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02/03/2023

Antagonismes irréductibles (2/2) 

Le clivage ultime

 

2500 milliards de galaxies.

 

2500 milliards de galaxies, une quantité incommensurable d’espace, de matière, d’énergie et, sur cette Terre qui nous paraît immense et qui n’est dans cette immensité qu’une poussière, des petits grains de conscience: nous. « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien. » (Blaise Pascal). De son côté, Descartes, posant la première pierre de sa réflexion, dit: « Je pense donc je suis ». 

 

Quel sens donnons-nous à l’existence de cette conscience qui se pense et pense l’univers ? Quel sens se donne-t-elle à elle-même ? Pour certains, elle ne serait qu’un épiphénomène, pour d’autres elle est transcendance. De nouveau les questions de Gauguin: que sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?

 

De tout temps, les hommes ont voulu pressentir que, derrière le chatoiement du monde que nos sens captent, il y a des présences d’une autre nature et, peut-être, une Présence. Face à cet univers luxuriant qu’est la diversité des croyances et des mystiques, certains évoqueront un dérisoire délire d’interprétation. Je verrais plutôt, en ce qui me concerne, une effervescence d’explorations. Je pense à cette phrase du Père Ceyrac (1914-2012) que j’ai eu la chance de croiser: « Toutes les religions sont un chemin vers le mystère de Dieu ». Cette conscience qui émerge de l’évolution creuse, au sein de l’humain, un manque spécifique. Des romanciers comme François Mauriac, des poètes comme Paul Valéry, des psychanalystes et des philosophes ont sondé ce manque qui caractérise l’espèce, l’entraînant au pire, au meilleur ou au médiocre. Au pire, si nous nous trompons de cible et attendons de la créature qui nous est semblable plus que ce qu’elle peut nous donner*, ce qui fera la source intarissable des drames passionnels; au pire, encore, si nous recherchons une impossible complétion dans la démesure des projets et des actes. Au médiocre si nous noyons cette inquiétude existentielle dans les plaisirs du divertissement, de l’égo et de la chair. Au meilleur si nous la reconnaissons pour ce qu’elle est: l’aspiration à aimer quelque chose de plus grand que nous-mêmes, qui établit une reliance entre l’infiniment petit que nous sommes et l’infiniment grand dans le visible et l’invisible, en passant par l’ensemble du vivant. Au meilleur si nous y reconnaissons, pour reprendre l’expression de Mauriac, « ce Dieu à l’affût en nous ». 

 

Matérialisme moral et philosophique

 
Ce n’est pas pour rien que le terme « matérialisme » désigne à la fois l’attachement aux biens de ce monde et un postulat philosophique selon lequel tout est matière et l’esprit n’existe pas en tant que tel. Nous avons là le second antagonisme irréductible entre le christianisme et le monde dont rêve une certaine élite, et il n’est pas qu’intellectuel. 


La représentation que l’on se donne du vivant induit la représentation que l’on se fait du bien et la forme que l’on entend donner à l’avenir de l’espèce humaine. Le projet transhumaniste, ultime incarnation du matérialisme, prétend prendre la main sur l’évolution qui a fait de nous ce que nous sommes. Or, il constitue rien de moins que l’aboutissement logique de l’animal-machine de Mallebranche. L’âme étant refusée aux animaux, ceux-ci étaient censés ne rien ressentir. Mallebranche battait ainsi sa chienne en public et soutenait que les cris qu’elle poussait n’étaient que les grincements d’une machine. Cela nous donne une idée de la puissance d’une idéologie quand elle s’empare d’un être, même intelligent: elle le rend sourd, aveugle et stupide. Pour l’instant, aucune idéologie ne permet heureusement de nier que l’humain peut ressentir de la souffrance, mais beaucoup de décisions sont prises par ceux qui en ont le pouvoir dans le mépris des souffrances qu'elles causent. Pour le matérialisme moderne, si l’être humain a encore un statut spécifique par rapport aux animaux, il n’a pas d’âme et cela autorise beaucoup de choses, par exemple de juger de son utilité ou d’évaluer le prix de sa vie comme on le ferait d’un objet**. 


