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26/05/2022

L’émancipation (I)

L’émancipation est un thème proche de celui de la sécession. On pourrait dire que c’en est le préalable, même si l’émancipation ne débouche pas nécessairement sur la sécession. Un mineur qui obtient du juge son émancipation échappe à l’autorité parentale et assume de prendre en charge lui-même ses besoins de tous ordres. Aucune émancipation n’est possible tant que l’on est dans la dépendance, à commencer - comme je l’ai précédemment évoqué - dans la dépendance intellectuelle. Cette forme de sujétion se traduit par le refus de penser par soi-même. Je dis bien: le refus, non l’impossibilité. Mais à quoi cela rime-t-il de penser par soi-même alors qu’il y a des experts dans tous les domaines, dont il suffit de suivre les avis ? Il m’est arrivé de temps en temps d’essuyer cette remarque: « Pour qui te prends-tu pour oser avoir une opinion là-dessus ? » Qui es-tu pour douter des informations que délivrent les médias ? Disposes-tu comme eux d’une organisation pour tout savoir en temps réel ? As-tu fait des études de médecine ? As-tu l’expérience d’un ministre des affaires étrangères ? Etc.

 

J’avoue que j’ai la prétention de pouvoir produire une opinion sensée sur des sujets dont je ne suis pas expert. Mais, si c’est présomption de ma part, et je veux bien l’admettre, à l’inverse que penser de ceux dont la démarche se réduit à affirmer : « Je choisis de faire confiance, je ferme les yeux et je bouche mes oreilles à toute discordance qui pourrait me troubler » ? Car, ce qui amène souvent à faire un pas de côté et à penser, outre la curiosité, c’est la perplexité qu’engendre la perception d’une discordance. Dans l’histoire des sciences, relever une anomalie a souvent été une occasion de progrès. En astronomie, par exemple, la perturbation infime de la course d’une planète peut trahir la présence d’un corps céleste resté invisible. Toujours est-il que comprendre est un besoin que je ressens avec mes tripes. Cela fait-il de moi un original, un cas à part ? Ne s’agit-il pas de l’un des dix besoins de l’être humain que Manfred Max-Neef qualifie de fondamentaux ? 

 

Dans l’effort que je fais pour comprendre, il arrive parfois que mon attention soit attirée par certains phénomènes qui ne concernent pas le coeur du sujet mais lui ajoutent un éclairage intriguant. C’est ainsi - pour parler de ce qui fâche - que décréter d’emblée, alors que le coronavirus vient à peine d’apparaître, que les affections qu’il cause ne peuvent être soignées, ne m’a pas semblé et ne me semble toujours pas logique. D’autant plus que, très rapidement, des médecins généralistes - je ne parlerai même pas du professeur Raoult - ont déclaré avoir traité des malades avec succès. Je me souviens d’une doctoresse du Lot, l’une des premières à avoir apporté un tel témoignage, que le Conseil de l’Ordre a convoquée pour la remettre au pas exigé par le ministre, et qui a préféré se radier elle-même plutôt que se soumettre à l’interdiction de soigner ses patients. On nous a ainsi privés de rien de moins que de l’intelligence collective du corps médical. Je ne veux pas enclencher ce débat sur le fond, d’abord parce que je considère que les opinions sont désormais figées de part et d’autre, ensuite parce qu’il m’a lassé depuis longtemps. Je réserve dorénavant mon intérêt aux phénomènes sociaux qu’a révélés l’apparition de cette crise. 

 

