UA-110886234-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/05/2022

L’émancipation (I)

L’émancipation est un thème proche de celui de la sécession. On pourrait dire que c’en est le préalable, même si l’émancipation ne débouche pas nécessairement sur la sécession. Un mineur qui obtient du juge son émancipation échappe à l’autorité parentale et assume de prendre en charge lui-même ses besoins de tous ordres. Aucune émancipation n’est possible tant que l’on est dans la dépendance, à commencer - comme je l’ai précédemment évoqué - dans la dépendance intellectuelle. Cette forme de sujétion se traduit par le refus de penser par soi-même. Je dis bien: le refus, non l’impossibilité. Mais à quoi cela rime-t-il de penser par soi-même alors qu’il y a des experts dans tous les domaines, dont il suffit de suivre les avis ? Il m’est arrivé de temps en temps d’essuyer cette remarque: « Pour qui te prends-tu pour oser avoir une opinion là-dessus ? » Qui es-tu pour douter des informations que délivrent les médias ? Disposes-tu comme eux d’une organisation pour tout savoir en temps réel ? As-tu fait des études de médecine ? As-tu l’expérience d’un ministre des affaires étrangères ? Etc.

 

J’avoue que j’ai la prétention de pouvoir produire une opinion sensée sur des sujets dont je ne suis pas expert. Mais, si c’est présomption de ma part, et je veux bien l’admettre, à l’inverse que penser de ceux dont la démarche se réduit à affirmer : « Je choisis de faire confiance, je ferme les yeux et je bouche mes oreilles à toute discordance qui pourrait me troubler » ? Car, ce qui amène souvent à faire un pas de côté et à penser, outre la curiosité, c’est la perplexité qu’engendre la perception d’une discordance. Dans l’histoire des sciences, relever une anomalie a souvent été une occasion de progrès. En astronomie, par exemple, la perturbation infime de la course d’une planète peut trahir la présence d’un corps céleste resté invisible. Toujours est-il que comprendre est un besoin que je ressens avec mes tripes. Cela fait-il de moi un original, un cas à part ? Ne s’agit-il pas de l’un des dix besoins de l’être humain que Manfred Max-Neef qualifie de fondamentaux ? 

 

Dans l’effort que je fais pour comprendre, il arrive parfois que mon attention soit attirée par certains phénomènes qui ne concernent pas le coeur du sujet mais lui ajoutent un éclairage intriguant. C’est ainsi - pour parler de ce qui fâche - que décréter d’emblée, alors que le coronavirus vient à peine d’apparaître, que les affections qu’il cause ne peuvent être soignées, ne m’a pas semblé et ne me semble toujours pas logique. D’autant plus que, très rapidement, des médecins généralistes - je ne parlerai même pas du professeur Raoult - ont déclaré avoir traité des malades avec succès. Je me souviens d’une doctoresse du Lot, l’une des premières à avoir apporté un tel témoignage, que le Conseil de l’Ordre a convoquée pour la remettre au pas exigé par le ministre, et qui a préféré se radier elle-même plutôt que se soumettre à l’interdiction de soigner ses patients. On nous a ainsi privés de rien de moins que de l’intelligence collective du corps médical. Je ne veux pas enclencher ce débat sur le fond, d’abord parce que je considère que les opinions sont désormais figées de part et d’autre, ensuite parce qu’il m’a lassé depuis longtemps. Je réserve dorénavant mon intérêt aux phénomènes sociaux qu’a révélés l’apparition de cette crise. 

 

Douter de la pertinence de décisions politiques qui portent sur la santé ainsi que de l’honnêteté de l’industrie pharmaceutique est-il un signe de perversion ou de dérangement mental ? Les scandales, dans ce domaine, ne sont-ils pas assez récents et nombreux, certains concernant des milliers de victimes, pour que la prudence, voire la suspicion, soient admissibles ? Nieriez-vous par exemple ce que l’on a appelé « l’affaire du sang contaminé » ? « En raison de prises de mesures de sécurité inexistantes ou inefficaces, de retard dans la prise de décisions préventives de protection et/ou curatives, de défaillances médicales, industrielles et administratives, de nombreux hémophiles et patients hospitalisés ont été contaminés par le VIH ou l'hépatite C à la suite d'une transfusion sanguine. »* « Défaillances médicales, industrielles et administratives. » Faut-il rappeler aussi le nom de certains médicaments qu’on a laissés le plus longtemps possible dans les rayons des pharmacies alors qu’ils faisaient déjà des ravages chez ceux à qui on les prescrivait ? Et, pour prendre l’air ailleurs que chez nous, que penser du scandale des opioïdes, qui a coûté la vie à plus de deux-cent mille Américains et valu au cabinet MacKinsey, en tant qu’auteur de la stratégie marketing des laboratoires, une amende de près de 600 millions de dollars ? Faut-il ajouter que Pfizer a été condamné à maintes reprises pour charlatanisme, mensonges et corruption et, à ce titre, a acquitté des amendes de plusieurs milliards de dollars au cours de ces dernières années ? Quand on vous présente un voyou qui en est à son quinzième vol de voiture, comment se fait-il que, soudain, vous lui confiiez sans états d’âme les clés de la vôtre et, en plus, le remerciez d’en prendre soin ? Mon raisonnement ne nécessite pas quinze ans d’études médicales ou journalistiques. Les questions que je soulève ne relèvent que du bon sens et les informations que je cite sont sur la place publique. En l’occurrence, il y a une discordance que je veux comprendre : que se passe-t-il dans la tête de ceux qui confient aussi légèrement les clés de leur voiture ? Pourquoi n’ont-ils pas entendu, à tel moment ou tel autre, les mêmes petites sonnettes d’alarme que moi ? 

