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28/02/2024

Sans la moindre prétention réaliste

 

Des couleuvres, nous en avons avalé. Ils nous interdisaient tout ce que nous désirions et nous imposaient tout ce que nous refusions. Les normes pleuvaient, les unes pour nous rendre impossible le mode de vie que nous voulions adopter, les autres pour nous priver d’informations que nous jugions indispensables à cette fin. Un exemple emblématique: nous subîmes en même temps l’interdiction d’élever nos propres volailles et la suppression de l’étiquetage détaillé permettant de connaître l’origine et le mode d’élevage de celles que l’on trouvait dans les magasins. Puis ce fut au tour des variétés végétales: il fut répréhensible de cultiver dans son jardin certaines plantes aromatiques: des « chercheurs » avaient subitement découvert qu’elles étaient dangereuses et que nous étions trop stupides pour savoir les utiliser. Il ne se passait ainsi guère de mois sans qu’une nouvelle « étude scientifique » n’avertît des dangers de telle ou telle chose jusque là banale. On vit des gendarmes pénétrer dans les jardins et prendre en photo des fanes de carotte qu’ils étaient incapables d’identifier. 

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En fait, le rêve des « élites » se concrétisait à marche forcée. D’une part, il s’agissait d’avoir sous contrôle tout ce que la population pouvait absorber ou utiliser, et pour cela que tout fût exclusivement produit par le cartel des compagnies mondialisées. Cela entraîna, parmi des dizaines d’activités, la mort des petits éleveurs et restaurateurs locaux. D’autre part, au motif de gérer au mieux les ressources terrestres, il fallait que l’administration sût tout de la vie de chacun. Avec ce leitmotiv qui se voulait logique et rassurant: « si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre! ». Bien évidemment, l’intelligence artificielle était le maître d’oeuvre auquel tout cela était confié. Ses décisions, jamais, n’étaient remises en question par qui que ce fût d’officiel. Il est d’ailleurs probable qu’elles n’étaient même pas analysées: l’essentiel était que les masses fussent sous contrôle. 

 

Adaptation en survie

 

Au début, nous qu’on appelait « les divergents » avec le frisson qu’on peut avoir en voyant une araignée ou un serpent, nous soulagions nos agacements et nos colères sur les Réseaux sociaux où nous croisions quelques pseudos en souffrance comme nous, mais sans autre résultat que d’attirer des nuées de trolls grossiers et de nous retrouver fichés par les services de sécurité. Un sentiment d’impuissance enragée s’était mis à nous empoisonner et cela d’autant plus qu’à l'époque ceux qui ne partageaient pas notre vision des choses et de l’existence humaine nous traitaient ouvertement avec dérision. Pourquoi nous compliquions-nous ainsi la vie ? Tout n’allait-il pas pour le mieux ? Tout n’était-il pas finalement tout simple ? Ah! la simplicité (ou plutôt la simplification)! Que de gâchis, pour ne pas dire que de crimes, ne commettait-on pas en son nom! Pour nous, les enjeux étaient bien ailleurs que dans l’accès à une vie toujours plus « simplifiée », du moins celle qu’offrait cette société qui simplifiait surtout l’humain, le réduisant à des réflexes conditionnés. 

 

Au milieu des frottements quotidiens de nos opinions avec l’esprit du temps, le coeur de notre résistance était notre refus d’une vision mécaniste de l’humain, d’une existence ramenée à la représentation que s’en faisaient et voulaient nous imposer les trans-humanistes. A partir du moment où l’humain n’est rien de plus que l’animal-machine de Mallebranche, une mécanique un peu plus sophistiquée que les autres mais une mécanique quand même, tout sacré disparait. On peut s’enrichir avec le commerce des organes, transformer le ventre des femmes en usine, produire des chimères dignes de l’Ile du Docteur Moreau. Cette lueur qui émergea, un jour, de l’évolution du cerveau de notre espèce, qui lui fit se poser au cours des millénaires les trois questions de Gauguin: « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? », n’était à les entendre qu’un épiphénomène négligeable. Ces interrogations n’étaient que délires et des notions telles que la transcendance, la liberté, la magie ou la poésie n’étaient qu’illusions. Le matérialisme moral et philosophique résumait l’alpha et l’oméga de l’aventure humaine. Notre histoire elle-même, l’histoire qu’ont vécue les peuples au cours des siècles, était disqualifiée. Car, lorsque le seul repère est l’invention technologique, hier est toujours arriéré par rapport à aujourd’hui. La mémoire n’est qu’impedimenta qui peuvent ralentir la marche forcée. L’amnésie devient la première des vertus des peuples, avec son corolaire: l’iconoclasme. 

