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31/08/2023

Le droit des générations futures

Quand on évoque le droit des générations futures, on fait le plus souvent référence à leur droit de vivre sur une planète qui n’aura pas été complètement polluée, enlaidie et appauvrie par les générations qui les auront précédées. Une planète saine, encore riche de ressources, de beauté, de vie animale et végétale. Bref, le discours autour du droit des générations futures, comme en témoigne par exemple la prochaine table ronde de Futuribles International*, est essentiellement environnementaliste ou écologique. On ne peut que s’en féliciter, à condition de ne pas écarter de l’héritage à transmettre des éléments tout autant essentiels. 

 

Le premier de ces éléments est une forme de société dans laquelle on puisse vivre une vie d’humain. Avec l’apparition de l’homme, il y a l’émergence d’une qualité extraordinaire: la capacité créatrice. Elle est la caractéristique de notre espèce et son exercice est un élément de son épanouissement et du bonheur qu’elle peut connaître. Or cette capacité est inséparable de la liberté. Il s’agit donc que le sauvetage de la Terre belle et habitable que nous entendons remettre à nos descendants n’ait pas entre temps fourni le prétexte d’une gestion totalitaire de nos vies, appuyée sur le numérique et l’intelligence artificielle. 

 

Or, la mise en oeuvre d’une gestion industrielle du « parc humain » comme le dirait Sloterdijk, semble bien se préparer. Au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, s’accélère une dérive vers la surveillance permanente des comportements, vers des programmes sanitaires (et un jour alimentaire) autoritaires, vers le crédit social à la chinoise. Je n’ai ni le temps ni l’envie de donner ici les informations dont la convergence corrobore ce possible scénario - j’ai en cours l’écriture d’un essai qui y consacre un chapitre - mais l’abattage forcené des bovins en même temps que la promotion des insectes dans l’alimentation humaine, la contrainte du tout-électrique en même temps que l’insuffisance inéluctable à terme de la production de cette énergie, les « villes 15 minutes » dont les autorisations de sortie d’une heure ont donné l’avant-goût, la censure sans complexe des pensées divergentes au nom des vérités officielles, la multiplication actuelle des faillites des petites entreprises et la mainmise du capital sur les circuits alimentaires et des chaînes internationales sur le commerce de proximité, tout cela et plus encore dessine un itinéraire qui peut nous conduire à un cauchemar soviétique modernisé. Le problème, ici, n’est pas que ces « solutions » aient pu être imaginées. Elles ne pourraient être que des idées tirées d’un roman dystopique. Le problème est qu’elles proviennent d’une sorte d’élite mondiale qui, grâce sa puissance financière et à la clientélisation des dirigeants politiques qu’elle a organisée, a aujourd’hui la capacité de les mettre en oeuvre et de les conduire jusqu’au bout.

 

Or, si l’humanité perdure, elle aura besoin de sa capacité créatrice. Comme le montre l’histoire, si les sociétés subsistent grâce à un minimum de conformisme de ceux qui les composent, elles ne surmontent de nouveaux défis que grâce aux non-conformistes capable de faire des événements des analyses différentes et, en conséquence, face à des problèmes complètement nouveaux, d’imaginer des solutions nouvelles. Ces divergents appartiennent assez rarement aux castes qui détiennent le pouvoir, aux courants de pensée qui font consensus. A titre d’illustration, je vous invite à accorder quelques secondes à  la question du réchauffement climatique. Il se peut que nous vivions l’amorce d’un réchauffement qui mette la résilience de notre civilisation à l’épreuve. Mais, compte tenu de ce que nous apprend l’histoire du climat**, doit-on comme le GIEC tout mettre sur le compte du CO2 et d’une origine anthropique de son accroissement ? A des périodes où l’activité humaine ne peut en aucune manière être incriminée, la Terre a connu de grands réchauffements. Autorisons nous à faire l’hypothèse que, si nous connaissons en effet le début d’un réchauffement de cette ampleur, l’homme n’y soit pour rien et que la cause en échappe à notre pouvoir. Etre obsédé par la traque du CO2 va nous affaiblir tout en nous détournant d’imaginer comment nous adapter à l’inéluctable. C’est tout simplement suicidaire. 

 

Il ne faut donc pas se contenter de léguer à nos générations futures une planète écologiquement en bon état. Il faut aussi leur laisser des institutions suffisamment protectrices de leur liberté pour que vivre une vie humaine soit préférable à vivre celle d’un animal en batterie, et que l’humanité conserve le principal ressort de sa résilience. 

 