Un triste fait divers vient de mettre douloureusement le doigt sur une de nos contradictions. Un accident de la route survenu sous l’emprise de la drogue a provoqué la mort d’un foetus qui, de ce fait, a acquis une existence que le droit lui refuse: celle d’un être sensible ayant été injustement privé de la vie. On plaint la malheureuse mère mais on plaint aussi l’infortuné entant qui approchait du moment de sa naissance. Mais mourriez-vous à quelques heures du jour qui aurait pu être celui de votre venue au monde que, du fait que vous n’êtes pas né, vous n’avez aucune identité, aucune existence. Quelle différence y a-t-il, cependant, en tant qu’être vivant et sensible, entre cet enfant désiré qu’un accident prive de la vie et ceux, indésirés, que l’on choisit de supprimer ? Quelle différence, encore, entre cet enfant arraché accidentellement au ventre de sa mère et les effets délétères voire mortels des injections anti-covid encouragées, sans la moindre justification scientifique, sur les femmes enceintes ? Nous sommes là sur une frontière folle qui me fait penser aux montres molles de Dali. 

 

Créer l’homme nouveau


Créer l’homme nouveau, ce désir n’est pas d’hier. N’est-ce pas déjà l’ambition du christianisme ? « Revêtez-vous de l'homme nouveau! » adjure saint Paul. A ceci près que l’invitation du Christ est un appel au changement de l’intérieur, à la décision souveraine de celui qui l’entend, et n’est pas imposé par une autorité dominatrice. La Révolution française se proposait de « changer le peuple » - expression reprise récemment par une femme politique - et cela en usant des lois. Le 11 novembre 1789, alors que la province ne manifeste guère d’enthousiasme pour les projets parisiens, Rabaud Saint-Etienne déclare: « Il faut remonter ce peuple, le rajeunir, changer ses formes pour changer ses idées, changer ses lois pour changer ses moeurs, tout détruire, oui, tout détruire, puisque tout est à créer »**.  Du wokisme avant la lettre. On se rappellera qu’il y eut ensuite la promulgation d’un nouveau calendrier, fort poétique d’ailleurs mais qui n’a pas duré, et l’instauration de nouvelles mesures des distances, des poids et des volumes. Le communisme, avec les moyens que l’on sait, a lui aussi voulu créer un homme nouveau. Puis, plus douce mais plus insidieuse, est venue l’ingénierie sociale qui s’intéresse à la manipulation de nos ressorts intérieurs pour obtenir de nous les opinions et les comportements qui conviennent à ses commanditaires. Avec le transhumanisme, nous allons plus loin, beaucoup plus loin, que ce soit sur la ligne des capacités physiques ou mentales à accroître artificiellement mais surtout sur celle de la dépossession de nous-mêmes.

 

Le matérialisme nous dessine évidemment un avenir fondé non sur l’être mais sur l’avoir. Un humain « augmenté » par des artefacts afin qu’il soit plus rapide, plus intelligent, plus endurant, plus habile. En fait, on lui applique les mêmes critères de performance qu’à un robot et c’est tout-à-fait logique puisque l’on part d’une représentation qui est celle d’une machine, complexe certes, physico-chimique, énergétique, mais une machine quand même. L’interdiction de toucher au génome a déjà été transgressée sous le prétexte de protéger la santé des peuples. Partant de là, on peut aussi imaginer que, en choisissant les « gains de fonction » comme on le fait pour les virus, on façonne un jour des êtres humains, et cela non seulement en fonction des tâches qu’on entendra leur confier et des habiletés qu’elles nécessiteront, mais aussi des comportements dont on voudra les doter, tels que l’obéissance totale, l’insensibilité à la douleur, la vulnérabilité aux manipulations mentales. Mais le transhumanisme va plus loin. Le marketing, déjà, nous traquait afin de connaître notre profil de consommateurs en fonction de notre âge, de notre sexe, des traces que nous laissons un peu partout par nos consultations sur l’Internet et nos achats. Dans les années qui viennent, il conviendra de passer du commerce à la politique. Il conviendra que l’on sache tout, à tout moment, des individus qui composent une population à gérer. Qu’une ou plusieurs puces intégrées à leurs corps renseignent en permanence une intelligence artificielle sur leur santé, leurs émotions, leurs déplacements et leurs consommations, et permette ainsi de déterminer les mesures à prendre les concernant. Quel interdit serait-il légitime si l’on n’intervient que sur des machines ? Que peut-il y avoir de sacré dans une machine ?

