croissance. Il a sans cesse besoin de nouveaux marchés pour se relancer. Il crée de faux besoins. Or, pour le système qui s’approprie la planète, des générations qui ne se distinguent pas suffisamment les unes des autres par l’habillement, les loisirs, les modes de vie et dont, au surplus, les plus anciennes avaient quelques anticorps face à la société de la consommation et des loisirs, induisait un manque à gagner. Il s’agissait de rompre la transmission de valeurs de sobriété, de libérer les jeunes de la tutelle et de l’exemple des aînés afin promouvoir une mode qui change le plus vite possible, le prêt à jeter... Avec le médiavers naissant, une confluence de moyens - chanteurs, concerts, 45-tours, émissions de télévision, etc. - permit de dégager la « génération yéyé », un nouveau langage, un nouveau rapport aux parents - devenus les « croulants » - et de développer de nouveaux segments de marché. Les intérêts commerciaux rejoignent ici certaines idéologies politiques que Jean-Claude Michéa a baptisées "le complexe d'Orphée": tout ce qui est d'hier est mauvais, tout ce qui est de demain est meilleur.
Le médiavers
Une illustration frappante de la puissance du médiavers nous a été fournie par la « crise sanitaire » que j’ai évoquée plus haut. De fait, nous avons assisté à rien de moins que l’émergence d’un « soft totalitarism ». Il n’a pas les moustaches de Staline, le bonnet du Duce ou les hystéries de Hitler. Au vrai, il n’a pas de visage du tout, ce qui l’aide à passer inaperçu. Il n’a pas créé physiquement des camps de concentration ou des goulags, mais il a instauré des discriminations, des exclusions et atomisé la société en faisant de l’autre - ce porteur de virus asymptomatique - un danger puis un ennemi. Une frayeur bien entretenue a empêché beaucoup de gens de repérer les symptômes qui ne trompent pas: l’endoctrinement, le degré de surveillance, les techniques de l’engagement, et la réduction de la liberté - de penser, de s’exprimer, de se déplacer, de disposer de son corps.
Ces années-là sont dernière nous, mais le soft totalitarism, après ce tour de chauffe, n’en est qu’à ses débuts. Il est derrière la porte, il s'infiltre dans l'organisation des Jeux Olympiques de Paris, il attend une opportunité pour entrer et s’installer jusque dans votre salon. Les grands capitalistes, les réseaux du WEF, l’OMS et l’ONU y travaillent. Pour notre bien évidemment. C’est pourquoi l’on peut souhaiter que l’expérience de la « crise sanitaire » ait été suffisamment formatrice et que la vérité - en faveur de laquelle les études scientifiques se multiplient (dans l’ombre encore entretenue par les médias français) - soit exposée au grand jour: selon moi, l’avenir de l’espèce humaine dépend désormais de sa capacité à repérer et déjouer le plus haut possible en amont la mise en oeuvre d’une opération d’ingénierie sociale. Sinon, le l’élevage industriel deviendra le modèle d’organisation de nos sociétés.
Influencés et influenceurs
Le 20 avril 1999, Eric Harris et Dylan Klebold, s’étant introduits avec des armes dans le lycée où ils sont scolarisés, tuent douze élèves et un professeur et blessent vingt-quatre autres personnes avant de se suicider. Le « massacre de Columbine » n’est pas un cas unique aux Etats-unis et cela pose déjà question. La détention facile d’armes à feu n’en est pas une réponse: supprimer les armes éviterait des morts mais pas les causes de leur utilisation. Pourquoi, dans la société américaine, y a-t-il de telles pulsions ? Quand on regarde de plus près l’histoire des assassins, on se rend compte qu’au sein de la petite communauté scolaire ces deux jeunes étaient continûment et méchamment harcelés par d’autres lycéens. Les humiliations répétées font recuire la haine, et, comme l’être humain est un être de récits, les journaux de Harris et Klebold, que la police a récupérés, montrent qu’ils s’étaient forgé une histoire qui leur permettait de nourrir le fantasme d’un statut supérieur à ceux qui les humiliaient. Cette histoire les conduisit à l’extrême de leurs personnages. Cela n’excuse aucunement leur acte, mais on ne peut pas évincer le rôle du milieu. Le harcèlement n’explique pas tout, il est la partie émergée d’un phénomène social qui questionne notre responsabilité.
Il s’agit de la note personnelle que nous apportons au sein de la matrice sociale. Car nous en sommes une composante. Nous sommes à la fois influencés et influenceurs. Je fais référence ici à une responsabilité diffuse que certains auront peut-être du mal à reconnaître: celle de l’atmosphère dans laquelle nous baignons, qu’en même temps nous produisons. De la société dans laquelle nous vivons, je suis responsable de plusieurs manières, et d’abord par la nature des interactions que j’ai avec mes semblables. La violence qui se cristallise sous une forme terrible, comme au lycée de Columbine, me semble être la manifestation d’un poison si sournois - ou si culturellement admis - qu’il en est imperceptible. A organiser une société basée sur le darwinisme, à prêcher la compétition de chacun contre tous, à mettre et remettre sur un piédestal des frimeurs, des prédateurs et des menteurs, peut-on s’étonner de rendre des moutons enragés ? Quel spectacle, par exemple, la récente campagne électorale nous a-t-elle principalement offert ? Celui d’une outrance verbale qui ne se modère plus, stimulant les clivages au sein d’une population qui, par delà ses divisions, devrait au contraire former un peuple conscient de ses intérêts communs fondamentaux. La compétition des marques a supplanté l’écoute et la compréhension des gens. Sans doute est-ce que mobiliser contre un « ennemi » est plus facilement fédérateur que sur des propositions positives. Mais cultiver la conflictualité ne fait qu’ajouter à la violence dont la société est déjà saturée. J’irai jusqu’à dire que la violence inconsciente et non manifestée qui, à des degrés variables, habite chacun de nous n’est pas sans rapport avec celle qui, soudain, explose dans l’espace public. Ne soyons pas les vecteurs de ce que nous n’aimons pas. Pour une société plus saine, soyons nous-mêmes plus sains.
* Cf. dans ma revue de presse: http://larevuedepressedindisciplineintellectuelle.blogspi...
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