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21/03/2010

Elections

 

Des élections ne suffisent pas à faire une démocratie. Déjà, le choix y est limité pour ne pas dire fermé. Ensuite, on ne vote que sur des promesses et, l'élection gagnée, les motivations qui ont guidé l'électeur semblent escamotées dans un jeu qui ne serait que celui des pures contraintes. Ecoutez les discours post-électoraux. Ils ne sont bientôt que le ressassement des raisons pour lesquelles ceux que vous avez portés au pouvoir sont sans pouvoir. Certes, vous aurez une production législative et on essaiera de vous faire passer pour une courageuse politique de réformes une succession de réformettes plus ou moins bien inspirées. C'est qu'il faut quand même vous persuader, pour que vous reveniez voter dans quelques années, que cela ira mieux avec eux que sans eux. La pauvreté essentielle d'aujourd'hui, cependant, c'est qu'il n'y a aucun grand dessein, rien donc qui donne vraiment envie d'aider nos hommes et nos femmes politiques. Nous restons devant leurs discours comme de gros bébés déjà gavés qui attendent leur prochain biberon d'illusions sans vraiment y croire. Rien à voir avec ceux qui, en 1940 - je suis désolé de vous la resservir - du fin fond de la débâcle ont eu la foi qu'un autre destin était possible. Il faut dire que ceux-là n'étaient pas seulement intelligents, ils étaient aussi courageux et n'avaient plus rien à perdre que la vie.

 

La démocratie ne peut se passer du citoyen. Or, nous avons cultivé une démocratie sans citoyens. Nous avons beaucoup de spectateurs, de téléspectateurs, de touristes de la politique et de consommateurs, mais très peu de citoyens. Et ceux qui s'intitulent pompeusement « citoyens du monde » ne sont parfois même pas capables de trier leurs déchets avant de descendre la poubelle. Parce que la citoyenneté, cela commence là, par le tri de ses ordures, c'est-à-dire par la conscience qu'on a de sa responsabilité quotidienne à l'égard de la communauté dont on fait partie. Liberté, égalité, fraternité, ce triptyque admirable, n'est rien si chacun d'entre nous ne l'incarne pas au quotidien.

 

Spinoza disait que la liberté est la finalité de l'Etat. Rousseau, développant cette idée dans Le Contrat social, précise : « Entre le faible et le fort, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui libère ». Mais la liberté est menacée si chacun d'entre nous s'en remet à l'Etat et à la loi et laisse s'endormir sa vigilance. La sujétion de la république à des intérêts particuliers est la pente qui nous menace en permanence. Il ne manque pas de lois scélérates, même en démocratie, qui enlèvent de la liberté aux citoyens sans leur rendre en échange quoi que ce soit. Il ne manque même pas de lois spoliatrices, comme celles qui autorisent les grandes compagnies à breveter le vivant, à interdire la culture d'espèces végétales anciennes, afin de favoriser l'enrichissement sans borne d'une classe de privilégiés. Un jour proche, si vous n'y prenez garde, vous n'aurez le droit d'utiliser que les semences produites par quelque Monsanto. C'est déjà le cas aux Etats-Unis. Un jour proche, si vous n'avez pas soumis la conception de vos rejetons à l'ingénierie génétique, vous leur verrez dénié le droit à la sécurité sociale. Bienvenue à Gattaca !

 

La liberté du citoyen est l'ennemie du pouvoir. C'est pourquoi les puissances économiques et financières cherchent à acquérir par tous les moyens le soutien du personnel politique et le temps de cerveau du peuple. Le vrai sujet de l'idéal démocratique, comme l'avait bien vu Rousseau, c'est le rapport entre le faible et le fort. Je souscris totalement à la posture du philosophe Alain résumée dans la phrase : « le citoyen contre les pouvoirs ». Créer de la liberté, c'est d'abord libérer les cerveaux d'une admiration atavique pour le pouvoir et ceux qui l'incarnent. Discipliné, le citoyen, sans doute, quand il le faut. Mais servile, naïf, dolent, non ! Au contraire, révolté même, quand la cause l'exige. On devrait apprendre, dans nos écoles, à être libre jusqu'au courage de la rébellion. Mais, hélas ! les salles de classe sont souvent devenues des arènes où le jeu qui prime est celui du pouvoir : qui l'aura, du maître ou des élèves ? J'ai même entendu ces phrases d'enseignants : « Les laisser parler ? Mais vous n'y pensez pas ! Déjà, qu'on n'arrive pas à les tenir ! » Et si on se trompait de réponse ?