 

En posant cette question, il me vient un fait historique qui peut aider à dissiper tant soit peu ce mystère : il a fallu que les survivants des camps de la mort témoignent de ce qu’ils avaient vécu et que l’on ouvre les charniers pour que le bon peuple accepte la réalité de la « solution finale » mise en place par les nazis. Et pourquoi a-t-il fallu cela ? Sans doute parce qu’il était impossible à des braves gens d’imaginer que des être humains, fussent-ils connus pour leur barbarie, pussent aller aussi loin dans l’horreur. Que l’on tue dans un déchaînement de jalousie, que l’on mitraille ou que l’on écrase de bombes parce que l’on est en guerre, tout cela pour les contemporains restait du domaine de l’envisageable. Les crimes passionnels connus depuis toujours et le souvenir de la Grande Guerre - elle-même inimaginable avant qu’elle se déchaîne - les avaient préparés. Mais l’idée d’une mort froidement industrialisée leur était littéralement inconcevable. L’impossibilité d’imaginer la noirceur au delà d’une certaine limite est de l’ordre d’une défense psychologique. Andreu Sole postule que ce qui circonscrit un monde est ce que l’on y juge d’emblée possible ou impossible. Dans ce sens, on peut dire que les camps de la mort, à partir du moment où leur existence n’a plus été discutable, nous ont fait changer de monde. Si l’on en revient à la gestion de notre crise sanitaire, envisager l’incompétence ou la malhonnêteté de politiques, de fonctionnaires et d’industriels, ainsi que la crédulité et la soumission de milieux médicaux qui auraient pu et dû réagir davantage, n’est possible que si l’on n’est plus dans le monde où la plupart des gens pensent encore séjourner. Ma conviction, en effet, est qu’à la faveur de cette épidémie nous avons basculé dans un autre monde et qu’il est urgent d’en faire le repérage, d’évaluer jusqu’où il s’étend et ce qu’il nous réserve. La difficulté, pour beaucoup d’entre nous, est que la peur produit l’envie de se rassurer. Douter de ceux qui prétendent apporter la solution, c’est se retrouver, solitaire, face à une angoisse sans remède. Cela suppose aussi de vivre dès lors dans la méfiance des figures traditionnelles de la protection, et c’est une dramatique perte de confort existentiel. 

 

Comprendre, d’ailleurs, n’est pas nécessairement ce qu’une société élitaire attend de ses sujets. Par analogie, il me souvient que, au cours de ma modeste carrière professionnelle, les séminaires que je créais me mirent quelquefois sur la sellette. Pourquoi ? Parce que, pour certains dirigeants, je faisais inutilement réfléchir. Evidemment, cela ne m’était jamais reproché explicitement, mais ce fut au point que j’eus à choisir un jour entre accepter une mutation fonctionnelle ou anticiper mon départ en retraite. Je décidai de rester fidèle à moi-même. Or, je l’affirme, je n’ai jamais eu le désir de renverser qui ou quoi que ce soit. J’étais simplement persuadé que des hommes et des femmes qui pensent sont bénéfiques à l’intelligence collective de l’entreprise. Je n’avais pas encore suffisamment accepté l’idée qu’une entreprise est un système politique avant d’être un système économique. Là se trouvait, à mon insu, ma subversion. Les gens qui réfléchissent sont encombrants: a minima, ils peuvent soulever des questions indésirables pour ceux qui ont une idée exclusive de ce qu’il faut faire. « Cherche pas à comprendre! » avaient l’habitude de répliquer les colons aux natifs qui travaillaient sur leurs exploitations. Vouloir comprendre est le début de l’insoumission, parvenir à comprendre celui de la rébellion. Comprendre, surtout, est le début de l’émancipation. Finalement, depuis les premiers jours de cette crise sanitaire, ce que nous dit la succession des déclarations contradictoires et des décisions arbitraires aux apparences de fondements scientifiques, est: « Ne cherchez pas à comprendre! » 