Douter de la pertinence de décisions politiques qui portent sur la santé ainsi que de l’honnêteté de l’industrie pharmaceutique est-il un signe de perversion ou de dérangement mental ? Les scandales, dans ce domaine, ne sont-ils pas assez récents et nombreux, certains concernant des milliers de victimes, pour que la prudence, voire la suspicion, soient admissibles ? Nieriez-vous par exemple ce que l’on a appelé « l’affaire du sang contaminé » ? « En raison de prises de mesures de sécurité inexistantes ou inefficaces, de retard dans la prise de décisions préventives de protection et/ou curatives, de défaillances médicales, industrielles et administratives, de nombreux hémophiles et patients hospitalisés ont été contaminés par le VIH ou l'hépatite C à la suite d'une transfusion sanguine. »* « Défaillances médicales, industrielles et administratives. » Faut-il rappeler aussi le nom de certains médicaments qu’on a laissés le plus longtemps possible dans les rayons des pharmacies alors qu’ils faisaient déjà des ravages chez ceux à qui on les prescrivait ? Et, pour prendre l’air ailleurs que chez nous, que penser du scandale des opioïdes, qui a coûté la vie à plus de deux-cent mille Américains et valu au cabinet MacKinsey, en tant qu’auteur de la stratégie marketing des laboratoires, une amende de près de 600 millions de dollars ? Faut-il ajouter que Pfizer a été condamné à maintes reprises pour charlatanisme, mensonges et corruption et, à ce titre, a acquitté des amendes de plusieurs milliards de dollars au cours de ces dernières années ? Quand on vous présente un voyou qui en est à son quinzième vol de voiture, comment se fait-il que, soudain, vous lui confiiez sans états d’âme les clés de la vôtre et, en plus, le remerciez d’en prendre soin ? Mon raisonnement ne nécessite pas quinze ans d’études médicales ou journalistiques. Les questions que je soulève ne relèvent que du bon sens et les informations que je cite sont sur la place publique. En l’occurrence, il y a une discordance que je veux comprendre : que se passe-t-il dans la tête de ceux qui confient aussi légèrement les clés de leur voiture ? Pourquoi n’ont-ils pas entendu, à tel moment ou tel autre, les mêmes petites sonnettes d’alarme que moi ? 

 

En posant cette question, il me vient un fait historique qui peut aider à dissiper tant soit peu ce mystère : il a fallu que les survivants des camps de la mort témoignent de ce qu’ils avaient vécu et que l’on ouvre les charniers pour que le bon peuple accepte la réalité de la « solution finale » mise en place par les nazis. Et pourquoi a-t-il fallu cela ? Sans doute parce qu’il était impossible à des braves gens d’imaginer que des être humains, fussent-ils connus pour leur barbarie, pussent aller aussi loin dans l’horreur. Que l’on tue dans un déchaînement de jalousie, que l’on mitraille ou que l’on écrase de bombes parce que l’on est en guerre, tout cela pour les contemporains restait du domaine de l’envisageable. Les crimes passionnels connus depuis toujours et le souvenir de la Grande Guerre - elle-même inimaginable avant qu’elle se déchaîne - les avaient préparés. Mais l’idée d’une mort froidement industrialisée leur était littéralement inconcevable. L’impossibilité d’imaginer la noirceur au delà d’une certaine limite est de l’ordre d’une défense psychologique. Andreu Sole postule que ce qui circonscrit un monde est ce que l’on y juge d’emblée possible ou impossible. Dans ce sens, on peut dire que les camps de la mort, à partir du moment où leur existence n’a plus été discutable, nous ont fait changer de monde. Si l’on en revient à la gestion de notre crise sanitaire, envisager l’incompétence ou la malhonnêteté de politiques, de fonctionnaires et d’industriels, ainsi que la crédulité et la soumission de milieux médicaux qui auraient pu et dû réagir davantage, n’est possible que si l’on n’est plus dans le monde où la plupart des gens pensent encore séjourner. Ma conviction, en effet, est qu’à la faveur de cette épidémie nous avons basculé dans un autre monde et qu’il est urgent d’en faire le repérage, d’évaluer jusqu’où il s’étend et ce qu’il nous réserve. La difficulté, pour beaucoup d’entre nous, est que la peur produit l’envie de se rassurer. Douter de ceux qui prétendent apporter la solution, c’est se retrouver, solitaire, face à une angoisse sans remède. Cela suppose aussi de vivre dès lors dans la méfiance des figures traditionnelles de la protection, et c’est une dramatique perte de confort existentiel. 

 

