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11/09/2011

Commémorations

 

Je me souviens… Une collègue, affolée, nous a appelés dans son bureau : « Venez- voir, venez voir ! » Nous avons accouru. Sur l’écran de son ordinateur, je ne sais plus quelle chaîne passait en boucle l’enregistrement des avions percutant les Twins. Nous nous sommes retrouvés devant la machine à café, les jambes coupées par l’émotion, sidérés.

 

Voici donc, aujourd’hui, une commémoration de plus. Vous remarquerez que, mis à part Noël qui parle de paix, ces grands anniversaires extraient presque exclusivement de la mémoire des événements meurtriers.  Certes, il est naturel d’honorer la souffrance, particulièrement celle des innocents. Mais on ne peut le faire sans exciter dans le souvenir la haine de l’autre, sans rappeler ce qu’il nous a fait, à nous ou à nos ancêtres. Et, les années passant, cette haine finit par devenir un ressort de notre identité. Les commémorations sont-elles autre chose, d’ailleurs, qu’une révision de l’identité collective ? Pour autant, est-ce que nous avions besoin du « Boche », nous, Français, pour savoir qui nous étions ? Quels intérêts cela servait-il ? Et, aujourd’hui, est-ce que les Américains et plus largement les Occidentaux du XXIème siècle ont besoin de l’islamisme pour savoir qui ils sont ?

 

Ma tante, née en 1916 d’une permission de son père mobilisé, n’a jamais connu ce dernier. Il est resté en 1917 dans la boue sanglante d’un assaut et est enterré près de Soisson, à côté d’une autre victime de la Grande Boucherie - un musulman de nos colonies. Il avait vingt-sept ans. Pour sa fille qui en a aujourd’hui quatre-vingt quinze, les Allemands – elle essaye de ne pas dire « les Boches » - ont assassiné son père. Certes, elle reconnaît qu’il vaut mieux être en paix, mais c’est chez elle un effet de la raison, pas du cœur, et on peut comprendre. Alors, ce qui me vient, c’est que, si on commémore l’Armistice, on devrait davantage encore commémorer la réconciliation décidée par ces deux grands hommes, combattants des deux guerres, que furent Conrad Adenauer et Charles de Gaulle. Depuis lors, nos deux peuples se sont redécouverts, des amitiés ont pu se nouer. Qui imagine aujourd’hui que nous puissions de nouveau nous entretuer ?  Qu’avons-nous perdu, de part et d’autre du Rhin, à renoncer à cette forme de mémoire qui appelle à venger les morts ? C’est une première considération : il faut savoir enterrer la hache de guerre et c’est dans la manière de raconter nos histoires que nous devons l’enterrer. Sinon, nous préparons des haines dont on ne saura comment se débarrasser et elles seront la fosse des générations à venir. Allez, poussons le bouchon encore un peu plus loin : demandons que l’on érige des monuments à la Réconciliation partout où des peuples ont construit une paix sincère et solide nonobstant tout ce qu’ils avaient pu se faire subir !

 

Mais poussons plus loin le questionnement des événements. Qui a tué mon grand-père ? Un autre soldat, qui simplement parlait une langue étrangère, portait un autre uniforme ? Ce serait, selon moi, confondre le couteau et la main qui le tient. Croyez-vous vraiment que nos deux peuples appelaient la guerre de leurs vœux, qu’ils en rêvaient la nuit ? Certes, ils pensaient pis que pendre l’un de l’autre et se voyaient réciproquement comme une menace. Mais vous savez pourquoi : les « Boches », racontait-on par exemple à nos grands-parents, étaient des barbares, ils coupaient les mains des petits enfants. Il y avait même des bandes dessinées pour expliquer cela. De l’autre côté, ce qu’on disait de nous ne devait guère valoir mieux. A la vérité, sans raconter de telles histoires, comment aurait-on pu jeter les uns contre les autres, à la rencontre de la mort, des millions de jeunes gens qui étaient plus occupés de leurs travaux des champs et de leur famille que de la politique internationale ? Aujourd’hui, près d’un siècle plus tard, vous y croyez à ces histoires d’ogres ? Non, bien sûr. Mais peut-être en croyez-vous d’autres.

 

Dans tout conflit de cet ordre, on retrouve trois populations et la manière de raconter l’histoire fait varier la lumière que chacune en reçoit. Il y a les « maîtres de forges » qui voient dans la guerre un marché colossal et la possibilité d’accroître les ressources nécessaires à leur enrichissement. Il y a les militaires et les politiques que hante le rêve d’accomplir une grande mission. Ces trois populations sont de toutes les époques. Elles portent la première responsabilité et peut-être la seule, car le sang des autres n’est que l’eau qui fait tourner leurs moulins. Reste le quatrième acteur, celui qui verse son sang. On ne fait pas d’un peuple une bande d’assassins aux ordres en lui expliquant qu’il s’agit du portefeuille de ses industriels et de la gloriole de ses dirigeants. Il aurait bien d’autres bonheurs à nourrir. Il faut en appeler à ses valeurs. Les peuples ont besoin d’histoires qui leur permettent d’expliquer ce qui leur arrive. Des histoires simples, avec des bons et des méchants, où ils ont le beau rôle et dont les ressorts procèdent du cœur et des tripes. Il y a des milieux, en France, où on ne peut pas critiquer la politique des Etats-Unis, car « tout de même, en 44, les Américains nous ont sauvés, nous devons être reconnaissants ! » Malheureusement, derrière le grand récit que nous choyons, sont à l’œuvre les logiques les plus froides. Je suis étreint d’émotion devant les cimetières de Normandie et j’ai la plus grande gratitude pour ces gars qui sont venus de l’autre rive de l’Atlantique mourir ou se faire estropier pendant la bataille de France. Je me garde cependant de toute effusion naïve en ce qui concerne les dirigeants de leur pays. Ils ne l’ont fait que parce que leurs affaires et leur représentation du monde étaient menacées. S’ils avaient pu nous laisser dans notre malheur sans prendre de risques, ils l’auraient fait. D’ailleurs, n’ont-ils pas attendu Pearl Harbour ? Finalement, ce sont les Japonais que nous devrions remercier !