Si nous voulons une humanité debout et résiliente, il y a d’autres poisons que ceux qui nuisent à la planète et il nous faut nous abstenir de les léguer aux générations futures. Bien que nous en ayons été harcelés, nous ne devons pas transmettre la honte d’être nous-mêmes associée à la drogue délétère de la « repentance ». L’une et l’autre tuent l’âme. Le wokisme, la cancel culture, constituent la pire des pandémies que l’on puisse imaginer. C’est une peste intellectuelle et spirituelle. Tout au contraire, à l’héritage d’une planète saine, il nous faut ajouter l’histoire, notre histoire, une belle histoire enluminée de récits héroïques et des monuments de toute sorte qui parsèment notre territoire et notre culture. Comme l’a dit Alain Foka: « Nul n'a le droit d'effacer une page de l'histoire d'un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme. »  C’est pourtant ce que l’on nous propose sous le motif de rendre la justice. Mais songeons justement aux malheureux Aborigènes d’Australie: la déculturation imposée par les colons fut un succès total. Afin d’assurer l’impossibilité de nouvelles révoltes, il fut décidé de tuer l’âme de leurs peuples: les enfants qui avaient survécu au génocide furent placés dans des familles où toute transmission de leur culture était impossible. Au bout de quelques générations, le résultat fut si désastreux - violences, addictions diverses, incestes, etc. - que le gouvernement australien fit appel à un psychothérapeute, Michael White. Celui-ci parvint à la conclusion que la déculturation, l’absence de mythes et de récit collectifs, du sentiment d’appartenance à une lignée, les avait comme privés de colonne vertébrale et jetés dans le vide. Le wokisme est une sorte de colonisation du même genre, dont nous sommes les nouveaux aborigènes. Comme l’a écrit Kant, « la colombe pourrait croire qu’elle volerait encore mieux dans le vide ». Mais si l’on supprime l’air, la colombe, privée de sustentation, tombera.

 

Enfin, il y a ces choses que l’on peut prêcher, mais que l’on ne peut transmettre qu’à la condition de les incarner. Je voudrais, pour conclure, évoquer celles qui me paraissent les plus fondamentales. 

 

La gestion de la « crise sanitaire » a été sur une très grande échelle un test de notre aptitude à la démocratie. Je ne porterai pas de jugement sur les comportements qu’elle a suscités au sein des masses concernées, mais il en ressort que nous avons beaucoup à apprendre. Une majorité d’entre nous a été victime de ce que Noam Chomsky a appelé la fabrique du consentement. Lui-même, en cette occasion, malgré ce qu’il en savait, a vu sa lucidité surprise. Cela signifie que le principal danger de la démocratie est la crédulité des citoyens. Cette crédulité, si elle est bien exploitée, permet d’actionner le levier de la peur et de donner à quelques-uns le pouvoir sur tous. Au vrai, cette crise, qui a été quasiment planétaire et a particulièrement embarqué les pays les plus « civilisés », a marqué l’amorce d’un tournant anthropologique. L’humanité peut-elle s’épanouir dans la liberté ou bien son destin ne saurait-il culminer que dans l’abandon de sa vie à une élite autoproclamée ? La réponse reste encore à donner, mais le temps maintenant est compté. En vertu de ce que j’ai dit plus haut sur le rapport entre notre espèce et la liberté, je veux croire que l’humanité, forte de cette expérience hallucinatoire, saura cultiver la lucidité et le courage afin de déjouer de futures tentatives de subtilisation du destin qu’il lui appartient de se construire. 

 

Il y a deux mille ans eut lieu une révolution. Son récit fait partie de ceux que voudraient effacer à la fois les capitalistes, les wokistes, les transhumanistes et beaucoup d’autres. C’est celui du Christ qui dénia toute vraie valeur aux biens matériels, prêcha l’amour des plus faibles, chassa les marchands du temple, refusa la violence qui aurait pu Lui épargner le supplice et la mort. C’est une histoire qui encombre presque tout le monde aujourd’hui, et même, parfois, ceux qui y adhèrent. Pour faire court, dans le christianisme, il y a au moins trois choses qui défient notre monde finissant et dont j’aimerais que s’emparent les générations futures: le refus du darwinisme social, le refus de la violence et le sens de la transcendance. Il n’y a rien de plus opposé au christianisme que le darwinisme social qui, au XIXème siècle, a donné une absolution pseudo-scientifique à la rapacité humaine. Dans un monde où la loi la plus respectée est celle du plus fort, où l’adulation va aux gloires futiles et à l’enrichissement à tout prix, prêcher à nouveau l’empathie pour les pauvres, les faibles et même les perdants - les losers! -, est ce qu’il y a de plus révolutionnaire. La seconde chose qu’affirment les Evangiles est la non-violence. « La vie n’est qu’une histoire de bruit et de fureur » fait dire Shakespeare à Macbeth. Une planète en bon état mais où l’humanité continuerait de propager « bruit et fureur » ne marquerait pas un grand progrès. Je ne fais pas partie des « bisounours », je les critique même souvent, mais la non-violence n’est pas à confondre avec la mollesse, l’acceptation de tout et de n’importe quoi. Elle est le refus de se laisser emporter par la violence de l’autre. Elle est le refus de la transmettre. Elle n’est pas le refus d’oeuvrer pour un nouveau monde. Le troisième élément qui brille au coeur du récit évangélique - mais aussi dans d’autres - est la transcendance. Il y a deux mille cinq cents milliards de galaxies et, sur un grain de poussière, au sein de l’une d’entre elles, il y a la conscience humaine. Cela mérite que l’on médite sur ce qui devrait occuper cette dernière. Le système des besoins humains selon moi le plus pertinent, celui de l’économiste chilien Manfred Max-Neef, n’en recensait au début que neuf. Au terme de ses observations, Max-Neef lui en a rajouté un dixième: le besoin de transcendance, dont il écrivit qu’apparu peut-être tardivement par rapport aux autres il était en voie de se développer. Ne laissez pas votre conscience s’absorber dans de vaines préoccupations. « Vous êtes le sel de la terre ». 

 

* https://r.aboreport.fr/mk/mr/sh/6rqJ8GoudeITQjupd0QQee9si... 

** Olivier Postel-Vianey, Sapiens et le climat, Presses de la Cité, 2022.