Comprendre, d’ailleurs, n’est pas nécessairement ce qu’une société élitaire attend de ses sujets. Par analogie, il me souvient que, au cours de ma modeste carrière professionnelle, les séminaires que je créais me mirent quelquefois sur la sellette. Pourquoi ? Parce que, pour certains dirigeants, je faisais inutilement réfléchir. Evidemment, cela ne m’était jamais reproché explicitement, mais ce fut au point que j’eus à choisir un jour entre accepter une mutation fonctionnelle ou anticiper mon départ en retraite. Je décidai de rester fidèle à moi-même. Or, je l’affirme, je n’ai jamais eu le désir de renverser qui ou quoi que ce soit. J’étais simplement persuadé que des hommes et des femmes qui pensent sont bénéfiques à l’intelligence collective de l’entreprise. Je n’avais pas encore suffisamment accepté l’idée qu’une entreprise est un système politique avant d’être un système économique. Là se trouvait, à mon insu, ma subversion. Les gens qui réfléchissent sont encombrants: a minima, ils peuvent soulever des questions indésirables pour ceux qui ont une idée exclusive de ce qu’il faut faire. « Cherche pas à comprendre! » avaient l’habitude de répliquer les colons aux natifs qui travaillaient sur leurs exploitations. Vouloir comprendre est le début de l’insoumission, parvenir à comprendre celui de la rébellion. Comprendre, surtout, est le début de l’émancipation. Finalement, depuis les premiers jours de cette crise sanitaire, ce que nous dit la succession des déclarations contradictoires et des décisions arbitraires aux apparences de fondements scientifiques, est: « Ne cherchez pas à comprendre! » 

 

La crise sanitaire m’a permis de découvrir quelques émancipés réconfortants, au premier rang desquels je citerai le docteur Louis Fouché et l’avocat Fabrice DiVizio. Sans ces étranges circonstances, je n’aurais sans doute jamais entendu parler d’eux. C’eût été grand dommage car, bien au delà de la résistance qu’ils incarnent face aux mensonges et aux iniquités, ils éclairent le virage qu’à notre insu nos sociétés sont en train de prendre vers une destination cauchemardesque. Plus important, avec leurs semblables, ils éclairent aussi le monde alternatif où nous pouvons et devons créer notre salut. Car nous n’avons pas le choix de restaurer le monde d’avant. Soit nous subissons, soit nous devenons créateurs. Si, avant que les évènements les portent sur le devant de la scène, Fabrice DiVizio et Louis Fouché étaient déjà, humainement, ce que nous voyons d’eux aujourd’hui: des esprits libres, lucides et généreux, les circonstances les ont encouragés à s’accomplir dans leur être profond. Puissent-ils, eux et leurs semblables, nous inspirer courage et fécondité !

 

Dans le monde tel qu’il est, la démocratie ne survivra que grâce à des citoyens émancipés. Le processus de l’émancipation peut être difficile et douloureux. Notamment parce qu’il nous place en marge de la masse réconfortante, ce qui va à l’encontre de notre instinct animal: être en union avec la meute. C’est pourquoi seul celui qui n’a jamais péché devrait s’autoriser à jeter la première pierre. Mais être un vrai citoyen, au centre d’une démocratie à faire vivre, à sauver même, n’est-ce pas en tout premier lieu s’émanciper ? C’est-à-dire: vouloir comprendre par soi-même dans le monde tel qu’il est ? Le vouloir ardemment ? Le citoyen doit secouer tout ce qui peut le neutraliser, à commencer par le refus de penser par lui-même. Je rêve d’une Université Populaire de la Citoyenneté où l’on n’apprendrait pas à en savoir davantage que tous les experts, mais où l’on cultiverait l’intelligence des situations et des enjeux, la lucidité, l’exigence, le doute systématique.

 

En parlant de doute, que disait donc Descartes ? - Je pense, donc je suis. 

 

* Wikipedia.

17/12/2020

Les gardiens de la raison (1): La pieuvre 

 

 

 

Difficile de se représenter qu’un secteur d’activité puisse déployer une influence à la fois tentaculaire et capillaire, une sorte d’omniprésence active tant auprès des chefs d’état et des ministres que des médecins de ville, en passant par les bureaucraties de tous ordres, les médias grand public, les cercles savants, les associations sans but lucratif, sans oublier les réseaux sociaux où une nébuleuse de vibrions exécute pour lui une chasse aux sorcières zélée. J’emprunte le titre de cette chronique - Les gardiens de la raison - au livre de Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens*. Le premier mérite des auteurs est d’y démontrer que non seulement l’emprise que je viens d’évoquer est possible mais que c’est ce à quoi nous sommes actuellement confrontés, et de faire comprendre comment, à notre insu, une stratégie de contamination opiniâtre des esprits, conduite de longue main, lui a permis d’advenir. 

