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03/04/2010

La démocratie et les experts

 

Les prodromes d'un déchirement de la "communauté scientifique" autour de la question du réchauffement climatique ne peuvent laisser le citoyen que pantois. Une double vérité semblait acquise: il y avait réchauffement et la cause en était anthropique. L'impression était celle d'une belle unanimité. Mais d'étranges fausses notes se sont bientôt glissées dans la symphonie. Avait-on, avant le concert, étouffé dans les coulisses quelque musicien désaccordé ? Si c'était le cas, manifestement on n'avait pas assez pressé l'oreiller. Résultat: aujourd'hui, on est carrément passé de la symphonie à la cacophonie, il y a deux orchestres sur la scène.

Imaginez: vous remorquez votre voiture au garage et les mécanos se disputent sur la cause de la panne! Bien évidemment, si vous en savez autant que moi sur la mécanique, il vous est difficile de les départager. De même, il est impossible, semble-t-il, à Monsieur ou Madame Michu de porter un jugement sur la pertinence des thèses climatiques qui s'affrontent et dont les protagonistes, cependant, dans une démarche parfaitement scientifique, ne vont pas tarder à s'étriper. « Etre grand, c'est épouser une grande querelle » dit Hamlet dans la pièce de Shakespeare. Il semble que beaucoup de gens, ces temps-ci, sont à la recherche de la grandeur...

J'ai lu un texte où Jean-Marc Jancovici s'en prend aux journalistes d'avoir invité le débat scientifique dans les médias. Il leur reproche de ne rien connaître du sujet, pas plus d'ailleurs que les lecteurs ou les téléspectateurs à qui ils s'adressent. Il leur pose une succession de questions, brassant à l'envi des termes qui échappent au vulgum pecus, afin qu'ils mesurent la profondeur de leur crasse ignorance et laissent de telles questions entre les mains de "ceux qui savent". Tout en étant critique moi aussi quant à la transformation des débats en spectacles superficiels, j'ai eu un haut-le-corps. Par personne interposée, on m'intimait de la boucler. J'étais comme ces indigènes du temps de la colonisation à qui les maîtres disaient : « Cherche pas à comprendre ! »

Cet article soulève la question récurrente et éminemment critique des rapports entre la démocratie et les experts. J'ai là-dessus des opinions radicales et je ne vais sans doute pas me faire que des amis en les exposant. L'article que j'évoquais le confirme: il est facile pour les experts d'enfumer les citoyens avec leur vocabulaire d'initiés. Que devient dès lors la liberté de choisir son destin ? La finalité de l'Etat, disait Spinoza, c'est de garantir la liberté. Or, de facto, une démocratie qui se remet entre les mains des experts se renonce à elle-même. D'ailleurs, ne l'avons-nous pas déjà fait dans certains domaines et ne sommes-nous pas en train de le payer ? Nos gouvernements, en suivant des « experts » dans la sacralisation du marché n'ont-ils pas porté un coup à la communauté nationale qu'ils sont supposés défendre et qu'ils ont en fait livrée aux grands vents de la finance apatride ? La liberté va jusqu'au droit de ne pas suivre les experts.

« Oui, mais » allez-vous me dire, « savoir s'il y a réchauffement ou non, si la cause en est anthropique ou non, il y va de la vie des générations futures ! » Je risquerai ici deux remarques désagréables. La première, c'est qu'on a tant parlé du réchauffement climatique qu'on en a oublié - ou écarté - d'autres menaces, immédiates et indéniablement anthropiques celles-là (je joins à cette chronique un article de Dominique Viel à ce sujet). Ma seconde remarque est plutôt une mauvaise nouvelle : il n'est écrit nulle part que l'homme puisse avoir, dès qu'il le veut, les réponses à toutes les questions qu'il se pose. Peut-être, en ce qui concerne le climat, sommes-nous dans cette situation où le doute est la seule attitude scientifique acceptable. Autrement dit, vivre, c'est accepter l'incertitude. On le savait, il faut y revenir. La question, c'est : comment faire avec ? Peut-être n'avons-nous pas à mobiliser la finance mondiale pour nous en sortir. Peut-être nous ajusterons-nous comme nos ancêtres ont déjà su le faire lors du petit âge glacière (XVème siècle après Jésus-Christ), pas à pas. Cela peut nous éviter les erreurs des plans quinquennaux soviétiques et autres productions technocratiques.

