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22/11/2020

La liberté d’inexpression

 

 

Nous vivons dans un pays où les élites saluent l’érection d’un plug anal géant place Vendôme, où la défense de la liberté d’expression prend pour symbole des dessins qui relèvent d’une grosse blague salace, mais où toute remise en question de la politique sanitaire mobilise contre elle, urbi et orbi, une multitude de ministres de la vérité et engendre des lois scélérates. Lorsqu’il y a quelques semaines j’ai eu l’envie de lire l’essai d’Anne-Sophie Chazaud au titre excellent: La liberté d’inexpression, c’était pour explorer un phénomène dont j’avais eu quelques aperçus ici et là, mais je ne pensais pas que l’actualité viendrait l’illustrer à ce point.


Le leurre de la transgression

 

Historienne de l’art, Christine Sourgins dit que l’art contemporain exploite la transgression mais n’est sûrement pas un art de la subversion. C’est une distinction fondamentale et c’est bien pourquoi, à mon sens, l’AC est encouragé alors qu’un documentaire comme Hold up est diabolisé sur toutes les longueurs d’onde par une classe sociale qu’assiste sa nuée de valets. On aurait aimé d’aussi vives contestations autour de l’oeuvre aussi grossière que stupide de Paul McCarthy ou du « Vagin de la Reine » d’Anish Kapoor. Mais, au fond, jouer à touche-pipi n’est politiquement pas dérangeant. On se fait de délicieuses frayeurs devant des audaces pornographiques ou scatologiques sans que l’ordre du monde en soit affecté. La politique suit le même modèle que l’art contemporain. On l’a bien perçu au cours de ces dernières années alors que la machine législative et règlementaire était plus généreuse d’audaces sociétales que d’ambitions sociales et économiques. Le « mariage pour tous » ou la « PMA pour toutes », qu’il ne s’agit pas de critiquer ici, en affirmant remédier à des inégalités dissimulent une politique qui ne fait qu’en accroître d’autres de manière vertigineuse. Il s’agit de celles qui résultent du détournement constant et encouragé de la richesse du pays vers des poches déjà bien remplies. Je ne sais pas le nombre d’heureux que les réformes sociétales précitées auront faits ou feront, mais ce que je vois, c’est que la population des SDF a doublé en huit ans pour atteindre 300 mille personnes aujourd’hui, et que celle des pauvres en dix ans a grossi d’un million et demi de victimes pour dépasser bientôt les dix millions. Avec un phénomène que soulignent les organisations humanitaires: même avec un emploi salarié, on peut désormais se retrouver dans ces statistiques, dans la nouvelle rubrique des « travailleurs pauvres ». En même temps, nous comptons en France des milliardaires de plus en plus nombreux, qui eux-mêmes au fil des années sont de plus en plus riches. On pourrait mettre sur le même plan du leurre l’obsession cultivée de l’esclavage des siècles passés, qui va jusqu’à déboulonner la statue d’un abolitionniste, alors que, grâce à nos modes de vie, l’esclavage, qui n’a jamais été aussi prospère qu’aujourd’hui, n’est pas remis sérieusement en question (1). Des musées pour le passé, oui; des mesures pour le présent, non.

 


Avant, on disait: « Tu exagères », ce qui pouvait être discuté. Maintenant, on assène: « Tu es complotiste »

 

Il fut un temps, dans les années 70, où évoquer la guerre des classes attirait des regards entendus et des haussements d’épaules. A l’époque, l’anathème « complotisme » n’ayant pas encore été inventé, l’on évoquait une vision « arriérée » de l’économie et de la politique. Il aura fallu que le multimilliardaire Warren Buffet mette les pieds dans le plat pour que l’expression ne suscite plus des émois de basse-court. Pour penser, nous avons besoin de nommer les choses car, dès lors que nous ne pouvons pas les nommer, nous ne pouvons plus nous colleter avec elles. Comment voulez-vous comprendre l’évolution du monde au cours de ces dernières décennies si l’on supprime de nos outils intellectuels la notion de lutte des classes ? Allez-vous refaire le travail de Karl Marx ? Vous avez là un exemple de censure parmi d’autres: celle qui ostracise des concepts pour entraver la réflexion. Seulement, si, comme l’affirme Buffet, cette guerre des classes existe bel et bien, et si, comme il le revendique, elle est menée par la sienne, celle des plus que riches, comment peut-on s’offusquer qu’en face l’on puisse supputer un complot, celui d’une ploutocratie pour accroître sa richesse et asseoir son pouvoir contre le reste de l’humanité ? Les audaces transgressives de l’art contemporain sont à la subversion ce que les caricatures de Charlie Hebdo sont à la liberté d’expression et les réformes sociétales précitées à une politique économique et sociale: un cache-sexe. En revanche, le film Hold up est subversif. C’est pourquoi il a déclenché contre lui un tel tir de barrage. Sonder les intentions de nos politiques, parce que l’on a de plus en plus de mal à comprendre ou à accepter ce qu’ils veulent faire de nous, est désormais passible de la Grande Inquisition. Avant, on disait: « Tu exagères », ce qui pouvait être discuté. Maintenant, on assène: « Tu es complotiste ». Vous sentez la nuance ?