 

Nous, les « divergents », nous souffrions chaque matin de nous réveiller dans ce monde qui était de moins en moins le nôtre. Nous souffrions d’être dépossédés en permanence de ce qui nous était cher. Nous faisions partie nous-mêmes, finalement, de ces vieilleries bonnes à jeter à la poubelle, que les médias ne manquaient aucune occasion de dénoncer. « Qui voudrait vivre comme les Amishs ? » répétaient-ils sottement en nous caricaturant.

 

Las des joutes verbales stériles et déprimantes, nous désertâmes les réseaux si peu sociaux et nous mîmes à chercher nos semblables au delà de notre voisinage habituel. Nous constatâmes qu’ils étaient plus nombreux que nous ne le croyions et même que, dans l’ombre, notre nombre ne cessait d’augmenter. De villages à villages, de cités à cités, des liens discrets se tissèrent entre ceux qui, comme nous, rejetaient le genre de société vers lequel, de gré ou de force, on nous entraînait. Nous retrouver en définitive aussi peu isolés nous apporta dans un premier temps de l’apaisement. De ce fait, nous laissâmes de moins en moins prise à l’agressivité que l’effet miroir favorisait. Tout au contraire, nous résolûmes de ne plus jouer le jeu qui consistait à exacerber les clivages. Des années passèrent où nous continuâmes d’avaler des couleuvres mais au cours desquelles le gros de la population nous reconnut de plus en plus comme de « bonnes gens ». Si l’on persista à nous regarder avec perplexité et incompréhension, cette sociabilité que nous manifestions développa l’écoute de ceux qui ne partageaient pas nos convictions. Comme l’avait écrit il y a deux ou trois décennies l’un de nos ancêtres résistants: « c’est dans l’intimité que les idées peuvent évoluer ». Et non sur la place publique des réseaux sociaux où les pugilats verbaux ne faisaient que les figer et les enraciner. 

 

Nous nous prîmes à espérer que le pouvoir pourrait un jour échoir à des groupes plus favorables aux valeurs, aux formes économiques et au mode de vie que nous défendions - ou qui remettraient à tout le moins un peu de liberté dans l’organisation de la société. En quelque sorte, nous appelions de nos voeux une sorte d'empereur Constantin. Au IVème siècle, celui-ci n’avait-il pas fait du christianisme la religion officielle de l’empire, alors même que les chrétiens ne représentaient que dix à quinze pour cent de sa population ? Funeste espoir. D’élections en élections, nous ne connûmes qu’une succession de promesses lénifiantes aussitôt trahies. Au nom de la liberté, chaque nouveau régime ne fit que rendre plus étroit le carcan qui enserrait une population molle et soumise. Au nom de la liberté d’expression, dans tous les domaines la censure prospéra. 

 

Après des épisodes brutaux qui firent quelques morts et beaucoup de blessés et que l’Etat avait justifiés par la nécessité de faire respecter l’ordre et de libérer des territoires publics occupés par des squatteurs, la répression des divergents que nous étions avait évolué vers une double forme de harcèlement. Harcèlement, que j’ai évoqué, sur les réseaux sociaux, où des armées de trolls rémunérés s’efforçaient de ridiculiser nos opinions, de nous culpabiliser et désigner à la vindicte publique. Mais surtout, harcèlement administratif et policier, fait de vagues successives d’ordonnances et de décrets que suivaient des vagues de contrôles tatillons et humiliants et de taxations coûteuses.

 

"Et maintenant ?" 

 

Nous faisions ainsi le gros dos depuis des années quand la nouvelle génération commença à s’agiter. « Tout ce que vous avez fait, dans la violence ou la non-violence, à quoi cela a-t-il servi ? Nous vivons furtivement, nous trouvons sans cesse des accommodements avec cette tyrannie que beaucoup autour de nous ne ressentent pas, nous survivons à moitié étouffés en continuant d’espérer on ne sait quel miracle... Et alors ? Et maintenant ? » Ce « Et maintenant ? » devint une sorte de cri. Il réveilla ceux qui en avaient assez de cette adaptation de survie, plus particulièrement les jeunes évidemment mais aussi, parmi les anciens, ceux qui avaient su garder la mémoire de ces décennies d’existences à demi-clandestines. Car le piège est de perdre la mémoire et, de ce fait, de trouver au présent une sorte de normalité. Avec ce « Et maintenant ? » ce fut comme si un courant électrique se répandait à nouveau dans nos réseaux. Une effervescente nouvelle qui, provoquant d’abord des précipitations maladroites, entraîna quelques dérives violentes que l’Etat, quelque peu surpris, ne manqua pas de réprimer durement. 

 

Puis, un soir, une idée surgit. 