Pour vous consoler, il y a cependant un registre dans lequel les citoyens que nous sommes ont toute compétence à exercer leur sagacité et leur jugement: celui de l'éthique des hommes et des femmes qui veulent nous conseiller. Au tribunal, on peut récuser un juré pour suspicion de partialité. C'est ainsi que, face à l'auteur d'un infanticide, on écartera une personne dont l'enfant a été assassiné, même s'il ne s'agit pas du même prévenu. On se gardera aussi des  conflits d'intérêts et des compromissions : l'expression de la vérité peut être freinée voire découragée par la crainte ou le désir. On jugera également de l'attitude à l'égard du peuple et de ses institutions : cherche-t-on à nous éclairer ou à nous embrouiller, brigue-t-on des avantages ou est-on désintéressé ? Nous respecte-t-on ?

Clémenceau disait : « La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires ». Le Tigre avait compris le rapport entre la démocratie et les experts.

TroisMenacesSurlaPlanète.pdf

27/03/2010

L'architecture de la survie

 

Cette note figure désormais dans le recueil

Les ombres de la caverne

Editions Hermann, juillet 2011

21/03/2010

Elections

 

Des élections ne suffisent pas à faire une démocratie. Déjà, le choix y est limité pour ne pas dire fermé. Ensuite, on ne vote que sur des promesses et, l'élection gagnée, les motivations qui ont guidé l'électeur semblent escamotées dans un jeu qui ne serait que celui des pures contraintes. Ecoutez les discours post-électoraux. Ils ne sont bientôt que le ressassement des raisons pour lesquelles ceux que vous avez portés au pouvoir sont sans pouvoir. Certes, vous aurez une production législative et on essaiera de vous faire passer pour une courageuse politique de réformes une succession de réformettes plus ou moins bien inspirées. C'est qu'il faut quand même vous persuader, pour que vous reveniez voter dans quelques années, que cela ira mieux avec eux que sans eux. La pauvreté essentielle d'aujourd'hui, cependant, c'est qu'il n'y a aucun grand dessein, rien donc qui donne vraiment envie d'aider nos hommes et nos femmes politiques. Nous restons devant leurs discours comme de gros bébés déjà gavés qui attendent leur prochain biberon d'illusions sans vraiment y croire. Rien à voir avec ceux qui, en 1940 - je suis désolé de vous la resservir - du fin fond de la débâcle ont eu la foi qu'un autre destin était possible. Il faut dire que ceux-là n'étaient pas seulement intelligents, ils étaient aussi courageux et n'avaient plus rien à perdre que la vie.

 

La démocratie ne peut se passer du citoyen. Or, nous avons cultivé une démocratie sans citoyens. Nous avons beaucoup de spectateurs, de téléspectateurs, de touristes de la politique et de consommateurs, mais très peu de citoyens. Et ceux qui s'intitulent pompeusement « citoyens du monde » ne sont parfois même pas capables de trier leurs déchets avant de descendre la poubelle. Parce que la citoyenneté, cela commence là, par le tri de ses ordures, c'est-à-dire par la conscience qu'on a de sa responsabilité quotidienne à l'égard de la communauté dont on fait partie. Liberté, égalité, fraternité, ce triptyque admirable, n'est rien si chacun d'entre nous ne l'incarne pas au quotidien.

 

Spinoza disait que la liberté est la finalité de l'Etat. Rousseau, développant cette idée dans Le Contrat social, précise : « Entre le faible et le fort, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui libère ». Mais la liberté est menacée si chacun d'entre nous s'en remet à l'Etat et à la loi et laisse s'endormir sa vigilance. La sujétion de la république à des intérêts particuliers est la pente qui nous menace en permanence. Il ne manque pas de lois scélérates, même en démocratie, qui enlèvent de la liberté aux citoyens sans leur rendre en échange quoi que ce soit. Il ne manque même pas de lois spoliatrices, comme celles qui autorisent les grandes compagnies à breveter le vivant, à interdire la culture d'espèces végétales anciennes, afin de favoriser l'enrichissement sans borne d'une classe de privilégiés. Un jour proche, si vous n'y prenez garde, vous n'aurez le droit d'utiliser que les semences produites par quelque Monsanto. C'est déjà le cas aux Etats-Unis. Un jour proche, si vous n'avez pas soumis la conception de vos rejetons à l'ingénierie génétique, vous leur verrez dénié le droit à la sécurité sociale. Bienvenue à Gattaca !