 


Les nouveaux atours d’Anastasie

 

Dans son investigation des formes nouvelles de la censure, Anne-Sophie Chazaud (2) nous montre qu’elle s’est éloignée de l’image d’Epinal que nous en avons, au point que nous pourrions ne pas la reconnaître. La censure ne s’affiche plus comme l’exercice d’un pouvoir impérial qui décrète officiellement des interdits. Certes, la tentation d’une intervention brutale existe encore, comme l’a montré cette députée qui, sur CNEWS, exigeait rien de moins que « l’éradication » du film Hold up. En vérité, la nouvelle censure est beaucoup plus subtile que cette dame. Elle utilise des moyens qui permettent à l’Etat de montrer des mains toujours propres. Elle consiste en un processus aux ramifications, aux acteurs, aux marionnettes et aux ficelles multiples. Pour en comprendre le fonctionnement, il convient d’inventorier les éléments en apparence épars qui, invisiblement associés, contribuent à instaurer le droit de ne plus rien dire et celui de ne pas penser. Ici, c’est une conférence retirée sous la menace d’une minorité. Là, c’est la représentation d’une pièce d’Eschyle empêchée par une autre. C’est, dans une université, ce lieu traditionnel du débat, la suppression d’un colloque. C’est, sur les « réseaux sociaux », les posts supprimés, le harcèlement des trolls, les comptes suspendus, les algorithmes qui surclassent ou déclassent mystérieusement certaines informations. Mais, surtout, face aux attaques, c’est la lâcheté incurable des autorités défiées qui ont perdu le sens de leur légitimité et ne sont plus que les courtisanes de la moindre menace. Le fin du fin de la censure d’aujourd’hui est que la peur de quelques-uns aboutisse à l’autocensure permanente de tous.

 


L’entretien des zones aveugles

 

Parmi les piliers les plus visibles de la censure, il y a l’unanimité des grands médias dont on sait qu’ils sont la propriété d’une poignée de fortunes proches du pouvoir politique. En dépit de leurs apparentes différences, ils diffusent les éléments d’une même représentation du monde. Une telle unisson pourrait être suspecte, malheureusement elle conforte le conformisme. A quelques détails près, ces médias donnent ainsi l’impression de rendre compte de la vérité. Par exemple, quand on évoque la diversité éditoriale, on peut s’interroger sur le rejet unanime de Donald Trump qui a pourtant fait moins de guerres que ses prédécesseurs, le soutien sans faille au confinement et aux masques, le refus d'autres sons de cloche que ceux provenant de BigPharma, l'absence d’un regard critique sur la mondialisation ou sur la légitimité de la Commission européenne. A-t-on pu lire dans leurs colonnes, ou entendre au vingt heures, les analyses pourtant parfaitement documentées et rigoureuses d’un François Asselineau ? Les sujets que les grands médias choisissent d’évoquer, fût-ce sous des apparences de débat, ne sont que l’entretien méticuleux de zones aveugles. Ils proposent de voir les quelques arbres qui cachent la forêt. On peut être en désaccord avec ce qui est montré, mais comment savoir ce qui ne l’est pas ?

 


Le mensonge est la vérité

 

Evoquer les médias, c’est évoquer le rôle de leurs décodeurs, débunkeurs, conspiracywatchers et autres chiens de garde. Leur existence partait peut-être d’une bonne intention mais elle a pris peu à peu l’allure d’une police de la pensée. Voici quelques exemples de leurs exploits. En juin 2020, l’Agence France Presse fait l’éloge du Remdésivir de Gilead, éloge littéralement copié-collé par toute la presse et repris aux journaux télévisés. France Soir émet des doutes et c’est une levée de boucliers contre le quotidien, traité évidemment, avec ceux qui le lisent, de complotiste. Ces jours derniers, l’OMS a finalement déconseillé l’usage de cette substance, reconnue inefficace contre le COVID et toxique pour les reins. Le 22 mai, dans l’heure qui suit la parution dans The Lancet de l’étude frauduleuse contre l’hydroxychloroquine, le même France Soir relève des anomalies suffisantes pour qu’on ne la prenne pas au sérieux. L’AFP, qui se fait le chantre de ce canular, tire alors à boulets rouges contre le quotidien. On connaît la suite: quelques jours plus tard The Lancet retire la publication. Le 16 novembre, Le Monde "débunke" ce qu’il appelle "l'intox du Rivotril". Le Rivotril est un médicament dont un décret prescrit l’administration aux pensionnaires des EHPAD soupçonnés d’avoir contracté le covid et qu’à ce titre on refuse d’hospitaliser. Or, c’est une substance que l’on peut utiliser pour faciliter le passage de vie à trépas. Sous peine d'être taxé de "complotisme", on doit croire que la politique du Gouvernement n'a aucunement entraîné des euthanasies. Le 18 novembre, France Info diffuse une enquête de terrain auprès d’aides-soignants bouleversés par ce dont ils ont été les témoins directs, qui prouve le contraire.

