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12/09/2020

L’enfance d’un chef (1)

 

 


- Ton chat, il est moche et il pue !

En rentrant de l’école avec ses copains et comme il arrivait devant chez lui, Nico était allé chercher le tout jeune chat que sa famille avait recueilli et, aussi fier qu’attendri, serrant contre lui cette petite vie chaude et douce, il le leur avait montré. C’était un chaton au ventre blanc comme la neige, au dos parcouru de rayures grises aux nuances diverses. Il avait regardé les gamins de ses grands yeux d’un vert très pâle et avait émis un petit miaulement. 

- Il s’appelle Titou.

Quel démon était-il entré en eux à ce moment-là ? Toujours est-il que même Dédé, le premier des copains de Nico et le plus fidèle, s’était joint aux moqueries.

- Ton chat, il est moche et il pue !

- Et il est crétin !

Cette réaction inattendue avait pétrifié Nico d’incompréhension. Titou, si mignon, si vif et qu’il aimait tant, moche, puant et crétin ? Sa gorge s’était nouée, ses lèvres s’étaient mises à trembler. Jaillissant de ses yeux, les larmes avaient derechef ajouté l’humiliation à la peine. Ne pouvant articuler un mot, le chaton serré contre sa poitrine, il était rentré chez lui en courant, manquant trébucher sur le seuil, pendant que dans son dos les autres continuaient de ricaner et en rajoutaient.

 

Le soir, dans son lit, Nico ne sut pas qui il détestait le plus, de ses copains qui l’avaient trahi, du chat qui avait révélé cette faiblesse en lui, que les autres avaient su exploiter - ou de lui-même, le vrai crétin. Une chose lui sembla sûre: sa sensibilité était en cause. Traversé de colères, il passa une nuit fiévreuse à se demander comment il allait affronter le retour en classe le lendemain matin.

 

Des histoires comme celle-là, qui n’en aurait pas à raconter ? Dans le milieu scolaire, dès les petites classes, quand on ne trouve pas à se moquer de la personne d’un gamin - de ses cheveux poil-de-carotte, de ses oreilles décollées, de ses lunettes précoces, de son accent, de son nom… - on vise quelqu’un ou quelque chose qui lui est cher, qui participe de son intimité émotionnelle. Ce peut être le père qui boite, la mère qui est grosse, la petite soeur qui n’est pas normale, un vêtement hors de mode, un objet insolite… Quand on cherche, on n’a très vite que l’embarras du choix. Et l’on sait qu’à tous les coups, en touchant une telle cible, on fera mal et s'adjugera ainsi un sentiment de supériorité.

 

Pourquoi raconté-je cette histoire que quelques-uns auront peut-être trouvée nian-nian? Parce que, sous une forme apparemment édulcorée, elle recèle la racine de bien des maux de notre société : en résumé, le ressentiment à l’égard de soi et des autres.

 

Comment cette expérience va-t-elle influencer l’évolution du petit Nico ?

 

Va-t-il prendre en horreur ce qui peut l’émouvoir, parce que révélateur en lui de ce que, en quelques secondes, on lui a fait vivre comme une faiblesse ? Va-t-il, dès lors, s’envelopper de cuirasses ?

Va-t-il n’avoir de cesse que d’anticiper les agressions et devenir lui-même, comme par principe, agressif ?

Afin de ne plus connaître ce genre de stupeur, va-t-il cultiver un qui-vive névrotique face à ses semblables ?

Va-t-il courir après le pouvoir ?

Va-t-il devenir incapable de se connecter au plus profond de lui-même, de nouer des relations fécondes, de s’épanouir, d’être heureux ?

 

Je risque d’avoir là-dessus deux sortes de commentaires:

- Tu pourrais être positif et imaginer ce que transformer cette épreuve va apporter d’évolution à Nico !

- Tu ne voudrais pas qu’il reste un bisounours ? Ce serait le meilleur moyen qu'il rate sa vie !

 

La question qu’in fine je pose est la suivante:

- Qu’est-ce qui, dans le processus d’évolution de Nico, fera la différence ?

 

(1) Titre emprunté à une nouvelle de Jean-Paul Sartre.