 

La liberté du citoyen est l'ennemie du pouvoir. C'est pourquoi les puissances économiques et financières cherchent à acquérir par tous les moyens le soutien du personnel politique et le temps de cerveau du peuple. Le vrai sujet de l'idéal démocratique, comme l'avait bien vu Rousseau, c'est le rapport entre le faible et le fort. Je souscris totalement à la posture du philosophe Alain résumée dans la phrase : « le citoyen contre les pouvoirs ». Créer de la liberté, c'est d'abord libérer les cerveaux d'une admiration atavique pour le pouvoir et ceux qui l'incarnent. Discipliné, le citoyen, sans doute, quand il le faut. Mais servile, naïf, dolent, non ! Au contraire, révolté même, quand la cause l'exige. On devrait apprendre, dans nos écoles, à être libre jusqu'au courage de la rébellion. Mais, hélas ! les salles de classe sont souvent devenues des arènes où le jeu qui prime est celui du pouvoir : qui l'aura, du maître ou des élèves ? J'ai même entendu ces phrases d'enseignants : « Les laisser parler ? Mais vous n'y pensez pas ! Déjà, qu'on n'arrive pas à les tenir ! » Et si on se trompait de réponse ?

 

Le citoyen ne saurait être un consommateur de liberté, d'égalité et de fraternité. Tout au contraire, c'est à lui de les produire et les défendre. Par exemple, l'égalité n'est rien si chacun d'entre nous n'en est pas l'âme au quotidien. Si l'égalité n'est que formelle, une affirmation dans une constitution, une phrase dans une circulaire. Car, comme la liberté, elle est sans cesse menacée par la nature humaine. Si le fait d'être de tel sexe, d'exercer tel métier, d'avoir telle origine, engendre avantages ou désavantages, il n'y a pas égalité. Si le fait d'avoir été doté inégalement par la nature se reflète dans le traitement qui vous est réservé par la société, dans votre accès aux biens fondamentaux, il n'y a pas égalité au sens républicain du terme. Les registres de l'inégalité sont nombreux, mais ils ont pour source commune ce que ceux qui ont quelque pouvoir, ne fût-il que de suggestion, projettent à un moment donné sur ceux qui en ont moins.

 

Quant à la fraternité, c'est sans doute aujourd'hui la plus malade de la trinité républicaine. En partie à cause d'une certaine faillite de l'égalité, en partie parce que les corporatismes, confrontés à un retour de la paupérisation, privilégient leurs clients. La communauté républicaine a dérivé vers un système de castes où l'on trouve en concurrence toutes les variantes depuis le droit à l'exaction dépénalisée jusqu'à celui de coucher dans la rue, en passant par toute la gamme des protections diverses en matière de revenus, de retraites et de sécurité. Alors, bien sûr, la fraternité pourra s'exprimer par les dons que l'on fait à l'occasion de quelque cérémonie médiatique. Mais un tel système ne sait que mettre en concurrence les pénuries et laisse toujours des parents pauvres. Il n'exprime pas les choix d'une véritable communauté nationale.

 

La société démocratique est, selon moi, à refonder. L'élan généreux de ses origines s'est enlisé dans les pièges de la société de consommation qui a cultivé l'égoïsme de chacun en prétendant que le dieu de l'économie en ferait un miracle pour tous. Mais l'idéal des auteurs des droits de l'homme n'est pas un objet de consommation. Il est exigeant parce qu'il va parfois à l'encontre de nos pentes naturelles.  Il n'est rien sans la lucidité et sans le courage. Et, sans l'esprit d'initiative, d'expérimentation de formes sociales et économiques nouvelles, il est un discours creux. Mais les pionniers sont parmi nous. Ils ne font pas de bruit, ils intéressent peu les média, ne songent pas toujours à se présenter aux élections, mais ils sont à l'œuvre. C'est réconfortant, même si d'autres évènements vont bien vite.