 

Le citoyen ne saurait être un consommateur de liberté, d'égalité et de fraternité. Tout au contraire, c'est à lui de les produire et les défendre. Par exemple, l'égalité n'est rien si chacun d'entre nous n'en est pas l'âme au quotidien. Si l'égalité n'est que formelle, une affirmation dans une constitution, une phrase dans une circulaire. Car, comme la liberté, elle est sans cesse menacée par la nature humaine. Si le fait d'être de tel sexe, d'exercer tel métier, d'avoir telle origine, engendre avantages ou désavantages, il n'y a pas égalité. Si le fait d'avoir été doté inégalement par la nature se reflète dans le traitement qui vous est réservé par la société, dans votre accès aux biens fondamentaux, il n'y a pas égalité au sens républicain du terme. Les registres de l'inégalité sont nombreux, mais ils ont pour source commune ce que ceux qui ont quelque pouvoir, ne fût-il que de suggestion, projettent à un moment donné sur ceux qui en ont moins.

 

Quant à la fraternité, c'est sans doute aujourd'hui la plus malade de la trinité républicaine. En partie à cause d'une certaine faillite de l'égalité, en partie parce que les corporatismes, confrontés à un retour de la paupérisation, privilégient leurs clients. La communauté républicaine a dérivé vers un système de castes où l'on trouve en concurrence toutes les variantes depuis le droit à l'exaction dépénalisée jusqu'à celui de coucher dans la rue, en passant par toute la gamme des protections diverses en matière de revenus, de retraites et de sécurité. Alors, bien sûr, la fraternité pourra s'exprimer par les dons que l'on fait à l'occasion de quelque cérémonie médiatique. Mais un tel système ne sait que mettre en concurrence les pénuries et laisse toujours des parents pauvres. Il n'exprime pas les choix d'une véritable communauté nationale.

 

La société démocratique est, selon moi, à refonder. L'élan généreux de ses origines s'est enlisé dans les pièges de la société de consommation qui a cultivé l'égoïsme de chacun en prétendant que le dieu de l'économie en ferait un miracle pour tous. Mais l'idéal des auteurs des droits de l'homme n'est pas un objet de consommation. Il est exigeant parce qu'il va parfois à l'encontre de nos pentes naturelles.  Il n'est rien sans la lucidité et sans le courage. Et, sans l'esprit d'initiative, d'expérimentation de formes sociales et économiques nouvelles, il est un discours creux. Mais les pionniers sont parmi nous. Ils ne font pas de bruit, ils intéressent peu les média, ne songent pas toujours à se présenter aux élections, mais ils sont à l'œuvre. C'est réconfortant, même si d'autres évènements vont bien vite.

Commentaires

Merci Thierry. Je partage tout à fait tout ce que tu écris dans ce texte et te remercie pour la qualité que tu as de poser à travers ces lignes la réalité de ce que beaucoup vivent et ressentent.
IL se trouve que même si je partage tout à fait ton point de vue sur la responsabilité citoyenne d'entretenir quotidiennement la fameuse trinité, j'ai vraiment envie de partager avec mes concitoyens, vision et actions vers le retour à la souveraineté de chacun, de transmettre des architectures (façons de faire) vraiment démocratiques qui intègrent les valeurs de la trinité. En commençant par les choses de base: nourriture, air et eau. L'essentiel... que beaucoup a déjà oublié et qu'une crise sur l'un de ces 3 sujets pourrait ramener par trop brutalement.
Bien à toi, Bernard Marie

Écrit par : Bernard Marie CHIQUET | 22/03/2010

Bien que consterné par beaucoup de défauts dans l'évolution de notre société, je ne partage pas ce point de vue pessimiste qui semble ignorer à quel point notre société est plus juste et équilibrée aujourd'hui qu'elle ne l'était hier.
Les écarts de richesses étaient encore plus criants il y a un siècle qu'il ne le sont aujourd'hui, les pauvres étaient plus pauvres.
Faire référence à 40, période où tous les défauts de la nature humaine se sont déchainés ne m'apparait pas pertinent.Il est normal que dans ces conditions des "grands hommes " se soient révélés. C'est plus difficile qu'ils émergent maintenant autour de problèmes de PIB , de bouclier fiscal. de financement des retraites, de consommation, de CO2......

