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13/01/2021

Les gardiens de la raison (3) Le récit

 

 

Je reprends le fil de cette chronique en trois parties que j’ai commencée ici: http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/... et poursuivie là: http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/... . En aparté, certains lecteurs m’ont dit qu’ils m‘avaient trouvé trop tendre avec les gens corrompus. Certes, si je ne suis pas allé jusqu’à cette extrémité où la corruption s’accompagne d’un véritable cynisme, je suis obligé de reconnaître que ces situations existent. Par exemple ce professeur de médecine de Nantes qui vient de reconnaître qu’il est l’auteur des menaces de mort adressées au patron de l’IHU de Marseille. A moins, bien sûr, que ce soit juste une coïncidence qu’il ait largement bénéficié des largesses de BigPharma au cours de ces dernières années. J’aurais pu évoquer d’autres cas, mais compte tenu d’une part du grand nombre de personnes impliquées dans les stratégies de désinformation et, d’autre part, persuadé, comme je l’ai écrit, que leur très grande majorité ne souhaite rien tant qu’être honnête, j’ai préféré montrer comment cette honnêteté peut être circonvenue et progressivement emberlificotée. Pour terminer ce survol, après avoir évoqué le réseau d’influence déployé par les industriels, puis le processus de corruption mis en oeuvre, j’en viens aux récits manipulatoires dont nos esprits sont abreuvés depuis des décennies.  

 

Ramenés à leur essence, les récits que développent les industriels pour se donner le beau rôle et s’adjuger le monopole de la vérité sont ceux d’un combat aussi simpliste que manichéen: celui de la rationalité contre l’irrationnel, de l’intellect contre l’émotivité, de la raison contre l’obscurantisme et, rejoignant certaines idéologies qui en ont fait leur fonds de commerce, celui de l’artefact contre le naturel. Reliant tout cela, on a un fil usé mais toujours efficace: celui du combat de l’avenir contre le passé (1). Cette trame de base permet de disqualifier les contestataires sans avoir à trop s’avancer sur le terrain des réalités.

 

Parmi les déclinaisons du récit, on peut parfois déceler une variante sexiste qui oppose le masculin solide et raisonnable au féminin sentimental et fragile. Lorsque, en 1962, la biologiste Rachel Carson publie « Le printemps silencieux » où elle constate la diminution impressionnante des populations d’oiseaux et met en accusation les pesticides, ce ne sont pas des arguments rigoureux qui vont lui être opposés mais une relativisation de son propos, qui la présente comme une amoureuse de la nature, trop sentimentale, trop sensible. Cette fragilité psychologique permet de jeter le doute sur la crédibilité scientifique de son travail. Dans la foulée, on s’en prendra à sa réputation personnelle, en en faisant une sorte de bisounours hystérique, puis en la qualifiant de fanatique. Au bout du bout, ce sera à la fois une probable communiste qui veut ruiner l’économie américaine et une réactionnaire dangereuse qui, pour protéger des volatiles en surnombre, rêve de ramener la société moderne aux âges des grandes épidémies, des maladies incurables et des famines meurtrières. 

 

George Orwell a écrit: « Qui contrôle le passé, contrôle le futur ». On ne sera donc pas étonné que l’on trouve dans les récits diffusés par les industriels une réécriture partiale des évènements. On aura une hagiographie officielle de leurs héros et, aux concurrents ou adversaires, on réservera, en attendant l’oubli, le persiflage ou la diabolisation. Par exemple, tout le monde connaît le nom de Louis Pasteur. Mais qui se souvient d’Antoine Béchamp ? D’une certaine manière, la gestion de l’actuelle « crise sanitaire » reflète ce biais de l’histoire de la santé. Vous aurez remarqué qu’a été absente de toute la communication officielle autour du covid la notion de prévention. Or, prévenir, c’est renforcer ce que Béchamp appelait le « terrain » et que nous nommons le « système immunitaire ». De nombreuses études ont montré que les malades les plus atteints par le covid étaient ceux qui présentaient un déficit en zinc et en vitamine D3. Mais Pasteur, dont je ne contesterai pas ici les mérites, a ouvert la voie à une industrialisation de la médecine devenue aujourd’hui prépondérante, celle qui se fonde non sur la prévention par le terrain mais sur la guerre à l’agresseur extérieur.  

