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13/01/2021

Les gardiens de la raison (3) Le récit

 

 

Je reprends le fil de cette chronique en trois parties que j’ai commencée ici: http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/... et poursuivie là: http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/... . En aparté, certains lecteurs m’ont dit qu’ils m‘avaient trouvé trop tendre avec les gens corrompus. Certes, si je ne suis pas allé jusqu’à cette extrémité où la corruption s’accompagne d’un véritable cynisme, je suis obligé de reconnaître que ces situations existent. Par exemple ce professeur de médecine de Nantes qui vient de reconnaître qu’il est l’auteur des menaces de mort adressées au patron de l’IHU de Marseille. A moins, bien sûr, que ce soit juste une coïncidence qu’il ait largement bénéficié des largesses de BigPharma au cours de ces dernières années. J’aurais pu évoquer d’autres cas, mais compte tenu d’une part du grand nombre de personnes impliquées dans les stratégies de désinformation et, d’autre part, persuadé, comme je l’ai écrit, que leur très grande majorité ne souhaite rien tant qu’être honnête, j’ai préféré montrer comment cette honnêteté peut être circonvenue et progressivement emberlificotée. Pour terminer ce survol, après avoir évoqué le réseau d’influence déployé par les industriels, puis le processus de corruption mis en oeuvre, j’en viens aux récits manipulatoires dont nos esprits sont abreuvés depuis des décennies.  

 

Ramenés à leur essence, les récits que développent les industriels pour se donner le beau rôle et s’adjuger le monopole de la vérité sont ceux d’un combat aussi simpliste que manichéen: celui de la rationalité contre l’irrationnel, de l’intellect contre l’émotivité, de la raison contre l’obscurantisme et, rejoignant certaines idéologies qui en ont fait leur fonds de commerce, celui de l’artefact contre le naturel. Reliant tout cela, on a un fil usé mais toujours efficace: celui du combat de l’avenir contre le passé (1). Cette trame de base permet de disqualifier les contestataires sans avoir à trop s’avancer sur le terrain des réalités.

 

Parmi les déclinaisons du récit, on peut parfois déceler une variante sexiste qui oppose le masculin solide et raisonnable au féminin sentimental et fragile. Lorsque, en 1962, la biologiste Rachel Carson publie « Le printemps silencieux » où elle constate la diminution impressionnante des populations d’oiseaux et met en accusation les pesticides, ce ne sont pas des arguments rigoureux qui vont lui être opposés mais une relativisation de son propos, qui la présente comme une amoureuse de la nature, trop sentimentale, trop sensible. Cette fragilité psychologique permet de jeter le doute sur la crédibilité scientifique de son travail. Dans la foulée, on s’en prendra à sa réputation personnelle, en en faisant une sorte de bisounours hystérique, puis en la qualifiant de fanatique. Au bout du bout, ce sera à la fois une probable communiste qui veut ruiner l’économie américaine et une réactionnaire dangereuse qui, pour protéger des volatiles en surnombre, rêve de ramener la société moderne aux âges des grandes épidémies, des maladies incurables et des famines meurtrières. 

 

George Orwell a écrit: « Qui contrôle le passé, contrôle le futur ». On ne sera donc pas étonné que l’on trouve dans les récits diffusés par les industriels une réécriture partiale des évènements. On aura une hagiographie officielle de leurs héros et, aux concurrents ou adversaires, on réservera, en attendant l’oubli, le persiflage ou la diabolisation. Par exemple, tout le monde connaît le nom de Louis Pasteur. Mais qui se souvient d’Antoine Béchamp ? D’une certaine manière, la gestion de l’actuelle « crise sanitaire » reflète ce biais de l’histoire de la santé. Vous aurez remarqué qu’a été absente de toute la communication officielle autour du covid la notion de prévention. Or, prévenir, c’est renforcer ce que Béchamp appelait le « terrain » et que nous nommons le « système immunitaire ». De nombreuses études ont montré que les malades les plus atteints par le covid étaient ceux qui présentaient un déficit en zinc et en vitamine D3. Mais Pasteur, dont je ne contesterai pas ici les mérites, a ouvert la voie à une industrialisation de la médecine devenue aujourd’hui prépondérante, celle qui se fonde non sur la prévention par le terrain mais sur la guerre à l’agresseur extérieur.  