 

Un anthropologue de la fin du XXème siècle avait élaboré la théorie des Possibles, Impossibles et Non-impossibles: selon lui, un monde se définissait pas ces trois paramètres. Tant qu’on ne les ébranlait pas, on ne pouvait changer ni de vie ni de société. Les nôtres pouvaient se résumer à la formule latine: hic et nunc. Or, un soir, lors d’une réunion, l’historien de service avait évoqué avec nostalgie ce 16 septembre 1620 où une centaine de Puritains avait quitté l’inhospitalière Angleterre pour créer son propre monde de l’autre côté de l’Atlantique. Il l’avait évoqué avec nostalgie car, disait-il, il n’y avait plus sur la planète de terres vierges où nous pussions fuir et nous installer. Une débat un peu vif s’ensuivit car, firent remarquer certains, ces terres n’étaient pas vraiment vierges et l’on sait quel fut le destin auquel cette immigration accula les peuples natifs. L’historien commençait à se défendre lorsque quelqu’un fit remarquer que la vraie question n’était pas là: les Pilgrim Fathers avaient pu fuir, nous ne le pouvions pas!

 

- A quoi cela sert-il, alors, d’évoquer cette vieille histoire ? 

 

A quoi un autre répondit: 

 

- Est-on vraiment sûr qu’il n’y a pas de pays où nous serions accueillis avec bienveillance ? 

 

- On en a parlé mille fois, on a évoqué des possibilités, par exemple au Portugal, en Russie, en Amérique latine, en Afrique noire, etc. Mais on n’a jamais dégagé le moindre consensus. Et maintenant, à force de tergiverser, c’est de toute façon trop tard!

 

- Pourquoi est-il trop...

 

- Moi, j’ai une proposition à vous faire! On émigre dans notre propre pays!  

 

La jeune femme qui avait prononcé ces mots attendit que le calme revînt puis développa son idée. Nous étions nombreux. Certes, furtifs, diffus au sein de la société, mais nombreux, très nombreux. Imaginons d’abord que nous décidions d’émigrer, peu importe où. De quel métiers, de quels équipements, aurons-nous besoin ? Quelle est la population à atteindre pour former une communauté viable ? 

 

Dans l’assistance, un vieux s’agaça: 

 

- A quoi cela sert-il de calculer tout cela puisqu’on ne sait pas où aller ?

 

- Je vous demande de mettre entre parenthèse le sujet de la destination et de faire pour le moment « comme si », lui répondit gentiment la jeune femme. 

 

L’homme haussa les épaules en grommelant. La discussion reprit et devint de plus en plus animée au fur et à mesure que le rêve se nourrissait. 

 

Deux heures plus tard, les grandes lignes de l’émigration était largement ébauchées. Pour avancer encore, il faudrait pousser l’étude plus loin, amasser davantage d’informations...

 

- Et maintenant ? » reprit le grognon qui, un temps, avait éprouvé du plaisir à l’exercice mais se retrouvait face à son réalisme.

 

- On repasse en revue les pays où nous pourrions nous installer ?

 

La jeune femme attendit un moment, puis posa à nouveau sa première question :

 

- Et si nous émigrions dans notre propre pays ? 

 

- Que veux-tu dire ? On rachète des villages en ruines et on s’y installe ?

 

- A quoi cela servira-t-il ! Regroupés ou non dans un village, on sera soumis aux mêmes lois, à la même administration, comme aujourd’hui !

 

- Ce n’est pas cela que j’ai à l’esprit.

 

- Mais quoi, alors ?

 

- On négocie avec l’Etat la concession d’un territoire où vivre selon nos propres principes. 

 

- Ils ne voudront jamais !

 

- L’a-t-on déjà essayé ?

 

- Un territoire, mais où ?

 

- Aussi farfelu que cela vous paraisse, je vous propose de laisser pour le moment de côté la question du lieu. 

 

Le groupe réuni ce soir-là mit sur le chantier un embryon de charte qui lierait tous les volontaires pour une « migration intérieure » et les constituerait en force de proposition face aux Pouvoirs Publics. Diffusé de groupes locaux en groupes locaux, ce premier document fit l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel vide. Ce fut comme une évidence soudaine. Pourquoi n’y avait-on pas pensé plus tôt ? Du fond de milliers d’âmes s’éleva une puissante vague d’espoir. Lorsque la rédaction du document fut stabilisée, ce furent des dizaines de milliers de personnes qui se déclarèrent volontaires pour cette forme de migration. Une délégation fut alors chargée de négocier l’attribution d’un territoire avec les Pouvoirs Publics. Les représentants de ceux-ci manquèrent tomber de leurs fauteuils. Certes, le Renseignement n’avait pas été complètement sourd à ce qui se tramait, mais comme tous les échanges s’étaient fait par courrier postal et non numérique, l’essentiel lui avait échappé. La surprise des médias ne fut pas moindre et, malgré les objurgations de la puissance publique qui voulait étouffer l’affaire, le sujet était trop exceptionnel pour que tous acceptassent de le taire. 