 

La pièce qui se joue sous nos yeux à tout propos illustre les trois postures du triangle dramatique de Karpman. Le héros industriel se présente d’abord comme un sauveur. S’agissant de Rachel Carson, il n’a pas hésité à se faire persécuteur. In fine, il adoptera la posture de la victime. Les auteurs du livre « Les gardiens de la raison » donnent comme exemple l’histoire de l’insecticide DDT. Le DDT était bel et bien visé par Rachel Carson et s’il a été interdit, disent les industriels dans leur avatar victimaire, c’est à cause de cette hystérique et de la jacquerie qu’elle a entraînée. Avec un résultat désastreux: les moustiques ont de nouveau proliféré et, avec eux, la malaria est revenue dont ils avaient délivré l’humanité. Telle quelle, l’histoire a le mérite d’être simple: un produit nous débarrassait des moustiques et, de ce fait, de la maladie redoutable qu’ils transmettaient. En raison d’une bouffée de délire propagée par une pseudo-scientifique que les politiques ont eu la naïveté ou la démagogie de suivre, l’usage de ce produit a été interdit. On n’a pas écouté ce que, la main sur le coeur, disaient les champions de l’industrie. Ce que l’on pouvait prévoir s’est produit. L’histoire est si claire quelle peut facilement emporter l’adhésion. Au surplus, nous allons le voir, cette narration du passé va bientôt introduire une narration de l’avenir.

 

Comme le disait le philosophe Jules Lagneau, « il faut penser difficilement les choses simples ». S’il convient de se méfier des histoires, c’est bien d’abord de celles qui justement sont un peu trop simples. La vérité sur le DDT est qu’il n’a pas été interdit pour ce qui est de la lutte contre les moustiques et la malaria, mais que la résistance biologique qu’il avait générée chez les insectes en avait considérablement diminué l’efficacité. Quant à son interdiction dans le domaine purement agricole, elle n’a pas résulté d’une agitation conduite par une irresponsable nommée Rachel Carson mais d’une demande de tout ce que les Etats-unis d’Amérique comptaient alors de scientifiques. 

 

Cette histoire n’est pas sans faire penser au débat actuel autour des glyphosates dont un jour on annonce l’interdiction et auxquels, un autre jour, on accorde un sursis. L’écriture du passé - « nous devons à la chimie industrielle l’abondance et la qualité actuelles de notre production agricole » - se complète là de la narration du futur que j’ai annoncée plus haut. Celle-ci prophétisera que les huit milliards d’être humains que nous sommes seront incapables de produire la quantité de nourriture dont ils ont besoin en dehors du modèle agricole que l’industrie a engendré. Abandonner ce modèle provoquera des famines mondiales (2). Quel politique, dès lors, prendra-t-il le risque de sortir des sentiers battus quand étudier l’information sur les autres modèles, largement étouffée, lui demanderait un trop grand investissement, et quand les gens qui peuvent l’approcher et le conseiller, qui tiennent le haut du pavé, sont exclusivement issus du milieu de la l’agro-chimie ? Au final, tant qu’à se tromper, ne vaudra-t-il pas mieux se tromper dans le respect des règles admises que dans leur transgression ?

 

La réécriture du passé en vue de contrôler l’avenir embrasse cependant beaucoup plus large que l’histoire d’un secteur économique. Elle atteint au niveau civilisationnel. Ce qui lui confère sa puissance est qu’elle entre en résonance avec ce que Jean-Claude Michéa, dans un livre éponyme, a appelé le « complexe d’Orphée ». « On ne conduit pas un véhicule en regardant dans le rétroviseur » disait déjà une maxime managériales des années 90, recourant à ces métaphores faciles qui interrompent toute réflexion. Le complexe d’Orphée, hérité de la Révolution de 1789, désigne l’interdiction de regarder en arrière. Qu’il s’agisse de techniques, de moeurs ou d’idéaux, ce qui est derrière nous n’est qu’obscurité et obscurantisme. Tout ce qui peut tourner le passé en dérision et l’effacer des mémoires est donc louable. On a là comme un écho de la décapitation de Louis XVI, de l’imposition du système métrique et du calendrier républicain. Le progrès est une marche - forcée, car les peuples ont besoin d’être conduits par une élite aussi éclairée qu’autoritaire - vers un avenir dont le critère principal est toujours davantage de technologies, d’artefacts - et ce, maintenant, jusqu’au sein même de notre corps. On comprend qu’il puisse y avoir une complicité au moins objective des milieux industriels et technologiques avec le transhumanisme. 

