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10/11/2018

Careershifters ou l’alchimie des bifurcations

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Au moment où je réfléchissais à l’article que j’avais envie d’écrire sur les bifurcations de nos vies et alors que je me demandais comment aborder le sujet, j’ai reçu d’un ami un SMS assez laconique m’annonçant qu’il quittait la grande entreprise où il travaillait depuis une quinzaine d’années. Je me suis aussitôt demandé ce qui avait pu se produire. Car, bien sûr, vous serez d’accord avec moi, on ne quitte pas une place bien au chaud, dans une société renommée avec au surplus une convention collective avantageuse, sans qu’il se soit produit quelque évènement néfaste. Dans notre vision des choses, marquée par l’importance du paramètre « sécurité », on n’abandonne une telle situation que contraint et forcé. Qu’avait-il donc pu se passer ? D’autres histoires de vie me vinrent à l’esprit. Celle, par exemple, de Julien. La quarantaine, Julien avait un petit poste de commercial et croyait s’être adapté à la vie en entreprise. Mais voilà qu’un changement de hiérarchique vint perturber les équilibres qu’il avait patiemment ajustés. Sous un regard extérieur que, d’emblée, il sentit critique ré-émergea l’inadapté qu’au fond de lui-même il n’avait pas cessé d’être. Cela ne pouvait pas améliorer ses performances. Vous imaginez la suite.

 

Sécurité, stimulation, identité

Je souscris à la théorie d’Ardley, selon laquelle nous avons trois besoins psychologiques fondamentaux: de sécurité, de stimulation et d’identité. Leur intensité, leur hiérarchisation et la manière dont nous choisissons de les satisfaire sont propres à chacun d’entre nous. En outre, ils fonctionnent en système et ce système évolue au cours de notre vie. En supputant d’emblée que le départ de mon ami pouvait résulter d’une situation conflictuelle, j’ai fait l’impasse sur l’insatisfaction possible de ses besoins de stimulation et d’identité. Peut-être, au terme d’une quinzaine d’années de la même activité, au même endroit, dans le même milieu, avec la perspective d’un avenir à l’identique, avait-il besoin de nouvelles aventures ? Peut-être a-t-il ressenti le poids du moule dont à la longue toute organisation finit par enserrer notre être authentique ?

 

Émergence intérieure

Peut-être, encore, s’agissait-il d’une émergence intérieure, portant une aspiration à s’accomplir différemment ? C’est un sujet que je trouve passionnant et sur lequel je reviendrai un jour. En résumé, ce que nous réalisons au fil des jours dans le monde extérieur nourrit un processus intérieur d’évolution qui peut se comparer à une succession de cycles. Quand un cycle est bouclé et que le moteur d’hier cède la place à une nouvelle impulsion, nous sommes invités à vivre une nouvelle vie. Au sein d’une seule existence, nous pouvons être ainsi invités plusieurs fois. Certains s’en réjouissent, d’autres ressentent une sorte de malaise. Notamment, pour embrasser une nouvelle vie, ils peuvent avoir l’impression de devoir trahir quelque chose.

Libraire aux Sables d’Olonne, à cinquante ans Corinne est devenue maraîchère. Son commerce se portait bien. Pour ses clients et par passion, elle organisait de nombreuses conférences afin d’éveiller et de développer l’intérêt pour le bien-être, le bien-vivre, les comportements écologiques. Et voilà qu’elle vend son affaire, achète trois hectares et demi de terres aux abords d’un village, et se met à la production de légumes. J’ai entendu parler d’elle dans un restaurant de la région qui accompagnait un excellent plat de vives d’une palette inattendue de carottes: noires, oranges, rouges, jaunes… Le patron raconta qu’il les achetait à Grosbreuil, à une vingtaine de kilomètres de là, et prononça le mot « permaculture ». Un tour sur Internet et, grâce à Demain Vendée (1), j’eus tôt fait de connaître l’histoire de Corinne. En résumé: « Je me suis dit qu’un jour, je ne devais plus me contenter de prêcher la bonne parole mais, moi aussi, passer à l’acte » (2).

 

Désir, freins, hasard

Dans toutes nos bifurcations, on peut discerner le jeu entre désir, freins et hasard. Nous avons le moteur du désir, qu’il nous faut parfois aller reconnaître, enseveli qu’il a pu être peu à peu sous nos adaptations successives. Mais nous avons aussi nos freins et ils sont de nature multiple. J’ai cité en passant le puissant anesthésique des frustrations qu’est le besoin de sécurité. L’image que nous nous faisons de la réussite mérite également d’être de temps en temps révisée. Elle a pu nous stimuler, mais il arrive aussi qu’en nous coupant de notre authenticité elle contrarie le processus d’émergences intérieures que j’évoquais et retienne notre évolution. Par exemple: devenir paysanne, pour une libraire qui a pignon sur rue, est-ce bien sérieux ? Et quitter une entreprise renommée, renoncer à une bonne paie ? Autour de nous, les gens eux-mêmes, en manifestant leur étonnement - « Comment ? tu n’aimes plus ton métier ? Tu ne te plais pas ici ? » - nous montrent un autre frein: celui du milieu social tel qu’il s’exprime dans le regard des autres et dans ce qu’ils considèrent comme raisonnable ou déraisonnable.