 

La pièce qui se joue sous nos yeux à tout propos illustre les trois postures du triangle dramatique de Karpman. Le héros industriel se présente d’abord comme un sauveur. S’agissant de Rachel Carson, il n’a pas hésité à se faire persécuteur. In fine, il adoptera la posture de la victime. Les auteurs du livre « Les gardiens de la raison » donnent comme exemple l’histoire de l’insecticide DDT. Le DDT était bel et bien visé par Rachel Carson et s’il a été interdit, disent les industriels dans leur avatar victimaire, c’est à cause de cette hystérique et de la jacquerie qu’elle a entraînée. Avec un résultat désastreux: les moustiques ont de nouveau proliféré et, avec eux, la malaria est revenue dont ils avaient délivré l’humanité. Telle quelle, l’histoire a le mérite d’être simple: un produit nous débarrassait des moustiques et, de ce fait, de la maladie redoutable qu’ils transmettaient. En raison d’une bouffée de délire propagée par une pseudo-scientifique que les politiques ont eu la naïveté ou la démagogie de suivre, l’usage de ce produit a été interdit. On n’a pas écouté ce que, la main sur le coeur, disaient les champions de l’industrie. Ce que l’on pouvait prévoir s’est produit. L’histoire est si claire quelle peut facilement emporter l’adhésion. Au surplus, nous allons le voir, cette narration du passé va bientôt introduire une narration de l’avenir.

 

Comme le disait le philosophe Jules Lagneau, « il faut penser difficilement les choses simples ». S’il convient de se méfier des histoires, c’est bien d’abord de celles qui justement sont un peu trop simples. La vérité sur le DDT est qu’il n’a pas été interdit pour ce qui est de la lutte contre les moustiques et la malaria, mais que la résistance biologique qu’il avait générée chez les insectes en avait considérablement diminué l’efficacité. Quant à son interdiction dans le domaine purement agricole, elle n’a pas résulté d’une agitation conduite par une irresponsable nommée Rachel Carson mais d’une demande de tout ce que les Etats-unis d’Amérique comptaient alors de scientifiques. 

 

Cette histoire n’est pas sans faire penser au débat actuel autour des glyphosates dont un jour on annonce l’interdiction et auxquels, un autre jour, on accorde un sursis. L’écriture du passé - « nous devons à la chimie industrielle l’abondance et la qualité actuelles de notre production agricole » - se complète là de la narration du futur que j’ai annoncée plus haut. Celle-ci prophétisera que les huit milliards d’être humains que nous sommes seront incapables de produire la quantité de nourriture dont ils ont besoin en dehors du modèle agricole que l’industrie a engendré. Abandonner ce modèle provoquera des famines mondiales (2). Quel politique, dès lors, prendra-t-il le risque de sortir des sentiers battus quand étudier l’information sur les autres modèles, largement étouffée, lui demanderait un trop grand investissement, et quand les gens qui peuvent l’approcher et le conseiller, qui tiennent le haut du pavé, sont exclusivement issus du milieu de la l’agro-chimie ? Au final, tant qu’à se tromper, ne vaudra-t-il pas mieux se tromper dans le respect des règles admises que dans leur transgression ?