 

De la rationalité au rationalisme et aux rationalistes, il y a en effet tout un déploiement idéologique. L’on peut déceler une continuité depuis le « maître et possesseur de la nature » de Descartes et le mécanicisme de ses héritiers, continuité qui, passant par le parti pris de la supériorité des artefacts créés par le génie humain sur la complexité des phénomènes naturels, conduit à la technique comme repère et levier du progrès et jusqu’à l’élevage industriel comme modèle de gestion de la société. Tout cela étant rendu impitoyablement possible par la froideur surhumaine de l’intellect dominant la trop humaine sensibilité. Un indice de cette évolution est donné par la manière dont sont traités les pensionnaires des EHPAD dans le contexte de l’épidémie de covid. Non seulement on en a fait des citoyens de seconde zone en leur interdisant l’accès aux soins et aux hôpitaux, mais en outre on ne leur demande pas ce qu’ils préfèrent entre le risque d’être contaminés ou le sacrifice de leurs affections familiales et amicales. On leur impose le choix d’une bureaucratie « scientifique ». 

 

Il n’est pas de récits sans bardes ou prophètes qui les transmettent. Pour conclure, jetons un rapide coup d’oeil de leur côté. Pour simplifier, ils sont de trois ordres. Evidemment suspects de partialité, il y a ceux qui parlent directement au nom de l’industrie concernée. Quand le PDG d’une multinationale prend publiquement la parole, il se peut qu’il mente ou dise la vérité, mais on se doute qu’il n’exprimera rien qui puisse nuire à la compagnie qu’il dirige. Si ce n’est par loyauté, ce sera au moins pour protéger sa carrière et la valeur des actions dont on le rémunère. C’est pourquoi les représentants des compagnies laissent le plus souvent le récit à diffuser à deux catégories de porte-voix, naturellement sans liens visibles de subordination ou d’intérêt. Ce que révèle d’abord le livre « Les gardiens de la raison » est la multitude d’officines, en apparence scientifiques et indépendantes, telles ces « associations savantes » discrètement parrainées, qui semblent apporter un gage d’impartialité et de consensus sur des points sensibles alors qu’elles ne sont que des courroies de transmission du système. Activées au bon moment, elles vont assaillir le public d’une unanimité de fabrique et entraîner son consentement à la thèse que le système veut officialiser. Mais le plus intéressant, en termes de finesse stratégique, est la dernière catégorie. Celle-ci se compose des agences d’information qui fournissent aux journalistes non spécialisés de quoi assurer leur bla-bla quand, la veille pour le lendemain, leur rédaction leur demande d’aborder un sujet qui chauffe. Bien évidemment, ces agences ont elles aussi les atours de l’impartialité et de l’autorité dans leur domaine, elles n’ont qu’un rôle « technique », mais les informations et les éléments de langage qu’elles fournissent orientent évidemment les articles qu’elles nourriront. 

 

C’est ainsi que l’on ne peut plus s’étonner, sur un sujet qui émerge dans l’actualité, de trouver à peu près partout la même tonalité, les mêmes analyses et les mêmes conclusions. Ajoutez à cela que les grands médias français sont la propriété d’une poignée de milliardaires et vous avez de quoi comprendre pourquoi le conformisme des opinions est plus contagieux qu’un virus évadé d’un laboratoire. 

 

(1) Il est d’autant plus important de disqualifier le passé que les solutions qu’il propose ne coûtent rien et ne peuvent être marchandisées avec les perspective de gains astronomiques qu’impose la Bourse.

 

(2) Il est plausible que changer de modèle du jour au lendemain engendrerait une transition catastrophique. Mais ce qu’il est important de retenir est que, au contraire de ce qu’affirment les tenants de la chimie, d’autres modèles efficaces de production existent qui auraient en outre le mérite de ménager et reconstituer la vie des sols. 