Nos difficultés sont celles d'une société où la nature humaine s'exprime beaucoup plus qu'avant parce qu'elle en a aujourd'hui les moyens par tous les systèmes d'information.
6 milliards d'individus avec, à la limite, 6 milliards d'opinions différentes sur la manière d'agir.
La nature humaine est complexe et je m'énerve en entendant les commentaires sur les élections régionales. Qui peut sérieusement dire ce que les abstentionnistes ont voulu exprimer?
Je suis d'avis d'avoir quelques égards vis à vis de ceux, de tous bords, qui prennent des responsabilités politiques ou écononomiques car notre société est d'une complexité croissante et ça ne va pas s'arranger.

Écrit par : bernard | 22/03/2010

Je m'adresse ici à l'auteur du dernier commentaire , Bernard !
J'imagine cher Bernard que vous êtes encore dans le bon côté de la société, de ceux qui travaillent (parfois très dur).
Je ne sais quel est votre âge ? vous n'ignorez pas ce que les statistiques racontent : séniors = taux d'empli le plus faible d'Europe = 38% et dans ce taux 70% sont des femmes...vous avez ici mon profil : pile poil dans la cible.
Et bien je peux vous dire que ce que raconte Thierry me parle au quotidien notamment le passage sur les castes.
Savez vous que pour un stage non rémunéré vous devez passer par un réseau de "pistons" inimaginables ? savez vous que personne ne répond jamais quand on envoie un CV ?
Alors vous me direz, tout ceci n'implique pas qu'un cas particulier entraine une vision générale. Mais j'ai bien peur que oui.
Les écarts de richesse du moment détiennent le record de l'histoire de l'humanité si si !
Et si on pouvait quantifier les critères d'humanisme et d'empathie, je pense que le taux serait sans doute dans les plus faibles (au moins naguère, y avait-il la peur de l'enfer pour réguler la sauvagerie humaine)

Désolée de paraitre rabat joie mais des séniors comme moi, j'en connais des tribus entières et multiformes (catégories socio professionnelles), des qui se taisent, qui ne mettent pas le feu aux voitures, qui cherchent des petits boulots au smic après avoir été directeurs commerciaux ou autres dans des entreprises..
Quand aux juniors, les médias sont assez éloquents, point besoin d'en rajouter.

Pour finir sur les abstentionnistes (dont je ne suis pas) et illustrer les propos sur les castes: sujet de discussion hier soir avec mes collègues de travail : la peste ou le choléra. Un guignol ou un autre ? Ici midi pyrénées, le clanisme socialiste est tellement fort qu'il est impossible de bosser sans sa carte PS (et je précise que je ne suis pas de droite non plus) Tout le monde le sait ici. Les gens qui votent sont ceux du coing qui en profitent..tant pis pour les autres. Donc pas besoin de se déplacer. On préfère aller respirer les fleurs et la campagne ; au moins ça, ça existe.

allez bonne continuation Bernard !
Gardez votre optimisme quoi qu'il en soit. Il est certain que ça fait moins mal au ventre. Moi même j'essaie, chaque jour...

Écrit par : Gentis | 22/03/2010

Je suis interrogatif sur votre définition du "citoyen du monde" (incapable de faire le tri de ses déchets !).
Daniel Durand
Président
Registre des Citoyens du Monde

Écrit par : Daniel Durand | 24/03/2010

Monsieur le Président, je vous invite à relire ma phrase. Je ne parle pas de ceux qui sont de vrais citoyens du monde mais de ceux qui se prétendent tels et n'en sont pas selon moi. Vous avez sûrement entendu parler de "l'universalisme abstrait" ? Cordialement.

Écrit par : Thierry | 24/03/2010

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