 

La crise sanitaire m’a permis de découvrir quelques émancipés réconfortants, au premier rang desquels je citerai le docteur Louis Fouché et l’avocat Fabrice DiVizio. Sans ces étranges circonstances, je n’aurais sans doute jamais entendu parler d’eux. C’eût été grand dommage car, bien au delà de la résistance qu’ils incarnent face aux mensonges et aux iniquités, ils éclairent le virage qu’à notre insu nos sociétés sont en train de prendre vers une destination cauchemardesque. Plus important, avec leurs semblables, ils éclairent aussi le monde alternatif où nous pouvons et devons créer notre salut. Car nous n’avons pas le choix de restaurer le monde d’avant. Soit nous subissons, soit nous devenons créateurs. Si, avant que les évènements les portent sur le devant de la scène, Fabrice DiVizio et Louis Fouché étaient déjà, humainement, ce que nous voyons d’eux aujourd’hui: des esprits libres, lucides et généreux, les circonstances les ont encouragés à s’accomplir dans leur être profond. Puissent-ils, eux et leurs semblables, nous inspirer courage et fécondité !

 

Dans le monde tel qu’il est, la démocratie ne survivra que grâce à des citoyens émancipés. Le processus de l’émancipation peut être difficile et douloureux. Notamment parce qu’il nous place en marge de la masse réconfortante, ce qui va à l’encontre de notre instinct animal: être en union avec la meute. C’est pourquoi seul celui qui n’a jamais péché devrait s’autoriser à jeter la première pierre. Mais être un vrai citoyen, au centre d’une démocratie à faire vivre, à sauver même, n’est-ce pas en tout premier lieu s’émanciper ? C’est-à-dire: vouloir comprendre par soi-même dans le monde tel qu’il est ? Le vouloir ardemment ? Le citoyen doit secouer tout ce qui peut le neutraliser, à commencer par le refus de penser par lui-même. Je rêve d’une Université Populaire de la Citoyenneté où l’on n’apprendrait pas à en savoir davantage que tous les experts, mais où l’on cultiverait l’intelligence des situations et des enjeux, la lucidité, l’exigence, le doute systématique.

 

En parlant de doute, que disait donc Descartes ? - Je pense, donc je suis. 

 

* Wikipedia.

22/11/2020

La liberté d’inexpression

 

 

Nous vivons dans un pays où les élites saluent l’érection d’un plug anal géant place Vendôme, où la défense de la liberté d’expression prend pour symbole des dessins qui relèvent d’une grosse blague salace, mais où toute remise en question de la politique sanitaire mobilise contre elle, urbi et orbi, une multitude de ministres de la vérité et engendre des lois scélérates. Lorsqu’il y a quelques semaines j’ai eu l’envie de lire l’essai d’Anne-Sophie Chazaud au titre excellent: La liberté d’inexpression, c’était pour explorer un phénomène dont j’avais eu quelques aperçus ici et là, mais je ne pensais pas que l’actualité viendrait l’illustrer à ce point.


Le leurre de la transgression

 

Historienne de l’art, Christine Sourgins dit que l’art contemporain exploite la transgression mais n’est sûrement pas un art de la subversion. C’est une distinction fondamentale et c’est bien pourquoi, à mon sens, l’AC est encouragé alors qu’un documentaire comme Hold up est diabolisé sur toutes les longueurs d’onde par une classe sociale qu’assiste sa nuée de valets. On aurait aimé d’aussi vives contestations autour de l’oeuvre aussi grossière que stupide de Paul McCarthy ou du « Vagin de la Reine » d’Anish Kapoor. Mais, au fond, jouer à touche-pipi n’est politiquement pas dérangeant. On se fait de délicieuses frayeurs devant des audaces pornographiques ou scatologiques sans que l’ordre du monde en soit affecté. La politique suit le même modèle que l’art contemporain. On l’a bien perçu au cours de ces dernières années alors que la machine législative et règlementaire était plus généreuse d’audaces sociétales que d’ambitions sociales et économiques. Le « mariage pour tous » ou la « PMA pour toutes », qu’il ne s’agit pas de critiquer ici, en affirmant remédier à des inégalités dissimulent une politique qui ne fait qu’en accroître d’autres de manière vertigineuse. Il s’agit de celles qui résultent du détournement constant et encouragé de la richesse du pays vers des poches déjà bien remplies. Je ne sais pas le nombre d’heureux que les réformes sociétales précitées auront faits ou feront, mais ce que je vois, c’est que la population des SDF a doublé en huit ans pour atteindre 300 mille personnes aujourd’hui, et que celle des pauvres en dix ans a grossi d’un million et demi de victimes pour dépasser bientôt les dix millions. Avec un phénomène que soulignent les organisations humanitaires: même avec un emploi salarié, on peut désormais se retrouver dans ces statistiques, dans la nouvelle rubrique des « travailleurs pauvres ». En même temps, nous comptons en France des milliardaires de plus en plus nombreux, qui eux-mêmes au fil des années sont de plus en plus riches. On pourrait mettre sur le même plan du leurre l’obsession cultivée de l’esclavage des siècles passés, qui va jusqu’à déboulonner la statue d’un abolitionniste, alors que, grâce à nos modes de vie, l’esclavage, qui n’a jamais été aussi prospère qu’aujourd’hui, n’est pas remis sérieusement en question (1). Des musées pour le passé, oui; des mesures pour le présent, non.