05/07/2014

De quelques sournoiseries

 

 

Un nouveau mot est en train de faire florès qui va dispenser de réfléchir: europhobe. Littéralement, un europhobe est quelqu’un qui a la phobie de l’Europe. Qu’est-ce qu’une phobie ? Une crainte, une répulsion de nature pathologique. Nous avons par exemple l’arachnophobie: la peur des araignées, l’herpétophobie: la peur des serpents, ou l’acrophobie: la peur des hauteurs. Les "europhobes" seraient donc des gens qui éprouvent une peur, une répulsion maladive à l’égard de l’Europe. Vous voyez la torsion que, sournoisement, ce néologisme impose à la réalité ? Les citoyens dont il est question - et dont je fais partie - s’élèvent contre la gouvernance actuelle de l’Europe, qui est tout sauf démocratique et centrée sur l’intérêt de notre continent. Cela ne veut aucunement dire qu’ils sont allergiques à toute forme d’Europe. Mais ce mot « europhobe » devient une étiquette signalant que l’on a affaire à un groupe de maniaques, à des caractériels. Leurs propos ne sont donc que des cris inarticulés qui ne reflètent aucune pensée. On ne converse pas avec de tels dingues. Encore un peu et le terme deviendra une injure, car l’usage que l’on fait en ce moment du suffixe « phobe » tend à remplacer la notion de peur par celle de haine. Au final, nous voilà avec des gens plus ou moins dérangés et, de surcroît, haineux.

 

L’étiquetage est une tactique pour dévaloriser l’opinion ou les propos de quelqu’un et, surtout, lui refuser tout approfondissement. C’est de l’ordre du « Circulez, il n’y a rien à voir ». Je me souviens d’avoir participé, il y a bien longtemps, à un panel d’usagers de la RATP. A un moment, j’ai cru utile d’évoquer le paradoxe que je venais de vivre. Alors qu’on parlait d’encourager le recours aux transports en commun, je fis remarquer que le parking adjacent à ma gare de banlieue, jusque là gratuit, était devenu payant. Alors, tant qu’à faire d’avoir pris la voiture, c’était un encouragement à rester au volant plutôt qu’à dépenser un peu plus pour prendre le RER. Le commentaire de l’animatrice est tombé comme le couteau de la guillotine: « Ah! mais, vous, vous êtes un usager multimodal! » OK, je sors.

 

Autre procédé manipulatoire: l’alternative réductrice. Elle consiste à vous enfermer entre le « pour » et le « contre », l'un des deux représentant évidemment une position haïssable. Vous êtes pour ou contre le progrès ? Vous êtes pour ou contre l’euthanasie ? Vous êtes pour ou contre le « bio » ? Vous êtes pour ou contre les juifs ? Vous êtes pour ou contre les gays ? Aucun espace pour clarifier les mille contenus du mot « progrès », les craintes que vous ressentez à l’idée de confier à une procédure le soin de régler les conditions de l’euthanasie, la définition sur laquelle il faudrait se mettre d’accord pour savoir de quoi on parle quand on parle de « bio », les perspectives de cruautés sans fin du conflit israelo-palestinien, ou encore ce que vous trouvez de perturbant dans l’idée de la GPA. Tout se ramène à: « Vous êtes pour ou contre nous ». Le débat est interdit et vous avez le choix d’être un mouton ou un salaud. C’est proprement totalitaire.  

 

Un autre artifice consiste à associer à un texte une image qui en modifie le sens. Hier ou avant-hier, j’ai vu un article dont le titre évoquait l’augmentation des violences familiales. Celui-ci était accompagné d’une illustration représentant un homme adulte, de dos, le poing serré, et devant lui, effondré contre un mur, un adolescent effrayé. Que vous suggère cet assemblage ? Que la violence familiale est physique et le fait des hommes. Ce qui va conforter une représentation courante. Or, que trouve-t-on dans les premières lignes de l’article ? Que les violences familiales les plus répandues sont d’ordre psychologique et majoritairement le fait des mères. En l’occurrence, l’intérêt de l’article, qui était d’évoquer un phénomène beaucoup moins spectaculaire que la violence physique, passe à la trappe. Sachant que bien des gens se contentent d’une lecture des titres et d’un coup d’oeil à l’image, je vous laisse à imaginer l’opinion et l’ignorance que ce biais a continué de favoriser.    