 

La réécriture du passé en vue de contrôler l’avenir embrasse cependant beaucoup plus large que l’histoire d’un secteur économique. Elle atteint au niveau civilisationnel. Ce qui lui confère sa puissance est qu’elle entre en résonance avec ce que Jean-Claude Michéa, dans un livre éponyme, a appelé le « complexe d’Orphée ». « On ne conduit pas un véhicule en regardant dans le rétroviseur » disait déjà une maxime managériales des années 90, recourant à ces métaphores faciles qui interrompent toute réflexion. Le complexe d’Orphée, hérité de la Révolution de 1789, désigne l’interdiction de regarder en arrière. Qu’il s’agisse de techniques, de moeurs ou d’idéaux, ce qui est derrière nous n’est qu’obscurité et obscurantisme. Tout ce qui peut tourner le passé en dérision et l’effacer des mémoires est donc louable. On a là comme un écho de la décapitation de Louis XVI, de l’imposition du système métrique et du calendrier républicain. Le progrès est une marche - forcée, car les peuples ont besoin d’être conduits par une élite aussi éclairée qu’autoritaire - vers un avenir dont le critère principal est toujours davantage de technologies, d’artefacts - et ce, maintenant, jusqu’au sein même de notre corps. On comprend qu’il puisse y avoir une complicité au moins objective des milieux industriels et technologiques avec le transhumanisme. 

 

De la rationalité au rationalisme et aux rationalistes, il y a en effet tout un déploiement idéologique. L’on peut déceler une continuité depuis le « maître et possesseur de la nature » de Descartes et le mécanicisme de ses héritiers, continuité qui, passant par le parti pris de la supériorité des artefacts créés par le génie humain sur la complexité des phénomènes naturels, conduit à la technique comme repère et levier du progrès et jusqu’à l’élevage industriel comme modèle de gestion de la société. Tout cela étant rendu impitoyablement possible par la froideur surhumaine de l’intellect dominant la trop humaine sensibilité. Un indice de cette évolution est donné par la manière dont sont traités les pensionnaires des EHPAD dans le contexte de l’épidémie de covid. Non seulement on en a fait des citoyens de seconde zone en leur interdisant l’accès aux soins et aux hôpitaux, mais en outre on ne leur demande pas ce qu’ils préfèrent entre le risque d’être contaminés ou le sacrifice de leurs affections familiales et amicales. On leur impose le choix d’une bureaucratie « scientifique ». 

 

Il n’est pas de récits sans bardes ou prophètes qui les transmettent. Pour conclure, jetons un rapide coup d’oeil de leur côté. Pour simplifier, ils sont de trois ordres. Evidemment suspects de partialité, il y a ceux qui parlent directement au nom de l’industrie concernée. Quand le PDG d’une multinationale prend publiquement la parole, il se peut qu’il mente ou dise la vérité, mais on se doute qu’il n’exprimera rien qui puisse nuire à la compagnie qu’il dirige. Si ce n’est par loyauté, ce sera au moins pour protéger sa carrière et la valeur des actions dont on le rémunère. C’est pourquoi les représentants des compagnies laissent le plus souvent le récit à diffuser à deux catégories de porte-voix, naturellement sans liens visibles de subordination ou d’intérêt. Ce que révèle d’abord le livre « Les gardiens de la raison » est la multitude d’officines, en apparence scientifiques et indépendantes, telles ces « associations savantes » discrètement parrainées, qui semblent apporter un gage d’impartialité et de consensus sur des points sensibles alors qu’elles ne sont que des courroies de transmission du système. Activées au bon moment, elles vont assaillir le public d’une unanimité de fabrique et entraîner son consentement à la thèse que le système veut officialiser. Mais le plus intéressant, en termes de finesse stratégique, est la dernière catégorie. Celle-ci se compose des agences d’information qui fournissent aux journalistes non spécialisés de quoi assurer leur bla-bla quand, la veille pour le lendemain, leur rédaction leur demande d’aborder un sujet qui chauffe. Bien évidemment, ces agences ont elles aussi les atours de l’impartialité et de l’autorité dans leur domaine, elles n’ont qu’un rôle « technique », mais les informations et les éléments de langage qu’elles fournissent orientent évidemment les articles qu’elles nourriront. 

 

C’est ainsi que l’on ne peut plus s’étonner, sur un sujet qui émerge dans l’actualité, de trouver à peu près partout la même tonalité, les mêmes analyses et les mêmes conclusions. Ajoutez à cela que les grands médias français sont la propriété d’une poignée de milliardaires et vous avez de quoi comprendre pourquoi le conformisme des opinions est plus contagieux qu’un virus évadé d’un laboratoire. 