 

La flèche de l'évolution


Dans un court texte, le père Teilhard de Chardin (1881-1955), théologien catholique, utilisait la métaphore de l’En-dedans et de l’En-dehors pour décrire l’axe de l’Evolution. L’En-dedans, c’est la subjectivité qui se concentre progressivement au coeur des êtres vivants jusqu’à culminer dans l’humain, ce néant qui devient ainsi « capable de Dieu »****. L’En-dehors, c’est l’absence de psychisme, c’est la matière brute. La flèche de l’évolution est orientée de l’En-dehors vers l‘En-dedans. Un En-dedans particulièrement densifié est la caractéristique du « phénomène humain »*****. Cet En-dedans est le lieu du mystère de l’être, le lieu de sa liberté et de sa responsabilité, de ses passions et de son destin - et de sa possible rencontre avec Dieu. C’est l’intimité qui devrait être inviolable. Or qu’annonce un transhumaniste comme Youval Harari, intervenant bien-aimé du World Economic Forum ? Qu’il n’y aura plus d’âme, plus de libre-arbitre, plus d’intimité inaccessible de l’extérieur. Tout au contraire, par le biais de technologies invasives, nous deviendrons intégralement des En-dehors sous l’oeil vigilant des Big Brothers qui se sont attribués la mission d’administrer l’humanité et qui commencent à le faire sur le mode des élevages industriels.  


Alors, je repense à notre statue de Saint-Michel dont une certaine association demande le déboulonnage au motif qu’elle fait de la propagande religieuse dans l’espace public. S’agit-il d’un simple réflexe atavique anti-calotin ? Ou bien se jouerait-il là quelque chose de plus profond ? Certains s’identifieraient-ils au dragon que terrasse l’Archange ?

 

* « L’amour, c’est vouloir donner à quelqu’un qui n’en veut pas quelque chose qu’on n’a pas » (du pessimiste Jacques Lacan).

** Cf. chronique Antagonismes irréductibles 1/2 et https://www.investisseur-sans-costume.com/la-guerre-est-la-continuation-de-la-dette-par-dautres-moyens/

*** Cf. Claude Quétel, Crois ou meurs !: Histoire incorrecte de la révolution Française, TallandierPerrin, 2021.

**** Cardinal de Bérulle (1575-1629), Œuvre de piété

***** Pierre Teilhard de Chardin, Le phénomène humain, Le Seuil, 1955.

21/02/2023

Intermède: une recette pour produire du complotisme

 

Je me souviens d’une gamine qui, le jour de son anniversaire, connut l’angoisse de sa vie. Pour lui faire une surprise, ses parents l’avaient emmenée en grand mystère vers une destination inconnue. En regardant le paysage défiler, elle se posait mille questions. Soudain, une évidence s’imposa à elle: on avait décidé de se débarrasser d’elle, on allait l’abandonner! Elle revoyait les disputes que son indiscipline récurrente avait provoquées, les menaces tout aussi récurrentes de la mettre en pension. A la stupéfaction de ses parents, elle éclata soudain en larmes. Mais leurs intentions n’étaient que bienveillantes: la destination était Eurodisney. J’appellerai cela une expérience de complotisme. Ce qui est intéressant, c’est d’en comprendre les mécanismes.