 

 

On se souviendra que, dans les années 30 du siècle dernier, Edward Bernays, auteur de « Propaganda, Comment manipuler l'opinion en démocratie », a réussi l’exploit de doubler le marché du tabac en convainquant les Américaines de fumer. Le génie de Bernays, qui était un neveu de Freud, fut de comprendre que l’on peut s’appuyer sur la psychanalyse pour déceler les réactions potentielles des gens et, en les actualisant, les mettre au service du marketing. En l’occurrence, fumer pouvait constituer pour les femmes une revanche symbolique sur la dictature masculine. Bernays ajusta le message qui conférait à la tabagie féminine assez de transgression pour porter cet enjeu symbolique, mais sans en faire un acte trop hardi, qui n’aurait pu être largement adopté, ou une provocation excessive qu’une réaction sociale aurait brutalement balayée. Jouant du billard à trois bandes, du même coup, il embarquait dans cette croisade les hommes qui se voulaient progressistes et n’avaient guère d’autres choix que souscrire - fût-ce à leur corps défendant - à sa propagande, faute de quoi l’image qu’ils voulaient donner d’eux-mêmes eût pâti. Depuis lors, les techniques de manipulation à des fins commerciales - ou idéologiques - n’ont cessé de se sophistiquer. Cependant, les gens n’étant pas tous aveugles, leurs avancées ne tardèrent pas à susciter des dénonciations et des résistances. Parmi les pionniers, il me revient le nom de Vance Packard, auteur de « La persuasion clandestine » (1957) qui alertait les consommateurs sur la manière dont, à leur insu, les firmes cherchaient à les téléguider. 

 

 

Le tabac est un exemple intéressant. Les publicités que ma génération a connues montrent moins le plaisir de fumer qu’une mise en scène où la cigarette est associée à une situation, à des personnages symboliques. Mais, largement consommé, il devint à force envisageable que le tabac avait un lien avec certaines pathologies. Ce lien finit par être établi de manière indubitable: d’abord pour ce qui était de la santé des fumeurs eux-mêmes puis, plus malaisément, de celle de leur entourage: les fumeurs dits passifs. L’industrie fit feu de tout bois pour contester et retarder un tel verdict, en en appelant évidemment à la science. Bien que maintenant sévèrement encadrée, la tabagie continue sa carrière de tueuse (75000 décès par an rien qu’en France). Pour autant, s’agissant des productions industrielles dans leur ensemble, on peut affirmer qu’aujourd’hui toutes sont plus ou moins scrutées, suspectées et éventuellement dénoncées, qu’il s’agisse des bonbons où l’on trouve parfois des substances bizarres, des aliments industriels qui contribuent aux maladies de civilisation, des produits phytosanitaires retrouvés dans l’urine des riverains de certaines exploitations agricoles, et même de médicaments dont il faut bien reconnaître qu’il leur arrive de tuer. A cela s’est progressivement ajoutée l’évaluation sociale, éthique et écologique des processus de production : les conditions de travail, les atteintes à l’environnement et à la biodiversité ainsi qu’aux territoires, à la santé et aux moyens de vie des communautés locales qu’ils impactent. Tout imparfaites qu’on puisse juger ces avancées, notamment en raison des atermoiements du législateur, elles vont pour nous dans la bonne direction. Or, tout à l’inverse, les néo-libéraux les considèrent comme des contraintes qui entravent leur légitime « liberté de manoeuvre ». 

 

Cette montée des consciences, des méfiances, des surveillances et des règlementations a rencontré un mouvement inverse: celui de la reprise en mains, par les détenteurs de capitaux, des grandes firmes industrielles. Après avoir été ébranlés par les progrès sociaux des années 70, par le développement des thèses sur l’entreprise citoyenne ou participative, par les attentes renouvelées d’une meilleure répartition de la valeur ajoutée et d’un management plus ouvert - attentes que relayaient les législateurs d’Etats encore démocratiques - les capitalistes ont réagi. Le plein-emploi rendait ces attentes arrogantes, tout en générant des économies les délocalisations les ont calmées. Cela valut tant sur le plan social que fiscal. Mais la contre-attaque ne pouvait se limiter à ce terrain-là. Si l’on avait assagi les travailleurs, il fallait en faire de même avec les consommateurs. C’était plus délicat car l’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Pour retrouver la « liberté de manoeuvre », il fallait frapper où se trouvait l’ennemi, c’est-à-dire dans l’esprit des gens - de ceux qui, au bout de la chaîne, décident ou non de consommer, mais aussi de tous ceux qui au fil de l’eau contribuent à cette décision. C’est ainsi que se sont développés les systèmes d’influence que décrit le livre « Les gardiens de la raison » dont le sous-titre est parlant: « Enquête sur la désinformation scientifique ».