 

Le gouvernement, qui avait du mal à cerner le phénomène, tenta alors de gagner du temps. Il nous envoya ses négociateurs les plus retors. Mais notre délégation s’était préparée à cela de longue main, elle maintint la pression, et, devant les manœuvres dilatoires de ses interlocuteurs, des mouvements non-violents commencèrent à apparaître partout. S’éteignant ici et se rallumant ailleurs en une valse lancinante, ils désarçonnaient les forces de l’ordre qui couraient d’un lieu à un autre comme des canards sans tête. La stratégie convenue était de ne pas laisser souffler les autorités. Ce fut un combat pied à pied, mais  face à un phénomène complètement inédit les politiques avaient toujours un temps de retard. Leurs représentants finirent par donner un accord de principe, comptant que la discussion du lieu à attribuer pourrait permettre, en s’éternisant, de noyer le poisson. Mais nos délégués les firent avancer sans leur laisser reprendre haleine. Lorsqu’un accord fut proche d’aboutir et comme l’Etat, pour sa perte de souveraineté sur une part de son territoire, demandait une indemnité qui dépassait les moyens des migrants, une seconde charte circula qui rassembla en quelques jours des centaines de milliers de signatures: tous ceux qui, sans vouloir déménager, s’engageaient à mettre des moyens matériels et financiers au service de leurs frères et soeurs. 

 

Un territoire nous fut finalement concédé sous condition que nous ne ferions pas de prosélytisme au delà de nos futures frontières. Je passe rapidement sur la suite, car tout le monde l’a en mémoire. Il nous fallut des années avant que nous réussissions à donner à notre modeste état une homéostasie durable. Si ces premiers temps furent parfois très rudes, ils furent moins dramatiques que ceux des Pilgrim Fathers sur leurs nouvelles terres. Il fallut d’abord rassurer les habitants de ces lieux pour qui nous étions d’étranges envahisseurs, si semblables à eux et si différents en même temps. Nous étions sociables, et ils le savaient, mais la propagande gouvernementale s’était donné pour objectif de nous rendre la tâche difficile, aussi notre image était quelque peu brouillée à leurs yeux. Nous élaborâmes en commun un modus vivendi respectueux de tous. Un certain nombre d’entre eux choisit cependant de s’en aller. Ils n’eurent aucun mal à vendre maisons et exploitations aux immigrants que soutenait la deuxième charte. Notre autre grand chantier fut de passer d’une monoculture intensive, qui était dominante sur ce territoire, à une agriculture de subsistance, c’est-à-dire diversifiée sur un sol régénéré. En même temps, nous devions apporter le plus grand soin à nous organiser en véritable démocratie. 

 

Nous voilà en l’an de grâce 2033. Nous sommes une des milliers de communautés qui, au cours des millénaires, ont osé réinventer la société. Ma vie personnelle y a trouvé son sens. Mes descendants peuvent envisager l’avenir sous les meilleurs auspices. Qu’y a-t-il de plus exaltant que de pousser des portes invisibles ? 

 

03/02/2024

Créer du manque

Tous les efforts de notre espèce, depuis la nuit des temps, tendent à combler les manques qu’elle ressent, qu’ils soient matériels ou psychologiques. Il en est de même pour nous tout au long de notre vie personnelle.  Alors, pourquoi proposer de créer du manque ?

Le manque est ce qui nous fait bouger et éventuellement réfléchir. Le manque de sécurité, de lumière, de chaleur, nous a fait inventer le feu. Encore faut-il prêter l’oreille au manque. Y a-t-il de la place, dans nos vies, et singulièrement dans une vie qui comme beaucoup aspire à une bifurcation, pour accueillir un manque qui pourrait être créateur ? 

Créer du manque nécessite de créer du vide. Si nous pouvons estimer que notre vie est vide sur certains plans, par exemple que nous avons un bullshit job, en revanche notre temps est loin de l’être et nous faisons d’ailleurs de notre mieux pour n’y pas laisser d’interstices. Parmi d’autres habitudes -  et avec les meilleures raisons du monde - les smartphones illustrent notre horreur du vide. Ils occupent davantage notre attention que le visage de nos semblables et les paysages de notre vie, et ils s’insinuent sournoisement dans nos occasions de recueillement ou de convivialité, créant et élargissant des fissures dans notre présence au monde, aux autres et à nous-même. On dirait d’ingénieux animaux se nourrissant de l’attention humaine, qui nous apprivoisent et se glissent dans le moindre entrebâillement de notre "temps de cerveau disponible". D’évidence, ils représentent une réponse à des besoins que nous ressentons. Selon l'économiste chilien Manfred Max-Neef(1932-2019), nos sociétés sont le produit des réponses que nous donnons à nos besoins. Ces réponses peuvent être justes, mais il y a aussi ce qu’il appelle des « pseudo-réponses », des réponses inhibitrices et des réponses destructrices, et, évidemment, toutes ont leur impact d’abord sur nous-mêmes, individuellement et collectivement, puis sur notre société*. 