 

D’abord, de même que la végétation, le complotisme ne prolifère pas sur n’importe quel sol. Il a besoin d’une forme d’acidité. A partir des années 70 et de la publication du premier rapport Meadows, puis avec la diffusion des thèses du GIEC sur le réchauffement climatique et surtout sur sa cause anthropique, l’opinion se répand dans certains milieux que ce n’est pas le train de vie d’une poignée d’oligarques (qui le méritent bien au surplus) qui met en péril l’écosystème planétaire, ce sont les petites consommations quotidiennes des milliards de « riens » qui se sont reproduits à outrance. S’il y a eu, pendant la « crise sanitaire », un courant complotiste qui a vu dans la « pandémie » et l’obsession de l’injection d’ARN une volonté de réduire la population mondiale, ce n’est pas un délire gratuit dû à l’abus de bière autour d’un barbecue. C’est qu’une partie de la population sent bien que la ploutocratie et ses serviteurs ne l’aiment pas et la supportent à peine. En France, d’ailleurs, le plus haut personnage de l’Etat se plaît à n’en rien cacher. Quand, de ce fait, on n’a plus confiance dans la parole officielle et les intentions qu’elle prétend exprimer, on n’a pas d’autre moyen de tenter de comprendre ce qui se passe qu’aller chercher les pièces du puzzle pour le reconstruire. Et on le fait avec, au fond du coeur, l’amertume de ceux qui savent qu’ils sont méprisés. 

 

Depuis quelques décennies, le décor dans lequel nous vivons fournit justement à notre puzzle quelques pièces de nature à éveiller notre défiance. Les entreprises de la santé sont particulièrement intéressantes de ce point de vue. La santé, chacun d’entre nous sait ce qu’elle est: le bon fonctionnement du corps, l’absence de douleurs, la perspective de la longévité. Or, les industriels de ce secteur ont mis des années à reconnaître l’inefficacité et les effets secondaires parfois mortels de substances qui leur permettent d’engranger des bénéfices. Confrontés aux demandes des patients ou de leurs familles, ils ont multiplié les manoeuvres dilatoires et freiné des quatre fers avant de remballer leurs poisons. Dès 2012, sous la signature de deux professeurs de médecine, un livre dévoilait ces pratiques en dénonçant les « 4000 médicaments inutiles ou dangereux »*. Plus récemment, l’enquête publiée sous le titre « Les Gardiens de la raison »** a montré toutes les roueries de l’industrie pharmaceutique devenue une vraie pieuvre. On reverra aussi avec profit le documentaire d’Arte de 2016 sur l’arnaque au cholestérol***. Ce dernier document est instructif car l’histoire qu’il raconte se déroule sur plusieurs décennies et montre comment, en partant d’un postulat bancal, on développe une doxa inébranlable, un réseau d’influence - dans certains cas aux méthodes mafieuses - et une filière de profit.

 

Ces faits, s’ajoutant à la détestation que nos dirigeants cachent à peine, voilà qui pose une climat au sein duquel il est difficile de croire que tout ce beau monde veut nous emmener à Disneyland !  Alors, si, dans votre pioche, vous trouvez aussi les « dix commandements » des Georgia Guidestones et lisez un peu rapidement une certaine déclaration de Jacques Attali, ou plus récemment celle d’un jeune économiste de Yale, vous ne pouvez que vous poser des questions incongrues. Erigées dans des conditions mystérieuses en 1980 en Géorgie, aux Etats-Unis, les Georgia Guidestones étaient un monument de granite impressionnant, aujourd’hui détruit, sur lequel étaient gravées en huit langues dix prescriptions dont la première interroge: « Maintenez l'humanité en dessous de 500 millions d’individus ». D’évidence, le texte veut se faire passer pour très ancien, bien antérieur à l’époque où l’humanité a franchi cette barre de 500 millions d’habitants. Mais quelle conclusion en tirer pour aujourd’hui ? Est-ce une invitation à revenir en deçà de cette limite ? Mais comment ? Quant à Jacques Attali, dans « L’avenir de la vie », il a déclaré tout simplement que, passé un certain âge, l’être humain devient improductif, donc inutile, et représente une charge pour la société. So what ? Yusuke Narita, jeune professeur d’économie à Yale répond ces jours-ci:  la solution est le « suicide de masse », forcé ou volontaire, des vieux****. 