 

 

La privatisation de la recherche scientifique dans les années 90 a eu un impact déterminant. Jusque là, on pouvait imaginer que la curiosité, l’utilité et la rigueur constituaient les logiques d’action de cette activité. Avec la privatisation, une autre logique s’ajouta qui allait rapidement supplanter toutes les autres: la rentabilité des capitaux investis, exprimée en dividendes mais surtout en valorisation boursière. Ceux qui ont travaillé dans des organisations aux logiques d’action multiples savent combien il est difficile d’empêcher que l’une d’entre elles ne parvienne à supplanter les autres qui, un beau jour, se retrouvent à n'avoir plus que la fonction décorative d’un bouquet de fleurs en plastique dans la salle d'attente. La rentabilité financière a cela de singulier qu’elle se nourrit moins de la performance économique effective que de l’impact de sa promesse sur le cours des actions. Déjà, dans les années 90, on en avait vu la marque sur le plan social: il suffisait qu’une firme annonçât des licenciements substantiels pour que son titre un peu mollasson rebondît. Tout récemment, on a vu qu’il a suffi à Gilead d’annoncer que le Remdésivir guérirait le Covid19 - sans qu’aucune étude scientifique impartiale l’eût confirmé - pour que ses actions prennent de la valeur. Son directeur général a d’ailleurs eu la chance de vendre par hasard, juste à ce moment-là, une partie de ses stocks options, ce qui lui permit d’empocher une plus-value substantielle. L’Union Européenne a acheté quelques millions de doses de ce médicament - dans des conditions obscures puisqu’elle refuse de communiquer les contrats aux parlementaires - au moment même où l’Organisation Mondiale de la Santé publiait des études démentant les affirmations de Gilead qui bénéficiait pourtant dans le paysage médiatico-médical français de nombreux enthousiasmes. 

 

 

Ce survol nous donne une esquisse du réseau d’influence des industries pharmaceutiques, qui passe à la fois par la Commission Européenne et par des vedettes du milieu scientifique, indépendamment de toute caution réelle. Mais le jeu, parfois, va plus loin que la simple promotion d’un produit relayée par les fonctionnaires, les médias et les experts que l’on a su apprivoiser. Il arrive que l’on doive d’abord nettoyer le terrain de ses concurrents potentiels. Les plus redoutables sont les vieux remèdes qui remplissent la même fonction que les nouveaux - quelquefois mieux et à moindres risques - mais ne rapportent plus rien et occupent le marché. C’est là qu’apparaissent les relais qu’offre le milieu politique national. A la demande de Sanofi - son fabricant - on a fait passer début 2020 l’hydroxychloroquine, remède jusque là sans histoire et largement consommé depuis soixante-dix ans dans la prévention du paludisme, du statut de médicament en vente libre au statut de substance vénéneuse nécessitant une ordonnance. Puis, un peu plus tard, par décret, les médecins de ville se sont vu interdire de la prescrire. Il s’agit donc là de décisions de nature politique, relevant de ministres de la République. Du point de vue de notre réflexion, un aspect qui mérite aussi d’être regardé de plus près est la passivité des cent mille médecins généralistes de France et de Navarre qui se sont ainsi laissé émasculer et mettre en contradiction avec le serment d’Hippocrate. Ce paradoxe suggère que BigPharma a d’autres courroies de transmission, celles-ci au sein même de la profession médicale et de son organisation. 

 

 

Certes, il y eut des résistants (et on peut parier que, comme en 1945, il y en aura un jour beaucoup). Certains d’entre eux se sont autorisés à confier qu’après avoir testé avec succès des protocoles à base d’azythromycine et / ou de zinc, d’HCQ et de vitamine D3, ils avaient évité l’aggravation du mal, l’hospitalisation, et guéri leurs patients. Mais, dès que cette information est tombée sous les yeux de l’Ordre des Médecins, ces praticiens ont reçu - disent-ils - des appels téléphoniques comminatoires leur enjoignant de cesser de publier et même d’arrêter de recourir à ce protocole. Réactions identiques des argousins des Agence régionales de la santé, des Caisses primaires d’assurance-maladie et de l’Agence Nationale de la Sécurité des Médicaments. Bref, de tout ce qui, de près ou de loin, a un caractère institutionnel. C’est au point que, devant cette dénaturation de leur rôle et découvrant la réalité du système qui prétendait les assujetir, certains médecins ont décidé de se faire radier de l’Ordre et d’exercer une autre activité.

