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01/08/2013

Prospective (2)

 

 

On dira que je me répète et, avec une touche d’auto-dérision, je me mettrai sous la protection de Voltaire: «je me répèterai jusqu’à ce que l’on se corrige». 

 

Une difficulté de la prospective reste ce qu’à notre insu nous croyons possible ou impossible et je n’aurai jamais assez de gratitude envers Andreu Solé pour m’avoir fait découvrir ce filtre d’autant plus puissant que, sans effort de lucidité de notre part, il reste inconscient. La rigueur de l’auteur de «Créateurs de Mondes» alla jusqu’à refuser une mission pourtant correctement rémunérée après un entretien avec le CEO: «Monsieur, je constate que vous avez déjà validé un certain nombre de certitudes, je décline votre offre car je ne vois pas en quoi mon intervention pourrait vous apporter quelque chose». Eh! oui, il y en a encore qui donnent le pas à la conscience sur le chiffre d’affaires. Initiateur de la rencontre et quelque peu déçu sur le moment, j’ai considéré avec le recul qu’Andreu non seulement était fidèle à lui-même mais qu’il avait eu mille fois raison: il aurait perdu son temps et, au mieux, se serait fait piétiner par quelque tricératops. 

 

A cause du filtre possibles-impossibles, nous ne pensons jamais le changement aussi loin qu’il peut aller. Même si, de temps en temps, nous essayons de nous faire peur en imaginant des «ruptures», nous restons à l’intérieur de variations modestes qui ne risquent pas d’affecter notre représentation du monde. Mais, bon sang! revoyons nos cours d’histoire: l’imprévu s’y invite à toutes les pages et montre qu’il n’est que le fils adultérin de nos certitudes. Il me vient à l’esprit la surprise exaspérée de Keitel, le commandant suprême des armées allemandes, qui signe le 8 mai 1945 la capitulation du IIIe Reich et s’exclame, en voyant que la France est représentée: «Ach! Il y a aussi les Français! Il ne manquait plus que cela!» C’est que le Reich, quelques mois auparavant, semblait encore avoir mille ans devant lui et que la France, depuis 1940, n’était plus qu’une agonisante violée et méprisable. Pour revenir à notre époque, le «printemps arabe» n’a-t-il pas suscité chez nous des enthousiasmes aussi candides que vite ébranlés ? Qui prend les paris aujourd’hui ? En permanence, l’Histoire joue avec nos croyances. 

 

Les impossibles qu’abrite notre inconscient ont la vie dure. En outre, ils ont plus d’un tour dans leur sac. Saint Augustin relevait que si, en plein milieu de notre méditation, un lièvre déboule, nous voilà à le courser. Quelque amie psychanalyste me dirait sans doute que l’animal a surgi bien à propos pour nous éviter de considérer un sujet qui nous est tout bonnement insupportable. Je viens d’en faire l’observation. René Duringer - un des meilleurs guetteurs d’avenir que je connaisse - met en discussion sur Linkedin le scénario «Et si 30% de la population sortait du système bancaire d’ici 2020 ?» La question est claire et elle me paraît pertinente: avec l’appauvrissement drastique qui va se généraliser en Europe, les banques seront trop heureuses de se débarrasser de clients qui exigent un suivi rapproché hors de proportion avec les flux financiers qu’ils amènent, et ces clients eux-mêmes, taxés à outrance, n’aspireront qu’à s’enfuir vers d’autres solutions. Le divorce se fera par consentement mutuel. 

 

Mais voilà, bien que le sujet fût clairement établi, la discussion s’est trouvé d’autres centres de gravité: les banques ont-elles tort ou raison, les banques sont-elles indispensables ou ne le sont-elles pas, doit-on les punir, les encadrer ou les libérer ? Ces sujets sont sérieux, mais en l’occurrence ces discussions nous éclairent-elles sur la plausibilité que 30% de la population sorte du système bancaire, sur les mécanismes de cette sortie et les conséquences qu’il faudrait en tirer ? Alors, oublions ces lièvres aux longues oreilles et revenons au sujet lui-même. En suggérant qu’entre clients et banques pourrait se produire un divorce par consentement mutuel, j’ai esquissé un aspect du scénario. Il en manque au moins deux autres: la nécessité de la survie pour une population qui ira croissant et le foisonnement créatif de ce début du XXIe siècle. Dans une «économie à la Grecque» qui selon moi est ce qui nous attend, quand les gens veulent survivre alors que l’emploi salarié se raréfie et que le soutien de l’Etat se retire, les échanges de services, l’auto-production et les petits boulots prolifèrent. Pour ces modes de vie, l’offre des banques que nous connaissons aujourd’hui est rien moins que pertinente: chère, inadaptée, inutile. En revanche, les monnaies complémentaires, les «accorderies», les plateformes d’échanges locaux comme «mon ecocity», les «innovations frugales» du Tiers-monde et les paiements par SMS, tout cela est prêt à prendre le relais pour faciliter une vie qui sera déjà bien compliquée. Pour qu’un système se défasse, il faut au moins deux choses: que les gens qui en font partie aient l‘envie ou la nécessité de le quitter et qu'ils aient des solutions de remplacement fussent-elles de l’ordre du système D. 

 

Cependant, le plus déterminant dans ce scénario me paraît être plus profond que la facilitation technique. Il y a, d’évidence, quelque chose de l’ordre de l’autorisation que des citoyens de plus en plus nombreux se donneront à eux-mêmes d’abandonner les itinéraires convenables. Mais il y a surtout quelque chose de l’ordre de l’imaginaire: le rêve d’une société différente qu’il est à notre portée de construire. Ce rêve commence - ou recommence - à hanter les coeurs. Illusion ? Peut-être. Mais ce qui compte, si l’on veut évaluer les évènements à venir, c’est la force de conviction qui nourrit le rêve, le ressort vital qu’il exprime. 

 

Je le dirai encore une fois: prenez conscience de vos impossibles afin de les neutraliser. Sinon, ne faites pas de la prospective, orientez-vous plutôt vers la comptabilité. 

 

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