 


Avant, on disait: « Tu exagères », ce qui pouvait être discuté. Maintenant, on assène: « Tu es complotiste »

 

Il fut un temps, dans les années 70, où évoquer la guerre des classes attirait des regards entendus et des haussements d’épaules. A l’époque, l’anathème « complotisme » n’ayant pas encore été inventé, l’on évoquait une vision « arriérée » de l’économie et de la politique. Il aura fallu que le multimilliardaire Warren Buffet mette les pieds dans le plat pour que l’expression ne suscite plus des émois de basse-court. Pour penser, nous avons besoin de nommer les choses car, dès lors que nous ne pouvons pas les nommer, nous ne pouvons plus nous colleter avec elles. Comment voulez-vous comprendre l’évolution du monde au cours de ces dernières décennies si l’on supprime de nos outils intellectuels la notion de lutte des classes ? Allez-vous refaire le travail de Karl Marx ? Vous avez là un exemple de censure parmi d’autres: celle qui ostracise des concepts pour entraver la réflexion. Seulement, si, comme l’affirme Buffet, cette guerre des classes existe bel et bien, et si, comme il le revendique, elle est menée par la sienne, celle des plus que riches, comment peut-on s’offusquer qu’en face l’on puisse supputer un complot, celui d’une ploutocratie pour accroître sa richesse et asseoir son pouvoir contre le reste de l’humanité ? Les audaces transgressives de l’art contemporain sont à la subversion ce que les caricatures de Charlie Hebdo sont à la liberté d’expression et les réformes sociétales précitées à une politique économique et sociale: un cache-sexe. En revanche, le film Hold up est subversif. C’est pourquoi il a déclenché contre lui un tel tir de barrage. Sonder les intentions de nos politiques, parce que l’on a de plus en plus de mal à comprendre ou à accepter ce qu’ils veulent faire de nous, est désormais passible de la Grande Inquisition. Avant, on disait: « Tu exagères », ce qui pouvait être discuté. Maintenant, on assène: « Tu es complotiste ». Vous sentez la nuance ?

 


Les nouveaux atours d’Anastasie

 

Dans son investigation des formes nouvelles de la censure, Anne-Sophie Chazaud (2) nous montre qu’elle s’est éloignée de l’image d’Epinal que nous en avons, au point que nous pourrions ne pas la reconnaître. La censure ne s’affiche plus comme l’exercice d’un pouvoir impérial qui décrète officiellement des interdits. Certes, la tentation d’une intervention brutale existe encore, comme l’a montré cette députée qui, sur CNEWS, exigeait rien de moins que « l’éradication » du film Hold up. En vérité, la nouvelle censure est beaucoup plus subtile que cette dame. Elle utilise des moyens qui permettent à l’Etat de montrer des mains toujours propres. Elle consiste en un processus aux ramifications, aux acteurs, aux marionnettes et aux ficelles multiples. Pour en comprendre le fonctionnement, il convient d’inventorier les éléments en apparence épars qui, invisiblement associés, contribuent à instaurer le droit de ne plus rien dire et celui de ne pas penser. Ici, c’est une conférence retirée sous la menace d’une minorité. Là, c’est la représentation d’une pièce d’Eschyle empêchée par une autre. C’est, dans une université, ce lieu traditionnel du débat, la suppression d’un colloque. C’est, sur les « réseaux sociaux », les posts supprimés, le harcèlement des trolls, les comptes suspendus, les algorithmes qui surclassent ou déclassent mystérieusement certaines informations. Mais, surtout, face aux attaques, c’est la lâcheté incurable des autorités défiées qui ont perdu le sens de leur légitimité et ne sont plus que les courtisanes de la moindre menace. Le fin du fin de la censure d’aujourd’hui est que la peur de quelques-uns aboutisse à l’autocensure permanente de tous.