On peut essayer d’esquisser cet impact s’agissant du smartphone. D’abord, l’achat et l’utilisation du smartphone dessinent une économie, celle des transferts de richesse vers le modèle capitaliste, avec les effets sociaux et écologiques de leur fabrication et les conséquences politiques résultant de l’accumulation considérable entre quelques mains du pouvoir que donne l’argent. Si je regarde maintenant les contenus que l’ustensile me propose, je vois qu’il est le véhicule de modes, d’injonctions et de stimulations orientées. Il est aussi, comme on peut le voir sur les réseaux sociaux auxquels il donne accès, le diffuseur d’émotions plus ou moins saines. Il est devenu l’un des principaux réseaux de distribution des producteurs du « médiavers »**, cette bulle artificielle qui nous entoure, qui se surajoute au monde réel et parfois le travestit. 

Ensuite, quand je lève les yeux de son écran et regarde autour de moi, je vois des corps proches mais des esprits éloignés les uns des autres par l’objet de leur attention. Au delà de cette observation immédiate, j'appréhende une société qui est davantage une juxtaposition d’individus qu’une communauté, où l'on a de plus en plus de mal à sortir de son quant-à-soi et où on est plus à l'aise à converser avec les ombres croisées sur le Net. Je vois aussi une population pour laquelle participer - l’un des dix besoins énoncés par Manfred Max-Neef -  se réduit à des « clicks » au détriment de l’interaction réelle et du « terrain ». Je vois également que la transmission de la mémoire est retirée aux vivants pour être laissée à un système opaque: les recettes de cuisine en sont un exemple, qui ne passent plus de la grand-mère au petit-fils. Pour en revenir au thème de ce billet, je vois le pompage - et l’orientation - de notre attention, qui fait de nous des absents des lieux où nous pourrions faire des choses réellement concrètes. 

Imaginons quelqu’un qui se libère d’une addiction qui lui coûte par exemple 300 euros par mois. Cela doit représenter approximativement la consommation d’un paquet de cigarettes par jour. Que va-t-il pouvoir faire avec cette somme ? Quels sont les nouveaux possibles, les nouvelles expériences, qu’il pourra faire entrer dans sa vie ? Supposons maintenant que, pendant huit jours, un mois, six mois ou une durée indéterminée, vous n’ayez plus l’accès à l’univers qui vous est proposé en ligne. Soit vous n'avez plus de smartphone, soit vous n'avez plus les accès, peu importe la cause: le résultat est du temps libéré. Voilà qui créerait un vide. Qu'en feriez-vous ?

 

"C'est par le vide que le plein se révèle." 

 

* Je donne un cours mensuel à l'Association Philotechnique de Paris où je fais une adaptation de la pensée de Manfred Max-Neef à notre situation en Europe. 

** Néologisme forgé par le philosophe Alexis Haupt sur les mots "univers" et "médias": univers construit par les médias. C'est une transposition de la caverne de Platon. 

 

18/01/2024

Fécondons l’avenir !

 

Au XIXème siècle, les personnes qui connaissent des difficultés financières n’ont d’autre choix qu’aller frapper à la porte des usuriers. En raison d’intérêts excessifs, le remboursement de la dette est laborieux, l’appauvrissement, la faillite et la spoliation sont souvent au rendez-vous. En Rhénanie, à l’initiative d’un bourgmestre, Frédéric-Guillaume Raiffeisen (1818-1888), un groupe de villageois se réunit, qui décident de mettre de leur épargne en commun afin d’accorder des prêts à un taux honnête aux citoyens impécunieux. Des agriculteurs peuvent ainsi acquérir un lopin de terre, des éleveurs augmenter leur cheptel, des artisans s’installer et de nombreuses familles améliorer leur situation. C’est l’enclenchement d’un processus d’émancipation. L’initiative fait florès et se multiplie rapidement. Elle s’étendra au point d’engendrer quelques-unes des principales banques qui existent aujourd’hui:  en France le Crédit agricole et le Crédit mutuel, en Allemagne la Raiffeisen Bank, en Suisse les Caisses Raiffeisen, au Québec les Caisses Desjardins, en Hollande la Rabobank, en Belgique la C.E.R.A. et à travers le monde d'innombrables banques coopératives. Au départ, il n’y a eu que la réunion d’une poignée de braves gens soucieux du bien commun.  