 

 

Il n’y eut pas que des praticiens de terrain à manifester leur désaccord avec les mesures officielles, mais si vous ne fréquentez pas les « réseaux sociaux », vous avez peu de chance d’avoir entendu ces voix discordantes que j’ai évoquées ici il y a quelques semaines (1). C’est que les grands médias - si l’on excepte France-Soir et Sud-Radio - loin d’ouvrir le débat sur les théories et les traitements en concurrence, n’ont fait qu’inviter à tour de bras des vedettes qui se gardaient bien de tenir un discours tant soit peu autonome. Pour autant, si, sur la Toile, on peut accéder à des informations plus diverses, la situation n’est pas confortable. D’abord, des trolls s’insinuent dans les « conversations » pour dénigrer tel ou tel rebelle, colportant des accusations fantaisistes et oubliant de mentionner que le casier judiciaire de Pfizer est rien moins que vierge (2). Les spécialistes du « fastchecking » qui se sont fait la réputation de savoir la vérité et de la faire respecter font feu de tout bois dès qu'une assertion conteste le discours dominant. In fine, quand un rebelle a trop de « followers » et devient gênant, les administrateurs des plates-formes s’en mêlent, collant un bandeau d’alerte sur ses publications ou bien les retirant purement et simplement, puis interdisant d’antenne les fautifs pour des durées variables. Il arrive que la condamnation tombe à propos de la mise en ligne d’un document dont la source est officielle !

 

Mais nous ne sommes pas au bout des interventions que la pieuvre peut inspirer. Ceux qui font des gorges chaudes à propos des ridicules guerres de religions et qui n'ont pas assez de louanges pour les Lumières feraient bien de se pencher sur les étranges dérives du milieu scientifique pourtant protégé en principe de tels fanatismes arriérés. Quelles que soient les divergences que l'on puisse invoquer, les violences et la bassesse des attaques menées contre le Professeur Raoult dépassent l'entendement. Ces derniers jours nous apportent d'autres faits d'une pire brutalité. De grands noms de la science, des hommes qui soignent avec succès, sont sanctionnés pour l'autonomie de leur pensée et de leur parole. Sans doute mettaient-elles en péril les âmes frustres des gueux qui pouvaient les entendre. Il fallait les protéger. C'est ainsi que le harcèlement a eu raison du professeur Toubiana qui a annoncé il y a une semaine environ qu'il ne donnerait plus d'interviewes. Quant au professeur Perronne, il vient d'être démis de sa chefferie de service par le patron des AP-HP. N'allez pas imaginer cependant que la meute ait obéi à des ordres explicites. Ce serait mal connaître ces milieux où rien n'est jamais demandé mais où tout est exécuté. 

 

Prochaine chronique:

Les gardiens de la raison (2): De l’apprivoisement à la corruption 

 

 

* Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens, Les gardiens de la raison, Cahiers Libres, Editions de La Découverte, septembre 2020. 

 

(1) http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/... 

 

(2) En mai 2007, le gouvernement nigérian a porté plainte contre le groupe Pfizer, l'accusant d'avoir provoqué en 1996 la mort de onze enfants lors de tests de médicaments contre la méningite. De nombreux autres enfants auraient développé des symptômes plus ou moins graves (surdité, paralysie, lésions cérébrales, etc.). Le groupe a, quant à lui, répondu que les tests avaient été pratiqués avec l'accord du gouvernement nigérian et que les décès n'étaient pas liés à l'absorption de Trovan (nom de marque déposée de la trovafloxacine). Le roman de John le Carré, La Constance du jardinier, et le film The Constant Gardener sont inspirés de cette affaire. Selon des informations divulguées par Wikileaks, Pfizer aurait engagé des détectives pour surveiller le procureur fédéral responsable du procès des essais cliniques du Trovan.

En 2009, Pfizer accepte de verser une amende record de 2,3 milliards de dollars US aux autorités américaines. La société était accusée d'avoir fait la promotion abusive de plusieurs médicaments : le Geodon, le Lyrica et le Zyvox, dont un interdit par la FDA : le Bextra.

Le 5 septembre 2016, Jérôme Cahuzac affirme, lors de l'ouverture de son procès, que le compte illégal qu'il avait ouvert en Suisse avait été alimenté par des fonds venus des laboratoires Pfizer.

 

Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pfizer#Affaires_judiciaires