 

Contraintes et ressources

Nous pourrions parfois rester englués dans ce mish-mash tiédasse de confort et de frustrations. C’est là qu’intervient le pourvoyeur de contraintes et de ressources qu’est le hasard. Le hasard, c’est le chien fou qui déboule dans notre jeu de quille plus ou moins bien disposé. Ce sera un changement de manager qui rend insupportable une situation laborieusement conquise. Ce sera une réorganisation accroissant des pesanteurs qui prennent le dessus sur le bonheur que nous tirions encore de notre métier. Ce sera un infléchissement de la culture de l’entreprise qui nous met en porte-à-faux avec nos propres valeurs. Plus dramatiquement, ce pourra être un licenciement ou une faillite qui nous placent carrément dans la situation de sauter dans le vide. Mais le chien dans le jeu de quilles sera aussi l’offre inattendue qui réveille soudain notre envie d’aventure, ou une rencontre qui, en nous apportant des éclairages, des idées, un nouveau réseau de relations, bouscule nos croyances quant à ce qui est possible ou impossible. Le hasard, quel que soit le jugement que nous portons sur lui dans le moment, peut ainsi nous ouvrir à d’autres rêves, à d’autres ambitions.

 

Effet Pygmalion

Ma vie personnelle a bifurqué à plusieurs reprises, mais le changement le plus radical a eu en amont celui du regard que je portais sur moi-même. A trente ans, l’autodidacte que j’étais, qui avait quasiment fui le lycée avant le bac, n’avait jamais vécu hors de sa sous-préfecture natale et était aux abois dans sa situation professionnelle, ne s’imaginait pas qu’il serait un jour - et avec bonheur - chargé de la formation des dirigeants au siège d’une organisation de premier plan. Il y fallut un choc d’ordre émotionnel - une énorme trouille - et un expert qui posa sur moi le regard du sculpteur chypriote. J’entends encore Suzanne Privat, graphologue à Toulouse, me dire : « Vous auriez pu faire Bac + 5 ». Je l’ai crue et, pour un an, je suis revenu littéralement à l’école (3). On a dit que le principal obstacle au développement de la science n’est pas l’ignorance mais la conviction de savoir. En ce qui concerne la connaissance de soi, de par mon expérience personnelle je puis affirmer que c’est tout aussi vrai. Ce que nous ignorons de nous, quand nous croyons bien nous connaître, peut être extraordinaire.


Créer plutôt qu’attendre !

Certes, il y a des cas où nous ne demandons rien, où nous sommes satisfaits de notre jeu de quille et où nous maudissons le chien. Pour Julien comme pour d’autres, le renversement - dont il se serait bien passé - de ses équilibres précaires a été cependant l’occasion de s’intéresser de plus près à lui-même. Et qu’a-t-il découvert ? Que, paradoxalement, l’effort d’adaptation que lui demandaient des situations ordinaires pour d’autres, résultait d’un excès de puissance cérébrale ! Au terme des tests qu’il a passés, Julien relève en effet d’une catégorie d’HPI (4) méconnue. Sa difficulté à s’adapter provenait en partie de cette méconnaissance de lui-même et du préjugé populaire que plus les gens sont intelligents plus « c’est facile » pour eux.

Julien aurait pu tout aussi bien découvrir une aspiration authentique à être artiste-photographe, maraîcher ou hospitalier, ou que son intelligence préférée (5) n’était pas celle que la pression sociale lui avait fait privilégier. L’essentiel est, pour lui comme pour nous tous, de se rapprocher de la vérité de notre être pour lui offrir les conditions de l’épanouissement et du bonheur.

Le parcours Constellations, dont j’ai déjà parlé ici, propose un cheminement à ceux qui veulent moins subir et davantage piloter, moins attendre que créer. Et, si les circonstances sont telles, moins souffrir que surmonter.

 

Claire, Fabian, Félix, Myriam, Nassim, Romain

Claire, Fabian, Félix, Myriam, Nassim, Romain, les six personnages de Constellations qui servent de support à la réflexion de nos participants, sont autant de reflets de nos comportements. Les situations qu’ils vivent sont un panorama de nos quilles renversées par un chien fou. De tous les parcours dont je suis l’auteur, Constellations occupe une place à part. J’ai mis plus de deux ans à le ciseler. Il est pour moi une manière de partager l’aventure de la vie telle que je l’ai peu à peu découverte. Mais, ainsi que l’a écrit fort justement le philosophe Alain: « L’expérience des vieillards est comme les soleils d’hiver qui éclairent et ne réchauffent pas ». Alors, Constellations propose non pas un enseignement mais une démarche heuristique pour favoriser vos émergences intérieures. A chacun d’y discerner son chemin. Parmi les étoiles.


(1) https://demain-vendee.fr/
(2) https://demain-vendee.fr/reportages/les-jardins-de-corinn...
(3) Ecole de Perfectionnement au Commerce et à la Gestion. Une des années les plus agréables de ma vie.
(4) Haut potentiel intellectuel.
(5) Cf. Howard Gardner, Les intelligences multiples, Retz.