 

Dans une précédente chronique, j’ai brossé le fonctionnement du monde dont nous devons nous émanciper. C’est un monde dangereux à plusieurs titre, mais, fondamentalement, parce qu’une élite - sans nous consulter - s’est fait une représentation de l’avenir souhaitable et a la prétention de mettre en oeuvre une gestion parfaite de la planète et de sa population. Cet objectif de perfection, aidé de l’intelligence artificielle et de l’omniprésence numérique, nous met inéluctablement sur la voie du totalitarisme. Cela signifie que nous devrons bientôt abdiquer les capacités créatrices et le besoin de sens qui, depuis l’émergence de la conscience, sont les voies d’épanouissement de notre espèce, que nous devrons nous en remettre pour tout à une organisation imposée. C’est la dépossession de nous-mêmes dont nous avons eu un échantillon avec la gestion de la « crise sanitaire », je n’y reviendrai pas.

 

Ce qui nous aliène au système, ce ne sont pas nos besoins mais les solutions qu’il leur donne et que nous adoptons faute d’autres options. Par nos choix au long du temps, nous sommes les créateurs de cette situation: grâce à l’enrichissement que nous lui avons procuré, le système  s’est émancipé. Aujourd’hui, dans de nombreux domaines, il nous domine et entretient notre dépendance. Représente-t-il pour autant désormais la seule façon que nous avons de satisfaire nos besoins ? Assurément non. La clé de notre avenir réside dans la manière dont dès maintenant nous nous engageons - comme Raiffeisen - dans l’invention et l’expérimentation de solutions nouvelles. C’est ainsi que l’on féconde l’avenir.

 

Une approche nécessairement globale, systémique et heuristique

 

Il y a beaucoup de personnes et de groupes, un peu partout, qui font déjà dans ce sens un travail remarquable. La plupart me semble concentrée sur la question de la nourriture qui est indéniablement vitale: « primum vivere ». Il y a par exemple tous ceux qui - à travers ou non le prisme survivaliste - promeuvent l’autonomie alimentaire locale, le jardinage, la permaculture, les potagers collectifs. Je remarque aussi des initiatives autour de la santé avec la recherche de solutions alternatives passant sous les radars de BigPharma et de ses complices. Ce que je propose est, dans le même esprit, d’engager une démarche globale: prendre avec méthode l’ensemble de nos besoins fondamentaux, observer comment nous les satisfaisons actuellement, comment ils interagissent, quels risques ou insuffisances comportent nos solutions actuelles, afin quand cela s’avère nécessaire d’ouvrir d’autres voies. 

 

Par rapport à l’objectif d’une telle reconstruction sociale, économique et même anthropologique, depuis une trentaine d’années que je l’ai découverte (1) je n’ai pas trouvé de meilleure modélisation de nos besoins fondamentaux que celle de l’économiste chilien Manfred Max-Neef (1932-2019). Je la trouve particulièrement pertinente en ce qu’à l’instar d’une planche anatomique des méridiens et des points d’acupuncture, elle cartographie un système et désigne les points d’où l’on peut le faire évoluer. 

 

Selon Manfred Max-Neef, les êtres humains, quelles que soient leur race ou leur culture, ont en commun neuf besoins fondamentaux : de subsistance, de relations affectives, de sécurité, de compréhension, de participation, de loisir, d’identité, de liberté et d’exercice de leurs capacités créatrices. Plus tard, il a jugé nécessaire de rajouter à son système un dixième besoin: le besoin spirituel ou besoin de sens. Ce qui fait la différence entre les sociétés et les civilisations, c’est la manière de hiérarchiser ces besoins et de les satisfaire. En complément à cette notion de hiérarchisation, Max-Neef a aussi recensé quatre modalités de satisfaction et cinq types de solutions. 

 

Les quatre modalités sont le faire, l’avoir, l’être et l’interagir. Nous pouvons par exemple satisfaire nos besoins alimentaires en cultivant notre jardin (faire), en achetant notre nourriture (avoir), en prêtant à d’autres jardiniers des parcelles que nous n’avons pas la possibilité ou l’envie de cultiver nous-mêmes (interagir). Nous pouvons aussi choisir la « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi ou la frugalité du moine bouddhiste (être). Autre exemple: si j’observe mon besoin de sécurité, je peux travailler sur mes peurs (être), déléguer ma protection à une autorité extérieure (avoir), me protéger moi-même, seul ou dans le partage (faire et interagir). Au surplus, tous nos besoins sont en interaction: des « transactions » peuvent se faire entre eux, quand par exemple une personne renonce à sa liberté en échange de protection. 

