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04/09/2020

La crise du Covid 19: une opportunité ?

 

 

 

On sait que le thème des bifurcations de vie m’est cher. Je lui ai consacré plusieurs conférences. A cela une raison très simple : au cours de mon existence, j’ai fait plusieurs fois l’expérience des bifurcations, que ce fût celles auxquelles j’aspirais et qui ne se produisaient pas, celles qui me tombaient dessus sans que je les eusse souhaitées ou encore celles que j’avais voulues et qui généraient des effets collatéraux inattendus. Comme j’ai toujours eu un ardent désir de comprendre, j’ai scruté les processus à l’œuvre et, plus particulièrement, les mécanismes d’un clinamen qui, à une période particulièrement difficile de ma vie, m’a procuré un nouveau départ salvateur.

 

Il manquait à mon expérience celle d’un évènement qui implique l’ensemble de la société et vienne interférer avec les trajectoires personnelles. Ainsi furent entre autres pour nos parents et nos grands-parents les deux guerres mondiales. En ce qui me concerne, le deuxième de ces conflits eut pour effet de retarder de cinq ans l’union de mes parents. Ils avaient projeté de se marier en septembre 39: étant militaire de carrière, au lieu de se rendre à l’église mon père s’est retrouvé au front puis, à la suite de la débâcle, prisonnier de guerre jusqu’à la Libération. Sans cela, j’aurais pu naître au début des années 40. Mais aurait-ce été moi ?

 

Avec l’épidémie de covid et les mesures de sécurité sanitaire prises par nos gouvernements, nous faisons l’expérience d’une telle interférence. Débouchera-t-elle sur une bifurcation collective majeure, cela reste à voir. Les aspirations dans ce sens ne manquent pas, mais les forces de rappel sont puissantes et cette bifurcation-là pourrait ne pas être celle que l’on imagine. Certes, cette interférence n’est pas celle d’une guerre, néanmoins elle est de niveau historique car ce que nous vivons depuis le début de l’année n’avait encore jamais été vécu et nous sommes amenés à nous poser des questions de tous ordres, depuis les puissances véritables qui organisent notre monde jusqu’à la meilleure façon de vivre notre vie. Ce qui paraissait impossible au point de n’avoir même pas été pensé a fait irruption dans le champ des possibles: je veux parler d’une épidémie qui entraîne des mesures de protection liberticides dont on peut craindre qu’elles soient durables et récurrentes. Parallèlement, le dernier rempart de la confiance, l’autorité que l’on accordait jusque là aux scientifiques, a été miné par leurs dissensions parfois hystériques et le dévoilement de mécanismes douteux. Ce sont des piliers de notre représentation du monde qui ont ainsi été ébranlés. Les tempêtes pourront s’apaiser, mais que ce soit dans notre vie matérielle, relationnelle ou intérieure, nous ne retrouverons pas notre monde d’avant: il s’agit donc bien d’une bifurcation.

 

L’ébranlement de nos habitudes et de nos croyances engendre de nouveaux possibles, sous la forme d’abord de questions que nous nous posons, puis d’aspirations qui apparaissent ou s’affirment, et enfin d’esquisses d’action. J’ai lu par exemple que neuf cadres sur dix envisageraient de s’éloigner de Paris et de le région francilienne, une partie d’entre eux ayant déjà entamé des investigations. Si les aspirations mentionnées n’ont rien de vraiment nouveau - diminuer le stress et le coût du logement, protéger la vie personnelle et familiale - nul doute que l’épidémie de coronavirus et la politique de sécurité sanitaire des pouvoirs publics ont stimulé ce mûrissement. D’une part, alors que les grandes pandémies, comme celle de la grippe espagnole de 1918, semblaient à jamais loin de nous, l’apparition de cet étrange Covid, restée mystérieuse, fait que nous n’avons plus la conviction d’être protégés par le progrès. Pour un peu, ce serait même le progrès qui nous menacerait. D’autre part, nous avons vu la différence entre vivre les contraintes de cette politique à Paris et en Ile de France et les vivre loin des grandes conurbations. Ajoutez à cela le sentiment d’un paysage urbain de plus en plus à la dérive et d’un ensauvagement irrépressible de la société: si une goutte d’eau peut faire déborder le vase, que dire d’une averse ! L’avenir nous dira l’étendue et la profondeur des transformations sociales en germination, mais, vous l’aurez peut-être perçu en me lisant, alors que la course de nos sociétés est de plus en plus malsaine, le choc de la crise sanitaire peut éveiller en nous l’énergie de changer le récit de notre vie personnelle et collective.

 

Vous connaissez les trois réactions à une menace: le combat, la fuite ou la tétanie. Il peut y avoir du bon dans la fuite. La peur peut donner l’impulsion que ne suscitent pas les ruminations. Tout le monde connaît l’apologue de la grenouille jetée vivante dans une marmite remplie d’eau : dépensant son énergie à s’adapter à l’élévation insensible de la température, elle finit cuite. Ne nous arrive-t-il pas d’être cette grenouille ? Non seulement quel gâchis mais quel risque courrons-nous à nous enterrer dans des lieux que nous n’aimons plus, où nous ne nous sentons plus en sécurité et où les contraintes sanitaires revêtent un caractère rapidement insupportable ? Quel gâchis et quel risque courrons-nous à sacrifier à la sécurité d’un emploi, d’une activité plus ou moins intéressante, ce que nous pourrions mettre de bonheur supplémentaire dans notre vie ? Bien sûr, nous avons des besoins légitimes, des besoins fondamentaux avec lesquels compter, mais Manfred Max-Neef a montré qu’il y a bien plus de manières de les satisfaire que nous ne le pensons habituellement. Bien souvent, la tétanie qui s’empare de nous face à la perspective d’un changement tient à une forme d’aveuglement: un manque de connaissance de nous-même et de l’éventail des bonheurs différents dont nous sommes capables.

 

Il y a ce que l’on apprend à l’école et il y a les devoirs que la vie nous donne à faire sans nous avoir préalablement délivré les leçons. C’est pourquoi il nous arrive de tourner en rond dans des situations pourtant malsaines. Je sais de quoi je parle pour avoir jadis erré moi-même, et longuement, dans une pareille situation. C’est même cette expérience et la manière dont j’ai réussi à m’en libérer qui m’ont motivé à développer le parcours que j’ai baptisé Constellations. La crise sanitaire et sa gestion par les pouvoirs publics constitue, je le crois, la matière d’un de ces devoirs que la vie pose sur notre pupitre d'éternels écoliers.

 

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