 

(1) Il est d’autant plus important de disqualifier le passé que les solutions qu’il propose ne coûtent rien et ne peuvent être marchandisées avec les perspective de gains astronomiques qu’impose la Bourse.

 

(2) Il est plausible que changer de modèle du jour au lendemain engendrerait une transition catastrophique. Mais ce qu’il est important de retenir est que, au contraire de ce qu’affirment les tenants de la chimie, d’autres modèles efficaces de production existent qui auraient en outre le mérite de ménager et reconstituer la vie des sols. 

11/10/2020

Résister, c’est penser

 

 

 

Certificat d’études en poche à l’âge de douze ans, Lucien, mon futur père, et un de ses cousins s’en allèrent louer leurs jeunes bras dans les fermes alentour. Ma grand-mère, veuve de guerre d’un journalier agricole, n’avait qu’un petit potager; la Vendée d’alors était loin de tout et son économie totalement paysanne. Ils trouvèrent du travail chez un « propriétaire ». Le contrat: logés sous une soupente, nourris à la table du maître et une paye à la mesure de leur âge. Cependant, Lucien se posa très vite des questions sur la pitance qui était servie le soir, bien maigre à vrai dire. Il aurait pu penser qu’en ces années d’après-guerre la vie était dure pour tout le monde et faire confiance à l’ordre des choses. Mais il avait un doute. Aujourd’hui, il serait qualifié de complotiste. Une nuit, il redescendit discrètement l’échelle qui menait à son grenier et lorgna par une fente des volets. Son doute fut levé: une fois les gamins censés dormir, les maîtres se remettaient à table. Son cousin serait peut-être resté, lui s’en alla sur le champ sans tirer sa révérence.


Je suis un peu le reflet, à ma manière, de ce morceau de vie. De par la posture prospective de mon métier mais aussi du fait des expériences que j’ai vécues, je suis habitué à remettre en question les histoires dominantes et à aller voir instinctivement au delà du halo que projète le réverbère. On ne fait pas de prospective en campant sur l’idée qu’à quelques degrés près demain sera comme aujourd’hui. On ne contribue pas au développement de l’humain si l’on se contente du récit qui fige les individus dans un rôle définitif. S'il devait en être ainsi, nos efforts seraient inutiles. Mais l’histoire, les histoires, qu’elles soient collectives ou personnelles, sont pleines de bifurcations que peu de gens ont vu venir. Les « ça c’est toujours passé comme cela » ou « je la connais, elle ne changera pas », ou encore « c’est un expert qui le dit », expressions péremptoires qui invitent certains à dormir, sont pour moi le signal de l’assaut. Les siècles abondent d’experts pontifiants qui se sont trompés, d’erreurs que l’on a mis des décennies et parfois des siècles à débusquer, d’individus qui ont brisé le moule dans lequel on les enfermait. Le mystère du futur est une semence dissimulée dans le présent. Peut-être, même, n’est-elle pas dissimulée et nous crèverait-elle les yeux si nous savions seulement les ouvrir.


Curiosité, audace et imagination


A une telle école, une des conséquences est que, systématiquement, on doute. Mais le doute n’est-il pas le pilier de la philosophie cartésienne ? Doutant, on descend l’échelle et on va regarder par la fente des volets, ou alors on prend sa lampe de poche et on va voir plus loin. « La vérité est ailleurs » proclamait une affiche dans le bureau de Thetruthisoutthere.jpegFox Mulder*. L’invraisemblable n’est jamais qu’un rapport à nos croyances sur les choses ou les êtres. Avant toute véritable avancée, il y a la reconnaissance de notre incommensurable ignorance, qui nous invite à l'école de la curiosité. C’est, dans le monde, la recherche des fameux signaux faibles et, chez l’autre, celle des « fines traces » d'une histoire préférée chères aux Approches narratives. C’est aussi et surtout peut-être une école de l’audace. Puisque j’essaye de percevoir les contours de ce que personne ne décrit, d’une réalité que personne ne garantit et qu’à la limite on nie ou travestit, si je veux avancer en compréhension je suis bien obligé de m’autoriser de moi-même. Enfin, c’est une école de l’imagination. En effet, quand en grande partie le paysage est noyé dans les brumes de l’incertitude, il s’agit de rapprocher des éléments qui émergent, éloignés les uns des autres, en apparence même étrangers entre eux, pour essayer de se le représenter. Toutes les combinaisons de signaux, certes, ne sont pas signifiantes, mais certaines - et pas les moins surprenantes - le sont. Comme le disait Napoléon Ier: « Il n’arrive que l’imprévu ».