 


L’entretien des zones aveugles

 

Parmi les piliers les plus visibles de la censure, il y a l’unanimité des grands médias dont on sait qu’ils sont la propriété d’une poignée de fortunes proches du pouvoir politique. En dépit de leurs apparentes différences, ils diffusent les éléments d’une même représentation du monde. Une telle unisson pourrait être suspecte, malheureusement elle conforte le conformisme. A quelques détails près, ces médias donnent ainsi l’impression de rendre compte de la vérité. Par exemple, quand on évoque la diversité éditoriale, on peut s’interroger sur le rejet unanime de Donald Trump qui a pourtant fait moins de guerres que ses prédécesseurs, le soutien sans faille au confinement et aux masques, le refus d'autres sons de cloche que ceux provenant de BigPharma, l'absence d’un regard critique sur la mondialisation ou sur la légitimité de la Commission européenne. A-t-on pu lire dans leurs colonnes, ou entendre au vingt heures, les analyses pourtant parfaitement documentées et rigoureuses d’un François Asselineau ? Les sujets que les grands médias choisissent d’évoquer, fût-ce sous des apparences de débat, ne sont que l’entretien méticuleux de zones aveugles. Ils proposent de voir les quelques arbres qui cachent la forêt. On peut être en désaccord avec ce qui est montré, mais comment savoir ce qui ne l’est pas ?

 


Le mensonge est la vérité

 

Evoquer les médias, c’est évoquer le rôle de leurs décodeurs, débunkeurs, conspiracywatchers et autres chiens de garde. Leur existence partait peut-être d’une bonne intention mais elle a pris peu à peu l’allure d’une police de la pensée. Voici quelques exemples de leurs exploits. En juin 2020, l’Agence France Presse fait l’éloge du Remdésivir de Gilead, éloge littéralement copié-collé par toute la presse et repris aux journaux télévisés. France Soir émet des doutes et c’est une levée de boucliers contre le quotidien, traité évidemment, avec ceux qui le lisent, de complotiste. Ces jours derniers, l’OMS a finalement déconseillé l’usage de cette substance, reconnue inefficace contre le COVID et toxique pour les reins. Le 22 mai, dans l’heure qui suit la parution dans The Lancet de l’étude frauduleuse contre l’hydroxychloroquine, le même France Soir relève des anomalies suffisantes pour qu’on ne la prenne pas au sérieux. L’AFP, qui se fait le chantre de ce canular, tire alors à boulets rouges contre le quotidien. On connaît la suite: quelques jours plus tard The Lancet retire la publication. Le 16 novembre, Le Monde "débunke" ce qu’il appelle "l'intox du Rivotril". Le Rivotril est un médicament dont un décret prescrit l’administration aux pensionnaires des EHPAD soupçonnés d’avoir contracté le covid et qu’à ce titre on refuse d’hospitaliser. Or, c’est une substance que l’on peut utiliser pour faciliter le passage de vie à trépas. Sous peine d'être taxé de "complotisme", on doit croire que la politique du Gouvernement n'a aucunement entraîné des euthanasies. Le 18 novembre, France Info diffuse une enquête de terrain auprès d’aides-soignants bouleversés par ce dont ils ont été les témoins directs, qui prouve le contraire.

On est rassuré que la vérité finisse par se faire entendre. Mais on s’inquiète aussi du nombre de personnes qui auront eu accès à ces informations.

 

 

Diabolisation des uns, angélisation des autres

 

Je trouve, personnellement, qu’il y a dans notre pays un plus grand enjeu que celui des caricatures. Il y a la menace d’une réécriture, en général grotesque et biaisée, de notre histoire, qui autorise que l’on déboulonne des statues, débaptise des lieux publics et enseigne n'importe quoi pourvu que ce soit à charge pour notre pays. C’est une nouvelle forme de tribunal populaire régi par l’arbitraire et le fanatisme.

 

Le processus est simple: à partir d’un élément, on diabolise une histoire, une pensée ou une personne. C’est la « cancel culture », la culture de l’annulation. Or, vous imaginez-vous ce que serait un monde où l’on ne retiendrait de vous que ce que vous avez fait de mal ? C’est pourtant ainsi que l’on traite la France. Napoléon, par exemple, ne nous a-t-il laissé que le rétablissement de l’esclavage ? N’a-t-il pas aussi refondé nos institutions ? S’agissant toujours de notre histoire, on aurait bien aimé que des débunkeurs zélés signalent une inexactitude flagrante du film Dunkerque: l’absence des armées françaises dans le champ de la caméra, alors qu’en accumulant les morts et les blessés elles s’employaient à retarder l’armée allemande afin que le rembarquement soit possible. Or, de cette projection, on ressort avec le sentiment que les Britanniques étaient les victimes stoïques de nos ancêtres fuyards. On aurait bien aimé que des débunkeurs signalent aussi que le personnage qui a inspiré « Le dernier Samouraï » n’était pas un anglo-saxon mais un Français: le général Jules Brunet. Sujet secondaire sans doute pour eux que le respect dû à notre histoire. Les a probablement davantage enthousiasmés le coup de coeur du jury de la FNAC pour une photo représentant un jeune homme qui se torche les fesses avec notre drapeau. En revanche, quand il s’agit de sauver l’honneur, le mystère et les desseins des maîtres du monde, ils accourent ventre-à-terre. « Maîtres du monde ? Quelle expression tendancieuse ! » Dites-moi: comment appelleriez-vous la classe qui détient tant de richesses et de pouvoir dont l'accroissement, au surplus, est constant ?