Voilà les composants. Vous avez le sol - la malveillance de l’élite - le climat - les scandales renouvelés des activités industrielles - et l’engrais - les déclarations que nous avons évoquées. Vous avez de quoi  cultiver un beau complotisme qui vous donnera de beaux fruits. Reste l’étape finale. Rien de tel qu’un alambic dans lequel ces fruits vont concentrer leurs arômes. Ce sera la « pandémie ». Immobilisations diverses et confinements, obligations fantaisistes et mensonges qui se contredisent, censure sans complexe et obscurités entretenues: ce qui ressort au bout du serpentin de refroidissement ne peut que titrer très fort. « Ç’a un goût de pomme » comme on l’entend dans la dégustation célèbre des Tontons Flingueurs. Je vous propose une étiquette pour ce nectar: « Cuvée McKinsey ». 

 

* Louis Even et Louis Debré, Guide des 4000 médicaments inutiles ou dangereux, éditions Cherche Midi, 2012. 

** Stéphane Foucart, Stéphane Horel, Sylvain Laurens, Les gardiens de la raison, Enquête sur la désinformation scientifique, La Découverte, 2020.

*** Arte, Cholestérol, le grand bluff, 2016: https://www.youtube.com/watch?v=07UdGQTQosE

**** https://www.medias-presse.info/la-derniere-folie-arc-en-c... 

15/02/2023

Antagonismes irréductibles (1/2) 

 

"Vae victis!"

 

Au cours de son histoire de deux mille ans, le christianisme a connu des assauts de toute sorte, les plus redoutables étant ceux qui utilisaient le travestissement de son message afin de le dénigrer plus facilement. Certains de ses serviteurs, hélas! l’ont aussi trop souvent desservi. La société de consommation et ses charmes soporifiques est peut-être un de ses plus grands défis. Aimer plus grand que soi n’est guère dans l’air du temps. Les générations s’éloignent d’autant plus les unes des autres que l’on a cultivé et mis en scène leurs oppositions. Une multitude de causes abordées sur le mode de l’émotion émiette les âmes privées d’un centre de gravité. La publicité nous propose des fantasmes narcissiques et ridiculise dans ses mises en scène les glorioles de consommateurs "postmoderne". L’issue inéluctable de la vie - la mort, puisqu’il faut la nommer - est camouflée autant qu’on le peut, de même que les vieillards relégués au fond des EHPAD. Divertissements et artefacts viennent alléger l'ennui et nous distraire des épreuves qui pourraient nous procurer des moments d’approfondissement de notre rapport à l’existence. Telle est, sommairement évoquée, la toile de fond sur laquelle le christianisme subit aujourd’hui dans notre région du monde une guerre aussi tenace que sournoise. 