La crise sanitaire


L’épidémie, sa proclamation, son administration, les effets collatéraux de celle-ci et surtout ses nombreuses zones d’ombre, proposent aux citoyens que nous sommes censés être une singulière matière à penser.


Oui, mais…


Quand nous nous étonnons de certains phénomènes sociaux, comme la crédulité des gens, leur docilité aux mesures les plus abracadabrantes ou la naïveté que traduisent les réponses à certains sondages, nous n’imaginons pas ce que représente pour beaucoup d’entre nous, qui ne sont pas « rodés » à le faire, la conduite d’une investigation au sein d’une société de divertissement surabondant. Concevoir l’idée qu’il peut exister des informations qui, pour n’être pas servies au 20-heures par des notables, méritent cependant au moins autant d’intérêt; les trouver, les comparer, prendre le temps nécessaire, se fier à sa jugeote et s’exposer au jugement d’autrui, tout cela peut paraître rebutant au possible. Pourtant, il ne manque pas de faits qui devraient susciter en nous l’urgence de le faire. Ne trouvez-vous pas extravagante cette opération qui, d’un médicament qui existe depuis soixante-dix ans et qui est administré continûment à des millions de personnes pour les protéger de la malaria, a fait une substance soudainement toxique ? Cela ne vous incite-t-il pas à vous interroger sur la nature cachée du monde dans laquelle nous sommes, du spectacle qu’il prétend nous donner ?


A défaut de conduire une réflexion déterminée, sans peur et sans vergogne, ce sont les réflexes conditionnés, le psittacisme, qui prennent le dessus sur la faculté de penser. Car il n’y a pas que l’estomac des chiens de Pavlov qui réagit au stimulus de la clochette, notre cerveau aussi peut devenir une machine digne des Temps Modernes de Chaplin. Que se passe-t-il quand la pensée démissionne ? Nous pouvons imaginer des « couches de sédimentations culturelles » superposées, comme des « applis » que nous activons paresseusement en fonction des situations à traiter. La plus profonde de ces couches sédimentaires - acquise dès les premiers jours d’école - énonce qu’il existe deux statuts: celui des sachants qui parlent et celui des non-sachants qui doivent, immobiles, muets, les écouter. Le verbe « écouter » en l’occurence est à entendre comme « se taire » et « obéir ». Des années plus tard, cela donne : « Face aux experts des médias et aux ministres de la République, tu fais partie de ceux qui n’ont pas l’intelligence nécessaire pour s’intéresser à la vérité, qui n’ont pas à réfléchir mais seulement à faire ce qu’on leur dit de faire ». Intériorisé, ce discours donnera par exemple: « Moi, je n’ai pas fait d’études de médecine, je n’ai pas fait l’ENA, je fais confiance à ceux qui savent ».


Et si les sachants ne sont pas d’accord entre eux ?