 

S’agissant des populations qui se cherchent une identité ou un fonds de commerce dans la victimisation, la logique est inversée par la bien-pensance: rien ne doit entacher leur pureté. C’est ainsi que Christiane Taubira refusait que l’on rappelle à nos francophobes que leurs ancêtres ont pratiqué l’esclavage intensif des Noirs - et des Blancs - bien avant et plus longtemps que les Européens. Les croisés - c’est ainsi que l’on nous appelle dans certaines cités - ont combattu les armées de l’Islam. Mais n’étaient-ce point ces dernières qui, quelques siècles auparavant avaient envahi l’ancien empire romain et fermé les voies du pèlerinage à Jérusalem ? Au nom de quelle logique notre histoire devrait-elle se résumer à des culpabilités fallacieuses, et celle de nos contempteurs rester protégée derrière des mensonges ?

 

Diabolisation des uns, angélisation des autres: nous avons là un autre des stratagèmes de la nouvelle censure: celui qui consiste à enclore tout conflit dans une binarité extrême, caricaturale. On le retrouve dans le traitement du film Hold up: il ne peut y avoir que des gens sérieux d’un côté, les contempteurs du film, et des complotistes - c’est-à-dire des farfelus ou des pervers - de l’autre. Mais vouloir figer les choses ainsi et, en passant, nier qu’il y ait des propos et des décisions qui posent question, des questions qui parce qu’elles sont sans réponse crédible ne peuvent qu’inviter à se questionner encore davantage, n’est-ce pas refuser un effort de vérité et rendre encore plus suspectes les thèses officielles ?

 


Avons-nous besoin d’un mentor qui nous dise ce que nous sommes autorisés à voir, à penser, les questions que nous avons le droit de nous poser ?

 

Notre défi véritable, aujourd’hui, à cette croisée des chemins où nous hésitons encore, est de reprendre le monde à ceux qui nous le volent. Comment vole-t-on le monde de quelqu’un ? Comme on l’a vu, en l’empêchant de le penser, parfois sous le prétexte de le protéger. C’est ainsi que la préservation des enfants, des vieillards et des faibles d’esprit se fait censure douceureuse. A mon âge et avec mon expérience, ai-je besoin d’un mentor qui me dise ce que je suis autorisé à voir, à penser, les questions que j’ai le droit de me poser ?

 

 

(1) http://www.cadtm.org/L-esclavage-n-a-jamais-ete-aussi-mod...

(2) Je précise que cette chronique n’est aucunement une recension de son livre.

16/11/2020

La dette (suite de ma chronique du 31 octobre 2020)

 

 

 

Brefs mémoires d’un naïf

 

Je ne suis pas d’un naturel envieux. A cela je n’ai aucun mérite. Peut-être ai-je reçu de ma famille en qualité suffisante cet amour inconditionnel qui protège de bien des dérives. Peut-être ai-je aussi aimé, sans la moindre réticence, simplement parce qu’ils m’aimaient, ceux de mes anciens que j’ai connus, qui vivaient modestement. Je le dis parce qu’à l’inverse, j’ai connu des personnes qui avaient honte de leurs origines et je ne parle pas ici de vices ou de délinquance mais seulement de pauvreté. Les miens vivaient modestement, mais ils vivaient surtout dignement, avec dirais-je un stoïcisme souriant qui les rendait respectables quel que fût le barreau de l’échelle sociale sur lequel ils se tenaient, et sans cette tentation aujourd’hui si répandue de se victimiser.

 

Cependant, le désintérêt que j’ai pour la comparaison, cette indifférence à la richesse des autres qui ne m’a jamais empêché d’être heureux, tout cela m’a longtemps aveuglé. Après tout, me disais-je, du moment qu’ils ne me spolient pas de ce que j’ai, ils peuvent bien avoir des avions, des yachts, des grosses voitures et boire du champagne à tous les repas, qu’est-ce que cela peut bien me faire! Je payais mes impôts, persuadé alors que le système fiscal contribuait à une sorte d’équité, sans me demander encore si je n’en payais pas un peu trop parce que certains auraient dû en payer un peu plus.