On est rassuré que la vérité finisse par se faire entendre. Mais on s’inquiète aussi du nombre de personnes qui auront eu accès à ces informations.

 

 

Diabolisation des uns, angélisation des autres

 

Je trouve, personnellement, qu’il y a dans notre pays un plus grand enjeu que celui des caricatures. Il y a la menace d’une réécriture, en général grotesque et biaisée, de notre histoire, qui autorise que l’on déboulonne des statues, débaptise des lieux publics et enseigne n'importe quoi pourvu que ce soit à charge pour notre pays. C’est une nouvelle forme de tribunal populaire régi par l’arbitraire et le fanatisme.

 

Le processus est simple: à partir d’un élément, on diabolise une histoire, une pensée ou une personne. C’est la « cancel culture », la culture de l’annulation. Or, vous imaginez-vous ce que serait un monde où l’on ne retiendrait de vous que ce que vous avez fait de mal ? C’est pourtant ainsi que l’on traite la France. Napoléon, par exemple, ne nous a-t-il laissé que le rétablissement de l’esclavage ? N’a-t-il pas aussi refondé nos institutions ? S’agissant toujours de notre histoire, on aurait bien aimé que des débunkeurs zélés signalent une inexactitude flagrante du film Dunkerque: l’absence des armées françaises dans le champ de la caméra, alors qu’en accumulant les morts et les blessés elles s’employaient à retarder l’armée allemande afin que le rembarquement soit possible. Or, de cette projection, on ressort avec le sentiment que les Britanniques étaient les victimes stoïques de nos ancêtres fuyards. On aurait bien aimé que des débunkeurs signalent aussi que le personnage qui a inspiré « Le dernier Samouraï » n’était pas un anglo-saxon mais un Français: le général Jules Brunet. Sujet secondaire sans doute pour eux que le respect dû à notre histoire. Les a probablement davantage enthousiasmés le coup de coeur du jury de la FNAC pour une photo représentant un jeune homme qui se torche les fesses avec notre drapeau. En revanche, quand il s’agit de sauver l’honneur, le mystère et les desseins des maîtres du monde, ils accourent ventre-à-terre. « Maîtres du monde ? Quelle expression tendancieuse ! » Dites-moi: comment appelleriez-vous la classe qui détient tant de richesses et de pouvoir dont l'accroissement, au surplus, est constant ?

 

S’agissant des populations qui se cherchent une identité ou un fonds de commerce dans la victimisation, la logique est inversée par la bien-pensance: rien ne doit entacher leur pureté. C’est ainsi que Christiane Taubira refusait que l’on rappelle à nos francophobes que leurs ancêtres ont pratiqué l’esclavage intensif des Noirs - et des Blancs - bien avant et plus longtemps que les Européens. Les croisés - c’est ainsi que l’on nous appelle dans certaines cités - ont combattu les armées de l’Islam. Mais n’étaient-ce point ces dernières qui, quelques siècles auparavant avaient envahi l’ancien empire romain et fermé les voies du pèlerinage à Jérusalem ? Au nom de quelle logique notre histoire devrait-elle se résumer à des culpabilités fallacieuses, et celle de nos contempteurs rester protégée derrière des mensonges ?

 

Diabolisation des uns, angélisation des autres: nous avons là un autre des stratagèmes de la nouvelle censure: celui qui consiste à enclore tout conflit dans une binarité extrême, caricaturale. On le retrouve dans le traitement du film Hold up: il ne peut y avoir que des gens sérieux d’un côté, les contempteurs du film, et des complotistes - c’est-à-dire des farfelus ou des pervers - de l’autre. Mais vouloir figer les choses ainsi et, en passant, nier qu’il y ait des propos et des décisions qui posent question, des questions qui parce qu’elles sont sans réponse crédible ne peuvent qu’inviter à se questionner encore davantage, n’est-ce pas refuser un effort de vérité et rendre encore plus suspectes les thèses officielles ?

 


Avons-nous besoin d’un mentor qui nous dise ce que nous sommes autorisés à voir, à penser, les questions que nous avons le droit de nous poser ?

 

Notre défi véritable, aujourd’hui, à cette croisée des chemins où nous hésitons encore, est de reprendre le monde à ceux qui nous le volent. Comment vole-t-on le monde de quelqu’un ? Comme on l’a vu, en l’empêchant de le penser, parfois sous le prétexte de le protéger. C’est ainsi que la préservation des enfants, des vieillards et des faibles d’esprit se fait censure douceureuse. A mon âge et avec mon expérience, ai-je besoin d’un mentor qui me dise ce que je suis autorisé à voir, à penser, les questions que j’ai le droit de me poser ?

 

 

(1) http://www.cadtm.org/L-esclavage-n-a-jamais-ete-aussi-mod...

(2) Je précise que cette chronique n’est aucunement une recension de son livre.