Et si les sachants ne sont pas d’accord entre eux ? Eh! bien, à condition évidemment que nous soyons conscients de leur différend, c’est là que par défaut peuvent s’intercaler des programmes de secours. Le choix de notre opinion dépendra de ceux que nous avons enregistrés au cours de notre vie. Par exemple, pour les uns, le plus grand nombre a forcément tort; pour les autres il a forcément raison. Pour les uns, ceux qui ont l’air marginaux sont forcément du bon côté; au contraire, pour les autres, ils ne peuvent être que du mauvais. Ou encore: quelqu’un qui ressemble au père ou à la mère, pour les uns ne pourra être que spécieux, pour les autres que fiable. Sans que nous nous fatiguions, ces mécanismes décideront ainsi pour nous. Cela rappelle que, pour certains de nos concitoyens, le choix de voter pour Emmanuel Macron se fit sur la rencontre d’une aspiration légitime à « autre chose » avec le style du gendre idéal. Nombre de femmes ont même voté pour lui par sympathie pour le jeune mari d’une épouse de leur âge. Ainsi, en l’absence d’un effort rationnel, l'on accorde ou non sa confiance sur la base de critères sans rapport avec le sujet. Un réchauffiste la donnera plus facilement à quelqu’un qui partage ses convictions climatiques qu’au professionnel plus compétent mais climato-sceptique avéré. Sur un sujet qui n’a pourtant rien de politique, on rejettera les avis scientifiques de celui qui - même s’il n’en fait pas partie - semble attirer les gens dont on honnit les idées. Faire l’impasse de la pensée, c’est exploiter des amalgames dénués de sens.


Malheur à qui sème le doute !


J’évoquais le doute. Le doute est le ferment de l’intelligence. Mais, vous l’aurez vraisemblablement remarqué, malheur à celui qui le sème ! Le doute est l’ennemi, tant pour un troupeau soucieux de préserver sa torpeur intellectuelle que pour ceux qui s’arrogent d’en être les bergers. Entre les deux, il y a malheureusement une forme de connivence.

Une des subtilités de mon métier a été d’offrir à des cadres une sorte d’école buissonnière au sein d’organisations où certains hommes de pouvoir, afin de les mener plus facilement, ne voulaient surtout pas de ce qu’ils brocardaient du terme de « tourisme intellectuel ». Notez bien qu’il ne s’agissait pas de remettre en question le fonctionnement du management. Il ne s’agissait que de prospective et d’explorer, sur le mode de l’intelligence collective, l’évolution des tendances qui, en nous et autour de nous, produisent la matrice de l’avenir. Heureusement, j’ose le dire, l’honnêteté de mon travail me faisait bénéficier de soutiens décisifs, mais j’ai dû jouer parfois très fin et n’ai pas toujours réussi à éviter une certaine forme de censure. C’est pourquoi, aujourd’hui, alors que - nous le ressentons tous, je le crois - les sociétés humaines sont à la croisée des chemins, je suis particulièrement sensible à des faits que l’instrumentalisation de l’épidémie a - dangereusement selon moi - multipliés. Je citerai des vidéos arbitrairement supprimées par les plateformes de réseaux dits sociaux, ou ce manifeste de 200 scientifiques interdit de publication - après avoir été accepté - par rien de moins que le JDD**. Je ne m’imaginais pas que ce genre de chose pût se produire dans mon pays et, pour moi, au delà de l’affront fait au peuple français, c’est un légitime motif d’inquiétude.


Une condition de la démocratie


Si un régime est démocratique, la phrase attribuée à Voltaire n'y souffre pas d’exception : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dîtes, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire ». Venant après les conférences qui furent annulées par peur d’ultra-minorités violentes, la censure des publications dessine dans notre pays l’alliance menaçante de deux phénomènes croissants: la volonté dominatrice des uns, la couardise des autres. Mais, quel que soit le contexte, que la parole y soit libre ou contrôlée, la démocratie n’est viable qu’avec des citoyens qui font l’effort de penser.


* Dans la série « X Files », à côté d’une autre affiche: « Le gouvernement nous ment ».