 

Je n’étais indigné que par les exactions et les destructions dont, pour s’enrichir, se rendaient coupables des personnes ou des organisations. L’injustice de l’inégalité, je la ressentais à travers ses victimes et tout au long de l’histoire des luttes sociales, mais jamais dans ma situation personnelle. J’étais en outre persuadé que la guerre des classes était dépassée, que l’on pouvait améliorer le monde en veillant simplement au partage équitable de la valeur ajoutée que créait la combinaison intelligente du capital et du travail, et que l’on était sur cette voie. Jusque dans les années 90, alors que je fréquentais des cercles de réflexion qu’imprégnaient les idées généreuses du management participatif, de l’organisation apprenante, de l’entreprise humaniste créatrice de valeur partagée, je n’ai pas vu le système qui se mettait en place et qui, en définitive, quand on regarde l’histoire, n’a rien que de naturel depuis la nuit des temps. C’est l’expression du darwinisme revu et corrigé par Herbert Spencer.

 

Le réveil

 

Ce que, dans la naïveté de mes bons sentiments, j’ai mis longtemps à voir, est qu’au delà de la notion d’injustice, l’accumulation de richesse nourrit l’accumulation de pouvoir qui, à partir d’un certain degré, produit deux phénomènes: la folie du « jamais assez » qu’un Carlos Ghosn illustre à sa manière, et la prétention démiurgique dont Soros et Gates nous donnent l’effrayant exemple. Alors que je me berçais des utopies que j’ai évoquées, je n’ai pas vu que l’histoire était en train de changer de cours, que la guerre des classes restait d’actualité pour les plus riches qui avaient mis en place ce qu’il fallait pour la gagner. Sur ce sujet, j’ai déjà cité la déclaration sans fard du milliardaire Warren Buffet (1). Des mains des entrepreneurs, les compagnies sont ainsi passées à celles des capitalistes qui ont nommé des hommes-liges à qui ils ont donné pour objectif exclusif la valeur pour l’actionnaire, en les récompensant sur ce seul critère mais grassement. Les exigences des salariés, qu’avait encouragées le plein emploi, furent calmées par la pratique systématique des délocalisations et le chômage réapparut. Les rêves de formes d’organisation participatives assorties d’un meilleur partage de la valeur ajoutée furent relégués au placard des billevesées. Ce fut une évolution culturelle que j’ai personnellement observée rien qu’à entendre le discours de certains cadres. Les Etats, quant à eux, après avoir contribué au welfare state avec les politiques fiscales que l’on imagine, se sont trouvés face à des corporations parfois plus puissantes qu’eux, qui, au surplus, ont su placer leurs influenceurs aux plus hauts niveaux des instances nationales et internationales. A l’horizon se profilait le dessein aujourd’hui évident: que les gueux coûtent le moins cher possible et que le capital devienne le gestionnaire de la planète.

 


Ce qui ces jours-ci m’interroge, c’est le revirement économique de notre Gouvernement. Néo-libéral, l’on a vu rapidement et sans surprise que, pour lui, le soin du peuple coûte un pognon de dingue. Les largesses sont allées aux grandes entreprises et aux grosses fortunes. Celles-ci, d’ailleurs, on considérablement augmenté en quelques années, y compris pendant la « pandémie ». Après avoir étouffé dans les conditions que l’on sait les revendications des Gilets Jaunes, il a continué - au mépris des promesses et de ceux qui les ont crues - d’économiser sur la Santé publique: le nombre de lits et de postes dans les hôpitaux, loin d’augmenter, en cet automne est toujours à la baisse. D’un certain point de vue, la rigueur budgétaire et la préférence aux plus riches semblent donc toujours d’actualité. En revanche, tout en maintenant un confinement que même l’OMS et JP Morgan ne recommandent pas et qui est ruineux pour les petites entreprises commerciales et artisanales, ce même Gouvernement se met soudain à distribuer les milliards. L’effet le moins contestable de cette politique sera un accroissement extraordinaire d’un endettement qu’hier encore on utilisait pour promouvoir la casse de notre modèle social. Au moment où j’écris, la dette de notre pays se monte à 2 503 100 600 000 en chiffres ronds et elle s’accroît de 2665 euros par seconde (2). Nous sommes donc devant cet étrange animal d’une politique qui, en même temps, serre la vis et ôte les bondes, ruine l’économie française et les Français et endette le pays.


S’ils ne sont ni incompétents ni stupides, alors ?