 

La cancel culture, que pratiquent compulsivement des organisations se recommandant de la laïcité, s’en prend aux statues qui pourraient pervertir le bon peuple, mais, surtout, elle s’en prend à notre histoire. L’origine chrétienne de notre pays, de notre civilisation, est niée ou rejetée et, a minima, doit être tue. Certains veulent que l’on débaptise des fêtes telles que Noël. En revanche, on laisse croire à toute une population de jeunes maghrébins que les méchants croisés s’en sont pris aux innocents musulmans, en omettant de rappeler l’extension foudroyante, sabre à la main, des cavaliers d’Allah trois siècles auparavant, et le statut de déclassés réservé aux chrétiens et aux juifs dans les territoires conquis. Les cas de pédophilie au sein de l’Eglise sont montés en épingle par des hypocrites qu’indiffère le constat que cette ignominie a pour cadre prépondérant non pas les sacristies mais le milieu familial. L’Etat, qui pratique le « quoi qu’il en coûte » dès lors qu’il s’agit de fermer les restaurants ou de soutenir sur ordre un fantoche issu du plus crasse nazisme, se réjouit de ne plus pouvoir entretenir les églises et envisage, par la voix emmiélée d’une ancienne ministre, d’en raser quelques-unes. Il s’agit, n’en doutons point, dans l’esprit de ses contempteurs, de se débarrasser enfin du catholicisme. Il n’y a pas de meilleur symbole de cela que ces deux illustres personnages qui furent surpris en train de ricaner devant Notre-Dame de Paris en proie aux flammes. De « l’infâme », rien n’a de valeur. 

 

Pourquoi cette volonté obsessionnelle d’effacer à tout prix le christianisme ? On peut évoquer des comptes à régler pour certaines exceptions sexuelles devenues des lobbies. Mais, surtout, il y a un antagonisme irréductible de l’esprit du christianisme avec le projet que promeut une élite mondialisée. Le monde étant devenu un village, le projet se veut planétaire et il s’agit de rien de moins que l’orientation de l’espèce humaine. Ce projet puise à une idéologie, le « darwinisme social », et à un système philosophique, le matérialisme, qui s'opposent tous deux aux fondements du christianisme. 

 

Le « darwinisme social » a été théorisé au XIXe siècle au grand dam de l’auteur de L’origine des espèces, qui considérait qu’on détournait ses idées en les appliquant à l’humain. En résumé, la morale du darwinisme social, tel que l’entend par exemple Howard Spencer, est que celui qui sait s’enrichir est le moteur de l’évolution. Il montre une faculté particulièrement élevée d’adaptation à son milieu. Il est l’émergence d’une espèce supérieure. De ce fait, on ne saurait l’empêcher de prospérer sans empêcher l’évolution; et, mieux même: on ne saurait l’empêcher de prospérer, le ferait-il de manière malhonnête: l’adaptation des espèces animales et végétales n’est pas entravée par des règles morales. Le darwinisme social n’est jamais qu’une tentative de légitimation par la science de ce que l’on appelle communément « la loi de la jungle » ou « la raison du plus fort ». Cela entraîne que, pour ses partisans, trop d’humanité envers les « riens » ne fait qu’alourdir les champions de l’évolution. C’est pourquoi ces riens doivent-ils travailler le plus possible en coûtant le moins possible. C’est pourquoi, aussi, la démocratie n’est supportable que si l’opinion publique est habilement dirigée, ce qui suppose une élite pour le faire. Le darwinisme social établit l’inégalité des êtres humains et recrée un système de castes. Pour le christianisme, la richesse ou la pauvreté, une situation brillante ou modeste, ne font pas qu’une âme a plus ou moins de dignité qu’une autre. 

 