** https://covidinfos.net/covid19/censure-les-pr-toussaint-t...

 

07/06/2020

Coronavirus: un autre récit 

 

 

Exercice narratif

 

Il est faux de dire que les dieux sont cruels envers les hommes. Les dieux délivrent les humains de l’incertitude. Ils leur disent que croire, ce qu’est le monde et qui ils sont. Grâce à eux, la cruauté du doute est écartée. Les dieux disent aussi ce que, dans telle ou telle circonstance, il convient de faire, quand, comment, où, avec qui, et ainsi ils rassurent. Grâce à leur intervention, la condition des êtres potentiellement doués de compréhension est rendue supportable. Mais il arrive que les dieux se brouillent. Qu’ils se brouillent entre eux et que leur image se brouille. L’Olympe devient flou, l’image tremble, se dédouble comme sur un vieux téléviseur. C’est alors, pour les hommes, une grande épreuve.

 

Cela commença par Cassandre qui, toute agitée comme à son habitude, annonça un mal invisible qui avait commencé de se répandre, frappant ici et là. Une sorte d’hydre qui tuait. A l’entendre, depuis que l’humanité existe, il était le plus redoutable de tous les démons jamais lâchés sur cette planète. Il semblait qu’il dût infailliblement la conquérir et la débarrasser de l’espèce qui essaye de se tenir debout. Relayés ici et là, partout où il semblait que la bête se manifestât, les cris de la Troyenne finirent par être entendus. Mais l’on sait que Cassandre a toujours tort. L’un des dieux et non le moindre, balayant cette menace comme une mouche importune, de son nuage invita les hommes à refuser l’inquiétude et les enjoignit, au contraire, de poursuivre leurs réjouissances et leurs travaux. Ils l’entendirent, car il allait dans le sens de leurs penchants et de leurs habitudes. 

 

Mais cela tourna très vite au « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons! »

 

Sur l’Olympe, les dieux alors se réunirent et chacun y alla de son magistère et de sa vérité. D’en bas, les hommes, sidérés, atterrés, les regardaient gesticuler, se contredire, s’entre-maudire. Etait-il possible qu’il y eût plusieurs vérités - c’est-à-dire aucune ? Où donc était passée la fonction divine, mère de la science et des réponses claires ? La réalité une, unique, exclusive, le charisme qui permet de la faire partager, auraient-ils été dérobés à l’Olympe ? La seule chose que les hommes connurent pour certaine fut le nom de la créature diabolique: Coronavirus. L’un des attributs des dieux étant de nommer les choses et les êtres, apprendre cela ne fut ni une surprise ni vraiment une consolation. Mais enfin, si on la nommait, c’est qu’on la connaissait déjà un peu. On saurait donc quoi faire. Pour le reste, le lieu qui l’avait vu naître, les noces contre-nature qui l’avaient engendrée, cela resta scellé par le mystère qui règne presque toujours sur les origines et dont la révélation est réservée aux dieux. 

 

C’est à son contact le plus rapproché que l’on apprit un peu davantage de ce rejeton de l’enfer. Mais, là aussi, passées les premières évidences, la confusion revint. D’abord, il apparaissait et disparaissait. Visible au moment de l’agression, il s’évanouissait ensuite, comme dissous dans le corps de sa victime. Il s’en prenait, dit-on d’abord, aux poumons qu’il vérolait. Ah! non! Pas si simple. S’il s’en prenait à la fonction respiratoire, c’était plutôt - semblait-il - en affaiblissant le sang, véhicule de l’oxygène. Prodromes étranges: il faisait perdre le goût et l’odorat. Quand vous songez que le souffle est l’allégorie de l’esprit et de la vie, et que le goût et l’odorat évoquent les plaisirs de celle-ci, quel étrange signe ! Mais la vermine peut s’en prendre aussi aux reins, au système nerveux, au foie. En définitive, presque à tout. Il se pourrait également qu’avant de s’évanouir dans la nature, comme un mafioso qui va donner ses ordres aux tueurs à gage avant de s’esquiver, elle active une bactérie du microbiote, qui ferait le sale boulot. Elle s’en prend de préférence aux vieux, aux gros, aux diabétiques, aux cardio-vasculopathes. Elle épargne les jeunes et surtout les enfants. Encore que l’on compte aussi des cas mortels dans ces populations-là. Et même chez les maigres et en bonne santé. Elle se déplace dans l’air, se pose un peu partout, se communique par le contact, par le souffle, par certaines humeurs. 