 

Jusqu’à preuve du contraire, j’ai pour principe de penser que les gens sont à la fois intelligents et compétents. En l’occurrence, cet a priori m’oblige donc à rechercher ailleurs que dans l’impéritie l’explication d’une politique qui va nous conduire in fine au niveau de l’infortunée Grèce. Je ne vois pas d’autre chose à sonder, pour tenter de comprendre cela, que l’intention qui sous-tend ce changement. Je tiens à prévenir les âmes sensibles que les propos qui suivent peuvent contenir quelques traces de complotisme. A vrai dire, ils en contiennent déjà puisque le complotisme commence aux questions que l’on décide de se poser.

 

Il est important de se représenter le paysage intellectuel de ceux qui se veulent l’élite et à ce titre se pensent légitimes pour diriger le monde au delà des systèmes démocratiques qu’ils s’emploient à subvertir. Ce paysage intellectuel se caractérise par une vision à la fois financière et mondialiste: des biens tous fongibles et des flux qui parcourent la planète en effaçant l’histoire, les territoires, les cultures et les peuples qui ne sont, pour eux, que les oripeaux d’un monde arriéré. Cette représentation s’assortit d’une détermination à privatiser un maximum de biens puisque chaque privatisation ramène des flux et du pouvoir vers les détenteurs du capital. Fort évidemment, cela ne se fait pas en claquant des doigts et c’est là que l’on retrouvera tout à l’heure la dette. L’épanouissement de la dérégulation financière dans les années 80 a été pour les démiurges et les élites qu’elles inspirent un premier pas vers le paradis. Cette caste, en effet, a pour premier ennemi les frontières, non seulement celles des pays, mais aussi celles que créent les législations protectrices, et également les cultures et les structures traditionnelles. Leur utopie: que tout devienne liquide, interchangeable, fluide, y compris les êtres humains.

 

Evidemment un tel programme finit par susciter des résistances chez ceux qui en sont non les organisateurs mais la matière première, et, au fur et à mesure qu’il se développera, il en suscitera de plus en plus. Il faut donc à nos démiurges les réduire et les remplacer par une dépendance. Je vais prendre deux tout petits exemples. Vous êtes vous demandé les conséquences - je n’ai pas dit « les objectifs » - de la réforme qui a remplacé par une dotation de l’Etat la taxe professionnelle que percevaient les communes ? Ou encore, pour nos impôts sur le revenu, l’instauration du prélèvement à la source ? Les communes sont devenues dépendantes de l’Etat qui, pouvant décider du montant de leur dotation, est devenu ainsi maître de leurs budgets. Quant au prélèvement à la source, en cas de mauvaise fortune ou de paupérisation le retard de paiement ou le non-paiement de l’impôt n’est plus possible, et, en cas de révolte, la grève à l’impôt ne l’est pas davantage.


Et la dette dans tout cela ?

 

L’enrichissement des prêteurs au cours de l’histoire montre que la perception des intérêts n’en est pas l’élément principal. Il y a deux autres conséquences de la dette qui sont nettement plus juteuses: la spoliation de l’emprunteur et sa servitude. Combien de petits fermiers, à notre époque, dans certaines régions du monde, ont-ils été chassés de leurs terres à cause d'un modèle économique qui n'était destiné qu'à les tuer ? Quant aux latifundia d’Amérique latine, ils sont l'exemple même d'une économie orientée à l'esclavage: insuffisamment payés pour survivre, les travailleurs y étaient contraints d’emprunter à leurs employeurs et leur dette se transmettait à leurs enfants qui restaient ainsi enchaînés au domaine.

 

Si la dérégulation financière a été le premier pas vers le paradis des élites ploutocratiques, le deuxième pas a été l’article 104 du traité de Maastricht puis l'actuel article 123 du traité de Lisbonne qui ont instauré l'interdiction pour l'État de se financer auprès de la Banque de France. L'État doit donc depuis lors se tourner vers les marchés financiers, ce qui se révèle plus onéreux mais surtout entraîne un transfert croissant de pouvoir. Où cela peut-il mener ? Un pays d’Europe nous en donne l’exemple: la Grèce (3).

 

Alors, un scénario possible pour expliquer la politique soudain dispendieuse de notre Gouvernement: il a décidé de creuser la dette de la France afin qu'elle se retrouve un jour sous tutelle comme la Grèce et qu'ainsi nous soyons obligés de nous soumettre à la transformation du monde dont il est l’un des promoteurs zélés. Si ce n’est pas l’objectif poursuivi, à tout le moins c’est une conséquence de sa politique qui ne le dérange pas et qu’il saura exploiter.

 

(1) Déclaration le 25 mai 2005, sur la chaîne de télévision CNN : « Il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ». 

(2) https://www.dettepublique.fr/

(3) Pour avoir un aperçu, je vous recommande le blog (en français) de Paniagiotis Grigoriou, historien et ethnologue: http://www.greekcrisis.fr/2020/11/Fr0829.html