 

Quant aux solutions, elles peuvent être destructrices, inadaptées, inhibitrices, univoques ou synergiques. Une solution est destructrice quand, pour répondre à un besoin, elle détruit les moyens de répondre à un autre besoin: par exemple, le bétonnage d’un terrain maraîcher afin de construire des logements. Elle est inadaptée si elle apaise un symptôme sans traiter la cause: l’abus de l’alcool pour lutter contre l’angoisse. Elle est inhibitrice, quand la satisfaction d’un besoin empêche la satisfaction d’un autre: les parents qui répondent au besoin de sécurité de l’enfant mais en étant protecteurs à l’excès étouffent son aspiration et son aptitude à la liberté. La réponse est univoque quand elle satisfait un seul besoin. Enfin, elle est synergique quand elle permet d’en satisfaire plusieurs à la fois. Autant dire tout de suite que cette dernière est particulièrement intéressante. Je vais en donner une illustration. 

 

Il s’agit d’une cité qui se trouve à Valence, dans la Drôme (2). Au départ, y cohabitent dans une méfiance réciproque une cinquantaine de nationalités différentes. Ces familles déracinées ne se sont pas ré-enracinées. Aussi, peu leur importe le lieu où elles ont échoué: on abandonne dans la cour le vieux réfrigérateur, on jette les ordures par la fenêtre, les rodéos de mobylettes détruisent des espaces qui n’ont pas eu le temps d’être verts, les dealers commencent à ouvrir leur petit commerce. Ce qui va faire basculer cette situation est la réponse favorable de la mairie à la demande de transformer en jardins potagers les espaces au pied des immeubles. Cette demande provient d’un besoin: celui de familles miséreuses d’améliorer leur ordinaire. Or, à partir de là, les habitants vont s’approprier leur lieu de vie. Ils vont se reconnaître mutuellement à travers l’activité de jardinage qu’ils pratiquent. Des relations d’entraide se noueront naturellement. On ne délèguera plus à la police l’évacuation des deux-roues qui viendraient faire du rodéo sur les cultures. Les sauvant du naufrage de l’oisiveté, d’une solitude farouche et d’une posture victimaire passive, le jardinage ne va pas seulement les aider à mieux se nourrir, il va les rendre plus heureux d’eux-mêmes et leur permettre de manifester leur sociabilité. Dans la classification de Max-Neef on peut dire que la création de ces potagers est une réponse synergique. 

 

Les choix que fait ainsi une population façonnent en retour les êtres humains qui la composent et leurs modes de sociabilité. C’est un engendrement réciproque qui illustre le principe de récursivité d’Edgar Morin. Une population au sein de laquelle la modalité de l’avoir prédomine produit des individualistes à la recherche permanente des moyens d’avoir ce qu’elle convoite. J’ai besoin de quelque chose, je l’achète, je la paye, je suis quitte. Je ne suis pas obligé de développer des compétences relationnelles, d’être partie prenante au sein d’une construction collective, puisque le fait de payer me libère de toute dette sociale et même de tout souci de l’autre. On peut parler d’une addition d’intérêts égocentriques, mais pas d’une société. En revanche, si les solutions choisies donnent une certaine place à l’interagir, on aura un développement de la sociabilité. Cela ne signifie aucunement que tout le monde deviendra beau et gentil: vivre en société suppose des frottements à gérer, des comportements à développer et des régulations à respecter. 

 

Le processus de la réussite

 

Pour féconder l’avenir, il convient de mettre en route un processus conjuguant méthode, créativité et expérimentation. La première étape est, comme l’a fait Raiffeisen, de réunir une poignée de braves gens qui ont tout simplement envie que les choses aillent mieux et qui s’embarquent délibérément dans une démarche heuristique. Il est nécessaire que ce soit un groupe et un groupe local. Un groupe, parce l’intelligence et la créativité collectives qui se frottent au réel seront toujours supérieures à celles d’un individu qui compile des informations dans son bureau. Un groupe localement enraciné, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’imaginer, il s’agit de mettre en oeuvre dans un environnement bien réel, d’avancer au rythme de l’expérimentation et de ses résultats - la démarche heuristique. Les membres d’un tel groupe ne sont pas des consultants chargés de produire des recommandations: ils sont les solutions qui s’incarnent. 

 

Après Frédéric-Guillaume Raiffeisen et Manfred Max-Neef, je voudrais inviter un autre de mes inspirateurs: Stephan A. Schwartz.  Ecrivain, chercheur, aventurier, philosophe, auteur et producteur de documentaires, Schwartz a consacré une partie de sa vie à comprendre comment un petit nombre de personnes parvenait dans certains cas à changer l’histoire. Il a d’abord constaté que les politiques brutales et coercitives n’ont pas de résultats durables. En revanche, en observant les mouvements qui ont réussi, il a décelé ce qu’il appelle « les huit lois pour obtenir des changements positifs et durables dans le monde » (3). En voici un aperçu. 