 

Alors, il faut évoquer un autre aspect, rarement abordé, des conflits. N’arrive-t-il pas aussi que nous le suscitions, cet ennemi ? J’admire Clémenceau, mais le Traité de Versailles n’a-t-il pas fait le lit du nazisme ? Quels ont été l’état d’esprit, le raisonnement du Tigre ? Les Allemands nous ont attaqués, ils nous ont assassinés, ils ont multiplié les destructions sur notre sol : ils doivent payer ! Quoi de plus légitime, me direz-vous ? En outre, les écraser de taxes est un bon moyen de leur ôter les moyens de fomenter une autre guerre. Quoi de plus rationnel, en plus ! Mais voilà, malgré la justesse des raisonnements, c’est le contraire qui s’est produit. Il s’est trouvé Hitler qui a promis du pain, du travail et de l’honneur à ce peuple humilié, et vous connaissez la suite. Si on dressait aujourd’hui la carte mondiale de l’humiliation, on pourrait y lire notre avenir. Si, derrière chaque ennemi qu’on s’imagine, on acceptait de voir ce qui l’a enfanté, on comprendrait l’histoire qui nous y mène. Israël et la Palestine, par exemple, auront-ils un jour leur de Gaulle et leur Adenauer ? L’islamisme agressif ne puise-t-il pas dans ce conflit une part de sa vitalité ?

 

Mais, vous l’avez compris, on peut aussi se créer un ennemi parce qu'on en a besoin. Il y a l’histoire que nous nous racontons, qu’on nous raconte, et l’obscénité des réalités qu’elle habille. Le plus grand bienfaiteur des politiques de Washington est Ben Laden. S’il n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. D’ailleurs, je me suis parfois demandé si, d’un personnage sans réelle envergure, la CIA n’avait pas fait un mythe qui dépassait largement le bonhomme. C’est qu’avoir un ennemi exécrable à brandir permet de faire adhérer les cœurs à une politique qui, si on la livrait dans sa nudité, ne trouverait personne pour la soutenir. En outre, la vue du visage honni et l’émotion de la haine dispensent le peuple de penser. Il se retrouve livré à des émotions primaires. C'est bien commode pour certains.

 

Alors, le 11 septembre ? Le problème qui est posé en ce début de siècle, compte tenu du monde dans lequel nous nous sommes piégés et des intérêts qui veulent le faire durer, ce problème a un nom : le pic pétrolier. C’est un rendez-vous qu’on aura vu venir de loin et le reste, croyez-moi, n’est rien à côté de lui. Grâce à l’attentat du 11 septembre, l'annexion des territoires pétrolifères est devenu une croisade contre le Mal.

 

Les éditions Hermann viennent de publier une sélection de chroniques de ce blog sous le titre Les ombres de la caverne : http://www.editions-hermann.fr/ficheproduit.php?lang=fr&a... Les chroniques retenues pour le livre ont été retirées de ce blog.

Commentaires

Notre cerveau est équipé malheureusement pour produire des histoires beaucoup plus "épaisses" lorsqu'elles sont associées à des sentiments de peur et de colère. Les recherches récentes en neurobiologie ont montré que les réseaux neuronaux correspondants sont plus ramifiés et plus denses dans ce cas... La tolérance est un apprentissage !

Écrit par : Pierre | 12/09/2011

Comme la sagesse et la sainteté!

Écrit par : THierry | 12/09/2011

Très belle idée ces monuments de réconciliation. Quel travail pour épaissir les histoires préférées de paix, de pardon. Et au quotidien, les histoires de coopération, de tolérance et de loyauté à ses valeurs !
Cela me rappelle le livre de Marek Halter, "la force du bien" qui rendait hommage aux Justes, des gens "ordinaires" qui se sont opposés aux nazis en sauvant des juifs. A la question "pourquoi avez vous fait cela?", ils répondaient, "qu'est ce que j'aurais pu faire d'autre?" et "j'aurais voulu faire plus".
Sur tous les conflits des hommes, des milliers de livres pour raconter et analyser l'horreur et si peu sur ceux qui ont oeuvré pour la Vie.

"Lorsque les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent" JP Sartre.

Écrit par : Natacha Rozentalis | 16/09/2011

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