Par la prédication du Christ mais aussi par la vie de tous ceux dont la sainteté a été louée au long des siècles, le christianisme prône le désintéressement des biens de ce monde. Or, le moteur de ce qu’est devenue notre civilisation, la mesure qui y exprime la valeur des choses et des gens, sont justement la richesse avec le pouvoir qui en résulte. Le critère pour être membre de cercles comme le World Economic Forum, ce grand salon du nouveau philosophisme dont le réseau a pour ambition d’instaurer une gouvernance mondiale, n’est-il pas le poids financier que l’on représente ? Or, comment voulez-vous que des Gates, des Soros ou des Rothschild puissent entendre sans en sourire (ou en être agacés) cette phrase que reprennent les trois évangiles synoptiques: « En vérité, je vous le dis, il est plus difficile à un riche d’entrer au royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille » ? Quand on doit à la richesse la position planétaire que l’on occupe, la capacité que l’on a d’intervenir dans les affaires intérieures des nations, n’y a-t-il pas de quoi mépriser le pouilleux de Bethléem qui l’a prononcée et la clique d’arriérés qui lui emboitent le pas ? En outre, le rapport des riches aux pauvres s’avoue explicitement conflictuel. Souvenez-vous de Warren Buffet fanfaronnant: « Bien sûr, il y a une lutte des classes, et c’est même la mienne qui est en train de la gagner ». Pour ces darwiniens, il ne faut pas intervenir dans la sélection naturelle qui, jusqu’au sein des sociétés humaines, produit des gagnants destinés à régner et des perdants voués à disparaître. La bienveillance envers les pauvres et le secours à leur apporter que prône Jésus maintient en survie artificielle des faibles, des losers. « Vae victis! » Malheur aux vaincus ! Brennus, le rançonneur des Romains, est finalement le premier théoricien du darwinisme social*.

 

L’économie - ou plutôt l’économisme - a remplacé la religion en tant que pensée structurante de la société et d’orientation de la société humaine. La comptabilité des coûts et des rendements qui en résulte entraîne la réification de tout, y compris des hommes, ainsi que la disparition dans les esprits de ce qui ne peut être comptabilisé: la beauté d’un site, les espèces sauvages voire les communautés premières qui y vivent. La spéculation rapporte davantage que les produits de l’économie réelle et le spéculateur est bien au dessus du producteur. Aucun secteur n’y échappe. Certain groupe mondial gestionnaire d’EHPAD a fait de grands profits jusqu’à ce que l’on découvre les ignobles conditions d’hébergement de ses pensionnaires**. Les industries pharmaceutiques provisionnent dans leurs bilans les dommages-intérêts qu'elles pourraient avoir à payer: peu importent les souffrances et les morts si les bénéfices excèdent ces provisions. Ce que l’on appelle l’Art Contemporain n’est pour l’essentiel qu’un jeu financier***. Aboutissement de cette forme de pensée, en 1981, dans le recueil d’interviewes « L’avenir de la vie » , Jacques Attali distingue parmi les êtres humains les utiles et les inutiles. Accepter une telle distinction peut ouvrir la voie à des dérives odieuses. Si le christianisme n’encourage pas les hommes à la paresse mais à prendre leur part de l’effort de la communauté, la nature de l’être humain ne saurait être pour lui de l’ordre de l’utilité. Le sens de notre existence n’est pas dans la contribution que nous pouvons apporter à un système économique.  

 

Pour clôturer cette séquence sur l’antagonisme entre le darwinisme social et le christianisme, comment ne pas évoquer la fin terrestre du Christ ? En choisissant de se laisser arrêter, en dissuadant même ses disciples de le défendre et en acceptant le martyre et une mort ignominieuse, il ne peut être un héros pour les darwiniens. Les indomptables cowboys des westerns leur conviendront beaucoup mieux. Vae victis !

(à suivre)

* Brennus, roi gaulois, s’est emparé de Rome en 390 avant Jésus-Christ et exige une rançon de 1000 livres d’or. Alors que l’on pèse le tribut, les Romains se plaignent que les Gaulois trichent avec les poids. Brennus rajoute alors son épée dans la balance en disant: « Malheur aux vaincus ! »  

** Victor Castanet, Les fossoyeurs, J’ai lu, 2023. 

*** Christine Sourgins, Les mirages de l'Art contemporain - Brève histoire de l'Art financier, La table Ronde, 2018. 

PS: pensez à visiter mon nouveau blog: La Revue de Presse d'Indiscipline Intellectuelle: http://larevuedepressedindisciplineintellectuelle.blogspi...