 

Jaloux de Cassandre et ayant inhalé comme la Pythie de Delphes les vapeurs du prophétisme, l’un des dieux se mit à vaticiner. Il y aurait, prédit-il, des millions de morts. Un autre, d’un rang divinatoire apparemment inférieur, se récria et parla d’une folle exagération. L’Olympe, d’émotion, en retrouva une forme d’harmonie. Une exagération ? Comment oser un tel blasphème ! En vérité, la menace était terrible et malheur à celui qui la contesterait. Certains se frottaient les mains: il n’est de péril qui ne recèle son opportunité. Où les humains ont peur, il y a toujours quelque chose à glaner : gloire, argent ou pouvoir.

 

Cependant, au sein des tourments de cette triple transe, à la fois biologique, intellectuelle et métaphysique, des décisions furent prises. Quand on ne sait pas quoi penser, savoir quoi faire est une consolation. Et plus la peur est grande, plus on sera rassuré par des mesures extrêmes. Les dieux prirent la situation dans leur divine poigne. « Humains, vous revenez à votre souillure originelle qui fait de vous le véhicule de tous les maux. Votre contact est impur, l’air qui sort de votre gorge est impur. Vous pouvez tuer votre semblable rien qu’à l’approcher ou à lui parler. La flagellation est passée de mode, mais, comme jadis les femmes qui avaient leurs menstrues, cloitrez-vous et, si vous devez absolument sortir de vos gîtes, que ce soit furtivement et la face voilée! » 

 

Au début, les rites apaisent la peur. Ils donnent un sentiment de contrôle et de protection. Comme on trempait les doigts dans le bénitier en pénétrant dans une église, on se lave les mains en entrant dans les boutiques. Comme les femmes se couvraient la tête en présence du sacré, on se couvre le visage. Dans le pronaos (1) des files d’attente, on garde la distance prescrite par la géométrie sacrée. Dans un second temps, cependant, les rites finissent par exacerber la peur. Parce qu’à les répéter sans cesse, on s’imprègne jusqu’à l’intoxication du sentiment de l’omniprésence de la menace. Puis, on observe « l’autre »: fait-il ce qu’il faut pour me protéger ou se moque-t-il de risquer ma vie ? C’est ainsi que certains glissent dans l’obsession, deviennent puritains et bientôt chasseurs de sorcières. « Celui qui voit le Mal et ne le dénonce pas est complice du Mal ».   

 

De même qu’en de semblables circonstances le Moyen-Age multiplia les offices et les prières, la litanie du coronavirus, de son envahissement inexorable, du comptage de ses morts, fut psalmodiée à toute heure. « Il est toujours là, il est dangereux. Respectez les rites ! » De même que cette époque de ténèbres exigeait repentance, carêmes, jeûnes et privations propitiatoires, les dieux interdirent les fêtes, les retrouvailles, la fréquentation des bois, des mers et des montagnes. On fit aussi des sacrifices. Celui des vieillards, puisqu’ils étaient le plus susceptibles d’être contaminés. Comme on n’est plus à l’époque des bûchers, on se contenta de les mettre au jeûne affectif tant il est vrai que, pour passer plus léger de l’autre côté, il faut avoir appris à se défaire de tous les attachements. 

 

Quand, au terme de longs mois, un soleil bienveillant voulut reconnaître les sincères efforts des humains et annonça le retrait de la marée maléfique, ceux-ci se retrouvèrent comme des taupes chassées de leur trou à la lumière du jour. Clignant des yeux, ils se regardèrent, virent qu’ils n’étaient pas tous morts. Dans un immense soulagement, ils levèrent de nouveau leurs yeux vers l’Olympe et n’eurent que gratitude pour les dieux qui les avaient sauvés. 

 

(1) Espace précédent l’entrée dans le temple.