1. La personne et le groupe doivent porter un vrai dessein. 

Il ne s’agit pas d’avoir une idée molle ou un consensus intellectuel. Il faut qu’il y ait un véritable désir, profondément partagé, un engagement que l’on assumera dans la durée. 

2. Les personnes et le groupe peuvent avoir des objectifs, mais les résultats ne doivent pas les obséder. 

Il faut s’entendre sur les finalités, mais il faut écarter un engagement qui serait fondé sur des solutions préconçues qui créeraient des concurrences au sein du groupe et dont la mise en oeuvre ne tiendrait pas compte de la situation telle qu’elle va se découvrir et évoluer. Il convient de laisser aux solutions la possibilité d’émerger au fur et à mesure que l’on avance. C’est dans ce sens que j’ai évoqué une démarche « heuristique ». 

3. Chaque personne au sein du groupe doit accepter que les objectifs puissent ne pas être atteints au cours de son existence et être à l’aise avec cela. 

Le système dont nous voulons nous émanciper a mis des décennies à s’installer. C’est une sédimentation. Il a en outre la puissance que donne la concentration de richesse. Si nous pouvons espérer un « effet papillon », un basculement, acceptons que l’histoire puisse également être longue et requérir notre constance. Or, les personnes pressées de voir des résultats peuvent être tentées de s’engager dans des stratégies dominatrices pour parvenir à leurs fins. Elles fragiliseront le résultat final en éveillant des forces de rappel et en stimulant l’énergie des oppositions. Il faut accepter l’idée que l’on engage une action qui dépasse l’horizon de notre vie personnelle, que le processus consiste à laisser sur la planète une trace qui sensibilisera d’autres esprits jusqu’à ce que la situation, au moment où elle est mûre, bascule. 

4. Chaque personne au sein du groupe doit accepter que ce qu’elle fait puisse ne lui apporter aucune reconnaissance et être parfaitement à l’aise avec cela. 

Chacun peut penser sincèrement qu’il est désintéressé. Mais, quand on a l’occasion d’animer de nombreux groupes, on se rend compte que ce n’est pas si facile. Être apprécié, reconnu pour ce qu’on dit ou fait est un ressort humain tellement profond que c’en est de l’ordre d’un réflexe qui peut nous conduire, si nous n’y veillons, à s’attribuer tout le mérite. 

5. Chaque personne, y compris dans le respect de la hiérarchie des rôle au sein de l’organisation, doit, quels que soient son sexe, sa religion, sa race ou sa culture, jouir d’une égalité fondamentale avec les autres. 

On crée une association sans but lucratif et, tout de suite - et c’est normal - il faut s’organiser, attribuer des rôles, se doter d’un président, d’un secrétaire, d’un trésorier, etc. Mais, au delà de ces rôles, le respect de l’égalité de chacun doit être assuré. Ce n’est pas facile non plus. 

6. Chaque membre du groupe doit exclure la violence, qu’elle soit en pensée, en acte ou en parole. 

L’écrivain américain Henry David Thoreau vivait sobrement et pacifiquement au coeur de la nature, au bord de l’eau. Il a écrit des livres magnifiques et notamment il a publié en 1849 « La désobéissance civile ». Ce livre est donné comme étant à l’origine du concept de non-violence et serait la lecture qui a inspiré Gandhi.

7. Mettre en cohérence les comportements privés et les postures publiques. 

La dissonance entre les comportements privés et le message que l’on veut transmettre finit par décrédibiliser le message. A l’inverse, la cohérence donne de la puissance au message. 

8. Pour les individus comme pour les groupes, agir avec intégrité. 

Quand on a des choix à faire - et on a en général beaucoup plus de choix possibles qu’on ne pense - et même s’il n’y a pas de choix parfait - privilégier systématiquement l’option qui affirme et respecte la vie. Jusque dans les petites choses. 

 

Invitation à féconder l’avenir 

 

Convaincu que nous devons et pouvons féconder l’avenir, je me suis donné aujourd’hui la mission de promouvoir les démarches que je viens d’évoquer. Dans un premier temps, je suis à la disposition de toute « poignée de braves gens » qui aimerait approfondir au cours d’un échange amical les sujets abordés dans cet article. Je le suis également de tous ceux qui voudraient aller plus loin, initier une démarche et être plus ou moins accompagnés*. J’envisage aussi, en fonction des retours que j’aurai, de créer une formation pour ceux qui voudraient devenir les initiateurs de ces démarches. 

 

*Pour me joindre, cliquer sur « Me contacter » en haut à droite de la page et me laisser un message. 

 

(1) Grâce à mon ami Laurent Marbacher que je remercie ici de cela. 

(2) Cf. Béatrice Barras, Une cité aux mains fertiles, éditions REPAS, 2019. 

(3) http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/apps/m/a...