 

La ringardisation est aussi une pratique très appréciée des manipulateurs. Les promoteurs de l’hyper-concurrence en ont usé et et abusé en jouant sur les archétypes du dur et du mou. Vous savez, ces trucs dans le genre: « Vous êtes des mecs ? Des vrais mecs ? » Et le choeur des mâles de brailler d’une seule voix testostéroniquée: « Oui chef! » Lors d’une réunion « incentive » organisée par une entreprise américaine dans notre pays, on présenta une typologie des caractères. Selon celle-ci, les humains se répartissaient entre quatre catégories. Dans deux d’entre elles, on trouvait les personnes optimistes et naturellement tournées vers l’action. Dans les  deux autres, on avait celles qui versaient dans la réflexion et, allez savoir pourquoi! la mélancolie. Bien entendu, en bon cowboys, on brocarda ces dernières. En résumé: si vous n’êtes pas sanguin, extraverti ou je ne sais plus quoi, vous êtes nul, la Terre promise n’est pas pour vous. Indépendamment de l’inanité de cette caricature, le problème sous le problème est qu’elle sert à fabriquer de petits soldats pour qui réfléchir est le péché suprême et que l’on peut ainsi mener par le bout du nez. « Vous êtes des mecs ? Des vrais ? - Oui, chef! » Et de courir n'importe où! Dans ce même ordre de la ringardisation de ce qu'on veut tuer, je me souviens d’une improvisation théâtrale qu’on avait fait faire aux cadres d’une entreprise qui venait d’être rachetée. Il s’agissait d’imaginer et de jouer une saynète qui ridiculiserait les pratiques qui avaient été les leurs jusque là - donc, leurs références, leur histoire et d’une certaine manière leur identité - pour mettre en valeur celles qu’apportait le vainqueur.

 

Le discours du dur et du mou permet de s’attaquer à tout ce qui constitue un frein à la violence économique que l'on présente comme un tournoi offert aux seuls preux chevaliers qui en ont une paire sous la cotte de maille. Dans le viseur, on a évidemment ces béquilles pour handicapés, ces fanfreluches de gonzesse que sont les amortisseur sociaux. Vous imaginez Chuck Norris ou Arnold Schwarzenegger cotiser à la sécu de la magna turba ou émarger aux allocs avant de chevaucher vers OK Corral ? Davantage que les démonstrations économiques, ces railleries sur fond de mythes simplistes ont miné dans l’esprit d’un certain nombre d’entre nous les ambitions du Conseil National de la Résistance et les acquis dont Ken Loach nous a très opportunément rappelé l’histoire en Grande-Bretagne(1). Elles ont fait oublier que les combats les plus valeureux ne sont pas ceux des courtisans crédules et fascinés qu’aveuglent les promesses du Système. Plus grave, elles nous ont fait oublier qu’il faut nous méfier de notre naïveté. Regardez où en sont nos amis américains: si l’on écarte les mensonges statistiques, il faut être soi-même drogué pour ne pas voir que le discours de l’individualisme héroïque, de la grande loterie des places au soleil ouverte à tous est l’opium de ce peuple et ce dont il agonise aujourd’hui. Pour un qui tirera son épingle du jeu, pour une exception qui confirmera de temps en temps la règle, combien de millions vivotent maintenant autour du seuil de pauvreté ? 

 

Une des sournoiseries les plus efficaces du Système est de nous suggérer le mythe de la réussite qui lui permettra d’avoir barre sur nous. Je me souviens du pathétique Gérard Jugnot(2), avant un entretien d’embauche, qui se répète devant le miroir des toilettes: « I am a killer! I am a killer! Je suis un tueur! » Même si vous n’avez pas vu le film, vous imaginez la suite. Pour rester dans le domaine du cinéma, une excellente mise en scène de cette manipulation est proposée par le film de Pierre Granier-Deferre: « Une étrange affaire » (1981). Michel Piccoli y incarne tout le charme cynique de ce que j’appelle le Système et dont le naïf Gérard Lanvin sera la victime. Souvenons-nous que, pour glorifier le courage des gladiateurs, l'empereur reste néanmoins dans les tribunes.

 

(1) L’esprit des 45, film (2013).

 

(2) Une époque formidable (1991). 

16/10/2010

Le Prince m'a dit...

 

Cette note figure désormais dans le recueil

Les ombres de la caverne

Editions Hermann, juillet 2011